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mes réclamées, par le motif que, si Deffrennes a commis un manquement grave dans l'exercice de ses fonctions, Thuillier n'avait qu'à le prévenir ou le congédier, en lui payant son temps de prévenance, mais qu'il ne pouvait le congédier sans le régler; que la perte de son emploi était déjà pour Deffrennes une peine suffisante ».

M. Thuillier a interjeté appel de ce jugement. Devant le tribunal civil de Lille, l'appelant a soutenu de nouveau qu'il avait eu le droit de renvoyer son employé sans préavis et sans indemnité, à raison des manquements graves que ce dernier avait commis dans l'exercice de son emploi, et, au cas où le tribunal ne se trouverait pas suffisamment éclairé sur l'existence de ces manquements, il a demandé subsidiairement à être autorisé à prouver tant par titres que par témoins: 1° que, le 26 mars 1912, M. Deffrennes, à qui ce travail incombait, avait négligé d'établir les bons de livraison de toute une série d'expéditions sur Paris; 2o que, le 27 mars, vers une heure et demie de l'après-midi, M. Deffrennes avait quitté l'atelier, emportant le bon de livraison qu'attendait un camion attelé et chargé; qu'il n'était rentré du cabaret, vis-à-vis de l'usine, qu'après une absence de plus de deux heures. 4 juin 1912, jugement du tribunal civil de Lille, qui infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Tourcoing, dans les termes suivants : « Le Tribunal; -- Au fond: Attendu qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à l'offre subsidiaire de preuve formulee par Thuillier, les faits articulés étant dès à présent reconnus par Deffrennes; tendu que ces faits sont suffisamment graves pour justifier de la part de Thuillier un renvoi immédiat, et ce, en raison de la nature des fonctions de surveillance qui étaient confiées à Deffrennes; - Par ces motifs; Réformant le jugement entrepris; Décharge Thuillier des condamnations prononcées contre lui, sous réserve du paiement par lui à Deffrennes de son salaire, s'élevant à la somme de 57 fr. 50, somme qui a été offerte avant l'audience, etc. ».

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POURVOI en cassation par M. Deffrennes. 1er Moyen. Violation de l'art. 141, C. proc., à raison de ce que la rédaction du jugement ne contiendrait pas l'exposé sommaire des points de fait et de droit.

2o Moyen. Violation des art. 1184 et 1780, C. civ., en ce que la résiliation ne serait pas justifiée, et que, dans tous les cas, elle aurait dû être demandée à la justice par le patron, qui ne pouvait pas l'imposer de

(1-2) Aux termes de l'art. 8, § 1o, de la loi du 9 avril 1898, le salaire qui servira de base à la fixation de l'indemnité allouée à l'ouvrier âgé de moins de seize ans ou de l'apprenti victime d'un accident ne sera pas inférieur au salaire le plus bas des ouvriers valides de la même catégorie occupés dans l'entreprise. La détermination du salaire de base de l'ouvrier de moins de seize ans ou de l'apprenti ne souffre pas difficulté, si les ouvriers valides de même catégorie sont occupés dans l'entreprise depuis douze mois; ce sera, conformément à l'art. 10, § 1er, de la loi du 9 avril 1898,

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sa propre autorité; et, en outre, violation de l'art. 1780, C. civ., par le motif qu'en admettant même qu'il y ait eu manquement, de la part de l'employé, à ses obligations, ce manquement pouvait bien justifier une rupture du contrat sans indemnité, mais non pas la suppression du délai de prévenance, qui devait être accordé ou payé; violation de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que le jugement ne serait pas suffisamment motivé, et ne permettrait pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle.

ARRÊT.

LA COUR; Statuant sur le moyen du pourvoi, tiré de l'art. 141, C. proc. :- Attendu que les qualités du jugement attaqué contiennent la mention des noms, professions et demeures des parties; qu'elles reproduisent les conclusions des parties, dans lesquelles se trouvent nettement indiquées les questions sur lesquelles le tribunal était appelé à se prononcer; que le point de droit à juger, les faits qui ont donné naissance au litige et les prétentions respectives des parties sont exposés de la manière la plus complète; que, notamment, les manquements graves, reprochés par Thuillier à Deftrennes dans l'accomplissement des charges de son emploi, sont précisés dans une offre de preuve que le tribunal a rejetée comme inutile, les faits étant reconnus par Deffrennes; qu'ainsi, ce moyen manque en fait;

Sur le moyen tiré de la violation des art. 1184, 1780, C. civ., et de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810:-Attendu que, des qualités du jugement attaqué, il résulte que Deffrennes a été engagé par le sieur Thuillier, fondeur, comme pointeau, aux appointements de 150 fr. par mois, etque, d'après les usages locaux, le patron ne pouvait mettre fin au contrat de louage qu'après préavis d'un mois, ou, à défaut, moyennant paiement du mois en cours et d'un mois en sus, à titre d'indemdemnité de prévenance; Attendu que, pour justifier le congédiement immédiat de Deffrennes par Thuillier, sans paiement d'autres gages que ceux courus lors du renvoi, et sans indemnité de prévenance, le jugement attaqué s'est fondé sur deux faits dont la gravité lui parait suffisante, vu surtout la nature des fonctions de surveillance confiées à Deffrennes : 1° le nonétablissement par celui-ci, le 26 mars 1912, de bons de livraison portant sur toute une série d'expéditions pour Paris, d'un poids de 3.500 kil., et d'une valeur de 1.487 fr. 08; ces bons n'ayant pu être établis que le lendemain, après le départ de l'employé;

la rémunération effective reçue par ces ouvriers, soit en argent, soit en nature, pendant les douze mois qui ont précédé l'accident. Mais, en dehors de cette hypothèse, comment calculer le salaire de base du mineur de seize ans et de l'apprenti? On pourrait être tenté de soutenir que l'on doit appliquer toutes les règles que l'art. 10 a établies pour la détermination du salaire de base de l'onvrier adulte; mais il suffit de se reporter aux dispositions de cet article, autres que celles qui visent la situation de l'ouvrier adulte ayant travaillé douze mois dans l'entreprise, pour se rendre

2o l'absence, pendant plus de deux heures, le 27 mars suivant, de Deffrennes, quittant l'usine, et emportant avec lui le bon de livraison pour aller au cabaret d'en face, immobilisant ainsi un camion attelé et chargé, obligé d'attendre son retour; Attendu qu'en statuant ainsi, le jugement attaqué a motivé sa décision, et n'a violé aucun des textes de loi invoqués par le pourvoi; Attendu, en effet, que si, en principe, le patron, qui renvoie son employé, même pour un motif légitime, est tenu d'observer les délais de prévenance fixés par l'usage ou la convention, il en est autrement, lorsque la faute de l'employé présente, comme dans l'espèce, un caractère particulier de gravité; que, dans ce cas, le patron a le droit de le congédier immé diatement et sans délai de prévenance, et sans avoir à lui payer aucune indemnité; qu'il ne lui doit d'autre somme que les salaires en cours, proportionnellement au nombre des journées de travail écoulées jusqu'à son renvoi; Rejette, etc. Du 6 août 1912. Ch. civ. MM. Baudouin, ler prés.; Ruben de Couder, rapp.; Mérillon, av. gén. (concl. conf.).

