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le dernier acheteur, étant un employeur de la matière, les en fera sortir pour les utiliser; Attendu que le procédé de la mise à disposition consiste, pour le ou les vendeurs successifs, à aviser le détenteur de la matière, presque toujours le laveur ou le peigneur, que, désormais, il aura à tenir le lot vendu à la disposition de l'acheteur qu'il lui désigne par écrit; qu'en même temps, le vendeur remet à l'acheteur un bulletin de mise à disposition de la matière, qui lui permettra d'user officiellement et publiquement de la marchandise en maitre, de donner des ordres au laveur ou au peigneur, de prélever seul désormais, et à l'exclusion de tous autres, des échantillons, de faire examiner les balles du lot par des clients pour le vendre, d'en faire livrer tout ou partic, soit à lui-même, soit à un tiers, sans avoir besoin d'autre intervention, de le donner en gage, de transmettre à son tour à un sousacheteur le droit, qui lui a été conféré, de disposer de la marchandise; Attendu

que la mise à disposition non seulement inet la marchandise vendue aux risques et périls de l'acheteur, mais qu'elle l'oblige encore à signaler les vices apparents de cette marchandise dans le plus bref délai, à peine de forclusion; que ce délai a été fixé, par arrêt de la Cour d'appel de Douai du 4 févr. 1897, à quarante-huit heures pour la laine; que, si la mise à disposition ne constituait pas une délivrance réelle et effective par le vendeur, ce n'est pas à partir de sa date que le délai qui appartient à l'acheteur pour signaler les vices apparents devrait courir, mais à partir seulement du moment, postérieur souvent de plusieurs mois, où la marchandise sera enlevée des magasins du peigneur ou du laveur par l'acheteur; Attendu qu'à partir de cette mise à disposition, le laveur ou le peigneur n'obéit plus et ne peut plus obéir au vendeur primitif; que celui-ci devient un inconnu pour lui; qu'il n'y a plus de marchandises lui appartenant dans les magasins du façonnier; qu'il ne peut plus voir ces marcliandises, en prélever des échantillons, ni se faire délivrer une partie de ces marchandises sans l'autorisation de celui à la disposition de qui elles se trouvent; Attendu que l'on peut dire que le peigneur ou le laveur est devenu le dépositaire, le mandataire de l'acheteur, et qu'il tient pour lui les clefs du magasin qui contient le lot; que c'est vis-à-vis de cet acheteur qu'il sera désormais responsable du bon état de conservation de ces marchandises, et que, s'il livrait par erreur à un tiers une portion du lot, c'est à l'a cheteur, et non au vendeur primitif, qu'il devrait réparation du préjudice causé, et le prix de la marchandise disparue; Attendu que cet acheteur est bien et réellement saisi de la marchandise; que les tiers le savent en possession de cette marchandise, et en sont avertis bien mieux et d'une manière bien autrement efficace que si elle était dans son magasin réputé public, où personne ne peut entrer ni reconnaitre une marchandise;

Attendu qu'il est de pratique courante, sur les deux places de Roubaix et Tourcoing, d'indiquer que les laines,

réalisées dans les ventes publiques organisées périodiquement sur ces places, sont visibles pour le public dans tel ou tel peignage; Attendu que les marchandises ainsi exposées en vente le sont aussi bien pour le compte d'un vendeur producteur que pour le compte d'un acheteur, à la disposition de qui il les a mises, ou des sous-acheteurs de ce dernier; qu'il ressort de ces constatations qu'une simple mise à disposition constitue une telle prise de possession effective que, sans autre formalité, cette prise de possession se trouve affirmée aux yeux du public par une série de mesures de publicité légale, qui démontre, aux yeux de tous, que ces laines sont entrées définitivement dans le patrimoine de l'acheteur, et qu'il peut librement en tirer tel parti qu'il jugerà convenable; que l'on ne voit pas comment, après une affirmation aussi éclatante et du droit de propriété et de l'entrée en possession de l'acheteur, il serait possible de lui contester ensuite, à lui ou à son ayant droit, la possession de la marchandise vendue, sous le prétexte que la délivrance n'aurait pas été réelle, et que la mise à disposition constituerait seulement une permission d'enlever; Attendu que ce qui est vrai d'une réalisation publique ne l'est pas moins d'une réalisation privée ou d'une dation en gage, lorsqu'elles ont eu lieu dans des conditions telles qu'elles impliquent une délivrance virtuelle, incontestable, et l'abandon par le vendeur de son droit de rétention; Attendu que, si la marchandise avait été détenue directement par Trentesaux et Destombes, etsi Centner et Cie, avant de consentir à Brouwers frères une avance sur ces marchandises, s'étaient adressés à Trentesaux et Destombes, et leur avaient demandé s'ils détenaient à la disposition de Brouwers frères les lots dont s'agit, Trentesaux et Destombes, après avoir répondu affirmativement, n'auraient pu ultérieurement contester le droit de gage appartenant à Centner et Cie, et leur opposer le droit de rétention; Attendu que Centner et Cie pourraient, à juste titre, opposer à Trentesaux et Destombes qu'en ayant répondu, sans formuler aucune réserve, que ces lots étaient à la disposition de Brouwers frères, ils avaient renoncé, tacitement tout au moins, à leur opposer ce droit de rétention; Attendu que Centner et Cie pourraient, en tous les cas, soutenir que le silence de Trentesaux et Destombes constituait une faute, qui les avait entrainés eux, Centner et Cie, à consentir un prêt gagé sur une marchandise que, d'après la déclaration de Trentesaux et Destombes, ils devaient considérer comme libre; que cette faute de Trentesaux et Destombes, à supposer leur droit de rétention encore existant, les rendrait responsables vis-à-vis des prêteurs, dans les termes de l'art. 1382, C. civ., et à concurrence du préjudice éprouvé par ces derniers; Attendu que ce qui est vrai pour Trentesaux et Destombes ne l'est pas moins, lorsque la réponse est formulée par le mandataire desdits Trentesaux et Destombes, ayant agi dans les limites de son mandat; Attendu que, dans l'espèce, Trentesaux et Destombes ont notifié à

Voos, laveur, de tenir les deux lots dont s'agit à la disposition de Brouwers frères; que Centner et Cie, avant de consentir à Brouwers frères un prêt gagé sur ces lots, ont demandé à Voos si, réellement, les marchandises dont s'agit étaient à la disposition de Brouwers frères; que Voos a répondu affirmativement à Centner et C; que Voos et Trentesaux et Destombes se confondent, par application de la règle Qui mandat ipse fecisse videtur:

