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VIDAL FRENES C. HERNANDEZ ET ESTARICO.

MM. Hernandez et Estarico dirigent à Marseille une maison de commerce très importante, consacrée à la commission de transit pour l'Espagne; aussi ont-ils, à tous les départs des bateaux à vapeur qui font le service des côtes d'Espagne, un certain nombre de colis à mettre a bord. Le 12 sept. 1852, un bateau à vapeur de la compagnie Navigation et Industrie, représentée à Marseille par MM. Vidal frères, venait de partir, et, sur le motif que la place manquait, un grand nombre de colis de MM. Hernandez et Estarico étaient restés à terre. Le 13, ils envoyèrent au bureau de MM. Vidal leur connaissement de colis qu'ils voulaient faire embarquer pour l'Espagne. Ces connaissements furent reçus, gardés toute la journée; mais le soir on les leur retourna en leur disant que, dans l'ignorance du bateau qui arriverait, on ne croyait pas devoir s'obliger; mais qu'une fois le bateau arrivé, on n'aurait qu'à se présenter. En effet, le 15 au matin, le Cid arriva ; à l'instant même, les connaissements des sieurs Hernandez et Estarico furent retournés au bureau de MM. Vidal, et refusés sur le motif que le navire avait déjà son plein. Cependant, dans cette même matinée, le bureau continua à recevoir les connaissements de divers autres chargeurs; il demeura même sous charge encore pendant plusieurs jours.

MM. Hernandez et Estarico protestèrent et assignèrent les sieurs Vidal devant le tribunal de commerce de Marseille, pour s'entendre condamner à recevoir, dans les 24 heures du jugement à intervenir, à bord de leur navire, pour être transportés aux lieux de leur destination, les colis refusés, sinon à des dommages-intérêts à liquider par état - Subsidiairement, ils demandaient à prouver: 1° que dès six heures du matin de la journée du 15 septembre ils avaient demandé place à bord du bateau à vapeur le Cid pour un certain nombre de colis, et qu'il leur avait été répondu par un refus tiré de ce que ledit bateau avait la totalité de son chargement engagée; 2° que, postérieurement à ladite heure et vers la fin de la même matinée, il avait été donné place à bord et reçu des connaissements pour un grand nombre d'autres chargeurs qui à leur convenance, de refuser les marchandises proposées, de donner la préférenceà un chargeur sur un autre, de faire un choix entre les diverses marchandises offeries, etc... S'il en est ainsi, que ne l'annonçaient-ils au public? Ce sont là de ces choses qui l'intéressent à un haut degré. Mais les entrepreneurs ont dû comprendre qu'une publicité de cette nature discréditerait l'entreprise dès l'instant même de son apparition.Ainsi de deux choses l'une ou leur prospectus ne scrait qu'un piége tendu à la confiance publique, ce qu'on ne peut admettre; ou il est l'annonce loyale que

les transports promis seront exécutés, à moins de quelque obstacle qui ne provienne pas de leur fait, par exemple si la marchandise consiste en certains produits chimiques de nature à causer dommage, soit au navire lui-même, soit aux autres marchandises à transporter. Hors ces cas exceptionnels et les cas de force majeure, le principe de Casaregis est une règle commune à toutes les hypothèses possibles: Iniquum est illos publico programmate falli (Casaregis, disc. 122, no 24).

» Delamarre et Lepoitvin.»

n'avaient aucun engagement de fret antérieur,etc. Le 20 sept. 1852, jugement ainsi conçu : «Attendu que la demande des sieurs Hernandez et Estarico n'a pas pour objet l'inexécution d'un prétendu affrétement, dont la preuve, aux termes de l'art. 273 C. comm., doit être établie par écrit ;

Qu'il s'agit, au contraire de l'inexécution alléguée par les demandeurs d'un quasi-contrat qui s'est formé, entre le commerce en général et les compagnies réunies des bateaux à vapeur espagnols, tenant la ligne de Marseille à Barcelonne et les divers ports de la côted'Espagne jusqu'à Cadix, par l'annonce répétée dans les affiches et l'insertion dans les journaux du départ régulier, par mois, aux jours fixés, et moyennant un fret également tarifé selon la nature de la marchandise;