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CASS.-Civ. 16 mai 1911.

OUVRIER, ACCIDENTS DU TRAVAIL, RESPONSABILITÉ, LOI DU 9 AVRIL 1898, MINEURS DE SEIZE ANS, APPRENTIS, INCAPACITÉ PERMANENTE, SALAIRE DE BASE, OUVRIERS VALIDES DE MÊME CATÉGORIE, CHOMAGE, GRÈVE (Rép., v Responsabilité civile, n. 2170 et s., 2191 et s.; Pand. Rép., v° Travail, n. 2527 et s., 2578 et s.).

Le salaire des ouvriers valides de la même catégorie occupés dans l'entreprise, qui doit servir de base à la fixation de l'indemnité due à un ouvrier mineur de seize ans, victime d'un accident du travail, est le salaire le plus bas qui eût été alloué à ces ouvriers, s'ils eussent régulièrement travaillé pendant les douze mois qui ont précédé l'accident (1) (L. 9 avril 1898, art. 8).

Dès lors, doit être cassé l'arrêt, qui, pour fixer la rente à laquelle a droit un ouvrier mineur de seize ans, atteint d'une incapacité permanente partielle, prend pour salaire de base le « salaire annuel d'un ouvrier adulte dans le même établissement, en tenant compte des chômages occasionnés par des grèves, ces chômages devant rester sans influence sur la détermination légale du salaire de base de l'ouvrier mineur de seize ans (2) (Id.).

compte des difficultés à peu près insurmontables auxquelles on se heurterait. En effet, si les • onvriers valides de même catégorie, ou quelquesuns d'entre eux, n'ont pas été employés pendant douze mois dans l'entreprise, il faudra, pour ceux-là, ajouter à la rémunération effective qu'ils ont reçue depuis leur entrée dans l'entreprise, la rémunération qu'ils auraient pu recevoir pendant la période de travail nécessaire pour compléter les douze mois, d'après la rémunération moyenne des ouvriers de la même catégorie pendant ladite période (L. 9 avril 1898, art. 10, § 2, modifié

(Kerkaert C. Drieux et fils).

M. Kerkaert, agissant au nom de son fils mineur, victime d'un accident du travail, s'est pourvu en cassation contre un arrêt de la Cour de Douai du 17 févr. 1908. 1er Moyen. Violation des art. 8 et 10, 1er et 2, de la loi du 9 avril 1898, modifiée par la loi du 31 mars 1905, et de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, pour manque de base légale, en ce que, pour déterminer le salaire devant servir de base à la fixation de la rente due au fils de l'exposant, l'arrêt attaqué s'est borné à déclarer que le salaire annuel d'un ouvrier valide de la même catégorie doit être fixé à 536 fr., en tenant compte des chômages occasionnés par des grèves, sans spécifier si ce salaire annuel avait été évalué d'après le 1er ou d'après le § 2 de l'art. 10 de la loi précitée, et alors qu'il résulte d'ailleurs des constatations des juges du fond que c'est le 1er qu'ils ont entendu à tort appliquer.

20 Moyen. Violation des art. 8 et 10, 4, de la loi du 9 avril 1898, modifiée par la loi du 31 mars 1905, et de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que l'arrêt attaqué, en tenant compte des chômages occasionnés par des grèves, n'a pas visé le salaire moyen qui eût correspondu à ces chômages, et en ce qu'il n'a déterminé ni le chiffre de ce salaire moyen ni le mode de calcul qu'il a employé.

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Le seul énoncé de ces règles permet d'entrevoir à combien de calculs il faudrait se livrer, quelles moyennes, reposant parfois sur des données incertaines ou peu précises, il faudrait établir, pour les appliquer intégralement à la fixation du salaire de base du mineur de seize ans ou de l'apprenti. Cela n'a pas été et n'a pu être l'intention du législateur, lorsqu'il a formulé la disposition de l'art. 8; ce serait faire dire à cet article autre chose que ce qu'il a dit et a entendu dire que d'en faire sortir que toutes les règles de l'art. 10 devraient être appliquées, lorsqu'il s'agit de déterminer le salaire de base du mineur ou de l'apprenti. La loi n'a formellement exprimé qu'une chose, c'est que l'on devait prendre pour base le salaire des ouvriers valides de même catégorie; elle n'a pas dit que, pour faire ce calcul, on appliquerait nécessairement toutes les dispositions de l'art. 10, qui visent des hypothèses exceptionnelles. Il est logique d'appliquer la disposition du 1, parce qu'elle pose la règle normale; mais, si l'une des conditions nécessaires pour son application, le travail consécutif pendant douze mois, fait défaut, il faut supposer son existence, et prendre pour salaire de base le

un ouvrier mineur de seize ans, victime d'un accident du travail, est le salaire le plus bas qui eût été alloué à ces ouvriers, s'ils eussent régulièrement travaillé pendant les douze mois qui ont précédé l'accident; Attendu que l'arrêt attaqué constate qu'Emile Kerkaert, ouvrier mineur de seize ans chez Drieux et fils, a été victime d'un accident du travail, qui l'a laissé atteint d'incapacité permanente; qu'il fixe à 536 fr. le salaire qui doit servir de base à la fixation de la rente qui lui sera allouée, salaire annuel d'un ouvrier adulte dans le même établissement, en tenant compte des chômages occasionnés par des grèves; Mais attendu qu'il n'y avait pas à tenir compte de ces chômages, sans influence sur la détermination légale du salaire de base d'un ouvrier mineur de seize ans; d'où il suit qu'en statuant comme il l'a fait, l'arrêt attaqué a violé l'article susvisé; - Casse, etc.

