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MONTAUT C. LANGAURD. DU 29 AVRIL 1843, arrêt C. roy. Toulouse, 2 ch., M. Garrisson prés.

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LA COUR; Attendu, sur les reproches proposés contre le premier et le deuxième témoins de l'enquête, qu'il est constant en fait qu'ils sont parents ou alliés au degré de cousin issu de germain avec le sieur Montaut;

Mais attendu que, si l'art. 283 C. proc. civ. déclare que les témoins à ce degré pourront être reprochés, il ne dit pas que par ce seul fait les juges seront obligés d'admettre ces reproches; on doit induire le contraire de la disposition de l'art. 294 du même Code, ainsi conçu: «Si les reproches sont admis, la dé» position du témoin reproché ne sera point »lue.»; donc non seulement le reproche doit être prouvé, mais il faut qu'il soit admis par les juges; d'où il faut conclure que les juges ont la faculté d'admettre ou de ne pas admettre les reproches;

» Attendu en outre que, si le législateur avait entendu prohiber le parent issu de germain par le seul fait de la parenté, il l'aurait exprimé formellement comme dans l'art. 268 du même Code pour les témoins en ligne directe; il aurait dit: «Ne seront point entendus les témoins reprochés.»;

» Attendu qu'outre la parenté il n'a été prouvé aucun fait qui pût faire soupçonner les témoins reprochés de partialité; c'est le cas de les entendre, sauf à avoir à leur déposition tel égard que de raison;

Par ces motifs, REJETTE les reproches proposés contre le premier et le deuxième témoins; ORDONNE la lecture de leurs dépositions, sauf à y avoir tel égard que de raison.

COUR DE CASSATION.
(2 mai 1843.)

Le capitaine qui, par suite d'avaries, a été
obligé, pendant la traversée, de vendre
une partie des marchandises chargées à
son bord, peut être réputé n'avoir droit
·qu'à un fret proportionnel eu égard à
la distance parcourue. Du moins l'arrêt
qui décide ainsi par appréciation des cir-
constances, desquelles il résulte que l'ar-
mement a profité de la vente des mar-
chandises, ne viole aucun texte de lois.
C. comm. 293, 296, 298, 303, 309.
DOGUET C. LECOUR ET GENEVOIS.

Le capitaine Doguet, commandant le navire le Marcambie, revenant de Bourbon à Nantes, se trouva, par suite de grosses avaries, forcé de relâcher à Maurice. Il fit aussitôt constater l'état du navire et de la cargaison, et les experts reconnurent qu'une partie des marchandises était avariée au point que la perte, qui pourrait n'être que de 50 pour 100 à Mau rice, serait de la totalité à Nantes si on les y transportait; ils furent donc d'avis que le seul parti à prendre était de vendre ces marchandises en conséquence, la vente eut lieu immédiatement sur l'autorisation de la vice

royauté. Arrivé à Nantes, le capitaine réclama le fret entier.

Ses prétentions ont été repoussées par les chargeurs, qui prétendirent ne devoir qu'un fret proportionnel à la distance parcourue. Le capitaine invoquait l'art. 293 C. comm., qui dispose que a le chargeur qui retire les marchandises pendant le voyage est tenu de payer le fret en entier ». Or, disait-il, dans l'espèce le retrait n'a élé opéré par le capitaine que comme mandataire des chargeurs.

Jugement du tribunal de commerce de Nantes qui donne gain de cause aux chargeurs en considérant que le retrait n'avait pas été volontaire, et que, par suite, l'art. 293 C. com. était inapplicable; que l'art. 309 l'était aussi, n'étant relatif qu'aux cas où les marchandises sont arrivées à destination, et que, pour faire droit dans la cause, il fallait recourir aux dispositions combinées des art. 276, 296, 302 et 303 C. com., et accorder par analogie un frei proportionnel.

Appel du capitaine. Il disait :

«L'art. 293 C. comm. oblige le chargeur qui retire sa marchandise à payer le fret entier, et cette obligation, suivant le même aiticle, ne cesse que dans le cas où le retrait a lieu pour cause des faits ou de la faute da capitaine. Or, dans l'espèce, on ne prétend pas que le capitaine Doguet se fût constitué en faute, que les avaries provinssent de son fail; la règle absolue écrite dans l'art. 293 était donc applicable, et dès lors le fret était dû en

totalité.