Attendu qu'en l'état d'un pareil engagement pris volontairement envers le public, et sur lequel il a dû compter, on ne pourrait admettre qu'une entreprise de cette nature pût établir une préférence, sans en justifier, entre les divers chargeurs qui se présentent les premiers pour prendre place sur un bateau dont le départ a été annoncé, ou refuser leur marchandise tant qu'il y a place à bord ;-Que ce serait laisser à une telle entreprise un arbitraire incompatible avec la liberté du commerce, et lui donner le pouvoir extraordinaire de frapper d'une espèce d'interdit tebet tel commerçant;-Attendu que la question envisagée sous ce rapport par le tribunal, et les faits dont Hernandez et Estarico demandent à faire la preuve étant pertinents et admissibles, il y a lieu de l'ordonner; Par ces motifs, le tribunal, faisant droit aux fins subsidiaires prises par Hernandez et Estarico, ORDONNE avant dire droit qu'ils prouveront 1°..... 2°..., pour ladite preuve faite et rapportée, etc. (1).

(1) Ce jugement causa une certaine émotion chez

les directeurs et agents des services de bateaux à vapeur établis à Marseille, qui, se croyant menacés dans la liberté de leur industrie, délivrèrent immédiatement aux sieurs Vidal l'attestation suivante, que nous croyons utile de reproduire en entier :

« Nous soussignés, directeurs et agents des compagnies de bateaux à vapeur, déclarons que nous n'avons jamais considéré les avis insérés dans les journaux, indiquant les jours de départ des paquebots, que comme des annonces faites au public pour porter à sa connaissance un fait qui l'intéresse ; que ces mots : Pour fret et passage s'adresser au bureau du consignataire-armateur, indiquent le droit de celui-ci de traiter et de refuser, suivant sa convenance, les marchandises qui lui ont été proposées, et que, dans tous les cas, ces annonces n'ont pas été et ne peuvent être considérées comme un engagement exprès ou tacite capable d'enchaîner la liberté de la compagnie, et de l'obliger à charger la marchandise au fur et à mesure qu'elle lui est présentée, sans pouvoir donner la préférence à un chargeur sur un autre, ou faire un choix entre les diverses marchandises offertes, et qu'un pareil engagement nous paraîtrait incompatible avec la nécessité d'assortir les cargaisons, et avec les intérêts du service, surtout lorsqu'il s'agit de bateaux qui desservent plusieurs échelles, et dont les tarifs varient suivant la distance. Nous ajoutons que, jamais, jusqu'à ce jour, il n'était parvenu à notre connaissance qu'un négociant eût manifesté l'intention de demander compte en justice du refus de recevoir sa marchandise, bien que cette circonstance se réalise très fréquemment. » Suivent quatorze signatures.

JURISPRUDENCE FRANÇAISE.

vant la nature de la marchandise; -Considérant
qu'en l'état d'un pareil engagement, pris volon-
tairement envers le public, et sur lequel on a dû

prise de cette nature pût établir une préférence,
sans en justifier, entre les divers chargeurs qui
se présentent les premiers pour prendre place
sur un bateau dont le départ a été annoncé, ou
refuser leurs marchandises tant qu'il y a place à
bord; que ce serait laisser à une telle entreprise
un arbitraire incompatible avec la liberté du
commerce, et lui donner le pouvoir extraordi-
naire de frapper d'une espèce d'interdit tel ou tel
commerçant;-Considérant que la question en-
visagée sous ce rapport, et, les faits dont Hernan-
dez et Estarico ont demandé à faire la preuve
Considérant qu'aux
étant pertinents et admissibles, les premiers ju-
ges out dû l'ordonner;
termes de l'art. 428 C. proc. civ., les tribu-
naux de commerce ont la faculté d'ordonner que
les parties comparaissent en personne; - Par
ces motifs, MET l'appellation au néant; OR-
DONNE que ce dont est appel tiendra et sortira
son plein et entier effet. »