Du 16 mai 1911. — Ch. civ. MM. BallotBeaupré, le prés.; Reynaud, rapp.; Lombard, av. gén. (concl. conf.); Passez, av.

CASS.-REQ. 30 avril 1912.

DOL ET FRAUDE, FAITS CONSTITUTIFS, OFFRE DE PREUVE, APPRECIATION SOUVERAINE, POUVOIR DU JUGE (Rép., vis Fraude, n. 20, Preuve testimoniale, n. 237, 414; Pand. Rép., vis Cassation civile, n. 1088 et s., Preuve, n. 140 et s.).

Il appartient aux juges du fond d'appré cier le caractère des faits allégués comme constitutifs de la fraude, comme aussi de décider s'il y a lieu d'en ordonner la preuve; et leur appréciation à cet égard

salaire que les ouvriers valides de même catégorie auraient gagné, s'ils avaient travaillé pendant douze mois. C'est la solution que donne la Cour de cassation dans l'arrêt ci-dessus, et elle doit être approuvée, parce qu'elle fournit de l'art. 8 une interprétation à la fois conforme à ses termes et à l'équité, et qu'elle n'applique l'art. 10 que dans la mesure où son application est compatible avec la disposition de l'art. 8.

De cette règle, la Cour de cassation a tiré très justement la conséquence que, lorsque les ouvriers de même catégorie n'ont pas travaillé douze mois dans l'entreprise, parce qu'ils ont fait grève, il n'y a pas lieu, dans la détermination du salaire de base de l'ouvrier mineur de seize ans, de tenir compte des chômages occasionnés par la grève. C'est la pure et simple application de la solution de principe donnée par la Cour de cassation; le salaire de base de l'ouvrier mineur ou de l'apprenti doit être calculé comme si les ouvriers avaient travaillé douze mois, sans faire grève. Il n'y a donc pas à rechercher quelle influence le chômage occasionné par des grèves peut avoir sur la détermination du salaire de base de l'ouvrier victime d'accident, question qui était discutée avant la loi du 31 mars 1905 (V. Cass. 4 mai 1904, S. et P. 1906.1.497, et la note de M. Wahl), et qui, dans l'opinion admise par la Cour de cassation, et d'aprés laquelle le temps de grève ne peut entrer en compte pour compléter la période de douze mois de travail avant l'accident, dans les termes de l'art. 10, § 1er, de la loi du 9 avril 1898 (V. Cass.

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LA COUR; Sur le moyen unique du pourvoi, pris de la violation des art. 893 et s., 1304, 1315, 1341, 1348, 1353, 1421 et 1422, C. civ., et fausse application des art. 1582 et s., du même Code; violation des art. 254, C. proc., et 7 de la loi du 20 avril 1810; manque de base légale : — Attendu qu'il est déclaré par le jugement du tribunal de Saint-Etienne du 29 juin 1908, dont les motifs ont été adoptés par l'arrêt attaqué, que la dame veuve Brujon n'a pas fait la preuve que la vente de deux immeubles de communauté, consentie au cours du mariage par le sieur Brujon à la demoiselle Brujon et à la demoiselle Chenet, et la revente opérée par celle-ci à la demoiselle Brujon, étaient simulées et constituaient une donation déguisée; Attendu qu'il appartenait aux juges du fond d'apprécier le caractère des faits allégués comme constitutifs de la fraude, et aussi s'il y avait lieu d'en ordonner la preuve que leur appréciation à cet égard n'est pas soumise au contrôle de la Cour de cassation; Attendu que l'arrêt entrepris, dùment motivé, répond aux différents chefs de conclusions prises par la demanderesse; qu'il n'a, par suite, violé aucun des textes de loi visés au moyen; Rejette le pourvoi formé contre l'arrét rendu le 14 janv. 1910 par la Cour de Lyon, etc. Du 30 avril 1912. Ch. req. MM. Tanon, prés.; Malepeyre, rapp.; Blondel, av. gén. (concl. conf.); Aguillon, av.

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4 mai 1904, précité. Mais V. la note de M. Wahl sous cet arrêt), doit recevoir la même solution depuis la loi de 1905, cette loi (paragraphe final ajouté à l'art. 10 de la loi de 1908) ne prescrivant de faire état du salaire moyen correspondant aux chômages de l'ouvrier que lorsque l'ouvrier a chômé exceptionnellement pour des causes indépendantes de sa volonté, ce qui exclut les chômages volontaires, tels que la grève. V. en ce sens, Sachet, Tr. de la législ. sur les acc. du trav., 5o éd., t. 1er, n. 357 et s. Comp. la note précitée de M. Wahl (n. III, in fine).

(1) C'est un point certain que la constatation et l'appréciation des faits constitutifs de la fraude rentrent dans les attributions souveraines des juges du fond. V. Cass. 11 mai 1887 (S. 1887.1.456. P. 1887.1.1133); 3 avril 1889 (S. 1890.1.209. P. 1890.1.508); 31 déc. 1901 (S. et P. 1902.1.399); 9 nov. 1910 (S. et P. 1911.1.88; Pand. pér., 1911. 1.88); 16 nov. 1910 (1er arrêt) (S. et P. 1912.1.100; Pand. pér., 1912.1.100), et les renvois; notre C. civ. annoté, par Fuzier-Herman et Darras, sur l'art. 1116, n. 32 et s. ; et notre Rép. gén. du dr. fr., v° Fraude, n. 20; Pand. Rép, v° Cassation civile, n. 1088.

C'est également aux juges du fond qu'il appartient d'apprécier souverainement s'il y a lieu d'autoriser la preuve par témoins des faits allégués par une partie. V. Cass. 27 mars 1901 (S. et P. 1901. 1.228); 5 juin 1905 (S. et P. 1905.1.504), et les renvois. Adde, notre C. civ. annoté, par FuzierHerman et Darras sur l'art. 1315, n. 31 et s.; notre Rép. gen. du dr. fr., vo Preuve testimoniale, n. 237, 414; Pand. Rep., vo Preuve, n. 140 et s.

CASS.-REQ. 19 avril 1910.