Attendu que tous les faits plus haut relevés constituent plus qu'à suffire la preuve de l'existence de la prise de possession effective dont la nécessité a été reconnue; qu'il ne s'agit pas d'une délivrance de pur droit, née du contrat, et ignorée ou pouvant être ignorée du tiers, mais qu'au vu et au su de tous, l'acheteur est saisi de la marchandise d'une manière absolue et réellement matérielle; Attendu qu'il résulte

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de ce qui précède que ce qui reçoit, dans le commerce des laines, tant en France qu'en Belgique et en Allemagne, le nom de mise à disposition, constitue une livraison effective; que cette livraison ne peut être confondue d'aucune façon avec un bon de délivrance, une simple autorisation de prendre livraison, qui ne devient délivrance réelle que si la prise de livraison se réalise; qu'elle est, tout à la fois, bien plus que cela et autre chose; qu'elle fait entrer dans le patrimoine de l'acheteur la marchandise qu'il a acquise; qu'elle s'ajoute à la délivrance de pur droit, qui résultait du consentement des parties; qu'elle est presque toujours postérieure à la vente; qu'elle permet à l'acheteur de se faire de la chose vendue un instrument de crédit vis-à-vis des tiers; qu'elle révèle à ces tiers, sousacquéreurs, gagistes ou autres, que l'acheteur, au profit de qui est intervenue la mise à disposition, est réellement nanti de la marchandise, et a seul le droit de jouir, user ou abuser de la chose; Attendu que, si la marchandise était entreposée dans un magasin général, le magasinier qui recevrait du vendeur du lot une mise à disposition pourrait, sans conteste, garder ce lot pour l'acheteur dont il deviendrait le dépositaire, son magasin deviendrait celui de cet acheteur, le lot serait inscrit sur ses registres comme lui appartenant, comme étant déposé dans le magasin général pour le compte de cet acheteur; Attendu, cependant, que la délivrance n'aurait été opérée dans le magasin général, comme chez le peigneur, que par une mise à disposition; que celle-ci ne peut produire des effets différents suivant qu'elle s'adresse à l'un ou à l'autre; qu'elle ne peut signifier délivrance effective, quand il s'agit du magasinier général, simple permission d'enlever et délivrance fictive, lorsqu'il s'agit du laveur et du peigneur de laines; que le parère produit par Centner et Cie, timbré et enregistré à Tourcoing, le 11 déc. 1911, atteste que cette mise à disposition de l'acheteur de la marchandise dans les magasins où elle se trouve, qu'il s'agisse des magasins du laveur, des magasins généraux, de magasins publics, de magasins du conditionnement ou de tous autres, constitue, dans tous les cas, la prise de possession réelle et

effective de la marchandise, et est considérée comme telle par tout le commerce de Verviers, comme elle le serait par le commerce de Roubaix ou Tourcoing; Attendu, d'ailleurs, que ce qui se produit dans un magasin général après une mise à disposition, est précisément ce qui se produit dans les peignages ou lavages en pareil cas; que le peigneur ou le laveur indique sur ses livres que le lot est désormais déposé chez lui pour le compte de l'acheteur; que, souvent, il en avise cet acheteur; que, en tous cas, celui-ci a toute facilité pour obtenir du peigneur un avis officiel, qui constituera un véritable titre de dépôt, qui s'imposera à tous, permettra à l'acheteur de régler son vendeur en toute sécurité, et lui permettra aussi de gager sa marchandise ou de la céder à un tiers, qui, dans les mêmes conditions, lui en réglera le prix en toute sécurité; que l'on ne voit réellement pas ce qui serait ajouté à cette prise de possession effective par un déplacement de la marchandise, coûteux et inutile, et qui pourrait se réduire, pour calmer tous les scrupules et faire taire toutes les objections, à la sortie de la marchandise par une porte, et à sa rentrée immédiate par la même porte du peignage ou du lavage; Attendu que ce qui doit dominer tout le débat, c'est la question de savoir si le commerce de laines considère la mise à disposition comme un fait de prise de possession réelle; que le tribunal ne craint pas de l'affirmer, après les signatures du parère; qu'elle ne peut être considérée autrement; que cette constatation matérielle, le tribunal l'a procla mée déjà par toute sa jurisprudence antérieure; qu'il la confirme de nouveau; qu'ainsi qu'il le disait déjà, dans son jugement du 4 mars 1904, cette jurisprudence a pour fondement une conviction profonde résultant de sa connaissance et de son expérience personnelles des affaires du négoce des laines; Par ces motifs ; — Dit que Voos devra délivrer, etc. ».

Appel par MM. Trentesaux et Destombes. ARRÊT.

LA COUR; Attendu que l'art. 1612, C. civ., confère au vendeur le droit de retenir la chose vendue à défaut de paiement; que, pour perdre ce droit, il faut qu'il ait délivré la marchandise; que la délivrance exigée par cet article, aux termes de la jurisprudence, n'est pas une transmission fictive, s'opérant par le seul fait de la convention, mais bien une tradition effective et matérielle, faisant passer la marchandise aux mains de l'acheteur, de sorte qu'il en ait la possession apparente et réelle, et puisse en faire un élément de son crédit; Attendu qu'on ne

(1-2) La jurisprudence paraît aujourd'hui fixée en ce sens que le juge des référés est compétent seulement pour connaître des matières qui ressortissent aux tribunaux civils. V. Cass. 25 juill. 1895 (S. et P. 1895.1.333; Pand. pér., 1896.1.125); Besançon, 11 juill. 1906 (S. et P. 1907.2.213); Bordeaux, 13 août 1906 (S. et P. 1907.2.92). Adde la note et les renvois sous Paris, 26 juill. 1911 (S. et P. 1912.2.76; Pand. pér., 1912.2.76). D'où la conséquence que le juge des référés, saisi