Appel par les sieurs Vidal. On a, dans leur intérêt, vivement critiqué la partie des motifs du jugement qui fait résulter un quasi-contrat de l'annonce, répétée dans les affiches et jour-compter, l'on ne saurait admettre qu'une entrenaux, du départ régulier des bateaux, aux jours fixés et moyennant un fret tarifé. Le tribunal a donc implicitement admis qu'il n'existait pas dans la cause de contrat synallagmatique, de convention parfaite, que peut seul former le concours de deux volontés. C'est à tort, ajoutaiton, qu'il a prétendu qu'il ne s'agissait pas d'un affrétement, parce que la compagnie serait une entreprise à départs réguliers et à tarif. Qu'importent ces circonstances si cette industrie et ces départs ne consistent qu'en louage de navire pour le transport de marchandises moyennant un prix convenu? Quel nom est-il possible de donner à un tel contrat, si ce n'est celui d'affrétement? -Quant aux annonces, disait-on enfin, elles ne sont qu'un appel à des conventions à venir; elles n'ont d'autre portée que celle d'une offre de venir traiter, contracter, avec celui qui les a faites, sans que pour cela il cesse, jusqu'à la perfection de ce contrat, de rester dans la plénitude de sa liberté d'accepter ou de refuser. Il est dans la position de l'ouvrier, ou du fabricant, dont l'industrie et le tarif sont indiqués sur l'enseigne ou dans les journaux, qui n'est cependant pas obligé de travailler pour tous ceux qui le lui demandent, et dont le refus se trouve suffisamment justifié par sa volonté, sa simple convenance, et les variations de son intérêt personnel.

Pour les sieurs Hernandez et Estarico, on a répondu que l'action en dommages-intérêts était cuffisamment justifiée par la promesse que fait tout entrepreneur qui annonce et établit un service public, promesse irrévocable tant que l'entreprise subsiste, et qui donne naissance à un contrat parfait dès que le public se présente et réclame le service annoncé. C'est là un principe général commun à toutes les entreprises publiques, à tout industriel qui s'annonce et fait appel au public. Il est puisé dans la loi romaine, qui dit, en parlant de l'aubergiste, auquel elle assimile le patron ou maître de navire, qu'il ne saurait choisir ses voyageurs et repousser ceux qui se présentent Viatorem sibi eligere caupo vel stabularius non videtur, nec repellere potest. L. unic., §6, ff., Furti adversus nautas, etc.

DU 8 FÉVRIER 1853, arrêt C. Aix, 1 ch., MM. Poulle 1er prés., Bedarride 1er av. gén. (concl. conf.), Rigaud et Guieu av.

Considérant que la demande
<< LA COUR ;
d'Hernandez et Estarico n'a pas pour objet l'in-
exécution d'un prétendu affrétement, dont la
preuve, aux termes de l'art. 273 C. comm.,
doit être établie par écrit ; qu'il s'agit, au con-
traire, de l'inexécution, alléguée par Hernandez
et Estarico, d'un engagement qui s'est formé,
entre le commerce en général et les compagnies
réunies des bateaux à vapeur espagnols tenant la
ligne de Marseille à Barcelonne et les divers ports
de la côte d'Espagne jusqu'à Cadix, par l'annonce
répétée dans les affiches et l'insertion dans les
journaux du départ régulier, par mois, aux jours
fixés, moyennant un fret également tarifé sui-

CASSATION (8 avril 1853).

COLPORTAGE, DISTRIBUTION PAR LA POSTE. Le dépôt à la poste, sans autorisation préalable, d'un écrit ou imprimé, placé sous enveloppes cachetées et adressé à diverses personnes auxquelles il est parvenu, ne constitue pas, en dehors de toute distribution personnelle, distincte et indépendante dudit dépôt, le délit de colportage prévu et réprimé par l'art. 6 de la loi du 27 juil. 1849 (1).

DE THIEFFRIES.

Le sieur de Thieffries s'est pourvu en cassation contre l'arrêt de la Cour de Douai, du 25 janv. 1853, que nous avons rapporté sup. p. 25.

Du 8 AVRIL 1853, arrêt C. cass., ch. crim., MM. Laplagne-Barris prés., Aylies rapp., Bresson av. gén., Béchard av.