>> En vain les premiers juges ont-ils dit que l'art. 293 ne peut être invoqué par le capitaine qu'autant que le retrait a été volontaire de la part des chargeurs, et que dans l'espèce le retrait a été forcé. En effet, d'une part, l'art. 293 n'impose nullement la condition que le retrait .ait élé volontaire, et cette condition ne résulte pas non plus de l'économie de la loi. Supposons que des marchandises à bord se trouvent avariées sans la faute du capitaine, et arrivent presque sans valeur au port de destinatier; et cela est si vrai, que le propriétaire tion; nul doute qu'elles ne doivent le fret enne pourrait pas s'en débarrasser et les laisser au capitaine. C'est ce que décident l'art. 340 C. comm., et avant lui l'ordonnance de la marine expliquée par Valin, liv. 3, tit. 3, art. 25; Pardessus, t. III, p. 180, n° 718. Ainsi, si les marchandises détériorées étaient arrivées à Nantes, elles auraient eu tout le fret à payer; les propriétaires n'auraient pas pu même demander une diminution sur le prix du fret si donc le capitaine, au lieu de les décharger et de les vendre à Maurice, les a vait laissées à bord, et que la réduction de leur valeur fat tombée de 50 à 0 pour 400 à leur arrivée à destination, le fret n'en serait pas moins dû en entier. Il ressort de là cette double vérité 1° que le capitaine n'est pas responsable du cas de force majeure, 2o que le chargeur est toujours obligé au paiement du fret.

Admettons un instant les propositions con traires, que deviendra le capitaine placé entre son devoir et son intérêt? D'un côté il doit veiller à la conservation de ses intérêts, mais

de l'autre il court risque de perdre son fret : que doit-il faire ? Ce que ferait le propriétaire s'il était à sa place. Dans l'espèce, qu'aurait fait le chargeur s'il avait été à bord? Il se serait dit: J'ai des marchandises pour une valeur de 40,000 fr.; elles sont détériorées, et si je les vends à Maurice j'en retirerai 20,000 fr., et je n'en aurai que 10,000 fr. si je les transporte à Nantes; ce serait augmenter ma perte de moitié; je vais vendre à Maurice. En pareil cas le retrait de la marchandise fait gagner le chargeur et ne porte préjudice à personne eh bien! quand il n'est pas à bord, c'est son mandataire, c'est-à-dire le capitaine, qui doit faire ce qu'aurait fait le mandant. Et pour tant, s'il agit ainsi, s'il fait son devoir, il perd son fret suivant la doctrine du jugement appelé. Cela est inadmissible, il est impossible que la loi ait voulu placer le capitaine dans une pareille situation. La question unique, quant à l'application de l'art. 293, est donc de savoir s'il y a eu faute de la part du capitaine. Pour être dispensé du paiement du fret dans tout autre cas, il aurait fallu en affranchir d'une manière absolue toute marchandise av ariée : car, si on paie le fret à destination, comme on le ferait si elles étaient saines, il faut le payer également quand on les retire dans le cours du voyage.

D'ailleurs, d'autre part, le retrait était volontaire. Il eût été forcé s'il avait été fait par ordre de quelque souverain étranger; mais tous les actes qu'on fait quand on est maître d'agir ou de ne pas agir sont des actes volontaires. Si le chargeur eût été à bord (et c'est comme s'il y eût été, puisque le capitaine le représente), il aurait été le maître de choisir, il se serait déterminé par une inspiration de sa volonté. Le tribunal ne regarde comme volon

taire que le retrait des marchandises qui ne sont pas avariées : comment concilier ce système avec la loi sur les avaries, qui dispose que les avaries particulières doivent être supportées par le propriétaire de la chose? (Art. 404 C. comm.) Une des conséquences de l'avarie est donc que le propriétaire a intérêt à retirer et à vendre; et s'il obéit à son intérêt, il fait donc un acte volontaire. Quant aux divers articles invoqués par le tribunal, ils sont inapplicables à l'espèce: l'art. 276, puisqu'il suppose un ordre supérieur arrivé avant le départ du navire et indépendant des parties; l'art. 297, car il prévoit le cas d'innavigabilité du navire par la faute du capitaine; enfin l'art. 302, puisqu'il dispose pour l'hypothèse où les marchandises ont été perdues par naufrage, échoûment, ou pillées par des pirates ou des ennemis, et que d'ailleurs il n'a eu en vue que le cas où les marchandises ont péri, tandis que dans la cause elles ont été seulement détériorées. (Voyez à cet égard l'art. 310.)

