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défaut de contenance, en acceptant les clauses restrictives du cahier des charges;

Attendu qu'en effet, ces clauses étaient nettes, formelles et sans ambiguïté; que Bachelet et Beaumert les ont acceptées sans réserves; que, les parties étant d'accord sur la chose et sur le prix, la vente était, dès lors, parfaite; Attendu qu'il a toujours été de principe dans ce tribunal de veiller à ce que les conventions légalement formées et librement consenties fussent strictement et correctement exécutées; que la convention, la loyauté et la bonne foi doivent avant tout présider aux transactions commerciales; que c'est done avec la plus grande prudence qu'il faut accueillir toute demande tendant à revenir sur les conditions d'un contrat primitivement acceptées; qu'un tribunal de commerce ne saurait cependant rester sourd, quand on fait appel, pour baser une demande de ce genre, à des raisons de bonne foi et d'équité, et que ces raisons ne vont pas à l'encontre de la loi; - Attendu que les défendeurs, sans méconnaitre l'acceptation qu'ils ont donnée à toutes les clauses du cahier des charges, soutiennent avec juste raison que leur consentement a été surpris; qu'ils ont agi en toute confiance et en toute bonne foi en acceptant pour vraies les contenances indiquées lors de l'adjudication; qu'ils sont victimes. d'une erreur qui ne provient pas de leur fait, mais du fait de la marquise d'Aligre ou de ses préposés; que la chose à eux vendue avait un défaut caché; qu'ils en auraient donné un moindre prix, s'ils l'avaient connu; que la coupe de bois du Coudray leur a été vendue à l'hectare et non en bloc; que, d'ailleurs, sur les 30 lots de l'adjudication, un seul était à vendre en bloc, et les 29 autres étaient à vendre et ont été vendus à l'hectare; Attendu qu'il serait inéquitable, si toutefois l'arpentage fait par les soins de Bachelet et Beaumert est exact, de faire supporter par ces derniers les conséquences de l'erreur commise par les préposés de la marquise d'Aligre; que celle-ci ne saurait, pour écarter sa responsabilité, reprocher aux acheteurs de n'avoir pas apporté à la vérification de la chose vendue plus de soin qu'elle n'en avait mis elle-même; Attendu que, en dehors de la confiance prêtée par les acquéreurs aux promesses du cahier des charges, il est généralement facile pour les marchands de bois d'évaluer ou même de mesurer approximativement la contenance d'une coupe, quand la forme du bois est régulière, mais qu'il n'en va plus de même, lorsque, comme dans l'espèce, on se trouve en présence d'une superficie n'offrant pas moins de sept côtés, et que cette superficie est couverte de bois; Attendu qu'il est de toute évidence que la marquise d'Aligre n'a pas entendu spéculer sur une erreur; qu'en insérant une clause de non-garantie de mesure dans le cahier des charges de l'adjudication de ses coupes de bois, elle a seulement voulu éviter les futiles récriminations et les frais disproportionnés qu'elles entraîneraient, parce qu'un particulier ne saurait, en considérant surtout la valeur actuelle des bois taillis. admi

nistrer ses biens avec le même désintéressement que l'Etat. qui, par l'art. 47, C. forest., prévoit un réarpentage et un récolement de chaque vente dans les trois mois qui suivent la vidange des coupes, à moins, ce qui est probable, que cet article de loi ne soit lettre-morte dans la pratique, de même que la clause de non-garantie, banale par sa répétition, est devenue, pour ainsi dire, une clause de style; Attendu que, par les motifs qui précèdent, et quels que soient les termes généraux de l'art. 2 du cahier des charges, la marquise d'Aligre ne peut avoir la prétention de faire payer aux adjudicataires la valeur de choses qui n'ont jamais existé et qui n'ont pu leur être vendues; que, par conséquent, la demande de Bachelet et Beaumert en diminution de prix est recevable; Au fond; :...

Attendu qu'il ressort de tout ce qui précède qu'il y a contradiction formelle, d'une part, entre l'art. 2 du cahier des charges et les mentions inscrites sur les affiches remises aux acquéreurs, qui stipulent que l'on ne garantit pas la contenance, et, d'autre part, la mise en adjudication des coupes, qui est faite, non en bloc, mais à la mesure à raison de tant l'hectare; que le prix est ainsi basé et fixé selon la contenance indiquée au cahier des charges, à raison de tant l'hectare, et que, pour des raisons de bonne foi et d'équité, et alors que ces raisons ne vont pas à l'encontre de la loi, le tribunal ne saurait rester sourd et passer outre devant une différence de mesure d'un quart environ indiquée par les défendeurs; que cette erreur aussi importante peut être et est compréhensible pour un acquéreur qui se trouve en présence d'une surface n'offrant pas moins de sept côtés, et alors que cette superficie est couverte de bois; qu'ainsi, l'on ne saurait faire payer à des adjudicataires de bonne foi, alors qu'on leur vend à la mesure, une certaine quantité en moins, qui ne parait pas avoir existé et qui n'a pu leur être vendue; que l'on ne saurait davantage accepter l'expertise non contradictoire faite par les soins de Bachelet et Beaumert, en dehors de la marquise d'Aligre ou de ses préposés: que, dans ces conditions, une expertise s'impose, qu'il y a donc lieu d'y recourir; Par ces motifs, etc. ».

POURVOI en cassation par la marquise d'Aligre. Moyen unique. Violation des art. 1108, 110, 1131, 1134, 1382, 1617, 1619, 1641, 1642, 1643, C. civ., et de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que le jugement attaqué a fait droit à une demande en diminution de prix d'une coupe de bois pour différence de contenance entre la contenance indiquée et la contenance réelle, contrairement à la stipulation formelle de l'art. 2 du cahier des charges de l'adjudication, interdisant tout recours pour le surplus ou le moins de mesure qui pourrait exister entre la contenance indiquée et la contenance réelle, sans méconnaitre que cette clause était impérative et s'imposait aux parties qui l'avaient acceptée.

