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COUR ROYALE DE ROUEN.

(16 janvier 1843.)

Lorsque celui qui s'était rendu adjudicataire d'un immeuble l'a revendu, si le sous- acquéreur n'a point rayé son prix dans les délais qui avaient été fixés par le contrat, el si ce défaul de paiement a donné lieu à des poursuites en folle enchère, l'adjudicataire fol enchéri a le droit de demander des dommages-intérêts au sous-acquéreur, encore bien que ce dernier n'ait pas été partie dans les poursuites en folle enchère. Les dommages-intérêts dont le sous-acquéreur est tenu doivent comprendre non seulement les intérêts du prix de son acquisition, mais encore toute la différence de ce prix à celui de la seconde adjudication, ainsi que les intérêts de celle différence. (1)

Le droit de propriété du dernier adjudicataire remontant au jour de la première adjudication, il en résulte qu'il peut de son chef, en sus des dommages-intéréls ci-dessus, réclamer du sous-acqué reur une indemnité pour lui tenir comple des fruits qu'il a perçus pendant qu'il a conservé l'immeuble.

QUILLOU ET PICARD

C. CARDON ET AUTRES.

DU 16 JANVIER 1843, arrêt C. roy. Rouen, 1 ch., MM. Legris de La Chaise prés., Rouland 1er av. gén. (concl. contr.), Desseaux et Deschamps av.

LA COUR ; Attendu que la filature de Langlet, dépendant de la succession de Léon Bossard Cardon, a été vendue sur licitation devant le tribunal de la Seine, et adjugée le 29 juin 1833 à la veuve Cardon, moyennaut 250,000 fr. de prix principal et les frais de poursuite;

Que le 17 juillet suivant Hippolyte Cardon, agissant tant en son nom qu'au nom de ses cohéritiers, a revendu à Ricard cet immeuble moyennant 250,000 fr., payables 100,000 fr. comptant aux créanciers inscrits sur la propriété, et le surplus dans le délai d'un an avec l'intérêt à 5 pour 400 l'an;

mier créancier inscrit sur l'immeuble, en a
poursuivi contre les héritiers Cardon la reven-
te sur folle enchère; que l'immeuble a été ad-
jugé sur folle enchère à la demoiselle Zoé Car-
don, aujourd'hui dame Grandidier, pour le
prix de 150,100 fr., le 16 juill. 1835;

Que, Ricard n'ayant pas réalisé cette vente ni payé les 100,000 fr., un sieur Lopez, pre

» Que depuis la première adjudication faite aux héritiers Cardon jusqu'au 30 août 1834, époque où l'immeuble a été mis sous le séquestre, Ricard en a conservé la possession; » Que dans cet état des faits il s'agit de savoir si Ricard est passible de dommages-intérêts envers les héritiers Cardon, quelle doit en être l'importance, et quelle somme il doit à la demoiselle Zoé Cardon pour l'indemniser des fruits dont elle a été privée par la jouissance de Ricard;

>>Sur la question des dommages-intérêts :

» Attendu qu'il est établi au procès que, Ricard ayant vainement promis aux héritiers Cardon, pendant les trois mois qui ont suivi le traité, de le réaliser et de payer 100,000 fr. aux créanciers inscrits sur l'immeuble, deux sommations lui furent successivement adressées par les vendeurs ; qu'elles furent sans résultat, et que le traité s'est trouvé résolu par le fait faute par Ricard d'avoir exécuté ses engagements;

(1) Mais il doit compte des dépenses utiles qui auraient été faites par le premier adjudicataire. Ces dépenses doivent entrer jusqu'à deux concurrences en compensation des dommages-intérêts et restitutions qui peuvent être dus. Ce sont là des créances bien distinctes qui ont chacune leur origine spéciale. Quant aux dépenses l'amélioration, c'est le quanto utilius qu'il faut apprécier: Nemo ære alieno locupletior fieri potest.