En résumé, ce qui est vrai, c'est que, si le chargeur retire lui-même les marchandises, cela suffit pour qu'il doive le fret; et il en est de même si elles sont retirées par le capitaine, qui est son mandataire (1). »

(1) Les chargeurs invoquaient les arguments reproduits par l'arrêt confirmatif. V. aussi la disBussion sous l'arrêt cité.

Arrêt confirmatif de la Cour de Rennes du 30 juil. 1841.

Pourvoi en cassation du sieur Doguet pour violation des art. 293 et 309 C. comm., et fausse application des art. 296 et 303 même Code, en ce que l'arrêt attaqué avait refusé l'allocation intégrale du fret. Répondant à l'analogie puisée par cet arrêt dans les art. 296, $ 3, 302 et 303, d'après lesquels, en cas d'innavigabilité du navire, de naufrage, ou de pri-. se de marchandises suivie de rachat, le fret n'est dû que jusqu'au lieu du sinistre, on faisait remarquer que dans les hypothèses dont parlent ces articles le cas fortuit, tombant sur le navire lui-même, ne lui permet pas de se rendre à sa destination, et met l'affréieur dans l'impossibilité de remplir ses engagements visà-vis du chargeur.

DU 2 MAI 1843, arrêt C. cass., ch. req., MM. Zangiacomi prés., F. Faure rapp., Delangle av. gén. (concl. conf.), Dupont-White av.

« LA COUR ; - Attendu que la Cour royale de Rennes a fondé sa décision sur les faits et circonstances de la cause, qu'elle a appréciés et qu'elle avait le droit d'apprécier souverainement, et qu'en jugeant comme conséquence de ladite appréciation que le demandeur en cassation n'avait droit qu'à une partie du fret des marchandises chargées sur son navire, l'arrêt attaqué n'a ni violé ni faussement appliqué aucun des articles de loi invoqués à l'appui du pourvoi;

REJETTE. »

COUR DE CASSATION.
(2 mai 1843.)

Les décisions prises par voie de discipline soit contre des magistrals, soil contre des membres du barreau, n'ont pas le caractère des acles de la juridiction ordinaire des tribunaux, el ne peuvent, par conséquent, être déférées régulièrement à la Cour de cassation que pour cause N'est entaché ni d'incompétence ni d'excès d'incompétence ou d'excès de pouvoir (1). de pouvoir l'arrêt d'une Cour royale qui, saisie seulement par le ministère public de l'appel d'une décision d'un conseil de discipline de l'ordre des avocals par laquelle un de ses membres avait été rayé du tableau, a annulé celle décision sans entendre ni le conseil de l'ordre ni l'avocat rayé (2).

Le ministère public a qualité pour interjeler appel devant la Cour royale de la décision disciplinaire qui a prononcé celle radiation, alors que la partie intéressée n'en appelle pas elle-même (3).

(1-2) V. conf. Cass. 22 juil. 1834, et surtout 5 avril 1841.

V. en outre les observations de M. le

conseiller rapporteur Mesnard

(5) Cette question n'a été résolue explicitement

Dans le cas où le ministère public userait
de ce droit, le conseil de discipline de
l'ordre des avocats n'aurait pas qualité
pour intervenir devant la Cour royale (1).
Ordoun. 20 mars 1822, art. 25.

BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS
A LA COUR ROYALE DE LIMOGES
C. MINISTÈRE public et BOURDEAU.