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peut dire que Trentesaux et Destombes ont effectué la livraison des marchandises ainsi vendues, en les mettant à la disposition de Brouwers frères chez Voos, par qui ils ont été informés de cette mise à disposition; qu'une simple mise à disposition, émanant du vendeur et du dépositaire qui détient pour son compte, ne peut être considérée comme une tradition matérielle et effective; qu'elle constitue une autorisation de prendre livraison, mais ne devient délivrance réelle que si la prise de livraison se réalise; Attendu que Brouwers frères, qui ont eu les laines à leur disposition chez Voos, sont restés dans une abstention complète; qu'ils n'en ont pas pris livraison et n'ont effectué aucun acte équivalent; que, la possession réelle n'ayant jamais été entre leurs mains, ils ne se trouvent pas dans les conditions prévues par l'art. 1604, C. civ.; Attendu, d'autre part, que l'on ne peut pas dire que les balles de laines se trouvant chez Voos à la disposition de Brouwers aient constitué un des éléments de leur crédit à l'égard des tiers; qu'en effet, le magasin de Voos n'est pas un magasin public, où chacun peut entrer pour rechercher à qui appartiennent les marchandises entreposées; que les tiers n'ont été, en aucune façon, avertis que les lots n. 3317 et 3375, qui étaient, le 4 août, la propriété de Trentesaux et Destombes, sont devenus, le même jour, la propriété de Brouwers frères; que cette marchandise litigieuse n'a été l'objet d'aucune prise de possession, et est restée, après le 4 août, ce qu'elle était avant, c'est-à-dire dans le magasin où elle avait été placée par Trentesaux et Destombes, et qui était devenu ainsi leur magasin; Attendu que, la délivrance effective et matérielle, exigée par l'art. 1612, C. civ., n'ayant point eu lieu, Trentesaux et Destombes sont bien fondés à exercer leur droit de rétention; que les usages commerciaux de Roubaix et de Tourcoing, fussentils indiscutablement établis, ne peuvent être substitués à la loi, et entraver la rétention; Par ces motifs; Dit, par voie de réformation, que le droit de rétention du vendeur ne peut être détruit que par une délivrance matérielle et effective; Dit que

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la mise à disposition, émanant tant du vendeur que de son magasinier, ne constitue pas, par elle-même, la délivrance exigée par l'art. 1612, C. civ.;- Dit, en conséquence, que, les divers lots litigieux n'ayant pas été l'objet d'une délivrance effective et matérielle, Trentesaux et Destombes ont conservé sur eux leur droit de rétention, etc. Du 2 mai 1912. C. Douai, 2 ch. MM. Febvret, prés.; Testart, av. gén.; Plouvier, Dumortier et de Prat, av.

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d'une action qui rentre dans la compétence du juge de paix, doit se déclarer incompétent. V. Besançon, 11 juill. 1906, précité; Agen, 14 déc. 1908 (S. et P. 1909.2.118; Pand. pér., 1909.2. 118), et les notes. V. encore, Paris, 26 juill. 1911, précité. Ainsi, il n'appartient pas au juge des référés d'ordonner l'enlèvement d'un barrage empêchant l'écoulement des eaux nécessaires au fonctionnement d'une usine, ou d'ordonner une expertise dans le but de rechercher les travaux

PAU 26 février 1913. RÉFÉRÉ, COMPÉTENCE, ACTION POSSESSOIRE, EXPULSION DES LIEUX, INCOMPETENCE (Rép., vo Référés, n. 548 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 345 et s.).

Le juge des référés est incompétent pour connaître d'unlitige qui présente les caractères d'une action possessoire, et qui rentre, à ce titre, dans la compétence du juge de paix (1) (C. proc., 23, 806).

Spécialement, le juge des référés, devant lequel un demandeur, se prétendant propriétaire d'une parcelle de terre qui aurait été occupée par un tiers, sans d'ailleurs établir que cette occupation ait eu le caraclère d'une voie de fait, demande l'expulsion de ce tiers, qui soutient être en possession immémoriale de la parcelle litigieuse, excède ses pouvoirs en ordonnant l'expulsion du défendeur (2) (Id.).

(Arçuby-Anchil C. Arçuby-Nicol et
Etchegoin-Hasteguy). ARRÊT.

LA COUR; Attendu que le sieur Arcuby-Anchil a demandé au juge du référé d'ordonner l'expulsion d'Arçuby-Nicol et d'Etchegoin-Hasteguy d'une parcelle par eux occupée, sur le territoire de la commune d'llarta; qu'il a allégué qu'il était propriétaire de cette parcelle; qu'ArçubyNicol et Etchegoin-Hasteguy s'étaient permis d'y pénétrer et de s'y installer; Attendu qu'Arçuby-Nicol et Etchegoin-Hasteguy soutiennent qu'ils sont en possession de cette parcelle depuis un temps immémorial, et qu'ils l'ont acquise par la prescription; qu'Arçuby-Anchil n'apporte aucune preuve à l'appui de son allégation de la voie de fait par lui reprochée à ses adversaires; qu'il n'établit donc pas que ceux-ci se soient mis en possession par un fait récent d'occupation violente ou illicite;

Attendu, par suite, que c'est un litige portant sur la possession de la parcelle dont s'agit; que ce litige, constituant une véritable action possessoire, a été porté à tort devant le juge du référé; que le juge de paix était seul compétent pour en connaître, et que le juge du référé, en statuant comme il l'a fait, et en ordonnant l'expulsion d'Arcuby-Nicol et d'Etchegoin-Hasteguy, s'est prononcé sur le principal, c'est-à-dire sur le possessoire, seul litige porté devant lui, et dont le juge de paix aurait dû être saisi;

Attendu, dès lors, que le juge du référé a excédé ses pouvoirs, et a statué sur une difficulté dont il ne lui appartenait pas de connaître; Par ces motifs; Réforme l'ordonnance entreprise rendue, le 21 juin 1912, par le tribunal civil de St-Palais, etc. Du 26 févr. 1913. C. Pau. MM. le cons. Maury, prés.; Gaches, subst.; Lamaignère et Castay, av.

à exécuter pour rendre aux eaux leur libre écoulement et d'évaluer le préjudice causé, si, le trouble apporté à l'écoulement des eaux remontant à moins d'une année, le juge de paix est compétent, dans les termes de l'art. 7, 2o, de la loi du 12 juill. 1905. V. Besançon, 11 juill. 1906, précité. Dans cette espèce, il s'agissait, comme dans celle sur laquelle a statué l'arrêt ci-dessus recueilli d'une véritable action possessoire.

DOUAI 26 octobre 1911.

SOCIÉTÉ COMMERCIALE, PUBLICITÉ (DÉFAUT DE), ORDRE PUBLIC, NULLITÉ, PRESCRIPTION DE DIX ANS, IMPRESCRIPTIBILITE Rép., vo Sociétés commerciales, n. 251 et s.; Pand. Rép., v Sociétés, n. 4158 et s.).