Que les poursuites du créancier Lopez, et la folle enchère qui en a été la conséquence, sont imputables à Ricard, et qu'il doit être passible de dommages-intérêts envers les héritiers Cardon;

»Sur l'importance de ces dommages-intérêts : »Attendu que la demande des héritiers Cardon, par eux réduite en appel, consiste 1° dans la somme de 98,909 fr., différence du prix de la première adjudication à celui de l'adjudication sur folle enchère, et celle de 10,137 fr., intérêts de cette différence pendant le temps qui s'est écoulé depuis la première adjudication jusqu'à la seconde, et 2o dans celle de 2,445 fr. 95 c., montant des frais d'enregistrement, que les héritiers Cardon disent avoir payée sans en avoir été remboursés;

» Attendu que, pour repousser cette demande, les appelants prétendent 1° que Ricard ne pouvait devoir les dommages-intérêts que comme fol enchérisseur, mais qu'il a été écarté de la poursuite sur folle enchère par l'arrêt de la Cour royale de Paris du 30 août 1834; qu'il y a sur ce point chose jugée, et que cet arrêt, en décidant que Ricard ne pouvait être fol enchéri, a par cela même décidé qu'il ne pouvait être tenu des suites de la folle enchère; 2° qu'en tous cas, Ricard dût-il des dommages-intérêts, ils ne pourraient être, aux termes des dispositions de l'art. 1153 C. civ., que des intérêts du prix qu'il est en retard de payer; 3° que les héritiers Cardon ne justifient pas avoir perdu le montant de l'enregistrement qu'ils réclament;

Sur le premier moyen :

» Attendu que la Cour royale de Paris a jugé que Ricard devait rester étranger aux poursuites en folle enchère du créancier Lopez contre les héritiers Cardon, et ne pouvait les contester, parce que, les droits qu'il tenait des héritiers Cardon n'étant ouverts que de

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puis la première adjudication, et la folle enchère n'etant qu'une suite et une conséquence de la procédure sur cette adjudication, il ne pouvait par intervention sister dans cette procédure, dans laquelle d'abord il n'avait pas été partie; mais que cette Cour, loin de rien préjuger sur les droits que les héritiers Cardon prétendaient alors faire valoir contre Ricard, parce qu'il n'exécutait pas son contrat, ni sur ceux qui pourraient résulter ultérieurement des poursuites en folle enchère dont l'arrêt ordonnait la continuation, réserve au contraire les héritiers Cardon à tous ces droits, sauf à eux à les faire valoir par action principale et en dehors des poursuites en folle enchère ;

Que cet arrêt ne peut donc être opposé aux demandes des intimés;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il ne s'agit pas au procès d'un retard dans l'exécution d'une obligation personnelle mobilière, et se bornant au paiement d'une certaine somme d'argent, mais bien de l'inexécution, par l'une des parties contractantes, d'un contrat synallagmatique et de la résolution de ce contrat par suite de cette inexécution; que, si aux termes de l'art. 1153 les dommages-intérêts ne peuvent jamais être dans la première hypothèse que des intérêts de la somme due, ils doivent être dans la seconde, aux termes des principes généraux du droit, de toute la perte qu'a éprouvée l'une des parties contractantes par le refus de l'au tre de tenir à ses engagements;

Que, la perte par les héritiers Cardon de la différence entre le prix des deux adjudications et les intérêts de cette différence étant une suite directe et immédiate de l'inexécution du contrat, Ricard en doit le remboursement;

Sur la troisième prétention des appelants, celle relative à la somme de 2,445 fr. 95 c. : »Attendu que les héritiers Cardon ont payé cette somme pour l'enregistrement de la première adjudication;

Qu'aux termes de l'art. 19 du cahier des charges, qui prévoit le cas de folle enchère, il a été stipulé que le fol enchérisseur ne pourrait répéter les frais d'enregistrement ni contre le nouvel adjudicataire, ni contre les vendeurs, la cohérie Cardon, mais que cette somme serait versée, et profiterait, à titre de dommages-intérêts, aux vendeurs ou aux cré

anciers;

⚫Que les dires constatés au cahier des charges lors de la nouvelle adjudication n'out eu pour objet que le supplément de droit que la régie demandait pour la première adjudication, supplément de droit mis par ces dires à la charge et aux risques et périls du nouvel adjudicataire;