ENREGISTREMENT, TESTAMENT, LEGS, RAPPORT A SUCCESSION, PARTAGE TESTAMENTAIRE, PRESCRIPTION BIENNALE, POINT DE DÉPART, CONDITION SUSPENSIVE, RÉALISATION, APPORT EN SOCIÉTÉ, PARTAGE EN JUSTICE (Rép., vo Partage d'ascendant, n. 981 et s.; Pand. Rép., vo Donations et testaments, n. 13708 et s.).

Lorsqu'un testateur a manifesté sa volonté de faire passer les exploitations industrielles et commerciales qui dépendaient de sa succession dans le lot de ceux de ses héritiers qu'il estimait plus aptes à les diriger; que, d'après les déclarations des juges du fond, cette disposition n'a pas été faite par préciput et hors part, les bénéficiaires ayant eu à rapporter à la masse l'équivalent de ce qu'ils recevaient, les juges du fond, qui avaient, de même que la Régie, le devoir de restituer à l'acte son véritable caractère, quels que fussent les termes employés par le testateur, ont pu décider que

(1 à 5) L'arrêt ci-dessus mérite d'attirer l'attention, car, d'une part, la distinction entre le partage testamentaire et le legs présente, en droit civil comme en droit fiscal, une très grande importance; d'autre part, la solution consacrée par la Cour de cassation ne tend à rien moins qu'à nier l'existence du legs fait à charge de rapport, en confondant ce legs avec le partage testamentaire.

En droit civil, le partage testamentaire, prévu par les art. 1075 et s., C. civ., présente divers caractères spéciaux. Son but, comme celui de la donation par partage anticipé, est de régler, par un acte émanant de l'ascendant, la répartition des biens héréditaires entre les descendants, afin d'éviter toutes difficultés entre eux, d'échapper, quand il y a des mineurs, aux frais d'un partage judiciaire, de confier les exploitations commencées par le défunt aux descendants les plus aptes à les continuer, etc. Aussi, d'après les auteurs les plus récents, l'efficacité du partage d'ascendant est subordonnée à l'acceptation de tous les descendants qui y sont mentionnés; on a fait remarquer avec raison que, s'il en était autrement, le partage testamentaire pourrait faire naître les difficultés que le défunt a voulu éviter. V. Laurent, Princ. de dr. civ., t. 15, n. 55; Huc, Comment. du C. civ., t. 6, p. 556, n. 431; Baudry-Lacantinerie et Colin, Tr. des don, et test., 3o éd., t. 2, n. 3542. V. cep. en sens contraire, Demolombe, Tr. des don. et test., t. 6, n. 99; Colmet de Santerre (contin. de A.-M. Demante), Cours anal. de C. civ., t. 4, n. 243 bis II. S'il résulte de l'art. 1077, C. civ., que le partage testamentaire, comme le partage anticipé, peut ne pas comprendre tous les biens du défunt, et que les biens omis donnent lieu simplement, après le décès, à un partage supplémentaire, il est indispensable que le partage soit fait entre tous les descendants (C. civ., 1078). Entre les cohéritiers, le partage testamentaire produit les effets d'un partage fait entre eux après décès. Ils ont, pour la garantie des lots et pour les soultes, le privilège du copartageant (V. Demolombe, op. cit., t. 6, n. 116; Laurent, op. cit., t. 15, n. 83; Baudry-Lacantinerie et Colin, op. cit., t. 2, n. 3644); chacun d'eux, en cas d'éviction, peut invoquer l'art. 884, C. civ. V. Demolombe, op. cit., t. 6, n. 115; Laurent, op. cit., t. 15, n. 85; Baudry-Lacantinerie et Colin, op. cit., t. 2, n. 3645. Ajoutons que le partage testaANNÉE 1913. 1er cah.

le testament contenait un partage testamentaire partiel, passible du droit proportionnel (1) (C. civ., 1075, 1076; LL. 28 févr. 1872, art. Ier; 28 avril 1893, art. 19).

Il importe peu que le testateur ait subordonné l'exécution de sa disposition à l'acceptation des deux héritiers qu'elle concernait, une semblable clause ne portant aucune alleinte à la réserve, et ne contrevenant à aucun principe d'ordre public (2) (Id.).

Si, aux termes de l'art. 61, n. 1, de la loi du 22 frim. an 7, il y a prescription pour la demande des droits après deux années à compter du jour de l'enregistrement, cette prescription, lorsqu'il s'agit d'une percep tion insuffisamment faite, n'est applicable que dans le cas où les droits pourraient être réclamés au vu des actes présentés (3) (L. 22 frim. an 7, art. 61, n. 1).

Spécialement, lorsque ni le testament, portant partage anticipe au profit de deux héritiers, d'ailleurs sous une condition suspensive (l'acceptation simultanée des deux bénéficiaires), ni l'acte par lequel ceux-ci ont apporté à une société par eux

mentaire est rescindable, comme le partage entre vifs, pour lésion de plus du quart (C. civ., 1079). Aucune de ces solutions n'est exacte pour le legs: il peut être fait, bien entendu, un seul ou à quelques-uns des descendants; il peut n'être accepté, s'il est fait à plusieurs, que par l'un ou quelques-uns d'entre eux (C. civ., 1044 et 1045), et, n'étant pas un partage, il ne donne lieu, ni au privilège du copartageant, ni à la garantie, ni à la rescision pour cause de lésion.

En droit fiscal, les enfants, qu'ils soient légataires copartagés ou héritiers, payent le même droit de succession. Mais, tandis que le testament est soumis à un simple droit d'enregistrement de 7 fr. 50 (LL. 22 frim. an 7, art. 68, § 3, n. 5; 28 avril 1816, art. 45, n. 4; 28 févr. 1872, art. 4), le partage testamentaire est, d'après l'opinión gẻnérale, passible du droit de partage. V. Cass. 27 juill. 1873 (S. 1873.1.478. P. 1873.1198); 8 juill. 1879 (S. 1880.1.177. - P. 1880.390), et les décisions indiquées plus loin. C'est une solution qui, en pratique, a depuis longtemps cessé d'être contestée, que la jurisprudence n'estime plus, par conséquent, nécessaire de démontrer, et qui n'a pas été non plus discutée dans l'espèce. En tout cas, les soultes, dans le partage testamentaire, sont passibles du droit de mutation (L. 18 mai 1850, art. 5). Or, le droit de partage est aujourd'hui de 20 cent. par 100 fr. (L. 22 avril 1905, art. 5), et le droit de mutation, toujours proportionnel, varie suivant la nature des droits sur lesquels porte la soulte.

