Images de page
PDF
ePub

de l'impossibilité de distinguer les biens du défunt de ceux de l'héritier; 3° l'aliénation par l'héritier des biens du défunt; 4° la prescription.

1° Les légataires peuvent renoncer expressément au droit de se prévaloir de la séparation des patrimoines; dans ce cas, ils sont liés irrévocablement à l'égard des créanciers de l'héritier. Ceci ne peut faire de doute les conventions régulièrement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (Art. 1134 C. civ.).

:

Ils peuvent, en outre, renoncer tacitement à l'exercice de leur droit, en acceptant l'héritier pour débiteur. « Ce droit, dit l'article 879, ne peut cependant plus « être exercé, lorsqu'il y a novation dans la créance <«< contre le défunt, par l'acceptation de l'héritier pour « débiteur. » Cette disposition reproduite de l'ancien droit remonte au droit romain. La loi 1, § 10, D., De separat., disait : « Illud sciendum est, eos demum

creditores posse impetrare separationem qui non <<novandi animo ab herede stipulati sunt; cæterum <«< si eum hoc animo secuti sunt, amiserunt separatio<< nis commodum. » En droit romain, les légataires avaient à choisir entre deux partis s'interdire tout droit sur les biens de l'héritier en s'en tenant aux biens de la succession, ou, au contraire, accepter les effets de la transmission héréditaire et reconnaître l'héritier comme seul débiteur. En renonçant au bénéfice de la séparation, les légataires opéraient par cela

seul une novation, puisqu'il intervenait dans leur titre un des éléments constitutifs de la novation, le changement de débiteur.

Cette théorie avait été abandonnée depuis une constitution de Justinien (Constit. 8, C., De novatione), qui exigeait que les parties s'expliquassent formellement sur leur intention d'opérer novation. Cette distinction entre l'animus novandi et la mens eligendi n'avait pas échappé à Domat (Loix civiles, sect. II, n° 22) ni à Lebrun (Successions, n° 25), tandis que Pothier (Success., chap. V, art. 4), ne l'avait pas saisie. Les rédacteurs du Code ont copié Pothier, et cela explique l'obscurité qui règne dans l'article 879 et les discussions auxquelles il a donné lieu.

Aujourd'hui l'héritier, qu'il y ait séparation ou non, devient dans tous les cas le débiteur du légataire, par le seul effet de la saisine et indépendamment de toute autre circonstance ou condition. Que faut-il donc entendre par la novation dont parle l'article 879? Tous les auteurs sont généralement d'accord pour décider qu'il s'agit ici, non pas de la novation, telle qu'elle est organisée par les articles 1271 et suivants, mais d'une novation sui generis, dont il nous faut préciser la nature. On a voulu interpréter l'article 879 en disant que la séparation ne pourrait plus être exercée lorsqu'il y aurait novation dans la créance du défunt « par l'acceptation de l'héritier pour débiteur, dans un contrat passé avec ce dernier animo

novandi » (Hureaux, Rev. de dr. fr. et étr., 1846, III). Il est certain qu'il y a quelque chose d'inconséquent dans notre Code qui rend l'héritier débiteur personnel des créanciers héréditaires et qui cependant fait déchoir ceux-ci de leur privilège lorsqu'ils l'acceptent en cette qualité (Dollinger, Rev. crit., 1862, XXI). Nous ne pouvons cependant, en l'absence de tout texte, pousser l'interprétation de l'article 879 aussi loin qu'on a voulu le faire.

On peut expliquer tout simplement cet article en disant que les légataires ne peuvent commencer par accepter la confusion des deux patrimoines et reconnaître l'héritier comme seul débiteur, pour ensuite venir demander la séparation.

Évidemment ce n'est pas là une novation telle que l'entend la loi au titre Des obligations; on n'en trouve aucun des éléments constitutifs ni changement de débiteur, ni changement de créancier, ni changement d'objet. Cependant on peut dire que cette expression n'est pas complètement inexacte, car lorsqu'un légataire a manifesté par ses actes la volonté d'accepter l'héritier pour débiteur, on peut dire qu'il est plus complètement créancier vis-à-vis de lui.

Il est impossible d'énumérer tous les actes qui font présumer chez le légataire l'intention d'accepter l'héritier pour débiteur. C'est là avant tout une question. de fait que le juge décidera suivant les circonstances. Nous pouvons dire seulement qu'il devra principale

ment s'attacher à déterminer en quelle qualité l'héritier est intervenu dans les actes passés avec le légataire, s'il a agi comme représentant du défunt ou comme héritier maître de la succession. Dans le premier cas, le légataire conserve le droit de demander la séparation du patrimoine; dans le second cas il en est déchu.

Ainsi le légataire qui fait signifier à l'héritier des titres exécutoires, qui reçoit de lui des à-compte, des intérêts ou une promesse de paiement, n'opère pas novation dans le sens de l'article 879. Au contraire, il sera déchu de son privilège, s'il accepte de l'héritier une caution, un gage, une hypothèque car dans ce cas l'héritier ne pourra plus agir qu'en son nom propre, et le légataire, en exigeant des sûretés particulières, prouve par là qu'il ne se contente plus de la qualité du titre, tel qu'il le tenait du défunt.

Nous devons faire remarquer, en terminant sur ce point, que la séparation étant une garantie absolument personnelle, les actes passés par un légataire ne pourront nuire à ses colégataires, qui conservent toujours, tant qu'ils ne se sont pas compromis eux-mêmes, le droit d'invoquer le bénéfice de la séparation.

2o Les légataires perdent le droit d'exercer la séparation relativement aux biens de la succession qui ont été aliénés par l'héritier.

La séparation ne détruit pas les effets de la saisine qui fait de l'héritier le propriétaire de tous les biens de

la succession et qui lui permet par conséquent de les aliéner. Les légataires sont obligés d'accepter ces aliénations comme si elles procédaient du défunt luimême, et ils ne sauraient les empêcher en invoquant la séparation, car elle est dirigée contre les créanciers de l'héritier et non contre l'héritier lui-même. Ce droit de l'héritier est écrit dans l'article 880, qui ne parle que des immeubles, mais dont il faut à fortiori appliquer la décision aux meubles. Cependant, même dans dans l'hypothèse d'une aliénation, la séparation peut produire encore son effet lorsque le prix de la chose vendue est encore dû par l'acquéreur, les légataires peuvent se le faire attribuer par préférence; ils n'auront pour cela qu'à faire notifier leur demande en séparation à l'acquéreur, avec opposition à tout versement de sa part, dans la caisse de l'héritier; ils pourront encore pratiquer une saisie-arrêt pure et simple entre ses mains.

Des auteurs cependant refusent ce droit aux légataires en prétendant qu'un privilège, dont un bien est grevé, ne passe pas sur le prix qui le représente après une aliénation. En droit romain comme en droit français, on a toujours admis que les séparatistes pouvaient exercer leur droit sur le prix de l'objet aliéné, et cette théorie est trop équitable pour que nous la repoussions. Si la vente est sérieuse et le prix raisonnable, les tiers acquéreurs seront à l'abri de toute action de la part des légataires, quand même ils con

« PrécédentContinuer »