Que ces dires, loin de déroger à l'art. 19, en confirment les dispositions en stipulant qu'aux termes de cet article, le nouvel adjudicataire fera le remboursement des droits payés aux vendeurs ou aux créanciers;

Qu'en exécution de ces stipulations, la demoiselle Zoé Cardon, adjudicataire sur folle enchère, n'a pas dû rembourser les 2,445 fr. au fol enchérisseur, mais au vendeur, la cohérie Cardon;

» Que cette somme a donc été perdue pour

les héritiers Cardon, et qu'à bon droit elle figure dans leur demande ;

» Quant à la somme de 15,000 fr. réclamée. par la demoiselle Cardon : — Attendu que, la propriété de cette demoiselle remontant au jour de la première adjudication, elle a droit aux fruits de l'immeuble pendant la détention de Ricard;

>> Mais que la somme demandée pour l'évaluation de ces fruits est trop élevée, et qu'elle doit être réduite, eu égard à la position commerciale des immeubles industriels en 1833, et au bénéfice qu'à cette époque on pouvait en espérer;

Attendu que les appelants prétendent que la demande de ces fruits fait double emploi avec celle des intérêts de la différence du prix des deux adjudications, parce que, cette différence représentant une partie d'un prix de vente, les intérêts représentent une partie des fruits de l'immeuble, et que Ricard ne peut payer en même temps pour la même période de jouissance, et tous les fruits à la demoiselle Zoé Cardon, et une partie de ces fruits aux héritiers Cardon; que cette prétention n'est pas fondée;

Qu'en effet, si la différence des deux prix est à l'égard des vendeurs primitifs, la cohérie Cardon, le complément du prix de leur vente, et si les intérêts de cette différence leur tiennent lieu des fruits de l'immeuble, il n'en est pas de même quant à Ricard;

D

» Que ce n'est qu'aux lieu et place du fol enchérisseur qu'il doit payer cette différence, et, comme lui, à titre de peine; qu'il doit donc les intérêts de ce capital, abstraction faite de toute jouissance de l'immeuble, qui n'a jamais résidé aux mains du fol enchérisseur, qu'il représente, et que, par suite de sa faute, il est obligé de l'indemniser (1);

• Qu'il ne peut donc y avoir double emploi dans le paiement entre les mains de deux créanciers différents de deux dettes si distinctes;

» MET l'appellation au néant, DONNE acte aux héritiers Cardon de leurs obéissances; émendant, RÉDUIT, conformément à ces obéissances, à la somme de 111,482 fr. 36 cent. le montant des condamnations en dommages-intérêts prononcées par le jugement dont est appel; RÉDUIT à 10,000 fr. la condamnation prononcée en faveur de la demoiselle Zoé Cardon, épouse du sieur Grandidier, etc. »

(1) La condamnation serait justifiée au besoin par la nécessité d'accorder des dommages-intérêts, dont l'entière appréciation est abandonnée à la discrétion du juge, qui peut et doit prendre en considération les divers éléments dont ces dommages-intérêts doivent se composer. Aussi est-il bien difficile de voir dans de pareilles solutions les décisions de principes; elles sont toujours déterminées par quelque circonstance particulière de la cause.

Mais, à l'égard de l'adjudicataire évincé, il a été jugé par la Cour d'Orléans, le 8 juil. 1845, qu'il ne doit pas les intérêts de son prix, mais seulement les fruits qu'il a perçus.

COUR DE CASSATION.

(17 janvier 1843.) Lorsqu'en première instance une parti a conclu au fond, tout en opposant subsidiairement la prescription, et qu'en appel elle n'a pas reproduit le moyen tiré de la prescription, l'arrêt qui n'a statue que sur le fond ne peut pas être attaqué comme ayant repoussé cette exception sans motifs exprimés. L. 20 avril 1810, art. 7.(1).

MACHARD C. COMMUNE DE Bellignac.

Pour repousser l'action en revendication intentée contre lui par la commune de Bellignac, le sieur Machard avait en première instance posé des conclusions tendant, d'une part, à prouver sa qualité de propriétaire, et, de l'autre, à repousser subsidiairement la demande de la commune par la prescription. Une enquête ayant été ordonnée, et les parties étant revenues à l'audience, le sieur Machard ne reproduisit pas le moyen tiré de la prescription. Jugement par lequel le tribu nal de Nantua repoussa l'action en revendication de la commune. Sur l'appel, le sieur Machard ne posa pas de conclusions relativement à la prescription. La Cour royale de Lyon rendit le 29 juin 1841 un arrêt infirmatif par appréciation du fond.