-

En ce qui touche le moyen << LA COUR; tiré de la fausse application de l'art. 6 de la loi du 27 juil. 1849 aux faits énoncés en l'arrêt attaqué: Attendu que cet arrêt reconnaît et déclare que, dans le courant de nov. 1852, et sans autorisation préalable, le demandeur a déposé au bureau de poste de Saint-Amand (Nord) trente exemplaires d'un écrit autographié spécifié audit arrêt, lequel, placé sous enveloppes cachetées, était adressé à diverses personnes ne relève à la charge du demandeur aucun fait auxquelles il est parvenu; que le même arrêt de distribution personnelle distinct et indépendant du dépôt dont il vient d'être parlé; qu'ainet motivé la condamnation prononcée; si ce dépôt a servi seul de base à la poursuite

At

(1) V. Conf. Cass., 17 août 1850 (t. 1 1851, p. 11). -V. aussi nos observations sous l'arrêt attaqué de Douai du 25 janv. 1853 (supra, p. 25), et un jugement da tribunal de Cosne du 14 fév. 1853, que nous avons rapporté en note du même arrêt.

plication de l'art. 6 de la loi du 27 juil. 1849, et gravement méconnu son esprit; CASSE.>>

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CASSATION (28 juillet 1852).

CASSATION, CONTRARIÉTÉ de jugements, Ren

vol,

COMMISSIONNAIRE DE TRANSPORTS, LETTRE DE VOITURE, REMBOURSEMENT, EXPÉDITEUR, RÉCLAMATION.

Lorsqu'il y a contrariété entre deux jugements, rendus, en dernier ressort entre les mêmes parties, par des tribunaux différents, sur le même objet et les mêmes moyens, la Cour de cassation, à laquelle le dernier de ces jugements est déféré, doit en prononcer la cassation, non point sans renvoi, mais, au contraire, avec renvoi devant d'autres juges pour être fait droit (1). C. proc. civ. 504; L. 27 nov. 1er déc. 1790, art. 3.

tendu qu'il ne constitue pas néanmoins la contravention prévue et punie par l'art. 6 de la loi précitée; qu'il résulte, en effet, du texte et de l'esprit de la loi que cette contravention, quelle que soit d'ailleurs la peine édictée, existe par le fait matériel de la distribution des écrits, et par ce fait seul, sans qu'il y ait lieu de rechercher la culpabilité des colporteurs ou distributeurs au point de vue moral et intentionnel; que cette interprétation peut seule assurer son entière efficacité; que la contravention ne saurait donc exister que sous la condition d'établir directement et personnellement contre les inculpés un fait matériel de colportage et de distribution; —Attendu, à cet égard, que c'est à tort que L'arrêt attaqué pose en principe que le fait est légalement justifié et caractérisé par le simple dépôt des écrits aux bureaux de poste; que c'est s'éloigner évidemment de la vérité même des choses que de confondre ainsi le dépôt antérieur et préalable à la distribution avec la (1) Cette solution de la Cour suprême est-elle distribution elle-même, qui ne s'accomplit en exacte? Pour notre part, nous ne saurions le croire, réalité qu'au moment où la remise des écrits et il nous semble manifeste (est-ce une illusion?) est effectuée entre les mains des tiers destina- que la vérité était ici du côté de M. l'avocat général taires; d'où il suit qu'à s'en tenir au texte de la Rouland, concluant à la cassation sans renvoi. C'est loi et à ne considérer que la matérialité du fait, assurément chose grave qu'une décision ainsi rendue ce ne sont pas les déposants, mais très bien les par les magistrats éminents de la Cour régulatrice après longue délibération en chambre du conseil; préposés de l'administration des postes, qui mais nous avouons néanmoins que nos plus intimes sont les agents actifs et personnels de la distri- convictions résistent à l'admission de la doctrine bution;--Attendu, d'ailleurs, que les lois et rè- qu'elle consacre. Ce ne sont pas seulement les plus glements ont attribué à ces préposés la mission sérieuses autorités sur cette matière qui commande distribuer les écrits de toute nature confiés à dent la solution contraire, c'est aussi et surtout, la poste, et que, sous ce rapport, ils sont plei- si nous ne nous trompons, la raison la plus évidente. nement accrédités et autorisés; Qu'on ne Merlin, dans ses Questions de droit (yo Contrariété de jugem., § 2), admet ici comme chose non douteuse, pourrait exiger que les préposés, pour opérer incontestable et forcée, la cassation sans renvoi légalement la distribution des écrits, soient sou« Le fond de la cause, dit-il, consiste uniquement mis, indépendamment de l'autorisation généra- dans la question de savoir s'il y a entre le jugement le, inséparable de l'exercice de leurs fonctions, attaqué et le jugement en dernier ressort précédemà l'autorisation préfectorale, sans attaquer à sa ment rendu une contrariété telle que le jugement atbase même l'ordre hiérarchique entre les di- taqué ne puisse pas être maintenu. La Cour de cassaverses branches du pouvoir administratif, et sans tion ne peut donc pas, d'après l'essence même des choses, casser ce jugement sans juger le fond; elle porter une grave perturbation dans une des parne peut donc pas, en le cassant, renvoyer le fond ties les plus importantes du service public;-At- devant une autre Cour.»-Pigeau (Proc. civ., liv. 2, tendu, enfin, que, s'il est vrai que le législateur part. 4, tit. 1, chap. 1er, § 14, no 2-3°) professe la de juil. 1849, dans sa juste préoccupation des même doctrine et avec la même énergie: « Il ya deux abus et des dangers du colportage des écrits, cas, dit-il, où il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire ait voulu l'atteindre dans tous les cas et jusque devant un autre tribunal. Le premier...; le deuxièdans les faits de distribution individuelle ac- me, lorsque la cassation est prononcée pour contrariété d'arrêts: l'arrêt qui casse ordonne que, sans complis en dehors des habitudes du colportage, s'arrêter au deuxième arrêt ou jugement, le premier il n'est pas moins certain qu'il n'a pas voulu, à titre et sous peine de contravention, soumettre à l'autorisation préalable des préfets la distribution par la voie de la poste d'écrits de toute origine et de toute nature; Qu'il résulte, en effet, de toutes les circonstances qui ont accompagné la discussion de la loi du 27 juil. 1849 que nul ne songeait alors à introduire dans la législation existante une modification aussi radicale que celle qui consisterait à conférer à l'administration le droit nouveau de supprimer à son gré toutes les communications écrites, même celles qui, sans sortir du cercle des relations domestiques et privées, affectent à tous les points de vue et sous toutes les formes les intérêts si nombreux et si divers de la vie civile et sociale; - Attendu qu'en décidant le contraire, l'arrêt attaqué a fait une fausse ap

