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CASS.-CIV. 28 février 1912.

1o AVOUÉ, RESPONSABILITÉ, ADJUDICATION, SUR SAISIE IMMOBILIÈRE, ENCHÈRE MISE PAR ERREUR SUR UN LOT, FAUTE, ANNULATION DE L'ADJUDICATION, RÉADJUDICATION, PRIX INFÉRIEUR, CREANCIER INSCRIT, PRÉJUDICE, POUVOIR DU JUGE, APPRECIATION SOUVERAINE, RELATION ENTRE LA FAUTE ET LE PRÉJUDICE, Contrôle DE LA COUR DE CASSATION (Rép., vo Avoué, n. 262 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 1200 et s., et vo Adjudication immobilière, n. 958 et s.). -2° RESPONSABILITÉ CIVILE OU PÉNALE, RELATION ENTRE LA FAUTE ET LE PREJUDICE, CONTROLE DE LA COUR DE CASSATION (Rép., v Cassation [mat. civ.], n. 4091 et s., 4105 et s.; Pand. Rép., vo Cassation civile, n. 1057 et s.).

1° L'avoué, chargé d'enchérir, à concurrence d'une somme déterminée, un des immeubles compris dans une adjudication

(1) V. sur la responsabilité de l'avoué en cas d'annulation d'une adjudication, Cass. 12 janv. 1891 (S. et P. 1892.1.305; Pand. pér., 1891.1. 228); Pau, 24 janv. 1898 (S. et P 1898.2.32); Besançon, 26 juin 1901 (S. et P. 1904.2.157).

(2-3-4) Par l'arrêt ci-dessus rapporté, la chambre civile confirme sa récente jurisprudence, et persiste à s'attribuer le droit de vérifier s'il y a entre la faute constatée et le préjudice subi une relation de cause à effet.

Dans toute action tendant à faire condamner un défendeur à payer des dommages-intérêts à raison d'une faute commise par lui, les juges du fond ont successivement à examiner trois questions : 1° la faute alléguée existe-t-elle ? 2° un préjudice est-il établi? 3o ce préjudice est-il la conséquence directe de cette faute?

Pendant très longtemps, la Cour de cassation a reconnu aux juges du fond le droit de résoudre souverainement ces trois questions: aucun pourvoi n'était alors admis contre les décisions qui les tranchaient. Puis, à partir de 1873, elle s'est réservé le droit de contrôler si les faits constatés par les juges du fond présentent les caractères juridiques de la faute. V. sur cette évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, la note de M. Appert sous Cass. 13 janv. 1908 (S. et P. 1911. 1.217; Pand. pér., 1911.1.217).

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Mais la Cour de cassation continuait à décider qu'il appartient aux juges du fond de résoudre souverainement les deux autres questions, notamment celle de savoir si le préjudice éprouvé provient directement de la faute de celui à qui on demande réparation. Ses arrêts en ce sens sont nombreux et très nets. Ainsi, le 12 juin 1876 (S. 1876.1.422. P. 1876.1073), la chambre civile reconnaît qu' il appartient aux Cours d'appel d'apprécier souverainement, d'après les circonstances de la cause, si le dommage dont la réparation est demandée a ou n'a pas pour cause directe la faute imputable au défendeur V. dans le même sens, Cass. civ. 20 janv. 1880 (S. 1881.1.359. P. 1881.1.871); 21 oct. 1891 (S. et P. 1895.1. 447; Pand. pér., 1892.1.317); 7 févr. 1894 (S. et P. 1898.1.278; Pand. pér., 1894.1.488). Adde, Cass. req. 11 mai 1891 (S. et P. 1892.1.254); 7 mars 1892 (S. et P. 1892.1.271). V. aussi, Cass. civ. 22 nov. 1892 (8. et P. 1893.1.23).

-

Par un arrêt du 6 févr. 1894 (S. et P. 1894.1. 309; Pand. pér., 1894.1.519), la chambre civile maintenait encore cette opinion avec non moins ANNÉE 1913. - 3 cab.

sur saisie immobilière, qui, par erreur, porte cette enchère sur un autre lot, dont il est déclaré adjudicataire, commet une faute engageant sa responsabilité au regard d'un créancier inscrit dont l'enchère portée garantissait l'entier paiement, et qui, l'adju dication ayant été annulée, à la requête de l'avoué, pour vice de consentement et erreur sur l'objet, et réadjugé pour un prix très inférieur à celui de la première adjudication, n'a pu, dans l'ordre, toucher qu'une partie de sa créance (1) (C. civ., 1382, 1992). Rés. par la C. d'appel.

En ce cas, les constatations des juges du fond, saisis de l'action en responsabilité formee par le créancier contre l'avoué, - qui,' après avoir déclaré que l'erreur commise par l'avoué constituait une faute dont il doit réparation, ajoutent, d'une part, qu'en portant brusquement l'enchère de 3.000 à 21.000 fr., chiffre qui lui avait été fixé par son client pour l'autre lot, l'avoué avait forcément écarté les autres encheris

de précision : « Attendu que, pour qu'il y ait lieu à responsabilité, aux termes de l'art. 1382, C. civ., il faut, non seulement qu'une faute ait été commise, mais encore que cette faute ait occasionné un préjudice; que les juges du fond apprécient souverainement l'existence et la cause du préjudice dont la réparation est demandée ».

Telle est donc, encore à cette date, la jurisprudence de la chambre civile. C'est ce que constate très nettement un magistrat de cette chambre, M. Crépon, dans son Traité du pourvoi en cassation paru en 1892 (t. 3, n. 1148 et s.). V. égal., Baudry-Lacantinerie et Barde, Oblig., 3° éd., t. 4, n. 2873; et notre Rép. gén. du dr. fr., v° Cassation (mat. civ.), n. 4105 et s.; Pand. Rép., v° Cassation civile, n. 1057 et 8.

Ainsi, pendant près d'un siècle, la chambre civile a considéré comme une question de fait, résolue souverainement par les juges du fond, le point de savoir s'il y avait une relation de cause à effet entre la faute et le dommage.