Il est donc important de distinguer le partage testamentaire du legs.

Il va sans dire qu'il y a partage testamentaire sile testament attribue des biens à chaque enfant; en pareil cas, tous les enfants sont compris au partage; chacun d'eux est alloti. V. Cass. 23 juill. 1873, précité.

Il est certain que le testament contient également un partage testamentaire, s'il attribue tous les biens de la succession à certains enfants, à la charge de payer une soulte aux autres; dans ce cas encore, chacun des enfants est alloti. V. Trib. de la Roche-sur-Yon, 8 déc. 1856 (Rép. pér. de Garnier, n. 923); Trib. de Péronne, 12 mai 1858 (Journ. de l'enreg., n. 16766; Rép. pér. de Garnier, n. 1046); Trib. de Morlaix, 21 août 1860 (Journ. de l'enreg., n. 1722; Rép. pér., n. 1424);

constituée leurs attributions, à titre d'heritiers, de légataires ou de colicitants, dans les successions de leurs auteurs, ne pouvaient, par eux-mêmes, et indépendamment de toutes recherches ultérieures, servir de base à la perception des droits proportionnels de partage et de soulte qui ont été réclamés par la suite, la prescription biennale n'a pu courir à partir de l'enregis trement de ces actes (4) (Id.).

Au surplus, si le partage testamentaire ne portait que sur une partie de la succession, de sorte qu'aux termes de l'art. 1077, C. civ., les biens en dehors de cette disposition devaient être partagés conformément à la loi, et si la présence d'un héritier mineur entrainait un partage en justice, c'est seulement à partir du partage définitif qu'il a été possible à la Régie de liquider et de percevoir les droits ; et, le jugement d'homologation étant devenu en réalité le titre sur lequel la perception devait s'effectuer, la prescription biennale n'est acquise que deux ans après l'enregistrement de ce jugement (5) (Id.).

Trib. d'Yvetot, 23 avril 1863 (Journ. de l'enreg., n. 15702); Trib. de Corbeil, 21 janv. 1864 (Ibid., n. 17789); Trib. de Nice, 25 nov. 1867 (Journ. de l'enreg., n. 18503; Rép. pér., n. 2781).

Un arrêt (V. Cass. 8 juill. 1879, précité) a vu également un partage testamentaire dans le testament léguant tous les immeubles de la succession à l'un des descendants, à charge de rapport, dans une espèce où l'actif de la succession, ainsi qu'il résulte du rapport de M. le conseiller Dareste, ne comprenait que des immeubles. La solution, ici, devient plus douteuse; le legs à charge de rapport est formellement distingué par la loi du partage testamentaire, puisque, suivant l'ancien art. 843, C. civ., tout legs était soumis à rapport en dehors d'une dispense formelle, et qu'aujourd'hui encore (L. 24 mars 1898), il peut y être assujetti par la volonté du défunt; il n'y a pas à cet égard de distinction entre les legs universels et les autres. V. Baudry-Lacantinerie et Wahl, Tr. des succ., 3° éd., t. 3, n. 2744. D'autre part, tous les enfants ne sont pas allotis; par conséquent, le partage ne répond pas aux conditions fixées par l'art. 1078, C. civ. En troisième lieu, il paraît impossible d'accorder, en cas de legs fait à l'un des enfants à charge de rapport, l'action en rescision aux autres enfants pour cause de lésion de plus du quart; car l'action en rescision suppose une lésion résultant du partage; par conséquent, le legs fait à charge de rapport, et qui ne fait d'attribution qu'à l'un des descendants, contiendrait nécessairement, si on le considère comme un partage, une lésion pour les autres, et ces derniers pourraient ainsi faire toujours réduire les droits concédés à leur cohéritier, ce qui serait contraire à l'art. 843. Enfin, si l'on considère qu'il y a, dans les cas de ce genre, partage testamentaire, il faut admettre que son efficacité est subordonnée au consentement de tous les enfants, ce qui est fort singulier, un seul d'entre eux ayant été alloti. Il faut ajouter que ces diverses entraves à la volonté du disposant paraissent fort étranges; elles le sont d'autant plus qu'elles ne sauraient être admises en cas de legs fait, par un testateur mort sans enfants, à l'un de ses héritiers; l'acte ne peut alors, en effet, être qualifié de partage testamentaire, puisque le partage testamentaire n'est autorisé par le Code civil qu'entre les enfants.

Il est remarquable que, quand une donation est
I PART.

6

(Dubosc C. Enregistrement).

Le 23 oct. 1908, le tribunal civil du Havre a rendu le jugement suivant :

faite par un ascendant à un seul de ses enfants, l'acte est considéré sans difficulté comme n'étant pas un partage anticipé, bien que les donations soient, en l'absence d'une clause formelle, sujettes à rapport. Et cela a été jugé pour le cas où cet enfant est donataire en vue d'une égalisation de droits avec les autres enfants donataires antétérieurs (V. Trib. de la Seine, 23 janv. 1838, Journ. de l'enreg., n. 11966; Trib. de Péronne, 11 juill. 1845, Journ. de l'enreg., n. 13787; Trib. de SaintOmer, 23 mai 1847, Ibid., n. 14319), à moins que la donation ne puisse être alors considérée comme une sorte de pacte de famille, de contrat de revision en quelque sorte, constatant l'allotissement de chacun. V. Cass. 9 août 1837 (S. 1837.1.674. - P. 1837.2. 156). Et il est de toute évidence, en effet, que la donation faite à un seul enfant n'est pas un partage anticipé; on ne voit pas dès lors pourquoi le legs fait à un seul enfant serait regardé comme un partage testamentaire, étant donné que, suivant le Code civil, il existe, entre le partage anticipé et le partage testamentaire, une seule différence, c'est que le premier est fait entre vifs et le second par testament. Il est vrai que l'intérêt de la Régie est tout autre, en matière d'actes entrevifs, qu'en matière d'actes testamentaires. Si le testament contenant un legs est soumis à des droits moins élevés que le testament contenant un partage, la donation ordinaire est frappée de droits plus considérables que la donation par partage anticipé. En ligne directe, la donation entre vifs payait autrefois un droit de 2,50 p. 100 (LL. 22 frim. an 7, art. 69, § 6, n. 2; 18 mai 1850, art. 10), qui a été élevé à 3,50 p. 100 par l'art. 18 de la loi du 25 févr. 1901, et à 4,50 p. 100 par l'art. 11 de la loi du 8 avril 1910; les donations par partage anticipé ont été distinguées des donations ordinaires par l'art. 3 de la loi du 16 juin 1824, pour être successivement frappées d'un droit de 25 cent. p. 100 sur les meubles et de 1 p. 100 sur les immeubles (même texte), puis, sans distinction entre les meubles et les immeubles, d'un droit de 1 p. 100 (L. 18 mai 1850, art. 5 et 10), de 1,70 p. 100 (L. 25 févr. 1901, art. 18), de 2 p. 100 (L. 8 avril 1910, art. 11). Mais, si cette observation fait comprendre que la Régie prétende ou non voir, dans une disposition identique, un partage d'ascendant, suivant qu'elle est faite entre vifs ou par testament, elle ne justifie pas la jurisprudence, qui suit si aisément la Régie.

