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la loi du 1er avril 1898, ne fait pas obstacle au fonctionnement de l'association comme société de secours mutuels libre, un mois après l'accomplissement des formalités prescrites par l'art. 4 de ladite loi, conformément aux dispositions de cet article;

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En ce qui touche la légalité du refus d'approbation: - Considérant que l'art. 16 de la loi sus-mentionnée dispose que l'approbation ne peut être refusée par le ministre que dans les deux cas suivants : 1 pour non-conformité des statuts avec les dispositions de la loi; 2o si les statuts ne prévoient pas de recettes proportionnées aux dépenses, pour la constitution des retraites garanties ou des assurances en cas de vie, de décès ou d'accidents; Considérant que, pour refuser son approbation aux statuts de la société requérante, le ministre s'est fondé 1° sur ce que quelques-unes des dispositions de ces statuts ne seraient pas conformes aux dispositions de la loi; 2o sur ce que les recettes prévues seraient insuffisantes pour faire face aux dépenses des services statutaires; - Considérant que c'est à tort que le ministre a invoqué ce dernier motif à l'appui de sa décision, le cas prévu par le dernier paragraphe précité de l'art. 16 de la loi du 1er avril 1898 ne se présentant pas dans l'espèce, puisque la société ne doit constituer à ses membres ni retraites, ni assurances en cas de vie, de décès ou d'accidents; Considérant que le ministre a, également à tort, relevé, pour justifier sa décision, ce double motif que les dispositions des statuts, relatives aux pouvoirs du bureau, ne répondraient pas completement aux prescriptions de l'art. 5, $3, de la loi sus-mentionnée, et que lesdits statuts ne détermineraient pas avec une précision suffisante les avantages réservés aux membres de l'association, et ne satisferaient pas, par suite, aux prescriptions de l'art. 5, § 4, de la loi; qu'en effet, d'une part, les pouvoirs du bureau sont définis d'une façon suffisante par les art. 2, 3, 7 et 10 des statuts, et que, d'autre part, les art. 3 et 8 des mêmes statuts indiquent, d'une manière suffisante, des avantages dont jouiront les membres de la société;

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Considérant, enfin, que, si l'art. 3 des statuts prévoit qu'indépendamment des réductions sur le prix des visites médicales et le prix des produits pharmaceutiques, accordées indistinctement à tous les sociétaires, il sera alloué des secours aux malades nécessiteux, suivant leurs besoins et l'état de la caisse, cette disposition n'est pas contraire à l'art. 2 de la loi, qui porte que les sociétés de secours mutuels sont tenues de garantir à tous leurs membres

(1) Il ressort des termes de l'art. 61 de la loi du 22 juill. 1889 que c'est seulement en matière : 1o de contributions directes ou de taxes assimilées; 2° d'élections; 3° de contraventions aux lois et reglements sur la grande voirie et autres contraventions dont la répression appartient au conseil de préfecture, ainsi qu'en matière d'anticipation sur les chemins vicinaux, que le recours au Conseil d'Etat peut être formé par requête déposée à la préfecture ou à la sous-préfecture.

(2) D'après l'art. 68 de la loi du 5 avril 1884, les baux des biens communaux ne sont soumis à

participants les mêmes avantages, sans autre distinction que celle qui résulte des cotisations fournies et des risques apportés, et qui leur interdit seulement de créer, au profit de telle ou telle catégorie de leurs membres et au détriment des autres, des avantages particuliers; Mais considérant que le ministre était fondé à relever la non-conformité de l'art. 14 des statuts de la société requérante avec l'art. 11 de la loi, en ce qui touche les conditions de majorité exigées pour le vote de la dissolution volontaire de l'association par une assemblée générale des sociétaires, spécialement convoqués à cet effet, et à refuser, à raison de cette non-conformité des statuts avec les dispositions de la loi, son approbation aux statuts qui lui ont été soumis;... Art. 1. La requête est rejetée. Du 17 mars 1911. Cons. d'Etat. MM. Chareyre, rapp.; Blum, comm. du gouv.

-

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Les requêtes formées en matière de domicile de secours n'étant pas comprises dans la catégorie de celles que l'art. 61 de la loi du 22 juill. 1889 autorise les requerants à déposer à la préfecture ou à la sous préfecture, un recours contre un arrêté du conseil de préfecture statuant en cette matière, qui est parvenu et a été enregistré au Conseil d'Etat après l'expiration du délai légal, n'est pas recevable, alors même qu'il a été adressé au préfet du département avant l'expiration de ce délai (1) (Décr., 22 juill. 1806, art. 2; LL. 22 juill. 1889, art. 57 et 61; 14 juill. 1905).