-

sera exécuté suivant sa forme et teneur, d'après le règlement de 1738, part. 1re, tit. 6, art. 6. Cette disposition du règlement de 1738 n'est pas abrogée par l'art. 3 de la loi du 1er déc. 1790, qui déclare que, sous aucun prétexte et en aucun cas, la Cour de cassation ne peut connaître du fond; qu'elle est tenaître. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de juger le nue de renvoyer aux tribunaux qui doivent en confond de nouveau ; il s'agit seulement de savoir si tel jugement aura son exécution. » — - M. Tarbé partageait aussi ce même sentiment, puisque, dans son Recueil des lois et règlements de la Cour de cassation, en donnant la nomenclature des dispositions aujourd'hui abrogées, il n'y range pas l'article précité du règlement de 1738.

Et ce que disent Merlin, Pigeau et Tarbé, d'accord avec les conclusions données dans cette affaire même par M. Rouland, la raison ne le dit-elle pas comme eux; et ne peut-on pas, en choisissant une autre formule de démonstration que celle qui est

Le commissionnaire de transports qui a reçu d'un autre commissionnaire des marchandises dont le destinataire n'a pu être trouvé, mais présentée par Merlin, arriver à faire toucher du doigt la justesse évidente de leur doctrine et le peu de valeur de l'objection, assez spécieuse certainement, mais certainement aussi très mal fondée, qui a fait naître les scrupules des magistrats de la Cour suprême, et leur a fait craindre, bien à tort, de coininettre ici un excès de pouvoirs en prononçant une cassation sans renvoi?

auxquelles était joint un bordereau de remboursement de leur valeur, dont ce dernier commissionnaire l'a débité, peut-il exiger ce

