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COUR DE CASSATION.
(17 janvier 1843.)

Lorsque la sœur d'un présumé absent, après avoir cédé des droits appartenant à son frère, demande la nullité de celle cession, comme contenant des stipulations sur une succession non ouverte, elle doit établir à l'appui de sa demande l'existence de l'absent au moment où l'acte a été passé; sinon son action doit être déclarée non recevable comme prématurément intentée (1).

DÉCHELETTE C. JACQUETTON.

Les sieur et dame Jacquetton ont eu de leur mariage trois enfants : Jean-François Jacquetton, Jeanne Jacquetton (épouse du sieur Dé chelette, demandeur), et Philippe Jacquetten, qui partit pour le service militaire en 1793.

Par acte notarié du 11 juil. 1808, les époux Déchelette vendirent au sieur Jean-François Jacquetton tous les droits de la dame Déchelette 4° dans la succession de la dame Jacquetton, sa mère, décédée depuis long-temps; 2 dans celle de Philippe Jacquetton, qui avant de partir pour l'armée avait hérité de son père, et possédait en outre des biens personnels.

Il est à remarquer qu'il n'existe aucun jugement déclarauif de l'absence dudit Philippe Jacquelton.

Après la mort de sa femme, le sieur Déchelette, qui se trouvait seul représentant de la défunte, forma contre son beau-frère une demande tendant, entre autres choses, à la nullité de la vente du 14 juil. 1808 1° pour cause de lésion, 2 comme contenant un pacte sur une succession future.

Cette demande ayant été repoussée par le tribunal de Roanne, la Cour royale de Lyon, saisie de cette contestation, rendit, à la date du 1er juin 1840, un arrêt ainsi conçu :

Sur les droits cédés dans le traité du 11 juillet 1808 du chef de Philippe Jacquetton, militaire absent, dont on n'a contesté ni la mort ni l'absence: - Quant à la rescision du traité: Attendu que ce traité constitue un acte à forfait qui n'est pas susceptible de rescision;

Quant à la nullité demandée du même traité : — Attendu que Jean Déchelette n'est pas recevable à la proposer tant qu'aucun acte judiciaire n'a constaté la mort ou l'absence légale de Philippe Jacquetton; que dès lors ce

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chef de demande est prématuré, et, dans l'état, non recevable;

La Cour met l'appellation au néant, ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet. »

Pourvoi fondé sur la violation des art. 125, 128, 791, 1130 et 1600, C. civ.

Après avoir rappelé les diverses dispositions légales qui posent d'une manière nette et générale la prohibition de faire une stipulation sur une succession non légalement ouverte, le sieur Déchelette disait dans l'intérêt de son pourvoi :

L'arrêt attaqué décide que, rien n'établissant la mort ou l'absence de ce militaire, la demande en nullité était prématurée.

Mais rien n'est moins exact qu'une pareille conclusion. Il est une foule de cas dans lesquels, à défaut de preuves positives, la loi ordonne aux juges de se décider par des présomptions dont les unes ne cèdent qu'à la preuve contraire, dont les autres ne peuvent être combattues par aucune espèce de preuve.

Si donc, en ce qui concerne les absents en général, et plus particulièrement les militaires absents, la loi a tracé des règles d'après lesquelles ils doivent être réputés vivants au moins pendant un certain nombre d'années, il faudra reconnaître que pendant tout ce temps nul ne pourra aliéner les prétendus droits successifs subordonnés à leur décès : car la prohibition de disposer de la succession d'une personne vivante doit, par identité de raison, s'appliquer aux successions des personnes dont la loi elle-même présume l'existence.

DU 17 JANVIER 1843, arrêt C. cass., ch. req., MM. Zangiacomi prés., de Gaujal rapp., Delangle av. gén., Fichet av.