Pourvoi, que le sieur Machard base sur la violation de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810 en ce que l'arrêt attaqué aurait repoussé le moyen de la prescription sans exprimer les motifs de cette décision.

Du 17 JANVIER 1843, arrêt C. cass., ch. req., MM. Zangiacomi prés., Lebeau rapp., Delangle av. gén., Lanvin av.

LA COUR; Sur le moyen de cassation: Considérant qu'aux conclusions prises par Machard, demandeur en première instance, fondées sur une possession suffisante pour prescrire, il a été rendu par le tribunal deux jugements, l'un ordonnant une expertise, avec mission aux experts d'adapter les titres produits aux lieux contentieux; l'autre ordonnant une enquête et contre-enquête ;

Que, les parties étant revenues à l'audience, le demandeur n'a pas reproduit ses conclusions sur l'exception de prescription; qu'il a plaidé au fond; qu'aucune question à cet égard n'a été posée par le jugement, et qu'il a été prononcé au fond;

D Que, sur son appel, le demandeur n'a pas pris de conclusions sur son exception de prescription; qu'aucune question n'a été posée, et que la Cour n'a eu à statuer que sur le fond du litige; qu'ainsi l'arrêt n'a pas violé l'article de loi invoqué; REJETTE, etc. »

(1) Il y a dans ce cas présomption suffisante que le moyen de prescription a été abandonné. C'est à la partie de s'imputer de n'avoir pas pris devant la Cour d'appel des conclusions sur le moyen de prescription or il est de principe que le juge ne peut suppléer d'office que les moyens d'incompétence matérielle,

COUR DE CASSATION.
(17 janvier 1843.)

Les rentes foncières qui, créées avant 1790,
n'étaient, sous l'empire de la coulume
de Bretagne, prescriptibles que par qua-
rante ans, comme biens immeubles, ont
élé mobilisées par la loi du 11 brum, an
VII, et rendues prescriplibles par tren-
te ans (1). LL. 11 brum. an VII, art. 1o,
6, 7; 22 frim. an VII, art. 27, § 3.
DE COISLIN C. DAMBRY ET AUTRES..

Par acte notarié du 2 août 1774, le comte Ducambout, marquis de Coislin, et son épouse, concédèrent au sieur Cocaud des Fouisnais, pour lui et ses associés, la propriété de marais dépendant de la terre qu'ils avaient acquis de M. de Labourdonnaie en Bretagne. Cette aliénation fut faite à la charge par les acquéreurs, entre autres conditions, de dessécher le marais dans un délai de quatre ans, et de payer pour chaque journal arpenté une rente perpétuelle et foncière d'un quart d'avoine chaque année. La rente a été payée jusqu'en 1792. En 1830, M. et madame de Coislin, après diverses réclamations infructueuses pour avoir paiement de la rente, assignèrent M Dambry et autres devant le tribunal de Redon. Ceux-ci soutinrent que la rente était féodale ou mélangée de féodalité; et, subsidiairement, qu'elle était prescrite pour défaut de paiement pendant trente ans depuis la loi de brumaire an VII.

Un jugement du 20 mai 1839, repoussant la première prétention, mais admettant la deuxiè me, a été, sur appel, confirmé le 6 août 1841 par la Cour de Rennes, en ces termes :

• Considérant que, dans l'ancien droit, les. libation de l'héritage qui les devait; qu'elles rentes foncières étaient une portion, une déconstituaient un droit réel, une charge inhérente à la chose, dont le possesseur ne pouvait se libérer qu'en abandonnant le fonds; que par conséquent elles n'étaient alors soumises, comme l'immeuble dont elles faisaient partie, qu'à la prescription de quarante ans (2);

