Bonaparte paraît à son tour sur la scène, non moins philosophe que Diderot et Voltaire, et philosophe sur le trône. Il a tout pouvoir: il est maître absolu du grand empire, et voilà que, songeant sérieusement à se faire le régulateur suprême de l'instruction publique, entouré de ses conseillers d'état dont il interroge depuis deux ans l'imagination ou les souvenirs, il inscrit d'une main ferme sur le frontispice de la nouvelle Université.... Quoi? Est-ce seulement la morale? Est-ce en général la religion? Non : il ne s'arrête point là; voyant de plus haut, il voit plus loin; il veut unité et fixité dans les doctrines du corps chargé de l'éducation de la jeunesse; il veut que la base essentielle de l'enseignement soit désormais la religion catholique. Et par ce seul mot, tout est réglé dans cette grande institution de l'Université. La philosophie parcourra librement le vaste océan des opinions humaines, mais elle aura où jeter l'ancre : la science pénétrera jusqu'aux entrailles de la terre, sondera les profondeurs des cieux, analysera toutes les productions de la nature, révèlera toutes les merveilles de la création; mais des limites sont posées, elle y brisera sans murmurer l'orgueil de ses recherches: la critique pésera tous les témoignages, rejettera les faits apocryphes, laissera dans le vague les faits douteux, discutera les opinions, fera justice des erreurs, examinera les préjugés les plus accrédités, enlevera au mensonge toutes ses ruses, la vérité tous ses voiles, mais elle saura baiser avec respect le pavé de nos temples, elle révè rera nos livres saints, elle inclinera sa faible épée devant la majesté divine. Dès lors que la religion catholique est la base de l'enseignement dans toutes les écoles de l'Université (1), l'Université participe aussitôt à l'immense avantage de doctrines certaines, invariables, éternelles, qui laissant à la raison humaine la plénitude de ses forces, ne la rendent que plus habile à saisir tout ce qu'elle peut atteindre, et empêchent seulement qu'elle ne s'égare en de vains systèmes, qu'elle ne se consume en stériles efforts. L'Université est donc essentiellement religieuse, et constitutionnellement chrétienne, ot chrétienne catholique. En même temps elle respecte, elle maintient, elle souhaite l'entière liberté des autres cultes, (1) Article 38 du décret du 17 mars 1808, sans laquelle le culte même de la religion véritable serait moins honorable et moins pur; se souvenant d'ailleurs que les plus beaux siècles de la religion chrétienne furent ceux où luttant seule contre toutes les puissances de la terre, contre toutes les erreurs de l'esprit humain, contre toutes les rêveries des anciens philosophes, en butte aux dérisions des Celse et des Porphyre, comme aux violences des Néron et des Dioclétien, combattue et persécutée par les lois civiles et criminelles, loin d'en recevoir protection et secours, cette religion s'avançait à la conquête de l'univers, forte d'elle-même, fécondée par le sang de ses martyrs, et toute remplie du Dieu qui lui avait appris à vaincre le monde. CHAPITRE XXII. Mais pourquoi l'Université sera-t-elle toujours attaquée? La réponse est simple: elle possède et elle éclaire. Ce qu'elle possède, on le lui dispute: la lumière qu'elle répand, on la hait. L'Université est mise par l'Etat même en possession du plus beau domaine dont le roi et la loi puissent disposer, le domaine de l'instruction publique.. L'Université aimera, recherchera, propagera toujours et de tout son pouvoir, l'instruction et l'éducation jusque dans le peuple, la vérité dans toute son étendue, les lumières dans tout leur éclat; elle voudra la raison conduisant l'homme à la foi, la foi au-dessus de la raison et non pas contre. On voit comment et sous combien de rapports l'Université sera toujours militante et contredite. Autres réflexions sur les Circulaires, Arrêtés et Règlemens concernant l'Instruction et Education du peuple. On trouve à chaque pas, dans l'Université le même ordre de choses qui, sous la haute surveillance du Roi, met en mouvement toute la machine sociale. Dans l'Eglise, le simple prêtre est soumis au curé, le curé reçoit les mandemens de l'évêque, les évêques reconnaissent au-dessus d'eux celui d'entre eux qui occupe la chaire du premier des apôtres, Dans l'administration civile, le sous-préfet a autorité sur le maire, le préfet sur les souspréfets, le ministre sur les préfets. |