« LA COUR; Attendu que l'arrêt atțaqué a décidé que 'Déchelette, demandeur en cassation, et l'un des héritiers présomptifs de Philippe Jacquetton, présumé absent, était non recevable à proposer la nullité de la vente par lui consentie le 14 juillet 1838 de ses droits dans la succession dudit Philippe Jacquetton, vu que cette demande était prématurée tan: qu'aucun acte judiciaire n'avait pas constaté la mort ou l'absence légale dudit Jacquetton

Et attendu qu'en prononçant ainsi, la Cour de Lyon, loin de violer aucun article de loi, s'est conformée aux vrais principes de la matière; — REJETTE, elc. »

COUR ROYALE DE BORDEAUX,
(17 janvier 1843.)

L'adjudicataire évincé par suite de revente sur folle-enchère est tenu d'enlever les constructions qu'il a édifiées sur le fonds. Il ne peut exciper des dispositions de l'art. 555 C. civ., et se considérer comme un tiers de bonne foi à l'égard duquel le propriétaire n'a pas le droit de demander la suppression des constructions, mais a seulement le choix de rembourser soit la valeur des matériaux et du prix de la main-d'œuvre, soil une

somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur (1).

SEGONS ET COLLET C. CALVÉ. DU 17 JUILLET 1843, arrêt C. roy. Bordeaux, 1 ch., MM. Roullet 1er prés., Lassime et Goux-Duportail av.

« LA COUR; - Attendu que la revente sur folle enchère a rendu sans effet et non avenue l'adjudication qui avait eu lieu en faveur des appelants;

»Attendu que la résiliation de l'adjudication n'a eu lieu que parce qu'ils ont manqué à l'obligation par eux contractée d'en payer le prix; qu'ils ne peuvent se plaindre des conséquences qui sont le résultat de leur propre fait ;

Attendu qu'ils ne peuvent, dans cette situation, exciper des dispositions de l'art. 555 C. civ., et se considérer comme des tiers évincés qui auraient été de bonne fai; MET l'appel au néant etc.»

COUR ROYALE DE BOURGES.

(17 janvier 1843.)

L'individu qui, pour arrêter les poursuites exercées contre lui en verlu d'un jugement qui l'a débouté de sa demande et condamné aux dépens, fail des offres à son adversaire, et ensuite, sur le refus de ce dernier de les accepter, l'assigne en nullité de poursuites en se fondant sur l'existence même de ses offres, acquiesce suffisamment par là au jugement qui a rejeté sa demande primitive, el devient non recevable à cn interjeler postérieurement appel.

BRIFFAUT C. LAURENT.

DU 17 JANVIER 1843, arrêt C. roy. Bourges, MM. Aupetit-Durand prés., E. Planchat et Michel av.

« LA COUR; Considérant que le sieur Briffaut, se prétendant propriétaire d'un droit de passage sur la propriété du sieur Laurent, a assigné ce dernier devant le tribunal de Chateau-Chinon à l'effet de le faire condamner à lui livrer le passage dont il soutenait être pro priétaire; qu'un jugement dudit tribunal en date du 12 juin 1841 a débouté ledit sieur Brif faut de sa demande, et l'a condamné aux dépens; qu'un commandement et une saisiebrandon ayant eu lieu en vertu de ce jugement le 14 juil. 1841, le sieur Briffaut, vou

(1) On entend par tiers de bonne foi celui qui possede comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices. Toullier, t. 3, no 129; Delvincourt, t. 1er, p. 181. L'effet de la folle enchère étant de résilier la vente dès le principe par le fait du vendeur, en telle sorte qu'il soit censé n'avoir jamais eu la propriété de l'immeuble, il en résulte que, dans ce cas, il n'y a point d'assimilation possible entre ce cas et celui de l'art. 555.

lant faire cesser les poursuites dirigées contre lui, a, par acte de Dagonneau, huissier à SaintSaulge, fait offre au sieur Laurent du montant des frais taxés, et d'une somme pour les frais non taxés, sauf à parfaire ou distraire; que ces offres, qui ne contenaient aucune réserve d'appeler, ne portaient d'autres conditions que celle de remettre les pièces et de donner mainlevée des poursuites, remise qui était la conséquence desdites offres si elles eussent été acceptées ;