Sans doute aussi, la Cour de cassation a reconnu que l'acte entre vifs, qui se présente sous la forme d'un partage anticipé, est passible du tarif réduit applicable à ce dernier acte, alors même que certains des descendants du donateur y sont omis. V. Cass. 15 avril 1850 (S. 1850.1.357.-P. 1850.2.41), et le renvoi. Comp. Cass. 13 janv. 1890 (S. 1891. 1.38. P. 1891.1.61). Mais la Cour de cassation a donné le véritable motif de cette solution : c'est que l'acte portant lotissement entre les enfants ne saurait perdre son caractère à raison de l'éventualité d'une action en nullité intentée par l'enfant omis, éventualité qui peut ne pas se réaliser, si l'enfant omis ne survit pas au donateur ou s'il renonce à ea succession. L'arrêt du 15 avril 1850, précité, a été rendu contre la Régie, qui, soutenant qu'à raison de l'omission, l'acte ne constituait pas un partage anticipé, prétendait que cet acte devait être considéré comme une donation ordinaire,

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passible du droit de donation, en raison du principe d'après lequel la Régie n'est pas juge de la validité des actes. Cette prétention était injustifiable; car, si la nullité des actes n'est pas opposable à la Régie, celle-ci, en revanche, ne peut se prévaloir de la nullité d'un acte pour lui refuser les faveurs fiscales qui lui sont accordées par la loi à raison de sa nature; ce serait à la fois se prévaloir de la nullité et la repousser. V. Wahl, Tr. de dr. fiscal, t. 2, n. 522.

Il en est tout autrement, lorsqu'une disposition, soit entre vifs, soit testamentaire, se présente comme une donation ou comme un legs, faits seulement à certains des enfants; dans ce cas, si la disposition est entre vifs, elle est une donation, et c'est ce qui résulte des motifs mêmes de la loi de 1850; elle doit donc, si elle est testamentaire, constituer un legs.

Nous avons supposé jusqu'ici que la disposition testamentaire, faite au profit d'une partie des enfants, porte sur la succession tout entière; si elle porte seulement sur certains des biens du testateur, et qu'une soulte soit stipulée au profit des autres, il y a encore partage testamentaire, chacun des enfants étant alloti, et le partage testamentaire, comme le partage anticipé, ne supposant pas nécessairement, ainsi que nous l'avons dit, la répartition de la totalité des biens héréditaires. V. en ce sens, Trib. de Belfort, 17 mai 1858 (Journ. de l'enreg., n. 16791; Rép. pér. de Garnier, n. 1005); Trib. d'Yvetot, 2 juill. 1858 (Journ. de l'enreg., n. 16791; Rép. pér., n. 1068); Trib. de Mâcon, 17 déc. 1862 (Rép. pér., n. 1785); Trib. de Strasbourg, 27 mai 1863 (Rép. pèr., n. 2056); Trib. de Blois, 11 févr. 1879 (Journ. de l'enreg., n. 20998); Trib. du Havre, 30 oct. 1890 (Rép. pér., n. 7577); Trib. de Péronne, 1er juill. 1904 (Ibid., n. 10890).

Mais l'arrêt ci-dessus recueilli donne la même solution pour le cas où un bien déterminé est légué à un ou plusieurs enfants, à la charge de le rapporter à la succession. V. égal. en ce sens, Trib. de Toulouse, 6 avril 1906 (Rev. de l'enreg., n. 4165). Cela est évidemment logique, si l'on part de l'idée que le legs de toute la succession, fait sous charge de rapport à certains enfants, est un partage testamentaire. Aussi cette solution ne peut-elle, en droit, se réfuter que par les arguments, décisifs suivant nous, qui ont été développés plus haut à propos de cette dernière hypothèse. Ce qui empêche surtout de l'accepter, c'est qu'elle établit une antinomie complète entre les art. 843 et 1076, C. civ.; il n'y a plus, en effet, de legs fait aux enfants à charge de rapport, tout legs à charge de rapport étant nécessairement un partage testamentaire. Il n'est pas permis de supprimer ainsi la qualification que donne un texte aux dispositions testamentaires, et moins encore de donner à un legs dont bénéficie un enfant un caractère juridique différent de celui qu'il faut attribuer à un legs fait à tout autre héritier.

Etant donné cependant que, suivant le tribunal et la Cour de cassation, l'acte était un partage testamentaire, le tribunal a décidé avec raison qu'il pouvait, sans perdre son caractère, être soumis à une condition suspensive on ne voit pas pourquoi la condition suspensive, autorisée dans tous les actes (O. civ., 1168 et s.), ne le serait pas dans le partage testamentaire. Mais, à notre avis,

au Havre, décédé le 1er avril 1902, laissant cinq enfants, dont une fille mineure, a fait, au profit de ses fils Georges et Albert, une disposition qui peut se résumer

le tribunal et la Cour de cassation ont à tort considéré qu'il y avait, dans l'espèce, une condition suspensive. La raison un peu superficielle qui les a déterminés, c'est que le testateur, léguant des immeubles à deux de ses enfants, déclarait subordonner le legs à la condition de leur acceptation simultanée. Il entendait par là que le legs ne serait efficace que si les légataires l'acceptaient l'un et l'autre. Or, cette acceptation de l'un et l'autre légataires est, comme nous l'avons dit plus haut, indispensable, dans le partage testamentaire, en l'absence même de toute clause qui la prescrive. D'une part, toute disposition testamentaire est subordonnée à l'acceptation du légataire; d'autre part, tout partage testamentaire tombe, si tous les copartagés n'acceptent pas, et c'est là précisément, ainsi que nous l'avons dit, l'un des caractères essentiels du partage testamentaire, bien que rien n'interdise de subordonner également un legs ordinaire à l'acceptation de tous les légataires. L'acceptation ne fait autre chose que parfaire le partage testamentaire, qui devient un acte obligatoire entre les parties par l'acceptation; jusqu'à l'acceptation, il n'y a qu'une offre; l'offre n'est pas un acte juridique passible d'un droit proportionnel. V. Wahl, op. cit., t. 1, n. 151.