L'ordre des avocats près la Cour royale de Limoges, ayant procédé en 1841 au renouvelle ment de son conseil de discipline, ne renomma point deux membres de ce conseil, MMes Girardin et Géry. Le tableau imprimé des membres du barreau de Limoges fut, après les élections, remis, selon l'usage, à chacun des avocats. M. Bourdeau, ancien garde des sceaux, pair de France, et qui faisait partie de ce barreau, rendit au porteur l'exemplaire qui lui était destiné, après y avoir mis l'annotation suivante: « Pour avoir accepté ma défense dans un procès en diffamation, deux des plus anciens et des plus honorables avocats ont été exclus du conseil de discipline, et quoique cet acte inqualifiable ne retombe que sur ses auteurs, mon nom ne doit plus rester au tableau, et je le raie. Signé BOUR

DEAU. D

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Le conseil de discipline prononça, pour ce fait, contre Bourdeau la peine de la radiation, par une délibération du 21 mai 1842, ainsi conçue:

Le conseil, après avoir entendu le secrétaire de l'ordre dans l'exposé de la plainte portée contre M. Bourdeau, avocat et pair de France, etc.; Vu les dispositions des art. 12, 15, 18 et 19, de l'ordonnance du 20 nov. 1822;

» Attendu que, dans le courant de janvier dernier, le tableau de l'ordre des avocats près la Cour royale de Limoges pour l'année judiciaire 1841-1842 ayant été, suivant l'usage, remis à M. Bourdeau, avocat inscrit, celui-ci le renvoya au secrétaire de l'ordre, après avoir rayé son nom et écrit en marge de cette radiation une note ainsi conçue (suit la teneur de la note);

» Attendu que le lendemain ce fait fut publié par le journal l'Ordre, qui reproduisit textuellement la note dont M. Bourdeau avait fait accompagner sa radiation;

» Attendu que M. Bourdeau appartenait encore à l'ordre des avocats au moment où il a rayé son nom du tableau; qu'ainsi il est soumis à l'action disciplinaire:

▸ Attendu qu'en rayant son nom du tableau, M. Bourdeau a eu évidemment pour but de faire un outrage à l'ordre dont il s'est longtemps glorifié de faire partie;

» Attendu que les expressions dont la radiation est accompagnée rendent cet outrage

d'une extrême gravité;

que par la Cour royale de Limoges; mais la mê

» Qu'en effet M. Bourdeau signale l'élection du conseil de discipline comme un acte de passion coupable, comme un acte inqualifiable qui doit retomber sur ses auteurs;

» Attendu que les auteurs de cet acte si injurieusement qualifié par M. Bourdeau sont tous les membres du barreau qui ont concouru aux élections et qui ont procédé au choix de leurs représentants avec indépendance et loyauté ;

Attendu que c'est pour le conseil de dis cipline un impérieux devoir de réprimer les atteintes portées à l'honneur du barreau et à l'indépendance de ses élections;

» Attendu que l'outrage fait à l'ordre des avocats par M. Bourdeau doit être réprimé avec d'autant plus de sévérité qu'il émane d'un homme qui a dû calculer toute la portée de l'injure qu'il faisait à un barreau dans lequel il a occupé long-temps un rang distingué;

» Attendu que, quoique appelé deux fois devant le conseil, M. Bourdeau ne s'y est pas présenté, et a manifesté par là qu'il persistait dans l'outrage qu'il a fait au barreau;

» Attendu que la radiation effectuée sur un exemplaire du tableau laisse subsister le nom de M. Bourdeau sur le registre matricule et ne peut équivaloir à la peine qu'il a encourue et que doit prononcer le conseil de discipline;

» Par ces motifs, faisant application de l'art. 18 de l'ordonnance du 20 nov. 1822, ainsi conçu : « Art. 18. Les peines de discipline » sont l'avertissement, la réprimande, l'inter» diction temporaire, la radiation du tableau. » — L'interdiction temporaire ne peut excéder le terme d'une année. »;

⚫ Ordonne que le nom de M. Bourdeau soit définitivement rayé du tableau;

Dit que la présente délibération sera notifiée dans les trois jours à M. Bourdeau et au procureur général. »

M. Bourdeau n'attaqua pas cette décision, mais le procureur général interjeta appel. Le bâtonnier de l'ordre des avocats demanda lors que le conseil de l'ordre fût admis à intervenir devant la Cour pour soutenir la décisio qu'il avait rendue. Arrêt du 17 juin 1842, qui statua en ces termes :

Attendu que, si le droit de légitime défense autorise les conseils de discipline à intervenir devant les Cours royales pour le soutien de leurs décisions frappées d'appel, lorsque ces décisions sont émanées des conseils de disci pline dans l'exercice de leur pouvoir admini stratif et intéressant les prérogatives de l'ordre, leur intervention ne saurait être justifiée quand il s'agit de décisions par eux rendues dans l'exercice de leur pouvoir judiciaire, parce que la dignité de la justice ne permet pas que le juge inférieur soit jamais admis à soutenir lui-même sa décision devant le juge supérieur; Et attendu que le conseil de discipline, en prononçant contre M. Bourdeau, par sa de cision du 18 mai, la peine de radiation du tableau, a évidemment agi comme pouvoir judi

D

ciaire ;

» La Cour déclare qu'il n'y a pas lieu d'adme doctrine a été adoptée dans le rapport de M. le mettre l'intervention du conseil de discl

conseiller Mesnard.