» Que le sieur Laurent n'a pas refusé purement et simplement lesdites offres; qu'il a dit qu'il ne pouvait les accepter quant à présent, parce que ses frais n'étaient pas taxés, offrant de faire taxer lesdits frais dans le plus bref délai, afin de pouvoir accepter les offres si elles étaient suffisantes;

Qu'en effet le 17 juil. 1841 le sieur Laurent a fait signifier par acte d'huissier au sieur Briffaut que ses frais étaient taxés, et a sommé Briffaut de réaliser ses offres, ce qu'il n'a pas fait;

» Que, le sieur Laurent ayant continué ses poursuites, le sieur Briffaut y a, par acte du 10 juillet même année, formé opposition en se fondant sur ses offres, et a assigné ledit sieur Laurent pour ouïr déclarer ses poursuites nulles, attendu ses offres ;

»>Que de tous ces faits il résulte que le sieur Briffaut a exécuté autant qu'il était en son pouvoir le jugement du 12 juin 1841, dont il s'est rendu appelant par acte du 18 sept. 1841, et qu'ainsi son appel est non recevable; » Par ces motifs, DÉCLARE l'appel du sieur Briffaut non recevable, etc. »

COUR ROYALE D'ORLEANS.
(17 janvier 1843.)

Le souscripteur d'un billet à ordre ne peut opposer au tiers porteur de bonne foi de ce billet les exceptions qu'il serait en droit d'invoquer contre celui au profit de qui il l'a souscrit, notamment l'exception de dol et de fraude (1).

(1) C'est une règle générale et constante en droit que le cessionnaire n'a pas plus de droit que son cédant, et que, par suíte, le débiteur de l'obligation cédée peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu'il pourrait invoquer contre le cédant lui-même. Mais cette règle reçoit une dérogation au cas où il s'agit d'un billet à ordre ou d'une lettre de change, et, à cet égard, on décide constamment aujourd'hui que, hors l'exception de minorité (C. comm., art. 114), le souscripteur ne peut opposer au porteur aucune exception provenant du fait de celui auquel le billet ou la lettre de change a été souscrit, comme par exempie l'exception de dol ou de violence, et cette jurisprudence est fondée sur cette triple considération: 1o la rapidité avec laquelle se font les transactions commerciales, ou, en d'autres termes, l'intérêt du commerce, ne permet pas qu'il en soit autrement; 2o celui qui souscrit un billet à ordre ou une lettre de change est réputé s'obliger personnellement et directement envers le porteur de cet effet; 5o enfin, obligée qu'elle est de faire tomber la perte du billet ou

CORDEIRO DE SILVA C. PALISSOT.

Du 47 JANVIER 1843, arrêt C. roy. Orléans MM. Vilneau prés., Robert de Masssy et Le gier av.

sur le souscripteur ou sur le porteur, la justice doit la faire supporter par le souscripteur, qui a au moins le tort de s'ètre laissé tromper ou d'avoit cédé à la violence, plutôt que sur le porteur, qu n'a aucun reproche à se faire, et qui, après avoit verifie la solvabilité du souscripteur, n'a pas dù, n'a pas même pu pousser plus loin ses investigations Cependant M. Troplong, dont l'opinion est tou jours d'un si grand poids, semble s'élever contre cette jurisprudence, car il soutient que le Code ci vil regit le droit commercial aussi bien que le droi civil. Les développements dans lesquels il entre à cet égard étant trop longs pour être rapportés, nous renvoyons nos lecteurs à la savante disserta tion qu'il ainsérée au t. VI, 2 série, 2e sem. 1842, p. 67, de la Revue de législation et de jurispru dence, nous bornant à en extraire le passage sui

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• LA COUR; Attendu, en fait, que lè 8 nov. 1841 la dame veuve Cordeiro da Silva a souscrit au profit et à l'ordre du sieur Canuet de Lonjon un billet de 5,000 fr., causé valeur comptant, et payable à la fin d'août 1842;

Que le même jour ce billet a été cédé par Canuet de Lonjon au sieur Pelissot-Croué, banquier à Tours, par la voie d'un endossement daté exprimant la valeur fournie et énonçant le nom du cessionnaire ;