La nullité des sociétés par actions pour défaut de publicité a été établie, non dans un intérêt purement privé, mais dans un

(1 à 3) La doctrine moderne est à peu près unanime à décider que la nullité d'une société de commerce pour défaut de publicité n'est pas susceptible de se couvrir par la prescription de dix ans ; on considère même volontiers que la discussion n'est pas possible. V. en ce sens, Lyon-Caen et Renault, Tr. de dr. comm., 4° éd., t. 2, 1r part., n. 218; Boistel, Tr. de dr. comm., n. 354; Thaller, Tr. élém. de dr. comm., 4 éd., n. 551, p. 305, n. 1; Arthuys, Tr. des soc. comm., t. 2, n. 810; Houpin, Tr. gén. des soc., 4o éd., t. 2, n. 1021; Thaller et Pic, Des soc. comm., t. 1, n. 281; Hémard, Tr. des nullités de soc., n. 140 et s.; Bouvier-Bangillon, La législ. nouvelle sur les sociétés, p. 85; et notre Rep. gén. du dr. fr., v° Sociétés commerciales, n. 376 et s.; Pand. Rép, v° Sociétés, n. 4159 et s.

On a pourtant soutenu qu'il fallait appliquer la prescription de dix ans, soit celle de l'art. 1304, C. civ., soit celle de l'art. 8 de la loi du 24 juill. 1867, modifié par la loi du 1er août 1893. V. Alauzet, Comment. du C. comm., t. 1, n. 226; Rousseau, Des soc. comm., 3° éd., t. 1, n. 439 (V. cep., n. 433); Vavasseur, Tr. des soc. civ. et comm., 4 éd., t. 1er, n. 710 ter (qui se prononce en sens contraire dans la 6 édition, t. 1, n. 928); Gencvois, Le nouveau régime des soc., n. 51; Faure, La loi du 1er août 1893, p. 82 et 83. Comp. Bédarride, Comment. de la loi du 24 juill. 1867, t. 1er, n. 160 et 161, qui propose d'appliquer la prescription de trente ans.

La solution, d'après laquelle la prescription de dix ans est inapplicable, semble bien ne point être établie dans la pratique aussi solidement que l'on pourrait croire en consultant les auteurs récents la jurisprudence, si elle est conforme à cette tendance, ne renferme pas de décisions qui permettent de la considérer comme définitivement acquise; à part un jugement du tribunal de commerce de Laval, 10 nov. 1908, rapporté en sousnote (a), l'arrêt ci-dessus de la Cour de Douai constitue peut-être la seule décision catégorique; il ne paraît donc pas possible de dire avec certitude que la Cour suprême, si elle venait à être saisie, n'aurait pas, au moins, quelque hésitation, alors que tout le monde est à peu près d'accord pour reconnaître que l'application de la prescription de dix ans serait désirable en fait, car ces arguments d'utilité pratique ne laissent pas la Cour de cassation indifférente, à défaut de texte formel; il ne faut pas oublier non plus qu'un (a) (Teucidide et autres C. Soc. coopérative de consommation la Ruche Lavalloise). - JUGEMENT.

LE TRIBUNAL; Attenda que l'action en nullité, intentée par les demandeurs contre la Ruche Lavalloise, s'appuie: 1° sur ce qu'elle a été formée sans que la souscription du capital social et le versement obligatoire aient été constatés par acte notarié, contrairement aux dispositions des art. 1 et 24 de la loi de 1867; 2° sur ce que les règles de la publicité n'ont pas été observées, conformément à l'art. 15 de la même loi; - Attendu que la société défenderesse, sans dénier les faits qui lui sont reprochés, soutient qu'ils sont couverts par la prescription de dix années, édictée par l'art. 8 de la loi du 24 juill. 1867, modifié par l'art. 3 de la loi du 1er août 1893; - Attendu qu'il résulte des documents versés aux débats que la Ruche Lavalloise a bien été fondée le 1er févr. 1898, et

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intérêt général et d'ordre public (1) (L. 24 juill. 1867, art. 55 et s.).

L'action en nullité pour défaut de pu blicité présente ainsi un caractère d'ordre public, qu'elle a conservé, avec toutes ses conséquences légales, même depuis la loi du 1er août 1893, et elle est, par suite, imprescriptible (2) (Id).

Vainement on opposerait les dispositions de l'art. 8 de la loi du 24 juill. 1867, modifié par la loi du 1er août 1893, d'après

arrêt rendu par la chambre des requêtes, le 5 juill. 1900 (S. et P. 1904.1.190; Pand. pér., 1901.1.434), a déclaré simplement relative la nullité résultant du défaut de publicité, et que la prescription se relie très intimement au caractère relatif de la nullité; on doit se souvenir aussi, car la question n'est pas sans analogie, que la solution, proposée par certains auteurs, d'après laquelle la nullité pour défaut de publicité échappe aux autres fins de non-recevoir, et notamment à celle qui résulte aussi de l'art. 8 (nullité réparée par l'observation de la formalité omise), se heurte à des résistances. V. not., pour l'extinction de la nullité, Cass. 20 déc. 1882 (S. 1883.1.198. P. 1883.1.490); Lyon, 3 juill. 1896 (Journ. des soc., 1897, p. 432); Trib. comm. de Nantes, 11 déc. 1897 (Id., 1898, p. 130); Trib. comm. de Marseille, 28 déc. 1900 (Id., 1901, p. 229); Trib. comm. de la Seine, 13 févr. 1907 (Id., 1907, p. 459). Adde, Houpin, op. cit., t. 2, n. 1022; Hémard, op. cit., n. 133 et s. La question mérite donc d'être examinée.

Nous n'hésitons pas à nous rallier à la solution de la doctrine moderne et du dernier arrêt de la Cour de Douai, mais il nous semble que cette solution pourrait être appuyée sur des motifs plus solides, qui seraient susceptibles de faire disparaître l'obscurité de la question, sinon même les discussions que nous avons constatées.