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nique moyen du pourvoi : - Vu l'art. 1134, C. civ.: Attendu qu'il est constaté par le jugement attaqué que le cahier des charges, fixant les conditions de la vente aux enchères publiques de coupes de bois appartenant à la dame d'Aligre, et dont les défendeurs se sont rendus adjudicataires, contient la clause suivante : « Il est expressément stipulé qu'il n'y aura aucun recours à exercer contre la dame d'Aligre, ni contre les adjudicataires, pour le surplus ou le moins de mesure qui pourrait exister entre la contenance réelle de chaque coupe et celle sus-indiquée; la différence, quelle qu'elle soit, fera le profit ou la perte des adjudicataires; et le taillis sera vendu tant plein que vide, c'est-à-dire que les adjudicataires ne pourront prétendre à aucune indemnité, ni diminution de prix, pour les places vides et pour l'emplacement des chemins, lignes, plants d'arbres verts et fossés »; - Attendu que, malgré cette clause, les défendeurs, prétendant qu'une différence de 3 hectares 11 ares existait entre la contenance réelle du bois et la contenance mentionnée au cahier des charges, ont soutenu qu'il devait leur être tenu compte du déficit, qui correspondait, d'après leur calcul, somme de 970 fr. 20, à déduire du prix d'adjudication; Attendu que les juges du fond, tout en reconnaissant que la clause ci-dessus rapportée était nette, formelle et sans ambiguïté, et qu'elle avait été acceptée sans réserves par les adjudicataires », ont, néanmoins, accueilli, en principe, leur réclamation, et ordonné une expertise à l'effet d'opérer les arpentages et mesurages nécessaires pour la détermination exacte du manquant; que, pour le décider ainsi, ils se sont fondés sur des raisons d'équité et sur cette considération que le vendeur n'a pas entendu spéculer sur une erreur qui est plutôt de son fait et de celui de ses préposés que du fait des acquéreurs; qu'ils arguent encore de la difficulté pour ces derniers, à raison de la configuration du bois, de se rendre compte de sa véritable contenance; - Mais attendu que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et qu'aucune considération d'équité ne saurait autoriser le juge à les modifier; Attendu que la clause du cahier des charges, dérogatoire à la règle de l'art. 1617, C. civ., n'avait rien d'illicite; que, n'étant contraire à aucune loi d'ordre public ni aux bonnes mœurs, et n'ayant pour objet que de régler des intérêts purement privés, que la loi laisse à la disposition des contractants, elle était obligatoire pour ceux qui l'avaient volontairement souscrite; Attendu, en outre, que les juges du fond ne constatent pas que cette convention ait été entachée de dol ou de fraude, ni même qu'elle ait été attaquée sous ce rapport; D'où il suit qu'en statuant ainsi qu'il l'a fait, et en refusant force de loi à la clause du cahier des charges, le jugement attaqué a violé l'article de loi susvisé; Casse, etc.

Du 19 mars 1913. MM. Baudouin, 1er prés.; Ruben de Couder, rapp.; Mérillon, av. gén. (concl. conf.); Coutard, av.

CASS.-REQ. 29 avril 1912.

1o, 3o ET 5o PRESCRIPTION, PRESCRIPTION TRENTENAIRE, CARACTERES, INTERRUPTION, CAUSES, ENUMÉRATION LIMITATIVE, REPRISE D'INSTANCE, ASSIGNATION EN CONSTITUTION DE NOUVEL AVOUE, JUGEMENT INTERLOCUTOIRE, APPEL, FIN DE NON-RECEVOIR, ACTION EN REVENDICATION, PROPRIÉTÉ (DROIT DE), NON-USAGE (Rép., v Prescription [mat. civ.], n. 1393; Pand. Rép., v Prescription civile, n. 1656 et s.).

2o ET 4o APPEL EN MATIÈRE CIVILE, PRESCRIPTION TRENTENAIRE, JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE, SIGNIFICATION (DEFAUT DE), CONTRAT JUDICIAIRE (Rép., vo Appel [mat. civ.], n. 2100 et s., 2105; Pand. Rép., v° Appel civil, n. 2981, 4022 et s.).

1° La prescription de trente ans est géné rale; elle s'applique à tous les droits et à toutes les actions (1) (C. civ., 2262).

20 Cette prescription peut, dès lors, être

(1 à 9) I. Il est constant que le droit de propriété ne se perd pas par le non-usage, et que l'action en revendication, qui n'est que la mise en œuvre de ce droit, ne peut disparaître autrement que par la prescription acquisitive de la propriété. V. la note de M. Naquet sous Cass. 27 févr. 1905 (S. et P. 1906.1.505); et Cass. 12 juill. 1905 (S. et P. 1907.1.273, avec la note de M. Wahl; Pand. pér., 1905.1.388).

Mais, de ce que l'action en revendication est soustraite à la prescription extinctive de l'art. 2262, C. civ., s'ensuit-il que le droit de faire appel du jugement qui statue sur cette action (a) puisse s'exercer, lorsqu'il s'est écoulé trente ans depuis la prononciation du jugement (6)?

Notre arrêt décide qu'il n'y a pas de corrélation entre les deux idées. Le droit d'appel est, d'après lui, un droit nouveau, naissant du contrat judiciaire qui s'est formé entre les parties par l'effet de l'instance liée entre elles, droit essentiellement distinct de celui qui fait l'objet de l'action, et qui tombe sous le coup de la prescription extinctive, applicable à toutes les actions autres que la revendication.

Une première remarque à faire, avant de discuter le principe, c'est que l'arrêt ci-dessus paraît être en contradiction sur un point important avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. Sans faire état d'un arrêt du 8 avril 1829 (S. et P. chr.), aux termes duquel la prescription trentenaire ne peut commencer à courir tant qu'il n'y a pas eu signification du jugement, plusieurs arrêts ont décidé expressément que la prescription du droit d'interjeter appel est subordonnée à la circonstance que la décision attaquée ait été exécutée. V. Cass. 11 nov. 1809 (S. et P. chr.); 12 nov. 1832 (S. 1833.1.396. P. chr.), et la note au Sirey; Bourges, 18 mai 1859 (S. 1860.2. 335. P. 1860.144). V. égal., en ce qui concerne la prescription du droit de se pourvoir en cassation, Cass 31 mars 1869 (S. 1869.1.320. P. 1869.790). Et, précisément, dans l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt que nous commentons, il n'y avait eu aucun commencement d'exécution; il n'y avait même eu aucun jugement sur le fond, mais seulement un interlocutoire ordonnant une descente sur les lieux, à laquelle, d'ailleurs, il n'avait pas été procédé.

(a) La même question peut se poser pour le pourvoi

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invoquée contre celui qui reprend, par voie d'appel, une instance interrompue pendant trente années (2) (C. civ., 2262; C. proc., 443 et s.).

Il n'importe que le jugement contre lequel l'appel est dirigé n'ait pas été signifié (3) (Id.).