» Que la régularité matérielle de cet endossement ne peut être mise en doute sur la seule allégation de la dame Cordeiro, qui prétend, sans en rapporter ni même offrir la preuve, que l'endossement, d'abord donné en blanc, n'aurait été rempli que postérieurement;

Que cette circonstance, déniée par PelissotCroué, serait d'ailleurs sans influence au procès, puisqu'en supposant (contrairement à l'état matériel du billet) que Pelissot-Croué eût rempli de sa main l'endossement en blanc, il n'eût contrevenu à aucune loi, et n'eût fait, dans ce cas, que ce qu'autorise l'usage constant du commerce;

Attendu que le billet dont il s'agit, après avoir passé dans les mains du sieur Petit, aussi banquier à Tours, a été protesté à son échéance, faute de paiement;

Qu'actionnée devant la juridiction consulaire par Pelissot-Croué, tiers porteur, la dame Cordeiro a opposé la nullité du billet dont 'il s'agit, résultant de ce qu'elle n'aurait pas donné un consentement libre et éclairé à l'ob

manœuvres frauduleuses de Canuet de Lonjon;

» Qu'il s'agit donc de décider aujourd'hui

1° Si, comme le prétend l'intimé, la dame Cordeiro n'est pas recevable à opposer cette exception au tiers porteur, en l'absence et avant la mise en cause de Canuet de Lonjon, auteur de la fraude alléguée ?

» 2° Si, dans tous les cas, et même en supposant la fraude prouvée contre Canuet de Lonjon, les exceptions personnelles à celui-ci pourraient être opposées au tiers porteur légi

« Vouloir borner le Code civil au simple rôle de raison écrite, et lui enlever son caractère de loi des lois, c'est rompre la liaison de nos Codes pour se jeter dans le vague et l'arbitraire; cantonner le droit civil dans une région qui ne comprendrait pas dans une certaine mesure le domaine des affaires commerciales, ce serait supposer que ce Code n'est pas l'organe légal des règles élémentaires de l'equité, qu'il n'est pas le droit commun législativement formulė; et par là on rabaisserait le rôle du Code civil jusqu'au niveau des législa-ligation par elle souscrite sous l'empire des tions de droit strict, de droit privilégié, lui qui brille surtout par son application constante à rejeter le droit strict et à s'inspirer du droit naturel. Les raisons historiques données par nos auteurs (les auteurs du Traité du contrat de commission) à Pappui de leur ingénieux système sont-elles d'ailleurs bien convaincantes? A toutes les époques de la civilisation romaine, le droit privé a confon du, en général, dans les mêmes règles, les conventions ordinaires et les conventions commercia les. Quand le marchand d'esclaves vendait à Rome sa marchandise, rien ne dispensait ces sortes de ventes des formalités civiles de la mancipation, puisque l'esclave était res mancipi. Le droit des gens aurait vainement invoqué les nécessités de commerce; le droit civil l'emportait; il voulait avec son inflexible logique, que le commerce subit le droit civil quand il trafiquait des choses du droit civil. Jamais les Romains n'admirent un mandat commercial distinct du mandat ordinaire jamais ils ne reconnurent un contrat de société commerciale ayant des règles qui ne fussent pas celles du contrat de société civile. Les seules so ciétés de publicains et de banquiers avaient quel ques traits particuliers, et l'on s'accordait à les ran ger parmi les exceptions au droit commun. Le lonage commercial suivait les principes du louage ordinaire, et la vente, ce grand mobile du com merce civil et du commerce marchand, ne se di visait pas en deux branches, la vente ordinaire et la vente commerciale. Je ne vois donc pas sous quel rapport on pourrait dire que le droit commercial a donné à Rome des leçons au droit civil, car les Romains n'eurent pas en réalité de droit commercial. Toutefois, je n'entends pas dire que le commerce n'ait pas été un moyen puissant de tempérer le droit civil, si sévère et si étroit dans

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time et de bonne foi?