Un an plus tard, le 7 août 1895 (S. et P. 1896. 1.127), est rendu un arrêt qui consacre une opinion diamétralement opposée. L'arrêt alors déféré à la Cour de cassation avait débouté de son action en dommages-intérêts un demandeur, victime d'un accident, parce qu'à son avis, il résultait des faits de la cause que cet accident n'était pas la conséquence d'une faute imputable au patron. Que fait la chambre civile? Elle examine les faits constatés par la Cour d'appel, et, contrairement à l'appréciation de celle-ci, elle déclare que a la relation entre la faute (du patron) et l'accident survenu à l'apprenti s'induit nécessairement des constatations mêmes de l'arrêt, qui ne la peut nier sans une évidente contradiction. La note publiée sous cet arrêt fait très justement remarquer que la Cour de cassation a ainsi contrôlé et rectifié l'appréciation des juges du fait, appréciation que, jusqu'alors, elle avait considérée comme souveraine.

Pourquoi ce changement? L'arrêt du 7 août 1895 ne le dit pas; il introduit, dans cette question, une modification importante à la jurisprudence de la chambre civile, mais il ne donne aucun motif pour la justifier.

Est-ce là un arrêt d'espèce, qu'expliquerait la contradiction relevée dans les motifs de la décision attaquée ? C'est l'interprétation qu'en a donnée un éminent magistrat dans un ouvrage qui fait autorité. V. Faye, La C. de cass., p. 179,

seurs et enlevé au creancier la possibilité de recouvrer sa créance, d'autre part, que l'annulation de la première adjudication, conséquence de la faute de l'avoué, a obligé le créancier à courir les chances de la nouvelle adjudication, qui n'a produit qu'un prix inférieur, impliquent la relation entre la faute et le préjudice (2) (C. civ., 1382).

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Et, dans ces conditions, en accordant au créancier, à titre de dommages-intérêts, la différence entre le montant de sa créance et la somme pour laquelle il a été colloqué sur le prix de la seconde adjudication, les juges du fait font de leur pouvoir d'appréciation un usage qui échappe au contrôle de la Cour de cassation (3) (Id.).

2o En matière de responsabilité, appartient-il à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur l'appréciation faite par les juges de fond de la relation du la faute avec le préjudice (4) (C. civ., 1382)? V. la note.

note 31. Nous ne pensons pas que ce soit là la portée de l'arrêt. Nous y voyons, au contraire, le premier monument d'une jurisprudence nouvelle, posant intentionnellement un principe nouveau, car la règle qu'adopte cet arrêt de 1895 va se trouver confirmée par plusieurs arrêts postėrieurs, intervenus dans des espèces absolument différentes.

Ainsi, le 22 févr. 1898 (S. et P. 1899.1.492; Pand. per., 1899.1.213), la chambre civile est saisie d'un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Douai, qui avait refusé d'admettre en preuve les faits articulés pour établir l'accident survenu à un ouvrier, par le motif que ces faits n'étaient pas de nature à établir une faute à la charge du patron. La chambre civile casse, parce que, dit-elle, la relation entre la faute imputée à celui-ci, et entraînant sa responsabilité dans une mesure à déterminer, et l'accident arrivé à V..., pourrait s'induire du fait offert en preuve. C'est bien là l'exercice par la Cour de cassation du droit de contrôle qu'elle s'attribue désormais en cette matière.

De même, c'est l'affirmation du droit de contrôle qui ressort de l'arrêt de la chambre civile du 24 févr. 1903, rendu en matière de responsabilité notariale (S. et P. 1903.1.337; Pand. pér., 1905. 1.166) Attendu, dit cet arrêt, qu'en présence des faits ainsi souverainement constatés,... la Cour de Paris a pu, sans violer aucune loi, déclarer qu'il n'existait pas, entre l'imprudence du notaire P... et le dommage éprouvé par le demandeur en cassation, la relation de cause à effet indispensable pour justifier une condamnation à des dommagesintérêts contre l'officier public

L'arrêt de la chambre civile du 13 janv. 1908, précité, consacre encore la même théorie; il commence par énumérer les faits énoncés au jugement attaqué, et il conclut ainsi : Attendu que ces constatations impliquent la faute du conducteur de la voiture et la relation entre cette faute et l'accident.

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(V... C. Renucci).

Créanciers des époux Gonzalès d'une somme de 15.645 fr., les époux Renucci ont fait saisir deux immeubles de leurs débiteurs, situés, l'un à Oran, rue Denfert-Rochereau, l'autre à Eckmühl, et affectés tous deux à la garantie de leur créance. Le cahier des charges indiquait que la vente aurait lieu en deux lots, comprenant, le premier, l'immeuble d'Eckmühl, avec mise à prix de 3.000 fr., le second, la maison d'Oran, avec mise à prix de 5.000 fr. Le jour de l'adjudication, Me X..., avoué, qui était chargé, comme substituant Me V..., de pousser le deuxième lot jusqu'à 21.000 fr., pour un client de Me V..., dans la conviction que le lot mis en vente était le second, alors qu'en réalité, c'était le premier, porta brusquement l'enchère sur le premier lot à 21.000 fr., prix pour lequel l'immeuble fut adjugé à Me V... A la suite de ces faits, Me V... a assigné toutes les parties devant le tribunal d'Oran, afin de faire annuler, pour défaut de consentement et pour erreur sur l'objet même du contrat, l'adjudication tranchée à son profit. Le 27 oct. 1904, le tribunal a fait droit à ces conclusions. Bien que les époux Renucci n'eussent pris aucunes conclusions à cet égard, le jugement, dans ses motifs, déclarait que Me V... doit être tenu du préjudice qui pourrait être causé de son chef, par suite de son erreur; qu'il y a évidemment faute de sa part; et, dans le dispositif, après avoir annulé la vente, il ajoutait : Réserve à Renucci, à l'encontre de Me V..., tout recours en réparation du préjudice qui pourra lui être causé par le fait de la nouvelle adjudication ». En exécution de ce jugement, qui n'a été attaqué par aucune des parties, l'immeuble d'Eckmühl (premier lot de l'adjudication) a été remis en vente et adjugé à un tiers pour 3.625 fr. D'un autre côté, la maison d'Oran (deuxième lot de l'adjudication) avait été, sur surenchère, adjugée au prix principal de 20.700 fr. Dans l'ordre ouvert pour la distribution

le préjudice; son droit de contrôle est donc identique dans les deux cas.