L'observation qui vient d'être faite n'est pas, comme on le verra, sans importance.

La Régie, tout d'abord, considérant que le partage était soumis à une condition suspensive, avait appliqué le principe d'après lequel l'acte conditionnel n'est pas frappé, lors de son enregistrement, du droit proportionnel (V. Cass. 20 mars 1905, sol. implic., S. et P. 1906.1.197, et la note), lequel devient de plein droit exigible après la réalisation de la condition. V. la note de M. Albert Wahl, n. III, sous Cass. 8 déc. 1903 (S. et P. 1905.1.241).

Etant donné qu'au contraire, l'acceptation des copartagés n'est pas une condition suspensive, mais un élément essentiel à la perfection de l'acte, le droit peut être exigé seulement après l'acceptation, et sur l'acte constatant cette acceptation. Le contrat ne se forme qu'après l'acceptation; ce n'est pas l'acte constatant l'offre qui est rétroactivement, après l'acceptation, soumis au droit proportionnel; c'est l'acte constatant l'acceptation. V. au cas d'un acte administratif comportant approbation par l'autorité supérieure, la note sous Cass. 10 nov. 1909 (S. et P. 1912.1.113; Pand. pér., 1912.1.118). D'où la conséquence, notamment, que, s'il n'existe pas d'acte fournissant le titre de l'acceptation, ou si cet acte n'est pas présenté par les parties à l'enregistrement, le droit ne peut être exigé. Il y a donc là une différence importante -à laquelle on pourrait en joindre plusieurs autres, qui, dans l'espèce, n'avaient pas d'intérêt

entre l'acceptation considérée comme élément essentiel du partage, et l'acceptation considérée comme l'accomplissement d'une condition suspensive.

Cette solution est, du reste, admise au moins dans son principe par la Régie. « Si, a-t-elle dit, un testament est parfait par la seule volonté du testateur, il n'opère néanmoins de mutation définitive et le partage qu'il contient ne produit effet qu'autant qu'il est accepté par les légataires (Sol. Régie, 4 mars 1864, S. 1865.2.218.

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— P. 1865.863). Seulement, par un véritable illo

ainsi Pour faciliter la transmission de ses usines à ses collaborateurs, il déclare leur léguer, sous la condition de leur acceptation simultanée, le droit de conserver ses établissements industriels sis en France et à l'étranger, immeubles, matériel, marchandises, achalandage et liquidation de créances commerciales, tout en les obligeant à rapporter la valeur de ces établissements à sa succession; Attendu qu'après avoir fixé cette valeur, pour les immeubles, le matériel et l'achalandage, à 1.600.000 fr., sauf diminution par voie d'expertise, si les circonstances faisaient paraître ce prix excessif, le testateur a déclaré que cette fixation serait faite, pour les marchandises, d'après le cours du jour, diminué de 10 p. 100, et, pour les créances, d'après le montant de celles reconnues bonnes; Attendu qu'il a ajouté qu'elle serait imputée sur la part de ses deux fils, mais seulement à concurrence de deux millions de francs pour chacun d'eux, et que ceux-ci se libéreraient de la somme due par eux, après cette imputation, à des termes trimestriels; - Attendu, enfin, que le testament se termine par la déclaration suivante Dans le cas où les presentes dispositions testamentaires seraient considérées comme un avantage au profit de l'un ou l'autre, je leur lègue cet avan

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gisme, la Régie perçoit les droits proportionnels sur l'acte de partage, quitte à les restituer si les copartagés renoncent au bénéfice du contrat (même solution), s'il est annulé (V. les solutions citées par Maguéro, Tr. alph. des dr. d'enreg., 2o éd., ▾ Partage d'ascendant, n. 381), ou si les attributions qu'il contient sont modifiées par un acte passé entre les copartagés (V. les solutions citées par Maguéro, op. et verb. cit., n. 382). De deux choses l'une ou le partage est parfait sans acceptation, et les droits, ayant été régulièrement perçus lors de l'enregistrement de cet acte, n'étaient pas, tout au moins sous l'empire de l'art. 60 de la loi de frim. an 7, avant la loi du 18 janv. 1912 (8. et P. Lois annotées de 1913, p. 361; Pand. pér., Lois annotées de 1918, p. 361), restituables à raison de modifications ultérieures; ou le partage n'est parfait que par l'acceptation, et les droits ne peuvent être perçus qu'après l'acceptation, et si un titre constatant cette acceptation est présenté à l'enregistrement.

Quoi qu'il en soit, la Régie, pour rester fidèle à ses errements, aurait dû percevoir les droits sur le partage testamentaire; en tout cas, étant donné qu'elle considérait le partage comme étant soumis

la condition suspensive de l'acceptation, le droit pouvait être exigé après la preuve acquise de cette acceptation, mais à titre de supplément de droit dû, en raison de la rétroactivité de la condition accomplie, sur le partage testamentaire lui-même.