-

Attendu que En ce qui touche la forme: la dame Cordeiro, actionnée en paiement d'une obligation qu'elle prétend nulle, n'a fait qu'user du droit naturel de la défense en opposant, par exception, au porteur de son obligation, devenu son créancier direct, tous les moyens en son pouvoir;

Qu'elle n'avait pas besoin d'appeler dans la cause le sieur Canuet de Lonjon, puisqu'il y était déjà représenté par Pelissot - Croué, son cessionnaire, lequel pouvait seul avoir in

ses conceptions positives. Il est certain que lesrap¬' ports commerciaux des Romains avec les peuples trangers contribuèrent à introduite dans le droit civil de nombreuses modifications puisées aux sources du droit des gens; mais ce que j'entends exprimer, c'est que les affaires commerciales ne profitèrent pas seules de ces progrès; c'est qu'el tes les partagèrent avec toutes les natures d'affaires et de transactions. >>

têrêt à cette mise en cause pour se ménager, en cas d'éviction, un recours utile en garan. tie:

» Que la présence de Canuet de Lonjon au procès actuel serait d'ailleurs complétement inutile, puisque la contestation ne porte pas sur l'existence de la fraude reprochée à celuici, mais sur la question de savoir si l'on pourrait opposer la nullité qui en résulterait au tiers porteur dont la bonne foi est suffisamment justifiée ;

» Au fond: - Attendu que, si les principes du droit civil régissent en général les conventions commerciales, il est néanmoins certains contrats qui, par leur nature et leur objet, sont soumis à des règles spéciales ;

Que ces dérogations au droit commun se font surtout remarquer dans le mode et les effets de la transmission des créances;

Qu'en matière civile, le législateur, animé d'une juste défiance, a dû naturellement se montrer plus sévère dans la cession de ces droits incorporels, et exiger, pour son accomplissement, plus de précautions et de formalités;

Qu'au contraire, l'intérêt du commerce, la confiance qui en est l'âme, la célérité si nécessaire à l'échange des valeurs, à la circulation des capitaux, tout réclamait, pour leur transmission, des formes simples et rapides, des effets prompts et irrévocables;

D

» Que tel est l'esprit qui a présidé à la rédaction de l'art. 136 C. comm., suivant lequel la propriété d'un billet à ordre ou d'une lettre de change se transmet par le seul effet de l'endossement régulier, à la différence du droit civil, où le cessionnaire n'est saisi de la propriété de la créance que par la signification ou l'acceptation du transport;

D

Qu'au contraire, par l'endossement, le cessionnaire devient créancier direct soit du souscripteur du billet à ordre, soit du tireur ou de l'accepteur de la lettre de change, sans avertissement préalable et même à leur insu;

Qu'il suffit au cessionnaire de vérifier la forme extrinsèque, l'état matériel du titre qui lui est cédé, sans qu'il ait à se préoccuper des vices internes qui ont pu infecter l'origine soit du contrat de change primitif, soit des autres contrats postérieurs résultant des endossements successifs ;

Qu'aussi, par une conséquence juste et nécessaire de l'impossibilité où il est le plus souvent de connaître ces vices, le tiers porteur n'est passible que des exceptions qui lui sont personnelles et ne doit pas souffrir de la simulation ou de la fraude à laquelle il est resté étranger;

Attendu que ce principe, consacré par la jurisprudence, tient à l'essence même de la lettre de change, espèce de monnaie, frappée au coin du commerce et lancée dans la circulation sous l'égide de la foi publique ;

Qu'on ne saurait porter atteinte à ce principe sans paralyser l'un des agents les plus actifs, du commerce, sans détruire l'un des éléments les plus puissants de sa prospérité ;

» Attendu que l'on chercherait vainement à appliquer ici la règle du droit commun qui veut que le cédant ne puisse transférer d'autres

droits que ceux qu'il possède, avec les qualités ou les vices qui y sont attachés ;

» Que la raison et la nature des choses repoussent cette application; qu'il serait absurde, par exemple, d'obliger le tiers porteur à faire vérifier ou certifier la sincérité de chaque endossement, et plus injuste encore de le soumettre indéfiniment à l'action en rescision pour cause d'erreur ou de dol, dont le souscripteur ou l'un des endosseurs prétendrait avoir été victime;