"

L'opinion adverse, pour soutenir l'application de la prescription de dix ans, a fait appel à deux textes différents. D'abord, on a invoqué l'art. 1304, C. civ., d'après lequel l'action en nullité dure dix ans, dans tous les cas où elle n'est pas limitée à un moindre temps; c'était même le seul texte auquel on pût faire appel avant la loi du 1er août 1893. L'art. 1304 aurait été applicable, disait-on, soit parce qu'il vise même les nullités absolues (Drogoul, Essai d'une théor. gén. des nullités, p. 258 à 262), soit parce que, s'il est exact qu'il ne vise au contraire que les nullités relatives (V. Cass. 6 nov. 1895, S. et P. 1896.1.5, et la note de M. Lyon-Caen; Chambéry, 13 janv. 1909, S. et P. 1909.2.103; Pand. pér., 1909.2.103; Pau, 3 mars 1909, S. et P. 1910.2.76; Pand. pér. 1910.2.76, les notes et les renvois), c'est une nullité relative qui atteint la société non publiée, cette nullité ne pouvant pas être opposée par les associés aux tiers. V. Lyon, 5 avril 1881 (S. 1882.2.109. P. 1882.1.581), la note et les renvois. Adde, Hémard, op. cit., p. 231, in fine, et que l'assignation introductive d'instance, portant la date du 9 avril 1908, est postérieure au délai de dix années imparti par la loi de 1893; Attendu que l'art. 7 de la loi de 1867 est ainsi conçu : « Est nulle et de nul effet à l'égard des intéressés toute société en commandite par actions constituée contrairement aux prescriptions des art. 1, 2, 3, 4, de la présente loi »; que ces dispositions sont applicables aux sociétés anonymes, en vertu de l'art. 24;

Attendu que l'art. 8 fixe les règles à suivre dans le cas où une société serait annulée aux termes de l'art. 7; que l'art. 3 de la loi du 1er août 1893, modifiant l'art. 8, précité, porte, dans son § 3: « Ces actions en nullité contre les actes constitutifs des sociétés sont prescrites par dix ans - Attendu que, de ces dispositions législatives, il résulte que la prescription de dix années est acquise aux vices de constitution prévus aux art. 1, 2, 3 et 4 de la loi de 1867; qu'elle est donc acquise, dans l'espèce, au défaut

lesquelles l'action en nullité est non recevable, soit lorsque la cause de nullité a cessé d'exister avant l'introduction de l'instance, soil par l'expiration d'un délai de dix ans; ces dispositions ne visent que les nullités encourues à raison d'irrégularités dans la constitution des sociétés par actions, et ne s'appliquent pas à la nullité résultant du défaut de publicité (3) (C. civ., 1304; LL. 24 juill. 1867, art. 8 et 56; 1er août 1893, art. 3).

p. 251, n. 147; Thaller et Pic, op. cit., n. 286. V. égal., sur la question générale, Drogoul, op. cit., p. 258 et s. Ensuite, on a invoqué l'art. 8 de la loi du 24 juill. 1867, modifié par la loi du 1er août 1893 : « Les actions en nullité contre les actes constitutifs des sociétés sont prescrites par dix ans ». Ce texte concerne aussi bien le défaut de publicité que l'inobservation des autres règles de constitution, a-t-on prétendu, car il est assez général dans ses termes; il y a identité de motifs, et, dans les travaux préparatoires, un rapport de M. Clausel de Coussergues à la Chambre déciare que l'art. 8 a pour but de consolider l'existence des sociétés nulles, soit pour clandestinité, soit pour un autre vice de constitution. V. S. et P. Lois annotées de 1893, p. 574, note 7. Cf. not., Genevois, op. et loc. cit.; Rousseau, op. cit., t. 1o, n. 439; Vavasseur, op. cit., 4° éd., t. 1o, n. 710 ter.

Il faut avoir soin de distinguer ces deux prescriptions de dix ans; nous avons essayé de démontrer que celle de l'art. 8 est un délai préfix, insusceptible de suspension, et atteignant certainement même l'exception de nullité, tandis que celle de l'art. 1304 peut être suspendue, et laisse peut-être subsister l'exception. V. Japiot, Des nullités en matière d'actes juridiques, p. 708, note 2, 709, note 1, et 859, note 2, in fine. Les raisons qu'il peut y avoir pour appliquer l'une ou l'autre dans notre hypothèse ne sont pas non plus les mêmes. Cependant, pour l'une comme pour l'autre, ce sujet pourrait être dominé par la question de la nature de la nullité (V. cep., Hemard, op. cit., D. 140 et s.), si cette nature était telle qu'on l'a souvent prétendu; c'est donc seulement après l'avoir précisée que nous pourrons discuter l'ap plication de l'art. 1304, C. civ., et de l'art. 8 de la loi de 1867.

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Pour écarter la prescription de dix ans, en effet, les auteurs et les décisions s'appuient surtout, et parfois uniquement, sur cette allégation que le défaut de publicité entraîne une nullité d'ordre public ». V. not., Trib. comm. de Laval, 10 nov. 1908, précité; Lyon-Caen et Renault, op. et loc. cit.; Boistel, op. et loc. cit.; Thaller, op. et loc. cit.; Thaller et Pic, op. et loc. cit.; Houpin, op. cit., t. 2, n. 1021. Ceci ne nous paraît pas convaincant. En premier lieu, si l'on prend les mots « ordre public dans leur sens le plus net, cette affirmade constatation par acte notarié de la souscription, du capital social et du versement obligatoire; Mais attendu que les règles de la publicité sont imposées aux sociétés, à peine de nullité, par l'art. 55 de la loi de 1867; qu'on soutiendrait vainement que la prescription édictée par l'art. 3, § 3, de la loi de 1893, s'étend à toutes les infractions à la loi de 1867; qu'en effet, lorsque le législateur a voulu soumettre aux dispositions de cet art. 3 une infraction déterminée, il l'a expressément spécifié, comme il l'a fait pour l'art. 42; que la prescription de l'art. >, modifié, ne s'étend donc pas au défaut de publicité; que, par suite, celui-ci est imprescriptible: Par ces motifs; Dit l'exception tirée de la prescription recevable en sa forme, mais mal fondée;- Dit le défaut de publicité imprescriptible, etc.

Du 10 nov. 1908. Trib. comm. de Laval.

II PART 11

(Leclercq et Barbieux C. Union fraternelle de Liévin). ARRÊT.

LA COUR;

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Attendu qu'il est sans in

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tion ne nous semble pas exacte. Depuis longtemps, MM. Aubry et Rau avaient distingué, à d'autres points de vue, les dispositions légales d'ordre public et celles qui, bien que fondées sur un motif d'utilité générale, n'ont cependant pour objet que la protection d'intérêts privés ». V. Aubry et Rau, 5 éd., t. 1, p. 179, § 36, in fine. Nous avons appliqué cette distinction à la classification des nullités, et nous avons montré que la qualification d'ordre public devait être réservée aux nullités visant l'intérêt supérieur de la société ou de l'Etat, nullités dont les effets doivent toujours être assurés, au besoin d'office, au mépris de toutes autres considérations; au contraire, s'il s'agit seulement des intérêts privés et matériels de toutes personnes, la nullité, sans cesser de pouvoir être invoquée en principe par toutes personnes, sera simplement absolue, d'intérêt privé général, moins rigoureuse tel est le cas ici, puisqu'on fait passer certaines considérations de responsabilité ou d'équité avant l'application de la nullité, en interdisant aux associés de l'invoquer contre les tiers. V. Japiot, op. cit., p. 611 et s., et not., p. 617. Cette conception de la nullité absolue, d'intérêt privé général, et non pas d'ordre public, en cette matière, a déjà été acceptée par certains commercialistes. V. Hémard, op. cit., n. 146; Percerou, Ann. de dr. comm., 1910, p. 429. Comp., au sujet de l'intervention de la notion d'ordre public en ce qui concerne la nullité des sociétés pour défaut de publicité, Douai, 15 nov. 1900 (Journ. des soc., 1901, p. 302); Trib. de Tananarive, 3 juin 1910, sous C. d'appel de Madagascar, 27 juill. 1910 (S. et P. 1911.2.265; Pand. pér., 1911.2.265).