Considérant que les lois des 4 août 1789 et 18 déc. 1790, abolitives de la féodalité, en déclarant ces rentes rachetables, commencèrent

altérer leur caractère de réalité ; que cependant l'art. 8 du tit. 1er de la loi du 15 mars 1790 portait que les droits, rentes et redevances, quoique rachetables, seraient soumis

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pour le principal à la prescription que les différentes coutumes du royaume avaient établie relativement aux immeubles réels; mais que cette disposition était la conséquence du principe admis par les lois précitées, qui, tout en soumettant les rentes foncières au rachat, leur conservaient leur nature immobilière, déclaration au surplus formellement exprimée dans l'art. 3 du tit. 5 de la loi du 18 déc. 1790; Considérant que la loi du 11 brum. an VII, art. 1o, 6 et 7, leur a enlevé tout caractère immobilier, en disposant que ces rentes et les autres prestations déclarées rachetables ne pourraient plus à l'avenir être frappées d'hypothèques; qu'en effet, par suite de cette disposition, les rentes foncières sont entièrement détachées du fonds; qu'elles ne représentent plus l'immeuble, qu'elles n'en font plus partie, et ont par conséquent perdu leur nature immobilière; que dès lors leur mobilisation a été complète ;

Considérant que le Code civil, dans les dispositions des art. 529 et 530, par lesquels il range les rentes foncières dans la classe des meubles, n'est point introductif d'un droit nouveau, mais qu'il n'a fait que confirmer un principe déjà consacré par les lois antérieures; qu'en effet il résulte de la discussion, au conseil d'état, du titre de ce Code relatif à la distinction des biens, que la section avait suivi sur les rentes la législation existante; que la question de savoir s'il était utile de la changer par rapport aux rentes dues par l'état avait été agitée; que la section avait même proposé de laisser aux particuliers la faculté de stipuler des rentes immeubles, mais que le conseil rejeta la proposition de rétablir les rentes foncières ; qu'il suit de ces documents, dont l'autorité ne saurait être contestée, que les légis lateurs du Code civil, au lieu de créer un nouveau système sur les rentes, ont adopté et sanctionné des règles déjà en vigueur lorsqu'ils se sont occupés de cette matière ;

Considérant que, les rentes foncières déjà rachetables étant devenues purement mobilières par l'effet de la loi du 14 brum. an VII, elles ont cessé dès ce moment d'être régies quant à la prescripition par l'art. 8 de la loi du 15 mars 1790, qui n'en avait fixé la durée qu'en les considérant comme des immeubles, à une époque où elles avaient conservé leur nature immobilière; que dès lors ces rentes, étant dépouillées de leur caractère de foncialité, et ne donnant plus lieu qu'à une action personnelle, ont pu se prescrire par trente ans, aux termes de l'article 285 de la coutu

me;

Considérant qu'il est reconnu au procès que la rente en litige n'a pas été payée depuis 1792; qu'à partir de la loi de l'an VII il s'est écoulé plus de trente ans jusqu'au 20 mars 1830, date de l'ajournement notifié par les appelants aux intimés; qu'à la vérité la prescription a été suspendue pendant cinq ans, en ce qui concerne les rentes, par un décret du 20 août 1792; mais que cette suspension, prolongée en Bretagne pendant les troubles civils, a cessé le 44 therm. an IV, c'est-à-dire à une époque bien antérieure à la loi susmenConnée; d'où il résulte que la prescription é

tait acquise aux intimés au moment où les ap pelants ont formé leur demande. »

Pourvoi basé sur la fausse interprétation de la loi du 11 brum, an VII, et sur la violation des art. 282 de la Coutume de Bretagne, 8 de la loi du 15 mars 1790, 2 et 2281 C. civ. A l'appui du pourvoi, on a cherché à établir ces deux propositions :

4° La loi de brumaire an VII n'a point com. plétement détruit la nature immobilière des rentes foncières précédemment créées.

2o Cette loi n'a point dérogé aux règles de prescription des rentes foncières créées avant 1790.

Dans l'ancien droit, et particulièrement en Bretagne, les rentes foncières étaient immeubles; elles faisaient partie de l'héritage; elles étaient pars fundi ; elles ne se prescrivaient que parquarante ans. L'assemblée constituante leur conserva leur caractère immobilier. Quoique déclarées rachetables par le décret du 18 déc. 1790 (tit. 5, art. 3), elles continuèrent à être soumises aux mêmes principes, lois et usages, que devant. La prescription de quarante ans continua à les régir.