. Qu'un tel système serait en contradiction manifeste avec l'esprit et l'économie de la législation commerciale, qui, dans plusieurs de ses dispositions, protége la foi publique, sous laquelle s'opère la négociation des lettres ou billets de change;

Que c'est ainsi que celui qui paie une lettre de change à son échéance et sans opposition est légalement présumé libéré, alors surtout qu'il n'avait pas payé au véritable propriétaire (art. 145);

Que c'est ainsi encore que la loi valide la cession d'une lettre de change faite par un endos régulier, la veille même de la faillite du cédant (art. 446);

Que toutes ces exceptions ont eu pour motif évident la facilité des changes et la faveur due aux tiers de bonne foi;

» Attendu d'ailleurs que l'argument tiré de l'art. 114 C. comm., loin d'appuyer le système contraire aux tiers porteurs, vient encore le fortifier par la disposition exceptionnelle qu'il renferme ;

Qu'il importe de remarquer d'abord que cet article déclare les lettres de change souà leur égard seulement; scrites par des mineurs non négociants nulles

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tiers, le législateur ne veut pas que cette nulQue, toujours préoccupé de l'intérêt des lité puisse être invoquée par ceux qui auraient mis en circulation une pareille lettre de change; qu'ainsi il laisse subsister dans toute sa force le recours des endosseurs l'un contre l'autre ;

» Qu'à la vérité celui qui aurait reçu par souscrite par un mineur ne pourrait en répéla voie de l'endossement une lettre de change ter contre lui le paiement, si ce n'est dans les termes de l'art. 1312 C. civ., mais que, dans ce cas, le tiers porteur, moins favorable encore que le mineur, n'aurait point à se plaindre, puisqu'il aurait à se reprocher de n'avoir pas vérifié (ce qui lui était possible) la capacité de celui avec qui il contractait;

D

Qu'en effet, l'incapacité résultant de la minorité ou de l'interdiction est un fait extrinsèque au contrat de change, dont la vérification matérielle est possible, à la différence de la violence, de l'erreur ou du dol, qui sont des vices internes et cachés;

Qu'ainsi se justifie donc pleinement le motif de l'exception écrite dans l'art. 144 précité, sans qu'on puisse en induire que dans les autres cas non spécifiés la nullité de la lettre de change souscrite par erreur ou par dol puisse être opposée aux tiers porteurs de bonne foi ;

» Attendu que de tout ce qui précède il résulte que Pélissot-Croué a acquis par l'endos

sement régulier ait à son profit la propriété du billet dont il s'agit; qu'il est devenu, par suite, créancier direct de la dame Cordeiro, qui n'est pas fondée à lui opposer une cause de nullité à laquelle il est resté étranger; que celle-ci ne peut pas davantage obliger Pélissot à justifier, par la production de ses livres, qu'il a fourni la valeur dudit billet, puisque celte preuve résulte pleinement de l'endossement lui-même ;

Par ces motifs

COUR DE CASSATION.

(18 janvier 1843.)

L'usufruit attribué à la femme sur l'uni

versalité des biens de son mari ne suspend pas la prescription pour ou contre Penfant nu propriétaire relativement à l'action en délivrance de sa légitime. En conséquence l'héritier universel peut opposer la prescription au légitimaire qui, après trente ans écoulés depuis l'ouverture de son droit, agirait en délivrance de sa légitime

DAME GISELARD C. LACOMBE.

Par testament du 28 juil. 1787, le sieur Lacombe légua à Cécile, sa fille, aujourd'hui dame Giselard, telle légitime que de droit pourra compéter et appartenir sur ses biens, institua pour légataire universel Barthélemy Lacombe, son fils, et donna l'usufruit de tous ses biens à sa femme. Il mourut en 1789.

Par contrat du 12 mars 1791, la dame Giselard reçut de sa mère, en dot, 8,500 fr., du chef de feu son père, et 6,500 fr., du chef de sadite mère.

La dame Lacombe mourut le 31 oct. 1835. Par exploit du 19 déc. 1837, les sieur et da me Giselard assignèrent leurs cohéritiers, notamment le sieur Barthélemy Lacombe, en liquidation et partage des successions de leurs père et mère.