En second lieu, cette même affirmation ne résiste guère à un rapprochement que l'on peut faire entre la publicité et les autres règles de constitution des sociétés. Les auteurs, partis d'idées très différentes, aboutissent toujours à considérer que la nullité pour défaut de publicité et la nullité pour inobservation des règles de constitution spéciales des sociétés par actions sont soumises à un régime identique, au moins en principe. V. Rousseau, op. cit., t. 1, n. 439; Thaller, op. cit., n. 547 et 551; Hémard, op. cit., n. 197; Genevois, op. cit., n. 51. On ne peut donc pas dire que, en principe également, la première soit d'ordre public, et non la seconde, car la contradiction serait manifeste; il est aussi contradictoire de dire, lorsqu'on parle de la première, que le caractère d'ordre public démontre l'impossibilité de la prescription, alors qu'on n'en tire plus la même conclusion lorsqu'il s'agit de la seconde. V. les notes de M. Wahl, sous Douai, 15 juill. 1910 (S. et P. 1911.2.97; Pand. pér., 1911.2.97) (p. 99, 3° col. in fine), et sous Cass. 26 déc. 1910 (S. et P. 1912. 1.89, 1 col.; Pand. pér., 1912.1.89, 1'e col.). Quant à dire que la seconde, et la seconde seulement, n'est plus d'ordre public, depuis que la loi de 1898 l'a rendue prescriptible, ce serait écarter la contradiction, mais ce ne serait pas fournir un élément de solution pour cette controverse, qui porte sur la prescriptibilité du défaut de publicité: ce serait résoudre la question par la question.

En troisième lieu, et pour conclure, au sujet de la nature de cette nullité pour défaut de publicité, il faut tenir compte des degrés que comporte la notion d'ordre public, entendue dans un sens large. Dire qu'un principe est d'ordre public, cela signifie simplement qu'il doit prévaloir contre

térêt, en l'état actuel de la cause, de s'arrêter à l'examen de tous les griefs invoqués par Leclercq et Barbieux, à l'appui de leur demande en nullité de la Société

d'autres principes; cette supériorité est toute relative, dès qu'il ne s'agit plus de l'ordre public au sens le plus élevé, comme c'est le cas pour ces nullités d'intérêt privé général. Les nullités pour défaut de publicité ou autres vices de constitution sont d'ordre public par rapport au principe de l'autonomie de la volonté, car les associés ne peuvent pas, par un simple acte de volonté, confirmer la société en retirant aux tiers leur droit d'annulation; elles ne sont plus d'ordre public, par rapport à ce principe d'équité que nul ne doit pouvoir invoquer contre les tiers non responsables les conséquences d'un fait qui lui est imputable, puisque les associés ne peuvent opposer la nullité aux tiers; l'une, la nullité pour irrégularité de constitution, n'est pas d'ordre public par rapport au principe d'après lequel tout vice disparaît par le laps du temps; en définitive, pour l'autre, la nullité pour défaut de publicité, rien ne démontre qu'elle doive être traitée de la même façon, et qu'elle soit susceptible de se prescrire, mais rien ne démontre non plus qu'elle doive, au contraire, être d'ordre public par rapport ce même principe, et être imprescriptib'e comme telle. V. Japiot, op. cit., p. 303 et s., 307, note 1, p. 322, note 1, p. 645 et 646. V. aussi, Lyon-Caen et Renault, op. cit., 4° éd., t. 2, 2. part., n. 784 et 785; Hémard. op. cit., n. 142 et 196.

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Ajoutons que la question n'est pas plus résolue, si l'on donne à l'inefficacité de la société non publiée une nature différente de la nullité proprement dite, inopposabilité», suivant M. Thaller (op. cit., n. 366), irrégularité », suivant la théorie nouvelle de M. Hémard (op. cit., n. 145), car ces auteurs doivent bien reconnaître que la prescription peut s'appliquer à l'inopposabilité ou à l'irrégularité, suivant les cas. V. Thaller, op. cit., n. 547, 518, 551, et p. 305, note 1; Hémard, op. cit., n. 144, p. 247, et n. 145, 196 et 197.

§ 2.

Application de l'art. 1304, C. civ., et de l'art. 8 de la loi du 24 juill. 1867. L'art. 1304, C. civ., s'appliquerait certainement si la nullité était relative, c'est-à-dire si elle était créée dans l'intérêt privé de certaines personnes seulement; mais il n'en est pas ainsi; elle est créée, avons-nous vu, dans l'intérêt de toutes personnes, et peut être invoquée par toutes personnes; la limitation que subit le droit des associés ne l'atténue qu'au point de vue passif, et elle reste absolue au point de vue actif. V. Japiot, op. cit., p. 617 et 645, note 3. D'autre part, en dépit de certaines divergences, on semble admettre de plus en plus que ce texte ne vise pas les nullités absolues, même si on ne lui donne pas pour base une présomption de confirmation. V. en ce qui concerne les nullités absolues en général, Japiot, op. cit., p. 838.

Nous avons donc seulement à rechercher si l'art. 8 de la loi du 24 juill. 1867 peut être étendu des autres irrégularités de constitution au cas de défaut de publicité. Presque tous les auteurs se bornent à affirmer qu'il n'est pas susceptible d'extension, parce qu'il déroge au droit commun, par. fois en invoquant l'idée d'ordre public que nous venons de discuter. V. Lyon-Caen et Renault, op. cit., t. 2, 1re part., p. 203, n. 218, note 1; Houpin, op. cit., t. 2, n. 1021, p. 192; Thaller et Pic, op. cit., t. 1o, n. 306. M. Hémard, allant plus au fond des choses, combat cette extension, et explique

coopérative l'Union fraternelle de Liévin, qui reconnait d'ailleurs qu'elle n'a pas obéi aux prescriptions de la loi de 1867, et n'a pas satisfait aux conditions de pu

l'imprescriptibilité en disant que le législateur a voulu rendre instable et incertaine la société non publiée, et que l'imprescriptibilité assure et maintient précisément cet état d'insécurité (Hémard, op. cit., n. 145). Mais il nous semble que, dans tous les cas de nullité résultant d'irrégularités de constitution, qui ne sont pas moins graves que le défaut de publicité, la loi frappe de même la société de cette instabilité, à titre de sanction. La question est donc de savoir si et pourquoi cette instabilité doit être perpétuelle seulement dans le cas de défaut de publicité, et nous ne voyons pas là une explication catégorique de cette différence.