3o Si la péremption d'instance, qui cons titue une prescription spéciale soumise à des règles particulières, peut se couvrir par des actes valables faits par l'une ou par l'autre des parties avant qu'elle soit demandée, il n'en est pas de même de la prescription de trente ans, qui n'admet d'autres causes d'interruption que celles spécifiées aux art. 2244 et s., C. civ. (4) (C. civ., 2244 et s., 2262).

Par suite, la reprise d'instance n'étant pas au nombre des actes spécifiés auxdits articles, dont l'énumération est limitative, une assignation en constitution de nouvel avoué n'interrompt pas la prescription (5) (Id.).

Nous ne voulons pas nous arrêter longuement à discuter ce point de vue, en présence de la thèse adicale consacrée aujourd'hui. Nous nous bornons à avouer que nous ne voyons pas bien pour quel motif, si on admet que l'action en revendication a fait place à une action ordinaire dès que l'instance est liée, on exigerait l'exécution du jugement pour faire courir les délais de la prescription de droit commun. Certains arrêts ont d'ailleurs envisagé l'exécution, non pas comme une condition essentielle, mais seulement comme un motif surabondant pour admettre la prescription du droit d'appel. V. Cass. 15 nov. 1832 (S. 1832.1.821. P. chr.); Pau, 18 janv. 1871 (S. 1871.2,200. P. 1871.650); Paris, 11 nov. 1896 (S. et P. 1897.2.72; Pand. pér., 1897.2.288).

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Sans insister plus longtemps à ce sujet, examinons la doctrine de la Cour de cassation dans son principe même.

D'après cette doctrine, l'instance liée entre les parties engendre un contrat judiciaire, d'où naît un droit nouveau, qui vient se substituer au droit de propriété.

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Nous ferons remarquer, avant d'entrer dans la discussion, qu'ici encore, et bien plus gravement, notre arrêt contredit ouvertement la jurisprudence antérieure de la Cour suprême. Cette Cour a décidé, en effet, dans une suite d'arrêts, que le jugement qui statue sur une créance, loin d'éteindre cette créance, ne fait que la confirmer et la corroborer. V. Cass. 26 avril 1880 (S. 1881.1.152. P. 1881.1.365); 25 août 1880 (S. 1881.1.109. P. 1881.1.245); 7 janv. 1885 (S. 1885.1.152. P. 1885.1.370); Bordeaux, 11 juill. 1898 (S. et P. 1899.2.206). N'est-il pas évident que ce qui est vrai d'un droit de créance est vrai, par identité de motifs, de tout autre droit; et, d'autre part, si le jugement qui statue sur une demande laisse subsister le droit primitif, comment la seule instance liée aurait-elle pour effet de le détruire?

Nous reviendrons sur ce point en nous occupant de l'effet des jugements, mais ce que nous devons d'ores et déjà affirmer, c'est que, si la théorie des arrêts précités est exacte, elle emporte, par un a fortiori invincible, la condamnation de la solution donnée par l'arrêt ci-dessus.

Abstraction faite de cet argument jurispru dentiel, examinons s'il est possible d'admettre

(b) Nous supposons un jugement non signifié, car, s'il y a eu signification, les délais d'appel expirent dans les

L'interruption civile de la prescription ne peut d'ailleurs être invoquée que par la partie qui a agi (6) (C. civ., 2242 et s.).

4o Le droit de déférer, par la voie de l'appel, un jugement à la juridiction supérieure constitue un droit nouveau, qui naît du contrat judiciaire qui s'est formé entre les parties par l'effet de l'instance liée entre elles, et est essentiellement distinct de celui qui fait l'objet de l'action (7) (C. proc., 443 et s.).

5 En conséquence, l'arrêt, qui déclare irrecevable, comme atteint par la prescription trentenaire, l'appel interjeté contre un jugement interlocutoire rendu dans une instance en revendication, ne méconnait pas le principe que le droit de propriété ne se perd pas par simple non-usage (8) (C. civ., 2262; C. proc., 443 et s.).

En effet, cet arrêt ne juge ni expressément ni implicitement que les droits de propriété, objet de l'action, soient euxmemes prescrits (9) (Id.).

que l'instance liée engendre un contrat judiciaire d'où naît un droit nouveau.

C'est, à notre avis, doublement inexact. Tout d'abord, le contrat judiciaire est un mythe, une création arbitraire procédant d'une tradition mal comprise. En outre, et à supposer l'existence de ce contrat, il n'en résulterait nullement qu'il produisit l'extinction du droit du demandeur et la naissance d'un droit nouveau.

Un contrat implique nécessairement un concours de deux volontés. Or, le prétendu contrat judiciaire est exclusif de la volonté libre des parties, car, si le demandeur saisit le tribunal, c'est qu'il n'y a pas d'autre moyen pour lui d'obtenir satisfaction, et, si le défendeur comparaît et conteste, c'est qu'il n'y a pas pour lui d'autre moyen de défendre ses droits.

A Rome, il est vrai, à l'époque classique, les jurisconsultes assimilaient les obligations résuitant de la litis contestatio (la litis contestatio se produisait au moment de la délivrance de la formule) à des obligations contractuelles in judicio contrahimus, disait Ulpien (L. 3, 11, Dig., liv. 15, tit. 1); lites contractas, avait dit avant lui Cicéron (De leg., III, 3).

Mais cela tenait à une particularité de la procédure formulaire. La délivrance de la formule par le magistrat ne pouvant être effectuée que du consentement du défendeur, il y avait un concours de volontés, sinon libre, du moins apparent, qui justifiait, dans une certaine mesure, le rapprochement fait entre les obligations naissant de la litis contestatio et les obligations naissant d'un contrat ou d'un quasi-contrat. Comme, d'autre part, sous le système formulaire, toute condamnation devait être pécuniaire, encore que le droit déduit en justice fût un droit réel mobilier ou immobilier, la litis contestatio changeait, dans bien des cas, l'objet même du droit. Il y avait un effet analogue à celui de la novation. Non pas une novation proprement dite, cela a été surabon. damment démontré dans la belle étude de M. Gide (Rev. de legis. fr. et étr., 1870-1871; adde, Accarias, Précis de dr. rom., 4° éd., t. 2, n. 770), mais une transformation du droit primitif, rappelant l'effet extinctif et créateur de la novation.

L'idée de contrat judiciaire aurait dû disparaître lorsque la procédure extraordinaire fut géné deux mois qui suivent (C. proc., 443).