(Comm. de Glanges).

LE CONSEIL D'ÉTAT; Vu la loi du 22 juill. 1889, art. 57; le décret du 22 juill. 1806; Considérant que, d'après l'art. 2 du décret du 22 juill. 1806, les requêtes doivent être déposées au secrétariat du Conseil d'Etat, et que les requêtes formées en matière de domicile de secours ne sont pas comprises dans les catégories de celles que l'art. 61 de la loi du 22 juill. 1889 autorise les requérants à déposer également à la préfecture ou à la sous-préfecture; Considérant que l'arrêté attaqué a été notifié au maire de Glanges, le 2 déc. 1908, et que, si la requête a été adressée d'a bord au préfet du département de la

l'approbation du préfet que dans le cas où leur durée excède dix-huit années. La résiliation des baux n'est pas mentionnée dans cet article; par suite, la délibération prise à ce sujet par le conseil municipal, à qui il appartient de régler les affaires de la commune (art. 61 de la même loi), est exécutoire par elle-même. La loi du 2 janv. 1907, qui exige l'approbation du préfet pour les baux des anciens presbytères, quelle qu'en soit la durée, ne contient non plus aucune disposition concernant la résiliation des baux. D'ailleurs, on a exigé cette approbation uniquement en vue d'empêcher les

Haute-Vienne, elle n'est parvenue et n'a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat que le 6 févr. 1909, c'est-à-dire après l'expiration du délai de deux mois fixé par l'art. 57 de la loi du 22 juill. 1889; que, dès lors, ladite requête n'est pas recevable; Art. 1er. La requête est rejetée.

Du 22 mars 1911. Cons. d'Etat. MM. Courtois de Maleville, rapp.; Riboulet, comm. du gouv.

CONS. D'ÉTAT 24 mars 1911. COMMUNE, PRESBYTÈRE, RÉSILIATION DE BAIL, DÉLIBÉRATION EXÉCUTOIRE, ADJUDICATION, BAIL DE GRÉ A GRÉ, PRÉFET, EXCÈS DE POUVOIR (Rép., v° Commune, n. 520 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 1280 et s., 2211 et s.).

La délibération d'un conseil municipal, prononçant la résiliation du bail d'un ancien presbytère, n'est point soumise à l'approbation du préfet, et elle est exécutoire par elle-même (2) (LL. 5 avril 1884, art. 68; 2 janv. 1907).

Aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonne la régularité de la location d'un ancien presbytère à la formalité de l'adjudication; par suite, un préfet excède ses pouvoirs, en refusant d'approuver la location d'un presbytère, par le motif qu'elle n'a pas eu lieu par voie d'adjudication (3) (Id.).

(Comm. de Bellevesvre).

LE CONSEIL D'ÉTAT; - Vu les lois des 2 janv. 1907 et 24 mai 1872; - Considérant, d'une part, que la résiliation du premier acte de location du presbytère de Bellevesvre n'était soumise à l'approbation du préfet, ni en vertu de la loi du 2 janv. 1907, ni en vertu de la loi du 5 avril 1884; qu'ainsi, la délibération du conseil municipal de Bellevesvre, portant sur cet objet, était exécutoire par ellemême; que, d'autre part, aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonnait la régularité de la nouvelle location du presbytère à la formalité de l'adjudication; que, dès lors, la décision par laquelle le préfet de Saône-et-Loire a refusé d'approuver la nouvelle location, par le motif unique qu'elle n'a pas eu lieu par voie d'adjudication, est entachée d'excès de pouvoir;....... Art. 1er. La décision

est annulée.

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Du 24 mars 1911. Cons. d'Etat. MM. de Lavaissière de Lavergne, rapp.; Corneille, comm. du gouv. ; de Lalande, av.

communes d'accorder des subventions déguisées pour le service du culte. Ce motif ne se rencontre point, en cas de résiliation des baux.

(3) La loi du 2 janv. 1907, qui exige l'approbation du préfet pour les baux par les communes des anciens presbytères, ne prescrit aucune forme spéciale pour la location. Il y a donc excès de pouvoir, de la part d'un préfet, à refuser son approbation à un bail passé par le conseil municipal, sur le seul motif que la location n'a pas eu lieu par voie d'adjudication.

CONS. D'ÉTAT 1er mars 1912.