dinaire, dans le sens de la loi de 1790, dans le sens dès lors qui doit seul nous occuper ici, c'est la question pour la solution de laquelle les deux plaideurs ont entrepris leur procès, ce procès dont l'instance en cassation n'est qu'un accident: c'était, dans notre espèce, la question de savoir si le sieur Soudée devait payer aux sieurs Courrat la somme réclamée par ceux-ci. Voilà le fond, le vrai fond, ce fond que la Cour de cassation ne doit jamais jufond, dans tous les cas de contrariété de jugements, c'est précisément la question que décident les deux jugements contraires, en la jugeant le premier dans un sens, et le second dans l'autre. Or, cela étant, il ne peut pas y avoir lieu, dans un tel cas, à renvoi après cassation, par la raison bien simple qu'il n'y a pas lieu à juger le fond, puisque ce fond est jugé... Le fond, disons-nous, à la différence de ce qui a lieu dans les pourvois ordinaires, reste ici un point jugé après et malgré la cassation. C'est bien évident, puisque ce fond avait été jugé deux fois, avait été l'objet de deux jugements souverains tous deux, et que, le seul but et le seul effet de l'arrêt de cassation étant de supprimer le dernier de ces deux jugements, on se trouve dès lors en face du premier, qui contient, et n'a jamais cessé de contenir, la solution souveraine du débat... Dans les cas ordinaires, quand l'arrêt de cassation a précisément pour effet d'anéantir le seul jugement qui tranchait le débat, il faut bien, puisque la Cour suprême ne juge pas le fond des affaires, qu'elle renvoie à une juridiction qui mettra un nouveau jugement à la place du jugement anéanti; mais ici, qu'il y avait deux jugements dont le second contrariait le premier, deux jugements dont le second a été annulé précisément parce qu'il contrariait le premier, n'est-il pas clair que la suppression de ce second jugement fait tout ce qu'il y avait à faire, et que, le premier étant toujours la, le fond est jugé par lui?... La théorie est ici fort simple, elle se réduit à cette règle élémentaire de l'arithmétique: De deux, ôtez un, RESTE UN.

Merlin, dont la solution, assurément, est, tout à la fois parfaitement exacte, et aussi très logique-ger, sous quelque prétexte que ce puisse être... Le ment motivée, a cependant eu un tort, qui, fort léger sans doute en lui-même, pouvait être grave dans ses conséquences, et l'a été en effet. C'est de n'avoir pas choisi avec assez de soin les mots dont il se servait pour la démonstration de sa thèse. Les mots sont plus puissants qu'on ne le pense communément; et telle idée qui n'a été admise que difficilement et à la longue l'eût été peut-être très facilement si son auteur avait eu soin de la mieux présenter... Merlin a eu le tort de dire que, dans le cas de pourvoi pour contrariété de jugements, LE FOND DE LA CAUSE est uniquement de savoir si les deur | jugements dont l'un est allaqué sont vraiment contraires. Sans doute c'est bien là le fond pour la Cour de cassation; mais ce n'est pas ce qu'on entend par le fond du procès, ce n'est pas là, entre les parties, le fond de la contestation qui les fait plaider, ce n'est pas le fond des affaires dont la loi parle quand elle défend à la Cour de cassation de s'en occuper. Si l'on adopte cette manière de parler de Merlin, il faudra dire aussi que le fond de tous les pourvois ordinaires est uniquement de savoir si la décision attaquée est ou non contraire à la loi, et si dès lors elle doit étre cassée ou maintenue. Rien sans doute ne s'oppose à ce qu'on parle ainsi, à ce qu'on distingue deux fonds au lieu d'un, le fond du procès considéré dans son ensemble et dans son but définitif, puis le fond de l'instance en cassation, qui n'est qu'une des périodes de ce procès; mais alors, au lieu de pouvoir dire que la Cour de cassation ne doit jamais juger le fond, il faudra dire au contraire, pour ce qui est de ce fond de l'instance en cassation (qui n'est pas du tout le fond de l'affaire), que la Cour de cassation juge TOUJOURS le foud, et qu'ELLE SEULE peut le juger. Ceci est certes bien évident; il est bien clair que si l'on appelle le fond, dans un pourvoi pour contrariété de jugement, la question de savoir si le second jugement est contraire au premier, puis, dans un pourvoi ordinaire, celle de savoir si la décision allaquée viole la loi et doit étre cassée, il est bien clair que c'est la Cour de cassation, ET ELLE SEULE, qui juge et doit juger ce fond... Merlin a donc eu tort, en présence de textes de loi qui défendent à la Cour de cassation de connaître jamais, et sous quelque prétexte que ce soit, du fond, de venir appeler le fond ce dont la Cour de cassation doit connaître toujours, et dont elle peut connaître scule, puisque c'est précisément la l'objet unique de sa mission et de son institution!... Et c'est ce tort de Merlin qui a produit l'arrêt que nous critiquons ici. Merlin disait que, dans le cas particulier de contrariété d'arrêts, la Cour pouvait juger le fond (ce qui était très vrai en entendant la chose comme il l'entendait), et voilà que les magistrats, rapprochant cette proposition de celle qui leur dit, dans la loi, que la Cour ne doit connaître du fond dans aucun cas et sous aucun prétexte, se sont dit que la loi devait l'emporter sur Merlin, et n'ont pas osé, par un scrupule assurément fort honorable, mais peu fondé, suivre la doctrine, très exacte en elle-même, mais très mal formulée, de l'ancien procureur général.