Ces mêmes observations s'appliquent à l'arrêt ci-dessus rapporté, où nous retrouvons la même formule que dans l'arrêt précédent. En l'espèce, la faute n'était pas méconnue; le pourvoi ne la contestait pas. La discussion était, ainsi que l'indique la formule du moyen, limitée aux deux points suivants: 1° La faute de l'avoué était-elle la cause directe du préjudice? 2° Quelle était la consistance du préjudice?

Sur ce second point, la Cour de cassation déclare, conformément à sa jurisprudence constante, que l'appréciation du juge du fond est souveraine, qu'elle échappe, par suite, à son contrôle. V. Cass. 22 mars 1899 (S. et P. 1901.1.78; Pand. pér., 1900.1.352), et le renvoi; 11 nov. 1902 (S. et P. 1903.1.453; Pand. pér., 1903.1.489).

Sur le premier point, elle se garde bien d'opposer la même réponse; c'est ce qu'elle aurait dû faire, si elle avait estimé que la Cour d'appel avait, à cet égard, un pouvoir souverain d'appréciation. Tout au contraire, la chambre civile, après avoir résumé les faits relevés par l'arrêt attaqué, les examine, et conclut en disant que tations impliquent la relation entre la faute et le

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ces consta

de ces deux prix, les époux Renucci, qu n'avaient pu être utilement colloqués sur le prix du second lot, l'ont été exclusivement sur la somme de 3.505 fr., restant disponible, frais de poursuite déduits, sur le montant du prix du premier lot. Ils restaient ainsi créanciers impayés de 12.140 fr. 55. Ils ont alors assigné Me V... devant le tribunal civil d'Oran, à l'effet de s'entendre condamner à leur payer cette somme, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice qu'il leur avait causé par sa faute. Le tribunal, par jugement du 22 avril 1907, tout en reconnaissant la faute commise lors de l'adjudication, a débouté les consorts Renucci de leur demande. Sur leur appel, la Cour d'Alger a infirmé, par un arrêt dont extrait suit : -( La Cour; Attendu qu'il échet de rechercher si Me V... a réellement commis une faute, et si cette faute a occasionné un préjudice aux appelants; - Attendu qu'il résulte des documents versés au procès et des conclusions mêmes des parties que, le 29 sept. 1903, date de l'adjudication, deux lots étaient mis en vente; le premier, comprenant l'immeuble d'Eckmühl, et le deuxième, la maison de la rue DenfertRochereau; que Me V..., qui avait reçu mandat de son client L... d'enchérir le deuxième lot, à concurrence de 21.000 fr.. était absent ce jour-là, et s'était substitué son confrère Me X...; que, par erreur, l'huissier de service annonça tout d'abord la mise en vente de la maison de la rue Denfert-Rochereau, comprise dans le deuxième lot; que cette erreur fut rectifiée séance tenante, et par l'huissier et par le tribunal lui-même; que, cette rectification ayant sans doute échappé à Me X..., celui-ci poussa les enchères jusqu'à 21.000 fr., prix auquel le premier lot lui fut adjugé;

Attendu que Me V..., qui assume la responsabilité de l'erreur commise par son confrère, ne conteste pas que c'est le premier lot qui a été enchiéri, aux lieu et place du deuxième; Attendu que cette erreur, dont Me V... est et se reconnait

--

préjudice Elle indique ainsi nettement qu'elle exerce son contrôle sur l'appréciation des juges du fond.

On peut donc dire que, de ces divers arrêts, il ressort que la chambre civile entend maintenant se réserver le droit d'examiner s'il y a entre la faute et le dommage une relation directe de cause à effet.

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La chambre des requêtes n'a pas suivi la chambre civile dans cette évolution; elle maintient sa jurisprudence précédente, et continue à juger qu'il appartient aux juges du fond de décider si la faute commise est en relation directe avec le dommage causé ». V. Cass. req. 10 janv. 1899 (S. et P. 1899.1.412; Pand. pér., 1900.1.147); 15 avril 1908 (S. et P. 1910.1.97; Pand. pér., 1910. 1.97), et la note de M. Charmont (p. 98, 1re col.). On ne peut, à notre avis, voir une adhésion de la chambre des requêtes à la doctrine nouvelle de la chambre civile dans un arrêt du 28 déc. 1910 (S. et P. 1912.1.134; Pand. pér., 1912.1.134), par lequel, après avoir constaté que les juges du fond avaient, à bon droit, relevé comme constitutive d'une faute l'omission par un notaire, dans un acte par lui reçu, d'une clause dont l'absence avait eu pour effet d'induire en erreur un prêteur sur l'é

responsable, constitue une faute; qu'en effet, un avoué ne peut ignorer que le lotissement indiqué par le cahier des charges, les affiches et les annonces légales, ne peut être modifié le jour de l'adjudication que par un accord commun, sanctionné par un jugement, accord qui ne s'était pas produit dans l'espèce; - Attendu que, si cette faute, dans les conditions surtout où elle s'est produite, n'entache en rien l'honorabilité de Me V..., ni même sa considération professionnelle, il n'en est pas moins certain qu'elle a occasionné un préjudice, non seulement à son client L..., qui ne lui avait pas donné mandat d'enchérir un lot sur lequel il n'avait pas d'hypothèque, mais aussi aux époux Renucci, qui avaient évidemment intérêt à voir maintenir une adjudication qui leur garantissait l'entier paiement de leur créance; — Attendu que, si le préjudice causé à L... a pu être réparé par l'annulation de cette adjudication, il n'en a pas été de même des époux Renucci, qui, par suite de cette même annulation, ont été obligés de courir les chances d'une nouvelle adjudication; Attendu que si, dans cette circonstance, M V... n'a pas agi comme mandataire des poursuivants, il ne s'ensuit nullement que ceux-ci ne puissent se prévaloir à son encontre des dispositions de l'art. 1383, C. civ., aux termes duquel chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence; Attendu que, l'adjudication du 29 sept. 1903 ayant été annulée par suite de l'erreur commise par Me V... ou son représentant, il est équitable de lui faire supporter les conséquences de cette annulation; qu'au surplus, il convient de remarquer qu'en portant brusquement les enchères à 21.000 fr. pour un lot qui n'était mis en vente qu'au prix de 3.000 fr., il a forcément écarté les autres enchérisseurs, et a ainsi enlevé aux époux Renucci la possibilité de recouvrer leur créance; - Attendu qu'il importe peu que l'immeuble n'ait

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tendue de la garantie à lui donnée, elle ajoute que, dans ces conditions, la relation entre la faute commise et le préjudice souffert ressort d'elle-même, puisque l'un a été la conséquence directe de l'autre ; cet arrêt peut plus justement être interprété comme déclarant suffisamment motivées les constatations des juges du fond quant à la relation entre la faute et le préjudice.