(1) V. la note précédente.

pline.

Le lendemain 18 juin la Cour annula la délibération par arrêt ainsi motivé :

Attendu que l'art. 25 de l'ordonnance du 20 nov. 1822, qui attribue au procureur général le droit d'appeler des décisions rendues par les conseils de discipline, est conçu en termes généraux et n'établit aucune distinction entre le cas où il s'agit d'une décision portant acquittement et celui où il s'agit d'une décision portant condamnation;

Attendu que M. Bourdeau était encore inscrit au tableau de l'ordre au moment où il a rayé son nom de la liste qui lui a été présentée; qu'ainsi il est soumis pour ce fait à la juridiction du conseil de discipline;

Attendu, au fond, que l'annotation dont M. Bourdeau a accompagné sa radiation s'explique et se justifie par les faits qui se sont passés à l'occasion des dernières élections du conseil de discipline, et qui ont dû exciter chez lui une vive sensibilité en l'autorisant à croire que deux avocats de ce barreau avaient été exclus du conseil pour lui avoir prêté leur assistance dans son procès contre le Progressif et contre la Gazette du centre, et que, appréciée à ce point de vue, cette annotation n'était pas de nature à provoquer l'exercice du pouvoir disciplinaire... »

Le bâtonnier de l'ordre des avocats à la Cour royale de Limoges a formé un pourvoi contre ces deux arrêts.

L'arrêt du 17 juin, a-t-il dit, a méconnu et violé les droits de la légitime défense. En rejetant l'intervention du conseil de discipline de l'ordre des avocats de Limoges, et celle de l'ordre entier, représenté par son baLonnier, dans une affaire où la dignité de cet ordre était gravement intéressée. La Cour royale semble avoir oublié le double caractère dont le législateur a investi le

conseil de l'ordre des avocats: ce conseil a pour mission de veiller à ce que l'honneur et les intérêts de l'ordre ne soient pas compromis; de plus, il réprime d'office, sur les plaintes qui lui sont adressées, les infractions commises par les avocats inscrits au tableau (art. 42 et 45 de l'ordonnance de 1822); cette double mission de surveillance et de répression offre un caractère particulier.

Le conseil, investi des attributions d'un parquet et de celles d'un tribunal, fait la police et rend la justice, il requiert la peine et l'applique: il est à la fois juge et partie. Mais ces deux pouvoirs, bien qu'exercés simultanément, ne se confondent pas : le droit en vertu duquel une assemblée porte plainte n'est plus celui en vertu duquel elle prononce sur cette plainte.

Les deux attributions du conseil de discipline sont donc essentiellement séparées. Le conseil de l'ordre, quand il se plaint ou qu'il poursuit, agit en vertu du droit accordé à toute corporation offensée de demander une réparation; quand il juge, il devient tribunal: dans le premier cas il est l'organe de l'ordre, dans le second l'organe de la loi.

De là cette conséquence nécessaire pour le conseil de discipline: défense d'intervenir pour soutenir la décision qu'il a rendue comme juge; mais, pour l'ordre même des avocats qui

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a provoqué cette décision, y a été partie, nulle raison de lui refuser un droit d'intervention qui appartient à toute partie, et dont l'exercice est aussi bien dans son intérêt que dans celui de la justice car seul peut-être il pourra l'éclairer sur les véritables motifs de la décision, que le juge de discipline aura souvent cachés par des raisons de convenance faciles à comprendre. Et qu'on ne dise pas que dans ce dernier cas l'ordre fera connaître ces motifs au président de la Cour, car ce sera toujours là une intervention, et elle aura cela de fâcheux que, tout en portant atteinte au principe absolu consacré par la Cour royale de Limoges, elle manquera de caractère de franchise, et partant de garantie.