FONCTIONNAIRE PUBLIC - FONCTIONS PUBLIQUES, EMPLOYÉ DES POSTES, GRÈVE, ADHÉSION PUBLIQUE, RÉVOCATION IMMÉDIATE, COMMUNICATION DU DOSSIER (Rép., vo Fonctionnaire public, n. 194; Pand. Rép., eod. verb., n. 233 et s.).

(1) Il y a quatre ans, à propos de l'affaire Winkell (Cons. d'Etat, 7 août 1909, S. et P. 1999. 3.145; Pand. pér., 1909.3.145), nous nous sommes déjà occupé de la grève des employés des postes et du refus qu'a opposé le Conseil d'Etat aux demandes d'annulation qui ont été formées contre les arrêtés de révocation par des employés compromis dans ce mouvement, alors que les demandes en annulation étaient motivées par la violation de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, relatif à la communication du dossier.

Il sera intéressant de revenir sur ce sujet à propos de l'affaire Tichit, parce que le Conseil d'Etat a singulièrement modifié sa formule. La décision reste identique, mais les considérants sont bien changés. Alors que l'arrêt Winkell était relativement long, l'arrêt Tichit est d'une brièveté remarquable; alors que, dans l'arrêt Winkell, le Conseil essayait d'analyser la situation des fonctionnaires, dans l'arrêt Tichit, il n'en parle plus, et il se borne à dire ceci Considérant qu'il résulte des rapports du chef du poste central téléphonique et de l'ingénieur en chef que le sieur Tichit a donné publiquement son adhésion à la grève, et qu'il a cherché à provoquer celle de ses collegues; qu'il n'est donc pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué, comme pris en violation de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905 ».

:

Ainsi, avant sa révocation, le sieur Tichit n'a pas été mis à même de demander communication de son dossier, alors que cette mesure de procédure est de rigueur avant toute mesure disciplinaire, aux termes de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, et, cependant, du moment que le sieur Tichit est convaincu de participation à une grève de fonctionnaires, il n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté de révocation pris à son égard, malgré l'omission de la procédure de communication du dossier. En d'autres termes, il n'y a pas, dans l'espèce, violation de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, parce que, malgré sa généralité apparente, cet article ne s'applique pas au cas de grève.

Ainsi, tandis que, dans l'arrêt Winkell, le Conseil d'Etat faisait porter son argumentation sur la situation particulière des fonctionnaires, et sur l'incompatibilité qu'il y a entre les prérogatives que leur donne cette situation et le droit de grève, dans notre arrêt Tichit, il fait porter son argumentation uniquement sur l'interprétation de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, sur une question d'interprétation de loi et de violation de la loi.

Et, qu'on le remarque bien, il ne s'agit pas de dire que le Conseil d'Etat, fatigué de répéter la formule de l'arrêt Winkell dans toutes les affaires de même espèce qu'il a eu à juger, a pris le parti de la simplifier. Quand le Conseil d'Etat croit avoir trouvé la bonne formule pour la solution d'une certaine espèce de questions, il n'en change plus, il la reproduit dans tous les arrêts successifs; témoin, la série des arrêts relatifs au monopole des Compagnies gazières. V. Cons. d'Etat, 26 déc. 1891 (2 arrêts), Comp. du gaz de St-Etienne et Comp. de l'éclairage électrique de Montluçon (S. et P. 1894.3.1); 11 janv. 1895, Comp. du gaz de Limoges (S. et P. 1896.3.129); 26 mars 1897, Ville de Flers (S. et P. ANNEE 1913. 10° cah.

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Le fonctionnaire public (en l'espèce, un commis des postes et télégraphes), qui, sans avoir reçu au préalable communication de son dossier, a été révoqué pour avoir publiquement donné son adhésion à une grève, et cherché à provoquer celle de ses collègues, n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté de révocation, sur le motif qu'il au

1899.3.41), et les renvois; 26 nov. 1897 (3 arrêts), Ville de Compiègne, Ville de Bar-le-Duc et Ville de Provins (Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, p. 718 et s.). V. encore, Cons. d'Etat, 21 janv. 1898, Comp. du gaz d'Avignon (S. et P. 1899.3.119). Quand il change sa formule primitive, c'est qu'il n'en est pas satisfait et qu'il en cherche une meilleure.

A notre avis, la formule de l'arrêt Tichit est meilleure que celle de l'arrêt Winkell, en ce qu'elle pose sur son véritable terrain la véritable question, celle de savoir s'il y a eu violation de la loi dans le fait de ne pas observer l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, au cas de révocation d'employés pour faits de grève. C'est ainsi que nous avions envisagé le problème dans notre note sous l'affaire Winkell, et nous avions été conduit à cette conclusion qu'en réalité, il s'agissait d'un cas d'inconstitutionnalité d'une loi, qu'il eût été inconstitutionnel d'appliquer la disposition de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905 au cas de grève de fonctionnaires, et que c'est pour cela qu'il n'y avait pas violation de la loi à ne l'avoir pas appliquée.