L'art. 8 de la loi du 15 mars 1790 est formel sur ce point. La loi hypothécaire de brumaire an VII, tout en disant que les rentes foncières déclarées rachetables n'étaient pas susceptibles d'hypothèques, n'en a pas moins respecté les règles de prescription qui leur étaient relatives, soit qu'elle ait conservé à ces rentes leur nature immobilière, comme le pensent MM. Grenier, Troplong et Duranton, soit que, statuant indistinctement sur toutes les rentes foncières créées ou à créer, elle n'ait fait que commencer et effectuer en partie seulement leur mobilisation, suivant la doctrine de MM. Merlin et Toullier et de l'arrêt solennel du 27 nov. 1835.

En jugeant le contraire, la Cour royale de Rennes a faussement interprété la loi de l'an VII, et, par suite, violé les principes sur la prescription.

La loi de brumaire eût-elle indistinctement et complétement mobilisé les rentes foncières, les prescriptions commencées seraient demeurées régies par la loi contemporaine du contrat, que maintenaient expressément les lois de 1790, le législateur de l'an VII n'ayant émis aucune disposition dérogatoire pour régler autrement les prescriptions commencées et non accomplies.

En induisant donc de cette loi hypothécaire l'abrogation des règles de la prescription qui régissaient une rente foncière créée avant 1790, la Cour royale de Rennes a encore fait une fausse interprétation de la loi de brumaire et violé aussi les principes sur la non-rétroacti vité des lois, quant à la prescription spéciale

ment.

Sous ce double point de vue, l'arrêt attaqué a encouru la censure de la Cour suprême. M. le conseiller Troplong, rapporteur, fait sur ce système les observations suivantes :

Tout dépend, dans cette cause, de la question de savoir si la loi de l'an VII a mobilisé les rentes foncières, ou bien si c'est seulement le Code civil qui a opéré cette transformation. Le pourvoi soutient que c'est le Code civil qui

seul a changé le caractère des rentes et les a fait passer d'une manière systématique et complète dans la classe des meubles. A cet égard, nous devons rappeler à la Cour que quatre systèmes ont été soutenus dans les livres sur la mobilisation des rentes foncières: 1° On a prétendu qu'elle ne procède que de l'art. 529 C. civ. (décrété le 25 janv. et promulgué le 4 fév. 1804) c'est le système du pourvoi; 2° d'autres ont soutenu qu'elle dérive de la loi du 11 brum. an VII (art. 1, 6, 7, 37, 39) (1): 3° une troisième opinion veut que la mobilisation découle de l'art. 27, 6o alinéa, de la loi du 22 frim. an VII; 4° enfin une quatrième opinion la rattache à la faculté de rachat accordée par les lois de 1789 et 1790.

» Il est inutile, pour apprécier le système du pourvoi, de se jeter dans l'examen de ces quatre systèmes. Il suffit d'examiner le premier car, s'il ne résiste pas à une analyse exacte, il est évident que, quelque parti qu'on prenne sur les autres systèmes, le pourvoi devra échouer nécessairement. Or le système qui s'efforce de rattacher au Code civil la mobilisation des rentes foncières et la transformation de leur nature est de tous celui qui rencontre les plus grandes objections.

ces,

» Deux articles ont trait à cette matière : l'art. 529 et l'art. 530. L'art. 529 ne concerne pas les rentes foncières; il n'a pas été fait pour elles; il déclare meubles les rentes perpetuelles ou viagères. Mais cet article ne parle là que de deux variétés de la rente constituée; il n'a rien de commun avec la rente foncière, qui est tout autre chose, et qui procède d'une combinaison toute différente. La rente constituée résulte d'une somme d'argent aliénée; elle se subdivise en deux espèla rente perpétuelle et la rente viagère. La rente foncière résulte de la transmission d'un immeuble dont elle est la charge réelle, à tel point qu'elle est pars fundi. Sans doute cette rente était perpétuelle comme l'immeuble qui en était grevé; elle était irrachetable; mais cette qualité ne lui donnait pas son nom. On la nommait rente foncière, parce que son inséparabilité du fonds en était le caractère distinctif. Le nom de rente perpétuelle était propre aux rentes constituées qui n'étaient pas viagères. (C. civ., art. 1912 et 530.) Quant à l'art. 530, il est le seul dont on puisse argumenter; mais la preuve qu'il ne contient aucun droit nouveau c'est ce que disait M. Cambacérès, « qu'il fallait s'attacher à suivre sur les rentes la législation existante. »