Le pourvoi contre le second arrêt est fondé sur la violation de l'art. 25 de l'ordonnance du 20 nov. 1822, en ce que l'arrêt du 18 juin a déclaré recevable l'appel du ministère public, alors que l'avocat frappé par la décision du conseil de discipline n'en avait point appelé.

fié, soit que l'on considère le but général de Ce moyen, suivant le demandeur, est justil'institution du ministère public en France, soit que l'on se pénètre de l'esprit qui a dicté l'art. 25 de la loi spéciale de 1822.

Dans toute action judiciaire, qui a pour ob jet la répression d'un crime, d'un délit, ou même d'une simple infraction disciplinaire, deux intérêts se trouvent en présence: l'intérêt social et l'intérêt privé. Le premier est défendu par le ministère public; le second par la partie civile et par le prévenu.

Lorsqu'un acquittement ou une condamnation trop faible peut léser l'intérêt de la société, le ministère public est là, sentinelle vigilante, pour en solliciter la réformation.

Si la condamnation paraît injuste ou trop rigoureuse au prévenu, c'est à lui qu'il appartient de se pourvoir dans un délai déterminé par la loi. Ce délai expiré, le silence du condamné équivaut à un acquiescement. La condamnation est irrévocable contre lui; elle a acquis l'autorité de la chose jugée. Nul, si ce n'est le roi, ne peut en paralyser l'exécution.

Il est donc certain, lorsque l'art. 202 C. instr. crim. accorde la faculté d'appeler aux parties prévenues ou responsables, à la partie civile et au ministère public, que cette faculté doit être exercée par chacun d'eux dans le sens de l'intérêt qui le touche ou qui lui est confié. C'est ce que prouve clairement l'art. 205 du même Code, qui porte :

Le ministère public près le tribunal ou la Cour qui doit connaître de l'appel devra notifier son recours soit au prévenu, soit à la personne civilement responsable du délit. »

L'ordonnance du 20 novembre 1822 n'a pas Sans doute, l'art. dérogé à ces principes. 25 attribue aux procureurs généraux le droit d'appeler des décisions rendues par les conseils de discipline dans les cas prévus par l'art. 15, c'est-à-dire lorsqu'il y a lieu à répri mer les infractions et les fautes commises par les avocats inscrits au tableau ; mais cette disposition est corrélative de celle de l'article précédent, qui reconnaît le même droit à l'avocat

dans les cas d'interdiction à temps ou de radiation. C'est la reproduction de l'art. 202 C. instr. crim.: droit d'appel à la partie condamnée, dans son intérêt personnel; droit d'appel au procureur général, dans l'intérêt de la vindicte publique.

M. Mesnard a fait sur ce double pourvoi les observations suivantes :

Si, en général, les conflits d'attribution révèlent une perturbation qu'il importe de faire promptement cesser, si ces sortes de contestaLions qui mettent dans un état de lutte les principes constituants des pouvoirs ont droit à toute votre attention, peut-être penserez-vous que, quand elles s'élèvent entre des corporations qu'un lien plus intime rapproche tous les jours, et qui sont, pour ainsi dire, dans un perpétuel contact, il y a un intérêt de plus à définir nettement et à tracer avec une rigoureuse précision les attributions et l'étendue des pouvoirs qui appartiennent à chacune d'elles. Il vous appartient de rechercher si la loi a tracé une ligne de démarcation suffisante, et, si vous l'apercevez, de la faire respecter avec d'autant plus de soin, qu'il se manifesterait de part et d'autre une tendance plus prononcée d'envahissement.

» Les questions que soulève le pourvoi, outre la gravité qui leur est propre, en raison même de la nature du débat, offrent le caractère particulier de la difficulté qui s'attache à toute thèse de droit qui n'a reçu encore de la doctrine ou de la jurisprudence aucune solution directe.

» Mais l'accès même de ces questions paraît, au premier abord, embarrassé d'un obstacle auquel vous n'avez pas manqué de prendre garde. Avant de vous livrer à l'examen du fond du pourvoi et de chercher à apprécier la valeur des moyens qui s'y débattent, vous vous demanderez sans doute avec nous si cet examen, si cette appréciation, nous appartiennent; en d'autres termes, si la requête est recevable; et à ce sujet un doute nous prend, dont nous vous devons la manifestation raisonnée.