Nous voudrions reprendre cette idée avec plus d'ampleur, puisque, après tout, l'arrêt Tichit ne lui est pas défavorable.

Le tout est de s'entendre sur ce qu'il convient d'appeler l'inconstitutionnalité des lois; car il y a un sens étroit et un sens large de l'expression.

En son sens étroit, l'inconstitutionnalité des lois suppose que l'on distingue deux catégories de lois qui ne sont pas votées en la même forme, des lois constitutionnelles et des lois ordinaires, et que les lois en forme constitutionnelle sont supérieures aux lois ordinaires. La sanction normale de cette distinction est que, sur une question donnée, si une loi ordinaire se trouve en contradiction avec une loi en forme constitutionnelle, elle doit être déclarée inapplicable par le juge saisi du litige. V. comme application, Trib. d'Ilfov (Bucarest), 2 févr. 1912 (S. et P. 1912.4.9; Pand. pér., 1912.4.9), avec la note de M. Berthélemy, et, sur pourvoi, Cass. Roumanie, 16 mars 1912 (S. et P. 1912.4.28; Pand pér., 1912.4.28). Cette sanction n'est, d'ailleurs, complètement organisée qu'aux Etats-Unis d'Amérique. Il ne saurait être question d'appliquer le principe de l'inconstitutionnalité des lois, ainsi entendu, à notre affaire Tichit, pour la bonne raison que les lois constitutionnelles françaises, en tant qu'elles sont votées en une forme différente de celle des lois ordinaires, sont tres brèves, ne s'occupent que des rapports des pouvoirs publics, et que, justement, les lois organiques des pouvoirs publics, notamment les lois sur la hiérarchie administrative et sur les fonctions publiques, qui peuvent être considérées comme étant en contradiction avec le droit de grève des fonctionnaires, sont, en la forme, des lois ordinaires. La loi du 28 pluv. an 8, texte fondamental de la centralisation administrative, est, au point de vue de la forme, une loi de même espèce que l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, sur la communication du dossier, et, par conséquent, au point de vue de la forme, on ne peut pas opposer l'une à l'autre.

Mais l'inconstitutionnalité des lois peut être entendue en un sens plus large. Derrière l'idée

rait été pris en violation de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905 (1) (L. 22 avril 1905, art. 654.

(Tichit).

Un arrêté du sous-secrétaire d'Etat des postes et télégraphes, en date du 12 mai 1909, a révoqué à partir dudit jour M. Tichit, commis à l'Administration des postes

formelle de faire des lois constitutionnelles qui ne soient pas votées de la même façon que les lois ordinaires, afin d'acquérir par là plus de solennité et plus de valeur, il y a cette idée matérielle qu'il existe une hiérarchie parmi les lois, qu'il y a des lois fondamentales et d'autres qui ne le sont pas, et que les lois ordinaires doivent être subordonnées aux lois fondamentales. En d'autres termes, il se produit à notre époque, par rapport à la législation, un phénomène que nous apprécions encore mal, parce que nous en sommes trop les contemporains, mais qui, avec plus de recul, apparaitra dans toute son évidence; c'est un phénomène de différenciation dans les lois, destiné à opérer le triage de celles qui sont statutaires, c'est-à-dire fondamentales, et de celles qui ne le sont pas. Cela répond à un besoin profond de stabilité : il faut que la législation journalière ne puisse pas venir modifier à l'improviste les principes organiques sur lesquels repose l'Etat.

Il y a donc des lois fondamentales, et il y en a en dehors des lois constitutionnelles proprement dites. Sans doute, il serait bon de donner à toutes les lois fondamentales la forme constitutionnelle; cette garantie formelle leur serait précieuse; il y a des pays qui ont pris ce parti, et dont les lois constitutionnelles sont très longues. En France, très probablement parce que l'on croyait à la nécessité de la souveraineté absolue du Parlement, et pour le lier le moins possible, on a préféré les constitutions courtes.