La jurisprudence récente de la chambre civile sur cette question révèle sa tendance à étendre l'application du droit de contrôle qu'elle s'attribue. Sans doute, on peut dire, avec M. Crépon, que,

dans ce contrôle, exercé de haut et de loin, se trouve la véritable sauvegarde contre l'arbitraire qui pourrait se rencontrer dans les décisions d'une justice rendue parfois trop près des intérêts qu'elle est chargée de régler (op. cit., t. 3, n. 1144). Mais, d'un autre côté, n'est-il pas permis de se demander si, en statuant ainsi, la chambre civile reste bien dans son rôle et se maintient dans l'esprit de son institution, et si sa jurisprudence nouvelle est à l'abri de tout danger. Nous ne pouvons que nous associer aux doutes émis à cet égard dans les notes de M. Appert sous Cass. 13 janv. 1908, précité, et sous Cass. 28 févr. 1910 (S. et P. 1911.1.329; Pand. pèr., 1911.1.329).

subi en lui-même aucune dépréciation entre la premiere et la deuxième adjudication; qu'en effet, en cas d'expropriation, les immeubles subissent les aléas de la vente aux enchères, et n'ont, en réalité, d'autre valeur que celle qui leur est attribuée par les enchérisseurs:... — Attendu qu'à la deuxième adjudication, l'immeuble d'Eckmühl, qui avait été adjugé primitivement à 21.000 fr., n'a trouvé acquéreur qu'au prix de 3.625 fr.: Attendu que l'ordre ouvert sur ce dernier prix a été clôturé le 4 juill. 1905; que les époux Renucci, reconnus créanciers dans cet ordre pour une somme de 15.645 fr. 55, ont été colloqués pour la somme restant disponible sur ce prix, après prélèvement des frais d'ordre, soit pour la somme de 3.505 fr.;

Attendu que, le prix d'adjudication de la maison de la rue Denfert-Rochereau ayant été absorbé par les premiers créanciers inscrits, les époux Renucci n'ont donc à toucher, sur leur créance, que la somme de 3.505 fr. ci-dessus relatée, et restent par conséquent à découvert pour une somme de 12.140 fr. 55; Attendu que, cette perte étant la conséquence de l'annulation de la première adjudication, motivée elle-même par la faute de Me V..., il échet de condamner celui-ci à indemniser les époux Renucci: Par ces motifs: Infirme; - Condamne Me V... à payer aux époux Renucci la somme de 12.140 fr. 55 ».

POURVOI en cassation par Me V... Moyen unique. Violation des art. 1382 et 13-3, C. civ.; fausse application des art. 2204 et s. du même Code; violation de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré qu'un avoué, qui avait enchéri par erreur un immeuble dans une adjudication sur saisie immobilière, au lieu et place d'un autre immeuble figurant dans la même adjudication, devait être,

à la suite de l'annulation de cette adjudication pour vice de consentement, -- rendu responsable envers les créanciers poursuivants, à titre de dommages-intérêts, de la différence existant entre le prix atteint par l'immeuble dans l'adjudication erronée et le prix inférieur atteint par le même immeuble dans la réadjudication postérieure, alors, d'une part, que ledit arrêt n'établit pas l'existence d'un préjudice certain et direct résultant pour les créanciers poursuivants de l'erreur de l'avoué, et alors, d'autre part, que la consistance de ce préjudice ne pouvait, en tous cas, être fixée en prenant pour terme de comparaison le prix d'une adjudication entachée d'erreur sur l'objet adjugé, prix

(1) Application du principe que les juges ne statuent pas ultra petita, quand ils prononcent sur choses virtuellement demandées par les conclusions des parties. V. Cass. 2 août 1881 (S. 1883.1.404. P. 1883.1.1028); 6 août 1894 (S. et P. 1898.1.518; Pand. pér., 1895.5.294), et les renvois. Adde, la note ous Cass. 30 avril 1900 (S. et P. 1900.1. 345); et Garsonnet, Tr. de proc., 2o éd., par CézarBru, t. 6, p. 463, § 2358. Dans l'espèce, l'acheteur ayant manifesté sa volonté de ne pas prendre livraison du fonds de commerce, le vendeur, qui

auquel les créanciers n'avaient aucun droit.

ARRÊT.

LA COUR; Sur le moyen unique du pourvoi Attendu que, des constatations de l'arrêt attaqué, il résulte : 1o que, le 29 sept. 1903, lors de la vente devant le tribunal civil d'Oran de deux immeubles, sis, l'un à Eckmühl, l'autre à Oran, tous deux saisis sur Gonzalès à la requête des époux Renucci, Me V..., avoué, qui avait recu d'un client mandat d'enchérir le lot d'Oran à concurrence de 21.000 fr., a, par erreur, porté son enchère sur l'autre lot, et a été déclaré adjudicataire de l'immeuble d'Eckmühl pour 21.000 fr., somme qui garantissait aux époux Renucci l'entier paiement de leur créance; 2o que cette première adjudication fut, à la demande de Me V..., annulée pour défaut de consentement et erreur sur l'objet du contrat; 3 qu'à la suite de cette annulation, l'immeuble d'Eckmühl fut de nouveau mis en vente, et adjugé, cette fois, à un tiers pour le prix de 3.625 fr.; Attendu que les époux Renucci ont alors assigné Me V... en paiement d'une somme de 12.140 fr. 55, représentant la différence entre le montant de leur créance, telle qu'elle a été liquidée dans l'ordre, et celle de 3.505 fr., pour laquelle ils ont été utilement colloqués; Attendu que l'arrêt attaqué a accueilli cette demande; qu'après avoir déclaré que l'erreur commise par Me V... constitue une faute dont il doit réparation, il constate, d'une part, qu'en' portant l'enchère brusquement de 3.000 fr., chiffre de la mise à prix, à 21.000 fr, Me V... a forcément écarté les autres enchérisseurs, et enlevé aux époux Renucci la possibilité de recouvrer leur créance »; et, d'autre part, que l'annulation de la première adjudication, conséquence de la faute ci-dessus rappelée, a obligé les époux Renucci à courir les chances d'une nouvelle adjudication, laquelle n'a produit qu'un prix très inférieur; que ces constatations impliquent la relation entre la faute et le préjudice; Attendu, enfin, qu'en accordant aux époux Renucci, à titre de dommages-intérêts, la somme de 12.140 fr. 55, représentant la différence ci-dessus expliquée, la Cour d'appel a fait de son pouvoir d'appréciation un usage qui échappe au contrôle de la Cour de cassation; Rejette, etc.