Il fut un temps où ce doute n'était pas permis c'était le temps de vos arrêts du 20 avril 1830 et du 4 déc. 1833 qui jugèrent si nettement et en thèse que « les décisions par »> forme de discipline concernant soit des ma»gistrats, soit des membres du barreau, ne » sont que des mesures de police intérieure ;... » qu'elles n'ont ni les caractères ni les effets » des actes de la juridiction ordinaire des tri»> bunaux ; d'où il suit qu'elles ne sauraient ê»tre rangées dans la classe des jugements et ar» rêts proprement dits, contre lesquels est ou» vert le recours en cassation ». Alors, et sous l'influence d'une juridiction si précise, on devait ne pas hésiter à regarder comme non recevable un pourvoi dirigé contre une décision disciplinaire concernant soit des magistrats, soit des membres du barreau.

» Mais, si arrêté que parût ce principe, il n'a pas tardé à fléchir, et dès le 22 juil. 1834 un arrêt de la chambre civile, rendu dans l'affaire Parquin, a décidé, au moins implicitement, comme vous l'aviez fait vous-même en admettant d'abord la requête, que le pourvoi pour incompétence est recevable contre une

décision de Cour royale rendue en matière de discipline.

» Il en est des principes comme de tous les pouvoirs absolus; il ne leur est pas permis de ne céder qu'une fois. L'obstacle de la fin de non-recevoir s'abaissant devant l'incompétence, on a dû se demander si là où avait passé l'incompétence, il n'y aurait pas place aussi pour l'excès de pouvoir, le trouble dans l'ordre suc cessif des juridictions, la violation des droits de la défense, ou bien encore des lois et des formes qui se rattachent à l'ordre public.

» De pareilles questions, qui paraissent dietées par une logique assez rigoureuse, ne se font pas impunément, et l'on ne saurait disconvenir qu'elles ne soient de nature à jeter plus d'un doute désormais sur l'application du principe qui avait été posé pourtant en termes si précis et si définitifs dans vos arrêts de 1830 et de 1833.

» Assurément, si l'on pouvait s'en tenir à l doctrine de ces arrêts, le pourvoi qui vous est aujourd'hui soumis devrait être déclaré non recevable; mais en peut-il être de même en présence de la modification profonde qu'ils ont subie dans la décision même implicite de 1834 ?

› Dans l'espèce, on reproche à l'arrêt d'avoir violé ou méconnu les droits de la défense en refusant d'admettre l'intervention d'une des parties intéressées; on reproche encore à cet arrêt d'avoir été rendu sous l'influence d'un appel irrégulier dans la forme et interjeté par un partie à qui la loi déniait l'exercice d'un pareil mode de recours. Sans doute il n'y a rien là, à proprement parler, qui mette en question la compétence de la Cour royale de Limoges : elle était, ratione materiæ et ratione personarum, la seule Cour où pût être porté l'appel formé contre la décision du conseil de discipline de Limoges; mais ne peut-on pas dire, comme nous le faisions pres sentir, que, l'incompétence une fois admise comme motif suffisant d'admissibilité de pourvoi, il se présente à la suite plusieurs analogies pressantes? Si un arrêt en pareille ma tière peut vous être utilement déféré, parce que la compétence des juges qui l'ont rendu est contestée, pourquoi n'en serait-il pas de même quand on lui reprochera d'avoir statue sans appeler les parties? Juger sans entendre, est-ce donc juger complétement ? Les droits de la libre et légitime défense ne tiennent-ils pas d'aussi près à l'ordre public que la délimitation organique des juridictions?

» Et si encore, comme dans l'espèce du procès, la critique qui s'adresse à l'arrêt se fonde sur ce fait qu'il a été rendu à la demande ou sous l'impulsion d'une partie qui n'avait pas le droit d'appel, c'est-à-dire qui n'avait le droit ni de provoquer ni d'obtenir cet arrêt, ne sera-ce pas là encore mettre en mouvement des intérêts d'ordre public de la nature de ceux qui ont donné à l'exception d'incompé tence le privilége de faire arriver jusqu'à vous des pourvois que vous ne recevez à aucun autre titre ? Et en y regardant de plus près, ne se peut-on pas demander si contester au juge le droit de rendre aucune décision quelconque dans un cas donné, en d'autres termes de

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