Pour nous, la notion d'ordre public ne résout pas la question a priori, puisqu'il ne s'agit pas véritablement de l'ordre public au sens le plus élevé. Elle la résout cependant indirectement, parce que la nullité d'ordre public au sens large, c'est-à-dire la nullité d'intérêt privé simplement général, est, en principe, imprescriptible. Cette nullité semblerait devoir se prescrire au moins par trente ans, dans notre hypothèse, parce qu'on dit souvent qu'il y a lieu alors d'exercer une action spéciale en nullité (V. not., Lacour, Précis de dr. comm., n. 269; Bédarride, op. et loc. cit.), et parce que toute action se prescrit, en dehors des cas où il s'agit de l'ordre public, par trente ans : ce raisonnement, malgré tout, serait inexact, car il n'y a pas d'action spéciale en nullité, surtout lorsque la nullité n'est pas relative; on intente, en réalité, directement une action de droit commun, qui est ici l'action en dissolution, et qui est faussement qualifiée action en nullité ». V. Thaller, op. cit.,

n. 366; Hémard, op. cit., n. 94, 1o, n. 144, p. 245, et n. 145; Japiot, op. cit., p. 373, note 1, et p. 876-877. Comp. Planiol, Tr. élém. de dr. civ., 6 éd., t. 1, p. 339, 4°. Dès lors, l'exclusion de la prescription, même trentenaire, est la règle, et, a fortiori, le caractère exceptionnel de l'art. 8 subsiste et apparaft nettement, malgré que la nullité d'ordre public soit, au sens rigoureux de l'expression, avons-nous vu, inadmissible.

Que l'art, 8 ne concerne que les autres irrégularités de constitution, cela résulte de diverses considérations de forme et de fond, qui font perdre toute valeur au passage des travaux préparatoires invoqué en sens contraire.

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Au point de vue des textes, on a fait observer à bon droit que l'art. 8 vise l'acte constitutif », et, par l'intermédiaire de l'article précédent, les art. 1 à 5, qui parlent seulement des vices autres que le défaut de publicité. V. Thaller et Pic, op. cit., t. 1, p. 406, n. 306 in fine. Nous ajouterons que les dispositions concernant la prescription ont été introduites par la loi du 1er août 1893, « sur les sociétés par actions », et devaient prendre place, dans la loi du 24 juill. 1867, dans les titres relatifs aux seules sociétés par actions; on ne voit pas comment le législateur aurait pu, en traitant de ces seules sociétés, modifier la sanction d'un régime de publicité auquel il ne touchait pas, qui résultait d'un autre titre de la loi ancienne, demeuré intact, et qui constituait un régime général, applicable même aux sociétés par intérêt.

Enfin, au point de vue des principes de droit, la différence établie en matière de prescription, critiquée par la majorité des auteurs pour des motifs d'utilité pratique, nous paraît trouver, non pas une justification, mais une explication, dans certaines idées générales concernant les ineffica

blicité que les art. 55, 56 et 58 exigent à peine de nullité; Attendu qu'en fait, elle n'excipe plus de la délibération du 10 déc. 1908, non déposée ni publiée, suivant laquelle la liquidation aurait été décidée, pas plus qu'elle ne peut exciper d'autres actes qui sont postérieurs à l'assignation introductive d'instance, du 22 mars 1909; Attendu qu'elle prétend cependant que la nullité ne peut être prononcée; que, pour ce faire, elle invoque le bénéfice des dispositions de la loi du 1er août 1893, qui édicte que les actions en nullité contre les actes constitutifs des sociétés sont prescrites par dix ans, et qu'elle soutient qu'elle doit bénéficier de cette prescription, eu égard à la date de son acte de constitution, qui a été rédigé le 22 mars 1896; Attendu que Leclercq et Barbieux critiquent l'application que l'Union fraternelle entend faire de la loi du 1er août 1893, en disant que cette loi, à la vérité, a modifié les dispositions relatives à la nullité, pour vices de constitution, des socié tés dont s'occupe la loi de 1867, mais qu'elle n'a rien innové, en ce qui concerne la nullité provenant du défaut de publicité ou de la publicité irrégulière; Attendu qu'à cette objection, l'Union fraternelle répond en disant que cette distinction doit être écartée, parce que la prescription qui est édictée par la loi nouvelle repose sur une considération d'intérêt général, à savoir : la nécessité de consolider l'existence des sociétés qui, entachées d'un vice originaire, ont donné des preuves de vitalité, et qu'il serait plus nuisible qu'utile, au point de vue du crédit public, d'anéantir une société, à raison d'une irrégularité qui ne semble pas avoir exercé d'influence fâcheuse sur

cités de forme. On peut remarquer que, dans l'ensemble des cas innombrables où un acte se trouve privé d'un effet juridique quelconque ou de tous ses effets, soit par suite d'une nullité, soit par suite d'une inopposabilité, on a tendance à admettre plus facilement que cette inefficacité disparaît avec le temps, lorsqu'il s'agit d'un vice de fond et non d'un vice de forme; la prescription, fondée sur le respect des situations de fait, consolide les situations régulières en apparence, quoiqu'antijuridiques au fond, plutôt que les situations dont le vice résulte d'une cause apparente, formelle, et atteignant le fait lui-même; parfois, la nature même des choses résiste à la prescription l'inefficacité du billet non revêtu du bon pour, en matière de preuve, ne peut disparaître avec le temps; il y a là une inexistence matérielle de la forme, le temps n'engendre pas l'accomplissement matériel de la formalité; la notion d'inexistence imprescriptible est ici plus exacte qu'en d'autres cas; pour les inopposabilités, le caractère de fond ou de forme du vice est peutêtre même le critère de l'application de la prescription trentenaire : l'acte frauduleux du débiteur devient opposable à ses créanciers au bout de trente ans, par la prescription de l'action paulienne; la vente immobilière non transcrite ne devient pas opposable aux tiers de la loi de 1855, même après trente ans, parce qu'il s'agit d'une inopposabilité de forme. V. Japiot, op. cit., p. 236 à 251, 372 à 376, 877 et s. Ces idées, relatives à l'imprescriptibilité des seules inopposabilités de forme, ont d'autant plus d'importance, en matière de sociétés, que l'on a souvent dit qu'il y avait