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Du 28 févr. 1912. Ch. civ. MM. Baudouin, ler prés.; Dupont, rapp.; Mérillon, av. gén. (concl. contr.); Dedé et Hannotin,

av.

n'avait pas usé du droit, que lui conférait l'art. 1184, C. civ., de faire ordonner l'exécution du contrat, et qui avait demandé des dommages-intérêts pour réparation du préjudice à lui causé par l'inexécution du contrat, indiquait par là même sa volonté de tenir le contrat pour résolu, la résolution du contrat étant nécessairement incluse dans ses conclusions à fin de dommages-intérêts.

(2) L'intimé, qui demande devant la Cour la confirmation du jugement qui lui a donné gain de cause, est censé reprendre implicitement les con

CASS.-REQ. 3 janvier 1912.

1° CONCLUSIONS, ULTRA PETITA », FONDS DE COMMERCE, VENTE, REFUS DE PRENDRE POSSESSION, DEMANDE EN DOMMAGES-INTERETS, RÉSILIATION, CONCLUSIONS IMPLICITES (Rép., vis Conclusions, n. 11 et s., 59. 89, Jugement et arrêt [mat. civ. et comm.. n. 2339; Pand. Rép., v Jugements et arrêts, n. 1419 et s.). 20 DEMANDE NOUVELLE, APPEL, JUGEMENT, INTIMÉ, CONCLUSIONS A FIN DE CONFIRMATION (Rép., vo Conclusions, n. 96; Pand. Rép., v° Appel civil, n. 4515 et s.).

1o La demande en dommages-intérêts formée par le vendeur d'un fonds de commerce contre l'acquéreur, à défaut par celui-ci d'avoir pris possession du fonds à la date fixée, comprend virtuellement, mais nécessairement, une demande en résiliation du contrat intervenu entre les parties, et, par suite, les juges, qui prononcent la résiliation, en allouant des dommages-intérêts, ne statuent pas ultra petita C. proc., 480).

20 Lorsque les juges de premiere instance, sur une demande en dommages-intérêts formée par le vendeur d'un fonds de commerce contre l'acquéreur, à défaut par celui-ci d'avoir pris possession du fonds dans le délai fixé, ont, en accueillant la demande en dommages-intérêts, prononcé la résiliation de la vente, on ne saurait prétendre que les juges d'appel, en confirmant le juge ment, sur l'appel de l'acquéreur, ont statue sur une demande nouvelle, dès lors que l'intimé a conclu en appel à la confirmation (2) (C. proc., 464).

(Valendru C. Loisy).

M. Valendru s'étant refusé, à la date fixée par la convention, à prendre possession d'un fonds de commerce qui lui avait été vendu par M. Loisy, moyennant 12.000 fr., avec location de la maison où le fonds était exploité, M. Loisy l'a assigné devant le tribunal de commerce de Roanne en 10.000 fr. de dommages-intérêts, et cette demande a été accueillie par un jugement du 1er déc. 1909, qui, en condamnant le défendeur à 9.000 fr. de dommages-intérêts, a prononcé la résiliation de la vente et du bail. M. Valendru a interjeté appel, en soutenant notamment que, du chef où il avait prononcé la résiliation, le tribunal avait statué ultra petita. M. Loisy a conclu à la confirmation du jugement. Le 17 janv. 1911, arrêt de la Cour de Lyon, qui rejette les conclusions de l'appelant, et confirme le jugement.

POURVOI en cassation par M. Valendru. Moyen unique. Excès de pouvoir; violation de l'art. 1134, C. civ.; fausse application des art. 1184 et 1654 du même Code,

clusions auxquelles le jugement a fait droit (V. Cass. 16 avril 1890, S. 1891.1.375. P. 1891.1. 910; Pand. per., 1890.1.551. V. aussi, Cass. 25 mai 1903, S. et P. 1904.1.125; Pand. pér., 1903.1.475, et les renvois), et prendre pour conclusions le jugement lui-même. V. Cass. 29 nov. 1876 (S. 1877. 1.368.-P. 1877.933), et les renvois; 21 févr. 1887 (S. 1887.1.296.-P. 1887.1.738; Pand. pér., 1887. 1.148). Si donc une question a été expressément résolue par le jugement, elle ne peut constitue en appel une demande nouvelle.

et violation de l'art. 464, C. proc., ainsi que de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision par laquelle le tribunal de commerce de Roanne avait prononcé la résiliation de la vente d'un fonds de commerce, alors que cette résiliation n'avait pas été demandée, et que l'action introduite par le défendeur éventuel contre l'exposant tendait simplement à ce qu'à défaut par lui d'avoir pris possession du fonds de commerce et des lieux loués, il fut condamné à 10.000 fr. de dommages et intérêts.

ARRÈT.

LA COUR; Sur le moyen unique : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, Loisy ayant vendu, le 4 juin 1909, son fonds de commerce à Valendru, au prix de 12.000 fr., avec location du magasin et des dépendances où était exploité ce fonds, pour une durée de quinze années, moyennant 1.700 fr. par an, ledit Valendu s'est refusé, sans motif plausible, à exécuter cette convention, et qu'à la suite de ce refus, Loisy l'a assigné, le 21 sept. 1909, en paiement d'une somme de 10.000 fr. de dommagesintérêts, à défaut par lui d'avoir pris possession du fonds de commerce et des lieux loués à la date du 1er novembre suivant;

Attendu que la demande ainsi formée comprenait virtuellement, mais nécessairement, une demande en résiliation du double contrat intervenu entre les parties; qu'en le décidant ainsi, la Cour d'appel de Lyon n'a ni statué ultra petita, ni accueilli une demande nouvelle, l'intimé ayant conclu devant elle à la confirmation du jugement qui avait prononcé cette résiliation; que, par suite, elle n'a ni commis un excès de pouvoir, ni violé ou faussement appliqué les textes de loi invoqués à l'appui du pourvoi: Rejette, etc.