I PART. 21

(Comm. de Santo-Pietro-di-Tenda et de San-Gavino-di-Tenda C. Comm. d'Urtaca).

En 1859, les communes de Santo-Pietrodi-Tenda et de San-Gavino-di-Tenda ont

ralisée, et vint se substituer à la procédure formulaire. A partir de ce changement, en effet, la litis contestatio, qui avait lieu au moment où l'affaire venait d'être exposée contradictoirement et avant les plaidoiries (L. 14, 2 1, Code, liv. 3, tit. 1), n'éteint plus le droit en vertu duquel les parties agissent (Accarias, op. cit., t. 2, n. 785), de sorte qu'il ne peut plus être question d'un changement opéré dans la nature du droit par la volonté des parties. Une raison encore qui devait faire renoncer à l'idée de contrat judiciaire, c'est que l'un des anciens effets de la litis contestatio, à savoir que l'action intentée devenait perpétuelle et transmissible aux héritiers, avait été attribué à la citation en justice (L. 1, Code, liv. 1, tit. 20). Mais, bien que la théorie du contrat judiciaire n'eût plus de raison d'être sous cette nouvelle législation. — parce que la litis contestatio avait cessé de transformer le droit du demandeur et n'avait d'autre résultat juridique que d'imposer aux parties l'obligation légale de suivre l'instance et d'exécuter le jugement, elle resta, par la vertu de la tradition, flottante dans les textes. C'est pour la même raison qu'on la retrouve dans les écrits de quelques-uns de nos anciens jurisconsultes. V. not., Ricard, Tr. des don. et des test., 3° part., n. 704

et s.

Mais la vérité se fit jour cependant dans l'esprit de la majorité de nos anciens auteurs. Pothier déclare qu'il ne dira rien de la novation qui résultait er litis contestatione, les principes du droit romain n'étant plus d'usage parmi nous » (Oblig., n. 584, éd. Bugnet, t. 2, p. 310). Merlin écrit également qu'on n'a pas songé à appliquer les principes de la novation judiciaire à nos mœurs (Rép., vo Novation, § 1er, p. 627). Et comment, en effet, voir dans la contestation en cause, telle qu'elle existait dans notre ancien droit, un contrat judiciaire? On qualifiait, à cette époque, de contestation en cause l'instant de la procédure où il intervenait un réglement judiciaire, appointement (a) on jugement interlocutoire (Ordonn. de 1667, tit. 14, art. 13). En quoi, nous le demandons, un règlement du juge pourrait-il faire présumer une convention?

Y a-t-il dans la procédure moderne un acte analogue à la litis contestatio des Romains, à la contestation en cause de l'ancien droit?

M. Valabrègue écrit à ce sujet, dans une étude fort intéressante publiée dans la Revue critique, 1879, p. 540 : « Malgré tout notre bon vouloir, il nous est impossible de découvrir dans notre législation un acte correspondant à la litis contestatio des Romains, à la contestation en cause de l'ancien droit. Dans ses observations sur l'art. 118, C. proc., la Cour de cassation avait demandé, il est vrai, à introduire dans notre droit un acte de cette nature. Elle avait présenté le projet suivant : " Il y a contestation en cause, et le juge peut se prononcer sur le fond du différend, lorsque

(a) L'appointement était une sentence, par laquelle le tribunal ordonnait aux parties de communiquer leurs pièces et titres à un juge de l'audience, avec un exposé des moyens qu'elles en tiraient. On le qualifiait d'appointement en droit, quand le procès soulevait une question de droit, et d'appointement à mettre, quand il ne soulevait qu'une question de fait. V. Pothier, Proc. civ., n. 212 et s., éd. Bugnet, t. 10, p. 94.

(b) L'échange de conclusions sur le fond du droit rend aussi le droit litigieux (C. civ., 1700).

formé, contre la commune d'Urtaca, une demande en revendication, au sujet du bois de Chellinco, dont la propriété était depuis longtemps contestée entre elles. Un jugement du tribunal de Bastia, rendu le

le défendeur a donné ou pu donner ses exceptions péremptoires ou ses défenses. Mais ce projet n'a pas été accepté, et notre Code ne prononce pas même le mot contestation en cause.

Au reste, si, en faisant abstraction du sens traditionnel de la formule, ou peut dire que la cause est contestée lorsque le défendeur a pris des conclusions sur le fond, il serait tout à fait excessif de soutenir que l'échange des conclusions produit d'antres effets que ceux qui découlent naturellement de la dénégation par le défendeur des prétentions du demandeur. Mais le seul effet normal de cette dénégation est de donner aux juges le droit de statuer contradictoirement, et de priver le défendeur d'invoquer les exceptions qui, n'étant pas d'ordre public, doivent être proposées in limine litis (b). L'échange forcé des conclusions, s'il marque la soumission des parties à la loi, s'il procède de l'obligation légale de suivre l'instance dans les formes établies, en vue d'amener la solution du litige, ne peut raisonnablement être interprété comme impliquant la volonté d'éteindre le droit exprimé en justice et de le remplacer par un droit nouveau. En l'absence de toute volonté à cet égard, il ne saurait y avoir un contrat de novation.

L'esprit de nos lois est de donner à la demande en justice l'effet de conserver (par l'interruption de la prescription) ou d'augmenter (en faisant courir les intérêts) le droit du demandeur. Ce serait en violation de cet esprit qu'on pourrait admettre qu'elle diminue ce droit. C'est pourtant ce qui se produirait, s'il y avait novation, puisqu'alors, le droit primitif, supposé non susceptible de prescription extinctive, tel le droit de propriété, le deviendrait du jour de l'échange des conclusions, qui n'est que la suite nécessaire de la demande.

Il nous apparaît donc manifeste que la mise en état, que la liaison de l'instance, est impuissante à muer une action en revendication en une action de nature différente, soumise à la prescription de l'art. 2262.

Si la mise en état ne peut produire cet effet, qu'en est-il du jugement sur le fond du procès ? Bien que notre arrêt ne statue pas sur ce point, il nous semble utile néanmoins de l'examiner.

Les jugements engendrent certaines conséquences découlant de textes positifs. Ils attribuent au créancier une hypothèque judiciaire (O. civ., 2123), ils emportent force exécutoire (C. proc., 547), ils rendent prescriptibles par trente ans les actions qui, auparavant, étaient prescriptibles par un moindre temps (c).