Le fond d'une affaire, dans le sens habituel et or

Et que devient cette objection, qui a préoccupé et fait dévier, suivant nous, des vrais principes, que jamais, dans aucun cas que ce puisse être,et sous aucun prétexte, la Cour de cassation ne peut connaître du fond de l'affaire ?... Sans doute, jamais elle ne doit juger le fond; mais aussi elle ne le juge pas ici; ni elle ni aucun tribunal ne le jugera, par la raison bien simple, encore une fois, qu'il est tout jugé d'avance... Et qu'on ne dise pas qu'elle le jugerait implicitement ou indirectement en prononçant le maintien du premier des deux jugements: car la Cour n'a pas à maintenir, confirmer ou corroborer ce jugement, qui se maintient et subsiste par lui seul, en sorte que la Cour suprême ne fait rien autre chose que le laisser subsister, comme elle ne fait que laisser subsister toutes les décisions frappées de pourvoi qu'elle rejette. Ici la chose est même plus claire encore, puisque le premier dos deux jugements n'est pas même frappé de pourvoi, mais le second seulement !

En résumé, un arrêt portant cassation pour contrariété de jugements n'est rien autre chose que la suppression d'un second jugement qui en contrariait un premier, d'où la conséquence que celui-ci reste la, jugeant le fond de l'affaire, en sorte qu'il n'y a pas de nouveau jugement à chercher, et dès lors pas de renvoi à prononcer. V. MARCADE.

V. Rép. gen. Journ. Pal., vo Cassation (mat. civ.), nos 1901 et suiv.

remboursement du propriétaire ou expéditeur des marchandises? C. Nap. 2102, no 6,; C. comm. 93 et 106. (Rés. aff. par le jugem. cassé, et nég. par le premier jugem.)

SOUDÉE C. COURBAT.

En mars 1848, deux colis, destinés au sieur Taggiasco de Marseille, furent remis aux sieurs Hirvoix et C, commissionnaires de transports à Paris, par le sieur Soudée. Ces colis, dont la lettre de voiture mentionnait, en outre du prix de transport, le remboursement de la valeur des marchandises, s'élevant à 228 fr., furent adressés, par Hirvoix et Ce, aux sieurs Courrat père et fils, commissionnaires de roulage à Marseille, et la maison Hirvoix et Ce inscrivit le montant de la lettre de voiture au débit de ces derniers.- Plus tard, le sieur Soudée reçut avis des sieurs Courrat que, le destinataire n'ayant pu être trouvé, ils tenaient ses marchandises à sa disposition, à la charge par lui de leur rembourser, en sus des frais de transport, le prix de ces mêmes marchandises, prix dont la maison Hirvoix les avait rendus créanciers en le portant à leur débit.

Soudée, soutenant ne devoir que les frais de transport, en offrit le paiement et poursuivit les sieurs Hirvoix et Courrat devant le tribunal de commerce de la Seine à fin de re

mise des colis. De leur côté, les sieurs Courrat assignèrent les sieurs Soudée et Hirvoix de vant le tribunal de commerce de Marseille en paiement de la somme par eux réclamée.

Sur ces deux instances, il intervint: 1 un jugement du tribunal de commerce de la Seine, du 5 sept. 1849, portant en substance que les commissionnaires n'étant privilégiés pour leurs avances que sur les marchandises à eux remises par le propriétaire, et non sur celles qui leur sont adressées par d'autres commissionnaires, simples intermédiaires comme eux, les sieurs Courrat ne pouvaient pas exiger de Soudée le remboursement de la somme dont ils avaient été débités par Hirvoix; 2° un jugement du tribunal de commerce de Marseille, du 25 avr. 1850, qui, «< attendu que la lettre de voiture portait, outre le prix du transport, le remboursement de la valeur de la marchandise, et que ces deux conditions étaient indivisibles », maintient un jugement par défaut précédemment rendu, le 20 juin, et qui condamnait le sieur Soudée à payer intégralement la somme réclamée par les sieurs Courrat.