Du 3 janv. 1912. — Ch. req. MM. Tanon, prés.; Michel-Jaffard, rapp.; Lénard, av. gén. (concl. conf.); Dufour, av.

CASS.-REQ. 4 décembre 1912. AGENT DE CHANGE, RESPONSABILITÉ, COMMIS, DÉTOURNEMENTS (Rép., vo Agent de change, n. 611 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 452 et s.).

Le rejet de l'action en responsabilité formée contre un agent de change, à raison de détournements commis par un de ses employés au préjudice du demandeur, est justifié par les juges du fond, qui constatent, d'une part, que, par l'emploi qu'il occupait, l'employé ne pouvait jamais avoir de rapports avec la clientèle, que, spécialement, il

(1-2-3) La responsabilité de l'agent de change, fondée sur l'art. 1384, C. civ., devait être écartée, dans l'espèce, pour les raisons mêmes qui l'ont fait également rejeter dans une affaire analogue. V. Cass. 30 oct. 1911 (S. et P. 1912.1.131; Pand. pér., 1912.1.131), la note et les renvois. L'employé auteur des détournements n'avait pas agi dans l'exercice de ses fonctions; et, de plus, c'était à lui personnellement, et en pleine connaissance de la situation qu'il occupait dans la charge, et qui ne lui permettait pas d'engager l'agent de change, que la victime des détournements avait fait confiance.

n'était pas préposé au soin de concourir aux opérations qui lui ont permis de commettre ses détournements, et, d'autre part, que c'est à cet employé personnellement que le demandeur a fait confiance, sachant qu'il n'était, ni un des fondés de pouvoirs, ni un des employés principaux, et ne pouvait engager son patron (1) (C. civ., 1382, 1384).

En l'état de ces constatations, il importe peu que l'employé infidèle ait parfois use, pour se faire remettre des fonds par le demandeur, du papier à lettre de la charge, avec sa signature précédée de la griffe: « par procuration de l'agent, dès lors que le demandeur savait que ce papier était à la disposition des employés (2) (Id.).

Les juges de fond ont pu également refuser de considérer comme une faute à la charge de l'agent de change le fait de n'a voir pas renvoyé l'employé, à raison d'opérations de bourse auxquelles il s'était livré antérieurement, et qui n'avaient pas un caractère délictueux (3) (C. civ., 1382).

(Vve Deray C. Gadala). ARRÈT. LA COUR; Sur le moyen pris de la violation des art. 1382, 1384, C. civ., et 7 de la loi du 20 avril 1810 : - Attendu que la dame Deray a assigné Gadala, agent de change, comme responsable des détournements commis au préjudice de la demanderesse par Rigaut, employé de Gadala, dans l'exercice des fonctions auxquelles il était préposé, et qui lui avaient permis de commettre ces détournements, alors qu'il était du devoir le plus élémentaire de l'agent de change d'exercer sur Rigaut une surveillance particulière;

Attendu que, pour motiver le rejet de la demande, l'arrêt attaqué constate d'abord, d'après les renseignements versés au débat, que, par l'emploi qu'il occupait. dans la charge Gadala, Rigaut ne pouvait jamais avoir de rapports avec la clientèle, et spécialement qu'il n'a, à aucun moment, été préposé au soin de concourir aux opérations qui lui ont permis de s'approprier les titres et les fonds qu'il a escroques;

Attendu, d'autre part, qu'il résulte des motifs du jugement, adoptés par l'arrêt, que c'est à Rigaut personnellement que la dame Deray a fait confiance, sur ses dires relatifs à sa situation dans les bureaux de Gadala, ne pouvant ignorer, d'après sa propre expérience, qu'il n'était, ni un des fondés de pouvoirs, ni un des commis principaux de l'agent de change, et étant avertie, tant par les nombreuses lettres recues par elle relativement à ses opérations d'achat et de vente de titres, dont aucune ne portait la signature de Rigaut, que par la précaution prise d'exiger une

Il importait peu, dans ces conditions, que l'on pût imputer à l'agent de change certaines imprudences, dès lors que ces imprudences n'étaient pas la cause du préjudice éprouvé par la victime des détournements (V. sur la nécessité de la relation de cause à effet entre la faute et le préjudice, Orléans, 1 mars 1907, motifs, S. et P. 1907.2.139, et le renvoi; Cass. 28 févr. 1912, supra, 1 part., p. 129, et la note), ou n'avaient même pas le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité de leur auteur, dans les termes de l'art. 1382, C. civ. A ce dernier point de vue, il convient de

autorisation écrite et signée par elle pour la remise des fonds à lui effectuée pour son compte, que Rigaut n'avait pas dans la charge une situation lui permettant d'engager ses patrons; que, dès lors, et par suite de ces constatations, la dame Deray ne saurait invoquer contre Gadala le fait que Rigaut a parfois usé, pour se faire remettre les fonds qu'il a détournés, de papier de la charge, portant au-dessus de sa signature la griffe: « P. Po de Ch. Gadala », et cela d'autant moins qu'elle savait que ce papier était à la disposition des employés; Attendu, enfin, quantaux antécédents de Rigaut et à la faute reprochée de ce chef à Gadala, que les juges du fond ont pu estimer que Gadala n'était pas en faute pour n'avoir pas renvoyé Rigautà raison d'opérations de bourse pratiquées antérieurement par lui, et qui n'avaient pas un caractère délictueux; Attendu qu'il n'apparait pas qu'en statuant ainsi qu'elle a fait par les motifs ci-dessus rappelés, la Cour ait violé les textes de loi visés à l'appui du pourvoi; Rejette le pourvoi contre l'arrêt rendu le 11 mars 1911 par la Cour de Paris, etc.

Du 4 déc. 1912. - Ch. req. MM. Tanon, prés.; Lardenois, rapp.; Blondel, av. gén. (concl. conf.); de Ségogne, av.

CASS.-REQ. 22 avril 1912.