Mais, de ce que les jugements engendrent une hypothèque, emportent force exécutoire, prolonlongent les délais de la prescription, faut-il en déduire qu'ils opèrent une novation ne laissant rien subsister des relations juridiques ayant existé jusqu'alors?

(c) C'est là ce qui nous paraît dériver de l'art. 189, C. comm. Cet article dispose que toutes actions relatives aux lettres de change et aux billets à ordre commerciaux se prescrivent par cinq ans, s'il n'y a eu de condamnation. Si donc il y a eu condamnation, on retombe dans le droit commun de la prescription trentenaire. V. Lyon-Caen et Renault, Tr. de dr. comm., 4 éd., t. 4. n. 436. Et, comme il n'y a aucun motif d'étendre les délais de la prescription en matière de lettres de change et de billets à ordre, il faut voir dans ce texte l'application d'un principe général.

23 mars 1863, a ordonné un transport sur les lieux. Mais ce jugement n'a été ni signifié ni exécuté, et, pendant vingt ans, la procédure est demeurée en l'état. En 1883, la commune d'Urtaca a assigné en reprise

Ce serait une véritable hérésie. Les jugements sont en principe déclaratifs et non attributifs de droits; s'ils déclarent des droits préexistants, ils ne créent pas de droits nouveaux; et, comme l'extinction du droit ancien et la naissance du droit nouveau sont l'âme de toute novation, il ne saurait y avoir de novation là où cet effet ne se produit pas.

Au reste, plus encore pour les jugements que pour la demande en justice, il serait contraire à l'équité et à la volonté du législateur d'admettre qu'un jugement peut affaiblir et diminuer les droits qu'il consacre.

Certains auteurs ont cependant, en s'inspirant des principes du droit romain classique, soutenu que les jugements entraînent une novation judiciaire. Mais cette transformation des rapports de droit qui avaient jusqu'alors uni les parties est, même au point de vue du droit romain, une idée factice et arbitraire, qui ne repose sur aucun principe et ne correspond à aucune réalité. Il n'y a dans les textes du Code aucun indice qu'on ait voulu se l'approprier. Tout ce qui en reste, c'est qu'une fois le débiteur condamné, l'action du créancier ne se prescrit plus que par trente ans, eut-elle été soumise auparavant à une prescription plus courte.

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Cette opinion a été d'ailleurs formellement condamnée par la Cour de cassation dans les arrêts déjà cités de 1880 et 1885. Attendu, porte l'arrêt du 26 avril 1880, qu'il est certain qu'un jugement ou une transaction qui reconnaît l'existence d'une créance antérieure, loin d'éteindre cette créance, ne fait pas autre chose que la confirmer et la corroborer ». L'arrêt du 25 août 1880, précité, décide, par application du même principe, que le jugement, qui statue sur une action ayant un caractère commercial, ne change pas le caractère de cette action. Attendu, lit-on dans l'arrêt du 7 janv. 1885, précité, que le jugement, rendu à l'occasion d'un billet à ordre ayant un caractère commercial, n'a point changé le caractère commercial de l'obligation qu'il constatait, puisqu'un jugement ne crée point les droits, mais seulement les déclare et les rend efficaces ». Adde, les anteurs cités sous cet arrêt.

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Inutile d'ajouter que, si un jugement ne change pas le caractère commercial d'une action, il ne peut changer son caractère imprescriptible. La jurisprudence des arrêts de 1880 et 1885 est donc en contradiction évidente, nous le répétons, avec celle de notre arrêt. Quand un tribunal statue en matière de propriété, l'action judicati, qui résulte de sa sentence, n'est pas autre chose que l'action en revendication fortifiée par un titre nouveau, et le droit d'appel, qui consiste dans le droit de porter cette même action devant les juges du second degré, conserve sa nature intrinsèque et reste soustrait à la prescription de l'art. 2262; si, en effet, les jugements sont prescriptibles par trente ans,

V. Cass. 6 déc. 1852 (S. 1853.1.253. P. 1854.1.223); Aubry et Rau, 5 éd., t. 2, p. 528-529, § 215, texte et note 81; Guillouard, Prescript., t. 1er, n. 291; BaudryLacantinerie et Tissier, Prescript., 3o éd., n. 552; Glasson, Précis de proc., 2o éd., par Tissier, t. 1o, n. 577: Garsonnet, Tr. de proc., 2o éd., par Cézar-Bru, t. 3. p. 528, § 1121; et notre Rep. gén, du dr. fr., vo Jugement et arrêt (mat, civ, et comm.), n. 2954; Pand. Rep., vo Prescription cicile, n. 1698.

d'instance et en constitution de nouvel avoué les communes demanderesses, pour lesquelles un nouvel avoué s'est constitué. Puis il y a eu une nouvelle interruption de l'instance. Enfin, à la suite de la vente d'une coupe, faite par la commune d'Urtaca, les communes de Santo-Pietro-diTenda et de San-Gavino-di-Tenda ont, à la date du 12 mars 1909, interjeté appel du jugement du 23 mars 1863. Sur cet appel, la Cour de Bastia a rendu, le 23 janv. 1911, un arrêt ainsi conçu: - La Cour;...

Sur l'irrecevabilité de l'appel, moyen pris de ce que, plus de trente ans s'étant écoulés depuis le prononcé du jugement entrepris, le droit d'appeler se trouve prescrit: Attendu que le droit d'appeler d'une décision judiciaire donne naissance à une action devant la juridiction supérieure à toute personne qui se croit lésée par cette décision; que cette action, rentrant dans les termes de l'art. 2262, C. civ., se prescrit par trente ans, suivant le droit commun; Attendu que, le droit d'appel prenant naissance dans le grief qu'une décision de justice a causé à une personne, il s'agit bien pour elle d'un droit nouveau;

ce n'est qu'à l'égard des droits susceptibles de prescription, et le droit de propriété ne l'est

pas.

II. Ceci nous amène à examiner une question secondaire soulevée par le pourvoi. Le pourvoi admettait, contrairement à l'avis que nous avons exposé, la prescription trentenaire de l'action en revendication, quand cette action a abouti à un jugement. Mais il prétendait que le point de départ de la prescription trentenaire est, non pas le jour de la prononciation du jugement, mais celui de sa signification. Il disait dans ce sens la signification du jugement est nécessaire pour établir la connaissance légale de la décision judiciaire. Jusque-là, cette décision est comme non avenue : paria sunt non esse et non significari.