Et en effet consultons des opinions antérieures au Code civil. M. Jacqueminot, faisant son rapport au conseil des cinq cents sur le projet de loi du 11 brum. an VII, di

a

sait: Les rentes foncières et constituées seDront, à l'avenir, réputées meubles. » · En 1800, M. Guichard, publiant la première édition de son Code hypothécaire, disait : « Toutes les rentes constituées, même celles fon»cières, ont été mobilisées par diverses lois (p. 22). Et plus loin (p. 210): « Un

» temps viendra peut-être où l'on régularisera la mobilisation des rentes vraiment foncièDres. - Voilà ce qu'on enseignait avant le Code civil. (Junge art. 655 C. proc. civ.) Au reste, c'est ce qui résulte implicitement d'un de vos arrêts (5 fév. 1834), et d'un autre arrêt du 2 juil. 1833.

» Ceci étant posé, il en résulte, par la force des choses, que, les rentes foncières étant déclarées meubles, elles ont cessé d'être gouvernées par la prescription de quarante ans : car ce n'était que comme immeubles que cette prescription les régissait. Devenues meubles, elles ont dû rentrer sous le régime de la prescription relative aux meubles.

» Et, comme la prescription trentenaire avait déjà cours lors de la publication du Code civil, il s'ensuit que l'art. 2284 C. civ. n'est pas applicable.

» L'arrêt du 5 fév. 1834 cité par les demandeurs contient, il faut en convenir, une énonciation qui peut prêter quelque secours au pourvoi; mais c'est une simple énonciation. Au fond, l'espèce n'est pas la même. La pensée de l'arrêt est de repousser un système qui voulait se prévaloir de la loi de l'an VII pour étendre la prescription, tandis qu'il a élé dans son esprit de rendre la libération de ces rentes plus facile et plus favorable.»

MM. Zangiacomi prés., Troplong rapp., DeDU 17 JANVIER 1843, arrêt C. cass., ch. req., langle av. gén., Achille Morin av.

« LA COUR ; Considérant qu'avant la promulgation du Code civil, les rentes foneières avaient déjà été mobilisées par la loi du 14 brum. an VII; que c'est ce qui résulte évidemment de la combinaison des art. 1o, 6, 7, 37 et 39, de cette loi, et des discussions qui l'ont préparée (1);

» Qu'en devenant meubles par la volonté du législateur et pour des raisons d'intérêt public, ces rentes ont dû cesser de plein droit d'être soumises à la prescription requise pour les immeubles, et que c'est avec raison que la Cour royale, tirant les conséquences de la transformation radicale subie par cette nature de biens, a décidé que la prescription de trente ans, édictée par la coutume de Bretagne, avait commencé à courir contre les de→ mandeurs à partir de l'an VII; ᎡᎬᎫᎬᎢᎢᎬ,

etc.

déc. 1790, relative au rachal.
(1) V., sur les rentes foncières, la loi du 18-29

Le principe consacré par l'arrêt que nous rapportons a été appliqué par la jurisprudence de la Cour de cassation :

10 A l'égard des rentes convenancières de Bretagne qui étaient dans l'origine des rentes foncières; la Cour, par arrêts des 9 août 1831 et 11 fév. 1855, a décidé qu'elles étaient devenues mobilières par la détermination de la loi nouvelle, et conséquemment rachetables.

2. A l'égard des donations faites par contrat de mariage, la Cour a jugé, par arrêts des 28 fév. 1852 et 2 juil. 1833, qu'une rente foncière faisait (1) V. Troplong, Comm. sur les hypoth., t. 2, partie de la donation des biens meubles faite à la

no 408.

femme par le contrat.

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