1° SUBROGATION, SUBROGATION LÉGALE, ACQUÉREUR D'IMMEUBLE, PRIX, EMPLOI, CRÉANCIERS INSCRITS, PAIEMENT, QUITTANCE (Rep., v Subrogation, n. 220 et s.; Pand. Rép., vo Privilèges et hypothèques, n. 6194 et s., 11143 et s.). 2o DÉPENS, AUTOGRAPHIES (Rép.. v° Depens, n. 2319 et s.; Pand. Rép., vo Frais et dépens, n. 854 et s.).

1o La seule condition imposée à l'acquéreur d'un immeuble, qui a employé le prix de son acquisition au paiement des créan ciers inscrits auxquels cet immeuble était hypothéqué, pour obtenir le bénéfice de la subrogation légale visée par l'art. 1251-2o, C. civ., est de justifier que son prix a été réellement employé à l'acquittement des créances privilégiées ou hypothécaires assises sur l'immeuble (4) (C. civ., 1251-2).

Spécialement, lorsque, d'une part, le versement par l'acquéreur, aux mains du notaire rédacteur de l'acte, d'une somme destinée à désintéresser les créanciers inscrits sur l'immeuble vendu, résulte d'une quittance mentionnée sur l'expédition de l'acte de vente à une date antérieure à celle des productions à l'ordre ouvert sur le prix de l'immeuble, et que, d'autre part,

remarquer que l'arrêt, par la formule qu'il a employée, paraît bien avoir entendu affirmer à nouveau le pouvoir de la Cour de cassation d'apprécier si les faits souverainement constatés par les juges du fond présentent les caractères juridiques de la faute. V. Cass. 28 févr. 1910 (S. et P. 1911.1.329; Pand. pér., 1911.1.329), la note de M. Appert, et les renvois. V. égal., la note sous Cass. 28 févr. 1912, précité.

(4) L'art. 1251-2o, C. civ., en déclarant que la subrogation a lieu de plein droit au profit de l'acquéreur d'un immeuble qui emploie le prix de

le notaire, qui, en sa qualité, avait mandat de recevoir le prix et d'en faire emploi, a adressé les fonds par lui reçus, le surlendemain de leur réception, à un créancier hypothécaire, qui lui en a adressé quittance et a donné mainlevée jusqu'à due concurrence, l'emploi des deniers étant ainsi justifié au moyen de la corrélation existant entre les deux quittances, c'est à bon droit que les juges du fond reconnaissent à l'acquéreur le bénéfice de la subrogation légale (1) (Id.).

2° Si la condamnation aux dépens ne comprend que les frais faits conformément à la loi, et si l'autographie du jugement et des conclusions ne saurait être comprise dans la taxe, il ne s'ensuit pas que les frais de cette autographie aient un caractère frustratoire; et ils peuvent être compris dans les dépens par les juges qui constatent que ces documents ont été produits pour l'intelligence de la cause (2) (C. proc., 130).

(Caillot et autres C. Parrot).

Dans l'ordre ouvert pour la distribution du prix d'un immeuble de Mme de Coulanges, M. Parrot, acquéreur dudit immeuble, qui avait versé aux mains du notaire rédacteur de l'acte de vente, Me Gérard, une somme de 7.000 fr., pour désintéresser le Crédit foncier du montant d'intérêts arriérés d'un prêt hypothécaire, a été colloqué au rang de l'hypo

son acquisition au paiement des créanciers auxquels l'immeuble est hypothéqué, ne prescrit aucune formalité pour la constatation de cet emploi. Il suffit qu'il soit justifié que le prix a été réellement employé conformément au vœu de la loi. V. Cass. 22 nov. 1893 (S. et P. 1894.1.337), et la note (n. I) de M. Dalmbert. Adde, Larombière, Théor. et prat. des oblig., t. 4, sur l'art. 1251, n. 19; Demolombe, Contr. ou oblig., t. 4, n. 539 et s.; Baudry-Lacantinerie et Barde, Oblig., 3o éd., t. 2, n. 1552, IV. Il en est ainsi, alors même que c'est par l'intermédiaire d'un mandataire que l'acquéreur a payé les créanciers hypothécaires. V. Cass. 22 nov. 1893, précité, la note de M. Dalmbert, et les renvois. Adde, Baudry-Lacantinerie et Barde, op. et loc. cit. L'acquéreur prouvera cet emploi conformément aux règles du droit commun. V. la note de M. Dalmbert sous Cass. 22 nov. 1893, précité; et Laurent, Princ. de dr. civ., t. 18, n. 94.

Dans l'espèce ci-dessus, le prix avait été versé par l'acquéreur au notaire, ayant, comme tel, qualité pour recevoir le prix et en faire emploi, et ce versement était constaté par une quittance dont mention avait été faite sur l'acte de vente, d'après les constatations de l'arrêt attaqué, avant la production à l'ordre de l'acquéreur en vertu de la subrogation; d'autre part, il était justifié de l'emploi par une quittance du créancier hypothécaire auquel le notaire avait envoyé les fonds, et qui, à la suite du paiement par lui reçu, avait donné mainlevée de son inscription; il y avait donc, pour employer les expressions mêmes de l'arrêt de Cass. 22 nov. 1893, précité, une corrélation étroite. entre les quittances, établissant que le prix versé par l'acquéreur avait été employé au paiement des créanciers inscrits.

Le pourvoi objectait que les quittances, n'ayant pas date certaine, ne pouvaient être opposées aux tiers, et spécialement aux créanciers hypothé

thèque du Crédit foncier, comme subrogé légalement à ses droits, en vertu de l'art. 1251-2o, C. civ. MM. Caillot et autres, colloqués à un rang subséquent, ont soulevé un contredit, en prétendant que, la quittance sous seing privé, délivrée par le Crédit foncier, n'ayant pas date certaine, conformément à l'art. 1328, C. civ., la subrogation légale ne pouvait être invoquée à leur encontre. Ce contredit a été écarté par un arrêt de la Cour de Nancy du 21 oct. 1911, qui a, en outre, décidé que les dépens seraient employés comme frais privilégiés d'ordre, en y comprenant les frais d'autographies du jugement et des conclusions des parties, produites pour l'intelligence de la cause

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POURVOI en cassation par MM. Caillot et autres. 1er Moyen. Violation des art. 1341, 1347 et 1328, C. civ.; violation, pour fausse application, de l'art. 1251-2o, C. civ., et violation de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a validé, au regard des créanciers hypothécaires contestants, un paiement subrogatif non prouvé par écrit ayant date certaine, et en ce qu'en statuant ainsi, il a rejeté, sans y donner de réponse, des conclusions prises à fin de constatation du défaut de date certaine dudit écrit.