Pourvoi par le sieur Soudée contre le jugement du tribunal de Marseille pour contrariété avec le jugement précédemment rendu à Paris, et pour violation de la chose jugée.

Du 28 JUILLET 1852, arrêt C. cass., ch. civ., MM. Bérenger prés., Moreau (de la Meurthe) rapp., Rouland`av. gén. (concl. contr.), Jager Schmidt av.

« LA COUR (apr. délib. en ch. du conseil); Vu l'art. 504 C. proc. civ.; Attendu que les deux jugements, le premier du tribunal de commerce de la Seine du 5 sept. 1849, le deuxième du tribunal de commerce de Marseille du 25 avr. 1850, ont été rendus par

des tribunaux différents, en dernier ressort et entre les mêmes parties; Attendu qu'ils ont été rendus sur le même objet et sur les mêmes moyens; qu'en effet, dans les deux instances sur lesquelles ils ont statué, l'objet du procès consistait dans deux colis de marchandises envoyés à la destination de Marseille par Soudée, par l'entremise d'Hirvoix frères, commissionnaires à Paris, qui s'étaient substitué, dans cette mission, Courrat père et fils, commissionnaires à Marseille, et dont la remise était, à raison de la non-réception de la part du destinataire, réclamée par Soudée, propriétaire et expéditeur, et consentie par Courrat père et fils;

Que le seul point en litige entre Soudée et Courrat père et fils, devant les tribunaux de la Seine et de Marseille, consistait en ce que Soudée prétendait n'être obligé à payer à Courrat père et fils, contre la remise des deux colis, que le prix du transport de ces colis de Paris à Marseille, qu'il offrait; et que Courrat père et fils prétendaient avoir, avant de s'en dessaisir, le droit d'exiger, en outre, le prix des deux colis;

Attendu que les motifs de ces prétentions respectives étaient, devant les deux tribunaux: de la part de Soudée, que, tout en accompagnant ses deux colis d'un bordereau de remboursement de leur valeur pour le cas où le prix pas dessaisi de la propriété de ces colis, sur en serait payé par le destinataire, il ne s'était lesquels il n'avait reçu ni prix ni aucune avance, ni d'Hirvoix frères, ni de Courrat père et fils; qu'ainsi il avait le droit, en présence de la nonréception de la part du destinataire, d'en réclamer la remise, en payant à Courrat père et fils le prix de leur transport seulement; - De la part de Courrat père et fils, qu'ayant crédité Hirvoix frères, en compte courant, de la totalité de la somme énoncée en la lettre de voiture, tant pour frais de transport que pour prix des marchandises, montant ensemble à la somme de 248 fr. 20 c., ils étaient fondés à exiger le paiement de cette somme préalablement à la remise des colis; - Qu'ainsi les deux jugement sont été rendus sur les mêmes moyens de demande et de défense; Attendu que le tribunal de commerce de la Seine, par son jugement du 5 septembre 1849, a ordonné la remise des deux colis de la part de Courrat père et fils à Soudée, à la charge par celui-ci de payer aux premiers seulement le prix du transport de ces colis de Paris à Marseille; Et que le tribunal de commerce de Marseille, par son jugement du 25 avr. 1850, a ordonné cette remise, mais à la charge par Soudée de payer à Courrat père et fils, non seulement le prix du transport, mais en outre le prix même de ces colis; Et qu'ainsi il y a contrariété manifeste entre ces deux jugements; Qu'il suit de là qu'il y a lieu à l'application de l'art. 504 C. proc., et conséquemment à la cassation du jugement du tribunal de commerce de Marseille du 25 av. 1850, attaqué par le pourvoi:

Attendu enfin que, suivant l'art. 3 de la loi des 27 nov.-1er déc. 1790, sur la formation d'un tribunal de cassation, « sous aucun pré» texte et en aucun cas, le tribunal de cassa

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