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Cette idée avait été primitivement adoptée par la Cour suprême, sinon en matière d'appel, du moins quant au pourvoi en cassation. V. Cass. 8 avril 1829, précité. Attendu, porte cet arrêt, que la prescription du droit de se pourvoir en cassation de la sentence attaquée n'a pu commencer à courir contre les demandeurs que du jour où ils ont eu connaissance légale de cette sen

tence".

Mais elle a été abandonnée ensuite (V. Cass. 31 mars 1869, précité. V. aussi, Cass. 16 janv. 1837, S. 1837.1.105. P. 1837.1.255), et elle devait l'être. D'une part, en effet, la prescription trentenaire n'est nullement subordonnée à la connaissance, par le titulaire du droit, qu'il est possesseur de ce droit; et, d'autre part, on ne voit pas quel pourrait être le rôle de la prescription, si elle avait pour point de départ la signification du jugement, puisque, à compter de cette signification, il suffit d'un délai de deux mois pour que l'appel soit déclaré irrecevable. L'adage paria sunt non esse et non significari veut dire, non point que les jugements non siguifiés sont juridiquement inexistants, mais simplement qu'ils ne peuvent être exécutés avant une signification préalable. V. le rapport de M. le conseiller Feuilloley, reproduit ci-dessus.

Nous comprenons fort bien que le point de départ du délai de la prescription ne coïncide pas avec le prononcé du jugement, parce que la partie

que, si cette personne reste trente ans sans exercer ce droit, sans faire aucun acte valable interruptif de prescription, ce droit se trouve prescrit, et aussi l'action pour le faire valoir; Attendu que, dans l'espèce, bien que s'agissant d'un jugement interlocutoire non signifié, le droit d'appeler doit être déclaré prescrit, les communes appelantes étant restées dans la plus complète inaction pendant quarante-six ans, du 23 mars 1863 au 12 mars 1909, alors qu'elles avaient la faculté de se porter parties diligentes; que c'est en vain qu'elles invoquent comme constituant un acte d'interruption civile, aux termes de l'art. 2244, C. civ., l'assignation en constitution de nouvel avoué du 22 déc. 1883, cet acte ayant été signifié par la commune intimée, et ne pouvant, partant, lui nuire, en vertu du principe général en procédure que nul ne se forclòt lui-même; -Attendu que, le droit d'appeler étant indépendant de l'instance elle-même, il n'y a pas lieu à application des dispositions de loi qui régissent la péremption; -Par ces motifs ; Dit que le

droit d'appeler est prescrit;-Déclare, en conséquence, l'appel non recevable, etc. ».

:

condamnée ne peut, d'après l'art. 449, C. proc., former appel qu'à l'expiration du délai de huitaine depuis le jugement rendu, et qu'il serait injuste de faire courir la prescription tant que le droit d'agir est paralysé contra non valentem agere non currit præscriptio. Mais, du jour où ce droit peut être librement exercé, il n'y a aucun motif pour retarder le commencement du délai de prescription; or, l'exercice du droit d'appel est indépendant de la signification du jugement (V. Cass. 18 oct. 1899, S. et P. 1899.1.488; Pand. per., 1900.1.72, et les renvois); il n'est assujetti qu'au délai de huitaine de l'art. 449.

III. Les actes interruptifs de la péremption d'instance pourraient-ils être considérés comme interruptifs de la prescription trentenaire de l'instance et du droit d'appel?

C'était la thèse du pourvoi; il disait la prescription de l'instance et du droit d'appel n'est qu'une péremption longi temporis, qui obéit aux règles de la péremption quant aux actes susceptibles de l'interrompre.

L'argument était de tous points inadmissible. Tout d'abord, le droit d'appel est distinct de l'instance, puisque son exercice a pour effet de créer une nouvelle instance devant les juges du second degré. Donc, si même la prescription trentenaire de l'instance était interrompue par les actes susceptibles d'interrompre la péremption de l'instance, il n'en résulterait, en aucune façon, que ces actes fussent de nature à interrompre la prescription du droit d'appel. En second lieu, si la péremption peut être considérée comme une prescription, c'est certainement une prescription spéciale, obéissant à des règles propres, qui ne sauraient être étendues à la prescription ordinaire (V. Cass. 6 juill. 1852, S. 1853.1.185.-P. 1853.1.489); et la prescription trentenaire de l'instance est une prescription, et non une péremption longi temporis.

IV. Maintenant, quel était, dans l'espèce du litige, l'effet de la perte du droit d'appel contre le jugement interlocutoire qui avait ordonné un transport sur les lieux.

En admettant, par hypothèse et contrairement à notre opinion, que l'action en revendication soit

POURVOI en cassation par les communes de Santo-Pietro-di-Tenda et San-Gavino-diTenda. 1er Moyen. Fausse application de l'art. 2262, C. civ., en ce que l'arrêt attaqué a déclaré prescrite une action judiciaire ayant pour objet la reconnaissance d'un droit de propriété essentiellement imprescriptible.

2e Moyen. Violation des art. 413, 444, 451, C. proc.: fausse application des art. 2241 et 2262, C. civ., 399, C. proc., en ce que l'arrêt attaqué a déclaré prescrit le droit d'appeler d'un jugement interlocutoire qui n'avait pas été signifié ni exécuté, et cela, bien que l'appel eut été formé dans les trente ans qui ont suivi le dernier acte de la procédure.

30 Moyen. Violation, par fausse application, de l'art. 399, C. proc., et de la règle que nul ne se forclot soi-même, en ce que l'arrêt attaqué a décidé qu'un acte valable de procédure, signifié à la requête de la partie defenderesse, était inopérant pour couvrir la péremption de l'instance.

M. le conseiller Feuilloley a présenté, dans cette affaire, les observations suivantes :

prescriptible par trente ans, quand elle a été introduite devant les tribunaux et a donné lieu à un échange de conclusions sur le fond, devrait-on admettre que l'action des communes demanderesses était prescrite par ce fait que l'instance avait été interrompue pendant trente ans? Lesdites communes ne pourraient-elles pas, tout en s'inclinant devant l'autorité de la chose jugée par la sentence interlocutoire, ouvrir une nouvelle instance sur le fond?

P.