la marche des affaires sociales; qu'elle ajoute encore que le but de la loi nouvelle serait manqué, si l'on décidait que toutes les actions en nullité d'une société ne sont pas soumises aux mêmes règles d'extinction et de prescription; Attendu que le rapport de M. Clausel de Coussergues confirme cette interprétation; qu'il dit, en effet, qu'on a voulu, par la loi nouvelle, couvrir toutes les nullités, non seulement pour inobservation des conditions imposées à la formation des sociétés par actions, mais même pour violation des règles de la publicité; Attendu que ces considérations ne sauraient être accueillies; qu'en effet, la nullité des sociétés pour défaut de publicité a été établie, non pas dans un intérêt purement privé, mais dans un intérêt général, qui est celui du crédit de la société; que l'action en nullité présente ainsi un caractère d'ordre public, qu'elle a conservé, avec toutes ses conséquences légales, même depuis la loi du fer août 1893; qu'étant d'ordre public, elle doit être imprescriptible; qu'on ne saurait admettre, à défaut d'un texte contraire, qu'une société illégalement constituée puisse devenir légale et valable par l'expiration d'un laps de temps plus ou moins long; Attendu que le texte luimème contredit la prétention de l'Union fraternelle; qu'en effet, les dispositions de l'art. 3 de cette loi, qui ont été incorporées dans l'art 8 de la loi du 24 juill. 1867, en vertu desquelles l'action en nullité peut être couverte, soit par la prescription de dix ans, soit par l'accomplis sement tardif des conditions primitivement omises, ne visent que les nullités encourues pour irrégularité de constitu

ici, non pas une nullité, mais une inopposabilité. V. Thaller, op. cit., n. 366; Bonnelli, Rivista di diritto commerciale, 1906.1.17. V. encore, sur l'inopposabilité des clauses dérogatoires au droit commun non publiées, Hémard, op. cit., n. 145, 146 in fine, 408, p. 818 et passim. On conçoit donc très bien que le législateur de 1893 ait pu s'être inspiré inconsciemment de cette distinction générale des inefficacités de forme et des inefficacités de fond, pour créer une prescription de dix ans pour les seules irrégularités de fond, résultant d'une violation en quelque sorte instantanée de la loi, qui s'est produite au moment de la constitution de la société, et ne pourrait être découverte que par des investigations rétrospectives portant sur les faits qui se sont passés à cette date, et non pas pour le défaut de publicité, consistant plutôt dans une absence permanente de publicité, qui se perpétue et se renouvelle chaque jour, en demeurant extérieurement visible.

R. JAPIOT, Professeur agrégé

à la Faculté de droit de Caen.

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(1-2) Il est certain qu'en principe, un propriétaire a le droit de prendre les mesures qu'il juge utiles pour retenir le gibier sur ses terres; il peut notamment employer des claqueurs, chargés, par le bruit auquel ils se livrent au moyen d'instruments à ce appropriés (fouets, crécelles, etc.), d'empêcher le gibier d'émigrer sur les terres avoisinantes. V. Paris, 4 mars 1869 (cité par Giraudeau, Lelièvre et Soudée, La chasse, n. 840); Trib. de Bruxelles, 5 févr. 1878 (cité par Jamar,

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AMIENS 7 février 1912. CHASSE, PROPRIÉTAIRE, CLAQUEURS, ABUS DU DROIT, TAPAGE EXCESSIF, VOISINS, PREJUDICE, DOMMAGES-INTÉRÊTS (Rép., v Chasse, n. 322 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 220, 1513 et s.).

Tout propriétaire a le droit d'employer des claqueurs, pour empêcher le gibier existant sur ses terres de passer dans les propriétés voisines (1) (L. 3 mai 1844, art. 1er).

Toutefois, il excède son droit, et encourt une condamnation à des dommages-intérêts envers les propriétaires lésés, si les claqueurs, apostés à la limite extrême des terres sur lesquelles il a le droit de chasse, se livrent du matin au soir, pendant la période d'ouverture de la chasse, à un charivari assourdissant, de nature à troubler le repos des propriétaires des habitations voisines, et qui leur cause ainsi préjudice (2 (C. civ., 1382).

Rep., v Chasse, n. 93); Trib. de Corbeil, 2 mars 1898 (cité par Carême, Rép. des dr. et oblig. des chasseurs, n. 121). Adde, Giraudeau, Lelièvre et Soudée, op. et loc. cit.; et notre Rép. gén. du dr. fr., vo Chasse, n. 325; Pand. Rép., eod. verb., n. 1513. Un arrêt de la Cour de Paris, du 10 mars 1897 a également reconnu implicitement la légitimité d'une pareille pratique, à l'occasion de poursuites pour délit de chasse sur le terrain d'autrui dirigées contre un individu qui, aposté par un propriétaire à la limite de son terrain pour y maintenir le gibier en l'effrayant par des claquements de fouet, était prévenu d'avoir dépassé les limites de ce terrain. V. Paris, 10 mars 1897 (S. et P. 1898.2.211; Pand. pér., 1898.2.169), et la note. V. aussi, Larcher, Rép. du dr. de chasse, n. 28. Comp., sur le droit d'employer des banderolles destinées également à retenir le gibier, Cass. 16 juin 1866 (S. 1866.1. 414. P. 1866.1103), et la note. Adde, Chenu, Chasse et procès, p. 20; Giraudeau, Lelièvre et Soudée, op. et loc. cit.; et notre Rép. gén. du dr. fr., verb. cit., n. 322 et s.; Pand. Rép., verb. cit., n. 1518 et s.

Mais, si l'usage de claqueurs est en soi licite, il est évident qu'il dégénère en abus, et expose son auteur à des dommages-intérêts, lorsque le bruit que font les claqueurs a pour effet de troubler les voisins dans l'exercice de leur droit de propriété. Il est, en effet, de principe que celui qui use de son droit peut être considéré comme ayant commis une faute de nature à engager sa responsabilité, si, dans l'exercice de ce droit, il porte atteinte aux droits et aux intérêts d'un tiers. V. Trib. de Sedan, 17 déc. 1901 (S. et P. 1904.2.217), et la

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