2o Moyen. Violation, par fausse application, de l'art. 130, C. proc.; violation de

caires de rang subséquent qui contestaient la subrogation. La Cour de cassation, en ne faisant pas à cette objection d'autre réponse que de rappeler la constatation de l'arrêt attaqué, lequel portait que la mention sur l'expédition de l'acte de vente de la quittance délivrée par le notaire à l'acquéreur existait déjà lors des productions à l'ordre, paraît bien se ranger à l'opinion des auteurs qui enseignent que, si la prudence commande à l'acquéreur de faire enregistrer la quittance que lui délivre le créancier désintéressé (V. Demolombe, op. cit., t. 4, n. 542; Gauthier, Subrog, des personnes, n. 291), il n'est pas nécessaire que cette quittance ait date certaine. V. Larombière, op. et loc. cit.; Demolombe, op. et loc. cit. Mais la Cour de cassation s'est abstenue de se prononcer, comme elle y était conviée, sur le point de savoir si la règle de l'art. 1328, C. civ., s'applique aux quittances. V. dans le sens de la négative, les arrêts et autorités cités dans la note de M. Balleydier (n. IJI) sous Cass. 29 oct. 1890 (S. 1891.1.305. - P. 1891. 1.748), et dans la note sous Cass. 3 avril 1905 (S. et P. 1910.1.372; Pand. pér., 1910.1.372). (1) V. la note qui précède.

(2) La condamnation aux dépens ne peut s'appliquer qu'aux frais afférents à la contestation divisant les parties (V. Cass. 7 mai 1907, S. et P. 1909.1.151; Pand. pér., 1909.1.151, et les renvois); et par là il faut entendre, en principe, seulement les frais alloués par le tarif, c'est-à-dire les frais taxables. V. Garsonnet, Tr. de proc., 2e éd., par Cézar-Bru, t. 3, p. 675, § 1200; notre C. proc. annoté, par Tissier, Darras et Louiche-Desfontaines, sur l'art. 130, n. 230; et notre Rép. gén. du dr. fr., v Dépens, n. 2319; Pand. Rep., v° Frais et dépens, n. 854. Est-ce à dire que les juges ne puissent pas comprendre dans les dépens des frais qui, bien que non prévus au tarif, ont été utiles pour la solution du procès? Il semble bien que pareille condamnation ne puisse intervenir qu'à

l'art. 1031, C. proc., et de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a inclu dans la condamnation aux dépens des frais non taxables d'une mesure d'instruction non ordonnée et non déclarée nécessaire à l'intelligence de la cause.

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ARRÊT.

LA COUR; Sur le premier moyen : Attendu qu'aux termes de l'art. 1251, C. civ., la subrogation existe de plein droit au profit de l'acquéreur d'un immeuble qui à employé le prix de son acquisition au paiement des créanciers inscrits auxquels cet héritage était hypothéqué, et qu'en présence de cette disposition, la seule condition imposée à l'acquéreur pour obtenir le bénéfice de la subrogation est de justifier que son prix a été réellement employé à l'acquittement des créances privilégiées ou hypothécaires assises sur l'immeuble; Or, attendu que, de l'arrêt attaqué, il résulte en fait que Parrot, acquéreur de l'immeuble appartenant à la dame de Coulanges, a remis à Me Gérard, notaire, la somme de 7.000 fr., pour désintéresser le Crédit foncier du montant des intérêts arriérés qui lui étaient dus; que la quittance, mentionnée sur l'expédition du titre d'acquisition à la date du 8 févr. 1904, ne permet pas de douter de la réalité et de la sincérité de ce versement, et que cette mention existait lors la condition d'être assortie de motifs spéciaux, ce qui est la règle toutes les fois que les juges condamnent la partie perdante au paiement de frais qui ne rentrent pas normalement dans les dépens. V. not., Cass. 29 avril 1911 (S. et P. 1911.1.332; Pand. per., 1911.1.332); 22 avril 1912 (S. et P. 1912. 1.388; Pand. pér. 1912.1.388), et les renvois. Mais, cette réserve faite, il ne paraît pas nécessaire que la condamnation au paiement de ces frais accessoires, pour être régulière, soit prononcée à titre de dommages-intérêts, et après constatation d'une faute commise et d'un préjudice éprouvé, comme il a été décidé pour les droits d'enregistrement mis à la charge de la partie perdante (V. Cass. 29 avril 1911 et 22 avril 1912, précités), et un motif tiré de l'utilité de ces frais semble devoir suffire à justifier la condamnation. Tel était le cas dans l'espèce, où les juges du fond avaient compris dans les dépens l'autographie du jugement frappé d'appel et des conclusions, par le motif que les autographies avaient été produites pour l'intelligence de la cause. On ne peut qu'approuver cette solution, car il est désirable que les pièces essentielles soient placées sous les yeux des juges. V. dans le même sens, Lyon, 28 juin 1898 (Journ. des avoués, 1899, p. 361); Lyon, 1er août 1900 (Gaz. Pal., 1901.1. 347). V. égal., pour les frais des sacs dans lesquels il est d'usage, dans certaines Cours d'appel, d'enfermer les pièces de procédure, Cass. 6 mai 1867 (S. 1868.1.243.-P. 1868.613). Toutefois, ces solutions ne sont pas unanimement admises, et la plupart des auteurs enseignent que les frais non taxables ne peuvent être compris dans les dépens qu'à titre de dommages-intérêts. V. Bioche, Dict. de proc., vo Dépens, n. 4; Boitard, Colmet d'Aage et Glasson, Leç. de proc., t. 1, n. 274; Rodière, Cours de compét. et de proc., t. 1°, p. 277. Comp. Glasson, Précis de proc., 2° éd., par Tissier, t. 1, n. 511. V. au surplus, notre C. proc. annoté, par Tissier, Darras et Louiche-Desfontaines, sur l'art. 130, n. 246.

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