Il semble difficile de leur contester ce droit. Sans examiner la question, aujourd'hui résolue, de savoir si une instance est soumise à la prescription trentenaire de l'art. 2262, C. civ. (Cfr. sur ce point, Cass. 6 mai 1856, S. 1856.1.887. 1857.899; Merlin, Rép., vo Péremption, sect. I. § 2, n. 6; Laurent, Princ. de dr. civ., t. 32, n. 375; Aubry et Rau, 5° éd., t. 2. p. 508, § 215, texte et note 14; Marcadé, Prescript., sur l'art. 2262, n. III; Guillouard, op. cit., t. 2, n. 599 et s.; Baudry-Lacantinerie et Tissier, op. cit., n. 596; Valabrègue, Rev. crit., 1879, p. 555 et s.; notre Rep. gen. du dr. fr., vo Prescription, n. 601; Pand. Rép., y Prescription civile, n. 736. V. aussi, Cass. 25 nov. 1895, S. et P. 1899.1.502, et la note), il semble bien que la prescription de l'instance doit avoir un effet tout aussi radical que la péremption, et qu'elle efface, anéantit rétroactivement tous les actes de la procédure (Cfr. art. 2217. C. civ.). Si donc la prescription de l'action en revendication ne devient possible qu'en raison de la mise en état qui s'est produite après qu'elle a été formée, elle cesse nécessairement d'être applicable dès l'instant que cette partie de la procédure est comme non avenue. La Cour de cassation nous dit que le fait de l'instance liée engendre, par l'effet d'un contrat judiciaire, un droit nouveau, lequel, à la différence de l'action en revendication, tombe sous le coup de la prescription extinctive de l'art. 2262 C'est, à notre avis, une idée fausse, mais, si c'était exact, il faudrait nécessairement admettre que, le contrat judiciaire disparaissant avec l'instance qui l'avait produit, le droit ancien revit, et l'action en revendication reprend son caractère imprescriptible.

E. NAQUET.

1er Moyen. S'il était vrai que l'arrêt attaqué, en déclarant que le droit d'appeler d'un jugement était éteint par non-usage de l'exercice de ce droit pendant trente années, eût jugé explicitement ou même implicitement que le droit d'exercer l'action en reconnaissance du droit de propriété lui-même était également prescrit, et que, par suite, les communes demanderesses étaient déchues du droit de revendiquer la propriété des bois de Chellinco contre la commune d'Urtaca, le grief du pourvoi serait certainement fondé. Il est, en effet, constant que la propriété ne se perd pas par le simple non-usage, et que l'action en revendication peut être exercée aussi longtemps que le droit de propriété lui-même n'a pas été perdu par une possession contraire, réunissant les caractères exigés pour la prescription acquisitive (V. Cass. 12 juill. 1905, S. et P. 1907.1.273; Pand. pér.. 1905.1.388, avec le rapport de M. le conseiller Potier). C'est ce qu'explique fort bien M. Garsonnet (Tr. de proc., 2e éd., par Cézar-Bru, t. 6, $ 2551), qui, en quelques mots, résume très exactement le droit et la doctrine sur la matière : « Les actions se prescrivent, dit-il, toutes les fois qu'elles n'ont pas pour objet des droits imprescriptibles. Or, ce que l'arrêt attaqué a déclaré prescrit, ce n'est ni le droit de propriété, ni l'exercice de l'action en revendication, qui sont l'un et l'autre imprescriptibles, c'est uniquement le droit d'appel, c'est-à-dire celui que le Code de procédure confère au plaideur, à qui un jugement fait grief, de le déférer à la juridiction supérieure. Dans l'espèce, le droit né du contrat judiciaire, formé en 1863 entre les parties litigantes, et non exercé pendant plus de trente ans, est déclaré éteint, mais le droit civil de propriété, objet du litige, est demeuré intact. Le grief, fondé sur le premier moyen, manque donc en fait.

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La difficulté que soulève la cause actuelle est, au contraire, très exactement posée dans les deuxième et troisième moyens, celui-ci subsidiaire, que nous allons examiner successivement.

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2o Moyen. Au soutien du deuxième moyen, qui fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir admis que la prescription du droit d'appeler d'un jugement interlocutoire avait pu courir, bien que le jugement n'eût pas été signifié, le mémoire ampliatif fait observer tout d'abord qu'il ne s'agit pas de savoir si, à défaut d'avoir été exercés pendant trente années, les droits résultant d'un jugement sont prescrits, mais si le droit d'appel, c'est-à-dire celui de déférer le jugement à la juridiction supėrieure, est éteint par la prescription. Il n'en saurait être ainsi, poursuit le mémoire, par la raison que la prescription du droit d'appel ne peut, comme l'exercice de ce droit lui-même, courir que du jour de la signification du jugement (C. proc., 443); que c'est, en effet, ce jour-là seulement que la partie signifiée en a eu la connaissance légale, conformément à la règle : Paria sunt non esse et non significari L'honorable auteur du mémoire invoque en ce sens un arrêt de votre chambre civile du 8 avril 1829 (S. et P. chr.), dont nous croyons devoir placer sous vos yeux, non le simple résumé, mais le texte même. Il s'agissait alors, non d'un appel, mais de la recevabilité d'un pourvoi en cassation formé contre une déci sion remontant à plus de trente ans, qui n'avait pas été signifiée à l'auteur du pourvoi. Attendu que, par la même raison (absence de. signification), l'art. 2262, C. civ., ne peut servir de fondement à cette exception (exception d'irrecevabilité), parce que la prescription du droit de se pourvoir en cassation de la sentence attaquée n'a pu courir contre les demandeurs que du jour où

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ils ont eu connaissance légale de cette sentence ». La doctrine de cet arrêt, sur laquelle d'ailleurs votre chambre civile est revenue dans deux arrêts de 1837 et de 1869, que nous citerons plus loin, ne nous paraît pas pouvoir être acceptée. Nous ne saurions, en effet, reconnaître à l'art. 443, C. proc., en ce qui concerne l'exercice du droit d'appel, la portée que lui attribue le pourvoi. L'adage. Paria sunt non esse et non significari ne veut pas dire que les jugements non signifiés sont inexistants : il n'a pas un sens aussi général. Il veut dire simplement qu'un jugement prononcé, fût-il contradictoire, ne peut pas être ramené à exécution par la voie parée tant qu'il n'a pas été signifié; c'est la signification seule qui le porte légalement à la connaissance de la partie signifiée, et la met en demeure de l'exécuter, sous la menace légale de l'exécution forcée. Mais la partie qui a succombé n'est pas tenue d'attendre cette signification pour exécuter le jugement. Le jugement a donc une existence légale par cela seul qu'il a été rendu. Quant à la disposition de l'art. 443. C. proc., elle n'est que l'application des règles de l'exécution forcée au droit d'appel, dont l'exercice a pour effet de mettre obstacle à cette exécution jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel. C'est pourquoi la signification, qui seule rend le jugement susceptible d'exécution forcée, fait seule courir le délai de l'appel, qui est l'obstacle légal à cette exécution. Mais la signification n'est pas le préliminaire juridique indispensable de l'exercice du droit d'appel. De même que la partie qui a succombé n'est pas tenue d'attendre la signification pour exécuter le jugement, de même il lui est loisible, sous la réserve du délai de huitaine de l'art. 449, C. proc., destiné à empêcher les appels ab irato, de devancer cette signification et de former son appel avant que les délais de l'art. 443 aient commencé à courir.