Le sieur Lacombe opposa, quant à la succession du père, que la dame Giselard avait été réduite à la légitime de droit; que son action était donc l'action en supplément de légitime, qui se trouvait prescrite par un laps de plus de trente années depuis la mort de son père.

La dame Giselard, au contraire, soutint qu'il s'agissait d'une action en liquidation des successions paternelle et maternelle, action qui n'avait pas été prescrite, puisque la mère, usufruitière générale, n'était décédée que le 31 oct. 1835, et que la liquidation et le partage n'avaient pu être demandés que depuis cette époque.

Ce système a été repoussé par jugement du tribunal d'Alby, ainsi motivé:

Attendu, quant à la prescription trentenaire, qu'il est constant que la légitime et le supplément de légitime se prescrivent par trente ans ;-Qu'ainsi, plus de trente années s'étant écoulées depuis le décès du sieur Barthélemy Lacombe, ainsi que depuis le mariage

des dames Giselard et Cheyrouse, sans que ces dames aient fait entendre la moindre réclama tion, il faudrait décider, d'après les règles de l'ancien droit, que leur action en partage de la succession paternelle se trouve prescrite;

Attendu que, les dames Giselard et Cheyrouse ayant prétendu que l'usufruit général légué à leur mère a mis obstacle à l'accom plissement de la prescription et en a suspendu le cours, le tribunal doit se livrer à l'examen du mérite de cette défense;

» Attendu qu'elle ne pourrait être fondée que tout autant que les dames Giselard et Cheyrouse, s'emparant de la maxime Contra non valentem agere non currit præscriptio, prouveraient que pendant la durée de l'usufruit de leur mère elles n'ont pu demander le paiement de leur légitime ;

Attendu que les lois anciennes accordaient la légitime, ainsi que le supplément de légitime, contre la volonté du père : ce qui faisait dire au chancelier d'Aguesseau que la légitime peut être appelée non scripta, sed nata; Qu'ils ne pouvaient ni l'un ni l'autre être grevés d'aucune espèce de charges, pas même de l'usufruit légué à la mère; Que cela résulte de la loi Quoniam, 32, Cod., De inoff. test., et de la novelle 18, chap. 3; Que telle est aussi en cette matière l'opinion générale des auteurs et arrêtistes anciens ;

» Attendu que, le testament du sieur Barthélemy Lacombe n'ayant pu donner aucun droit direct d'usufruit sur les biens attribués à titre de légitime à ses enfants, c'est à tort que les dames Giselard et Cheyrouse ont prétendu que l'usufruit légué à leur mère empêchait toute action de leur part en pétition de leurs droits légitimaires;-Qu'ainsi, ayant gardé le silence pendant plus de trente ans à dater de leurs contrats de mariage, époque à laquelle elles ont cessé d'insister et d'être nourries sur les biens composant le patrimoine paternel, n'ayant intenté aucune action en pétition d'hérédité, lorsque cependant tel était leur droit, elles sont censées avoir reconnu que les sommes à elles données du chef paternel ont été plus que suffisantes pour les remplir de leur légitime, on doit, comme dit Roussilhe (chap. 2, no 359), présumer un partage verbal contre lequel le légitimaire ne peut plus revenir après trente ans ;

» Attendu qu'on ne peut pas non plus admettre que la mère, usufruitière de la totalité des biens, a représenté les légitimaires pour la part qui les concernait, a insisté pour cette partie sur les biens à partager, et empêché Que ce ainsi le cours de la prescription; raisonnement, qui pourrait peut-être présenter quelque apparence de raison et de fondement, s'il s'agissait d'une demande en partage pour le paiement d'une entière légitime non encore fixée, ne peut nullement être invoqué lorsqu'il s'agit seulement de la demande du supplément de légitime;

Qu'en effet, dans l'ancienne jurisprudence, on jugeait que, lorsque le légitimaire avait reçu une part des biens héréditaires, l'action en supplément de légitime était prescrite par le laps de trente ans, encore que ce légitimaire eût continué à vivre sur les biens de l'héré

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