Pour déterminer le point de départ de la prescription du supplément de droit réclamé par la Régie, le tribunal et la Cour de cassation ont constaté avec raison (V. plus loin) que le partage fait ultérieurement en justice, et portant sur toute la succession, avait seul permis à la Régie de réclamer ce droit supplémentaire. A supposer même que l'enregistrement d'un titre constatant l'acceptation fût nécessaire pour rendre le droit exigible, comme nous le pensons, le droit a été exigé avec raison; car le partage judiciaire, qui relatait le partage testamentaire, et auquel participaient

At

tage par préciput ou hors part »; tendu que MM. Georges et Albert Dubosc ont partiellement et implicitement accepté la volonté du testateur, en apportant, aux termes d'un acte notarié du 14 avril 1902, à la société formée entre eux par le même acte, les immeubles, le matériel et l'achalandage dépendant de leurs établissements sis à Graville (France) et à Riga (Russie), précédemment exploités par leur père; Attendu qu'ils ont ensuite obtenu du tribunal civil du Havre, le 2 juill. 1902, un jugement portant qu'après l'accomplisse ment, en Russie, des formalités nécessaires pour leur envoi en possession des immeubles sis à Riga, leurs trois cohéritiers seraient tenus de faire délivrance auxdits demandeurs des legs concernant lesdits établissements industriels, ensemble les terrains, les constructions, le matériel et l'achalandage..., aux charges exprimées par le testament »; Attendu que la délivrance du legs des marchandises a été amiablement constatée par un acte notarié du 16 juill. 1902; Attendu, enfin, que Me Narcy, notaire, qui avait été judiciairement commis à cet effet, a dressé, le 16 juill. 1902, et le tribunal civil du Havre a homologué purement et simplement, à la date du 18, le procès-verbal des opérations relatives à la liquidation et au partage

les deux enfants copartagés, fournissait par là même le titre de leur acceptation. Mais le tribunal a eu tort de dire que les deux actes étaient «< connexes, comme formant un seul tout ». Cela est inexact les copartagés tiraient du partage testamentaire, et de cet acte seulement, leur droit de propriété sur les biens compris dans ce partage; le partage définitif n'avait pu leur donner de droit sur des biens qui leur appartenaient déjà. La question a, et avait notamment dans l'espèce, un grand intérêt pour le calcul du droit de mutation, dû à raison de la soulte, il faut considérer uniquement le partage testamentaire, et, si cette soulte est diminuée par le partage total de l'hérédité, le droit de mutation ne se trouve pas diminué d'une façon correspondante. V. en ce sens, Trib. de Péronne, 1er juill. 1904, précité. Ce qui est vrai, c'est que la Régie, sans établir du reste aucune connexité entre le partage testamentaire et l'acte modificatif de ce partage, admet, comme nous l'avons vu, et peu logiquement, que, si l'acceptation du partage testamentaire n'intervient pas avant l'acte modificatif, cet acte doit servir de base aux droits exigibles sur le partage testamentaire. C'est la pratique qu'elle avait suivie dans l'espèce. Elle manifestait ainsi un nouveau défaut de logique; car, en fait, antérieurement au partage de la succession, les copartagés avaient implicitement accepté le partage testamentaire en apportant les biens partagés dans une société; or, la Régie a décidé antérieurement, et même, paraît-il, a fait juger que la modification postérieure à l'acceptation n'exerce aucune influence sur les droits auxquels donne lieu le partage testamentaire (V. Sol. Régie, déc. 1872, et Trib. de Laval, 22 juin 1889, cités par Maguéro, op. et verb. cit., n. 383)..

Cette matière délicate s'obscurcit donc singulièrement.

Sur la question de la prescription des droits, il y a également des observations à faire. D'une manière générale, la prescription biennale

de tous les biens dépendant: 1o de la communauté ayant existé entre les époux Dubosc-Burdel père et mère; 2o de la succession du mari; 3o de celle d'un fils décédé après la mère; Attendu que ce procès-verbal contient l'analyse du testament précité, et indique de quelle manière les volontés du testateur ont été exécutées; que, lors de l'enregistrement, à la date du 19 juill. 1902, du jugement d'homologation, le droit de partage de 0 fr. 15 p. 100 et la taxe judiciaire de 0 fr. 25 p. 100, établie par l'art. 16, ler, n. 2, de la loi du 26 janv. 1892, ont seuls été perçus;

At

tendu que l'Administration a considéré que les dispositions faites par M. Dubosc père en faveur de ses deux fils avaient, sous la condition suspensive dont elles étaient affectées, le caractère, non d'un legs, mais d'une division de biens, c'est-àdire d'un partage testamentaire partiel; qu'elle a pensé que la qualification de legs, qui leur avait été donnée par les bénéficiaires et leurs cohéritiers, dans les actes relatifs à l'exécution du testament, ou même par le tribunal, dans les jugements d'expédient intervenus au sujet de ces actes, ne les avaient pas dépouillées de ce caractère; Attendu qu'il lui a paru, dès lors, que le partage testamentaire, quoique partiel, rendait exigible le droit de partage

établie par l'art. 61, n. 1, de la loi du 22 frim. an 7 ne court contre la Régie qu'à partir de l'enregistrement d'un acte qui lui permet, sans autres recherches, de percevoir les droits, c'est-à-dire qui établit d'une manière complète, à lui seul, la mutation. V. Cass. 2 août 1909, qui suit, et la note. Si donc on admet avec nous que les droits proportionnels dus sur un partage testamentaire ne peuvent être exigés que lors de l'enregistrement d'un acte formant le titre d'acceptation, il est exact, comme cela a été décidé, que la prescription biennale, dans l'espèce, devait courir seulement du jour de l'enregistrement du partage de la succession, qui seul établissait l'acceptation. L'acte antérieur, par lequel les copartagés apportaient les immeubles partagés dans une société, ne fournissait pas ce titre, puisqu'il ne faisait pas allusion au partage testamentaire, et par conséquent ne permettait pas de constater l'exigibilité des droits sans recherches ultérieures.

Si, au contraire, on estime, avec la Régie, que les droits proportionnels doivent être perçus lors de l'enregistrement du partage testamentaire luimême, indépendamment de toute acceptation, la prescription biennale devait courir dès l'enregistrement de ce partage, de sorte que, dans l'espèce, elle était acquise lors de la réclamation de la Régie.

En considérant l'acceptation comme une condition suspensive, à laquelle était subordonné le par. tage testamentaire, le tribunal et la Cour de cassation ont été amenés à décider que, les droits ne pouvant être exigés qu'après la réalisation de la condition, la prescription biennale, qui, en pareil cas, ne court qu'à partir de l'enregistrement de l'acte constatant la réalisation de la condition (V. Cass. 2 août 1909, précité, et la note), avait son point de départ au jour de l'enregistrement du partage définitif. Mais, comme nous l'avons montré, l'acceptation ne saurait être une condition suspensive.

ALBERT WAHL.

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