Mais les règles de la signification et de l'exécution forcée des jugements sont absolument étrangères à la matière de la prescription, laquelle court par cela seul que le droit, objet de la prescription, a pu être exercé par la partie contre laquelle la prescription est invoquée. C'est là un principe fondamental. Le cours de la prescription commence avec la naissance du droit ou de l'action (V. Laurent, Princ. de dr. civ., t. 32, n. 16). Or, le droit d'appeler prend naissance avec le jugement lui-même. Si l'exercice en est suspendu pendant la huitaine du prononcé du jugement (art. 449, C. proc.), il ne l'est point, passé ce délai, par l'inaction de la partie adverse et l'absence de signification. La règle : « Contra non valentem agere... » ne saurait donc empêcher la prescription de courir en ce qui concerne le droit d'appeler d'un jugement qui n'a pas été signifié.

Telle est la doctrine enseignée par la très grande majorité des auteurs. Marcadé (Prescript., sur l'art. 2262, n. III) s'exprime ainsi : Les instances, en outre et à défaut de la courte prescription qui leur est propre (la péremption), sont aussi soumises à la prescription générale de l'art. 2262. La loi, quand elle dit toutes actions, entend toutes les réclamations qu'on peut faire, tous les droits qu'on peut vouloir exercer; elle veut dire que rien ne peut échapper à la prescription trentenaire... ». Comprendrait-on, ajoute l'auteur, raisonnant par l'absurde, et reprenant une expression de Dumoulin, comprendrait-on qu'il fût loisible, etiam post mille annos, à l'héritier d'un plaideur de se raviser, et de venir dire que l'instance n'est pas éteinte, et que, malgré les mille ans, la prescription n'est pas acquise »? Laurent (op. cit., t. 32, n. 100) dit également : Tout droit s'éteint par le laps de trente ans; donc, s'il y a discontinua

tion de poursuites pendant trente ans, l'instance sera éteinte ». Telle est également l'opinion de MM. Aubry et Rau: « L'instance, ou plutôt l'effet du contrat judiciaire formé entre les parties, se prescrit, indépendamment de toute demande en péremption, par trente ans » (5 éd., t. 2, p. 508, 215, note 14). L'extinction, par l'effet de la prescription de droit commun, de l'action, dont l'instance n'est que l'instrument, selon une expression que j'emprunte à des conclusions de M. le premier avocat général Laplagne-Barris sous Cass. 16 janv. 1837 (S. 1837.1.105), emporte nécessairement l'extinction du droit d'appel, qui n'est lui-même qu'un des moyens d'exercer l'action.

« Il nous reste à placer sous vos yeux les principaux documents de la jurisprudence, qui, pour trancher la question, envisagent le droit d'appel, tantôt comme un droit nouveau et distinct de l'action principale, susceptible, comme tel, d'une prescription spéciale, tantôt, au contraire, comme ut droit inclus dans l'instance même, et qui ne saurait lui survivre, lorsqu'elle est éteinte par la prescription. Mais, quel que soit le point de vue auquel on se place, le résultat demeure le même, et la règle de la matière peut se formuler en ces termes : le droit d'appeler d'un jugement, qui n'a pas été signifié, se prescrit, comme toute autre action, par trente ans. Attendu, dit un arrêt de votre chambre civile du 12 nov. 1832 (S. 1833.1.396. - P. chr.), que la faculté d'appeler d'un jugement constitue un droit nouveau et distinct de l'action principale....; d'où il suit qu'en décidant qu'un appel, émis le 22 juill. 1829, d'un jugement du 28 mars 1793, n'était plus recevable, la Cour de Nancy n'a violé aucune loi ». Les arrêts suivants appliquent la prescription trentenaire, non seulement au droit d'appel, mais aux instances discontinuées pendant plus de trente ans. - Cass. civ. 23 nov. 1831 (S. 1832.1.67.-P. chr.): « Attendu qu'indépendamment de la péremption, qui est une sorte de prescription particulière aux instances, les actes de procédure restent soumis à la loi générale de la prescription trentenaire, qui fait cesser tous les droits, toutes les actions; d'où il résulte qu'alors même que la péremption n'a pas été déclarée, cette prescription peut être opposée à une assignation en reprise d'instance, s'il s'est écoulé plus de trente ans depuis le dernier acte de la procédure - Même décision, Cass. req. 6 mai 1856 (S. 1856.1.887.P. 1857.899): « Attendu, en droit, qu'aux termes de l'art. 2262, C. civ., la prescription de trente ans s'applique à toutes les actions, tant réelles que personnelles, ce qui embrasse les actions ayant pour objet de reprendre et de poursuivre une instance interrompue, comme toutes les autres actions; que, si la péremption, qui constitue une prescription spéciale soumise à des règles particulières, peut se couvrir par des actes valables faits avant qu'elle soit demandée, et si, par conséquent, elle doit être demandée et ne peut pas être opposée par voie d'exception, il n'en est pas de même de la prescription de trente ans, qui est générale, qui s'applique à tous les droits et à toutes les actions, et qui, dès lors, peut être invoquée contre celui qui veut reprendre une instance laissée impoursuivie pendant trente ans, comme elle pourrait être opposée à toute autre action ».

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Nous avons cité plus haut un arrêt de 1829, qui a jugé, par application de la règle : « Contra non valentem agere... », que la prescription trentenaire ne s'appliquait pas au droit de se pourvoir en cassation, et nous vous avons dit que nous ne pouvions approuver cette décision. Votre chambre civile est, avec infiniment de raison, revenue sur cette jurisprudence. Un arrêt du 16 janv. 1837 (S.

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