Il n'y a pas, d'ailleurs, que la garantie de la forme constitutionnelle pour les lois fondamentales; il y a aussi la garantie du principe que l'on pourrait appeler le principe de la spécialité des lois. Qu'est-ce à dire? Cela signifie qu'une loi, faite pour un certain objet et sous une certaine rubrique, ne peut être modifiée que par une autre loi, faite spécialement pour le même objet et sous la même rubrique, et qu'elle ne pourrait point l'être par une disposition glissée dans une loi dont l'objet principal lui serait étranger, par exemple, dans une loi de finances. Pour qui sait combien, depuis quelques années, le Parlement a usé et abusé des réformes par voie budgétaire, par conséquent, des réformes improvisées et mal venues, le principe de la spécialité des lois paraîtra particulièrement nécessaire. Or, il vient d'être posé par le Parlement lui-même, dans la loi militaire du 7 août 1913 (J. off. du 8 août), art. 2, à propos de la fixité des effectifs. Il a été inséré dans cet art. 2 la clause que les effectifs militaires ne pourront être modifiés à l'avenir que par des lois spéciales indépendantes des lois de finances ». Sans doute, ce n'est qu'un commencement, et la stipulation est formelle dans la loi, c'est-à-dire que c'est le Parlement qui se lie les mains lui-même; mais c'est un commencement, et, s'il y a une suite, c'est-à-dire si la stipulation se répète, il en résultera bien vite une règle juridique, qui pourra être appliquée en dehors de toute stipulation.

Le procédé des constitutions rigides et le procédé des lois spéciales ne sont donc, à notre avis, que des moyens de forme, employés pour réaliser d'une certaine façon la distinction des lois fonIII PART. 18

et télégraphes. M. Tichit a déféré cet arrêté au Conseil d'Etat, en soutenant qu'il était pris en violation de l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, son dossier ne lui ayant pas été communiqué.

LE CONSEIL D'ÉTAT; - Vu la loi du 22 avril 1905, art. 65; les décrets des 23 avril 1883, 9 nov. 1901, 9 juin 1906 et 18 mars 1909; les lois des 7-14 oct. 1790 et 24 mai 1872;

Considérant qu'il résulte des rapports du chef du poste central téléphonique et de l'ingénieur en chef que le sieur Tichit a donné publiquement son adhésion à la grève, et qu'il a cherché à provoquer celle de ses collègues ; qu'il n'est donc pas fondé

damentales et des lois ordinaires, et préparer une solution aux conflits qui vont se produire entre les deux especes de lois. Mais pourquoi n'emploierait-on pas un procédé plus direct et plus efficace, qui consisterait à charger le juge d'opérer lui-même le triage des lois fondamentales, à mesure que les hasards des procès révéleraient le conflit entre les dispositions des lois ordinaires et les principes fondamentaux de l'organisation de l'Etat? Il ne s'agirait point, pour le juge, de prononcer la nullité d'une loi: il lui suffirait de refuser de l'appliquer, ou, comme dans notre espèce, de refuser de reconnaître qu'elle a été violée. La loi ne serait ainsi frappée d'inefficacité que dans les limites de la chose jugée. Le plus souvent, d'ailleurs, cela se réduirait à une simple affaire d'interprétation: telle disposition de loi ordinaire serait déclarée inapplicable à telle hypothèse, à raison de l'impossibilité de la concilier avec telle loi fondamentale.

Ce ne serait point une Cour de justice spéciale qui serait chargée de statuer; ce serait le juge saisi normalement du litige à l'occasion duquel se produirait le conflit entre la loi fondamentale et la loi ordinaire, ainsi que cela se passe aux Etats-Unis. V. la note de M. Berthélemy, § 2, sous Trib. d'Ilfov, 2 févr. 1912, précité. Par conséquent, ce serait tantôt le juge civil et tantôt le juge administratif. Dans les affaires Winkell, Tichit et autres semblables, nous croyons, pour notre part, que le Conseil d'Etat s'est trouvé en présence du conflit qu'il y a entre l'art. 65 de la loi du 22 avril 1905, qui impose une procédure pour la révocation des fonctionnaires, et les lois fondamentales sur la hiérarchie administrative, qui imposent la révocation immédiate et sans procédure au cas de grève des fonctionnaires, pour assurer la continuité du service, et qu'il a tranché le conflit en faveur des lois fondamentales. Et nous disons: il faut continuer.

A cela, on fait une objection. On prétend que c'est donner au juge un pouvoir politique, et qui limitera politiquement celui du Parlement. V. Esmein, Elém. de dr. constitut., 5o éd., p. 534: Dugnit, Tr. de dr. constitut., t. 1, p. 159; Larnaude, Bull. de la Soc. de legisl. comp., 1902, p. 225-229. Mais c'est une erreur qui provient de ce qu'on ne distingue pas suffisamment les ponvoirs politiques et les pouvoirs juridiques. Il n'y a de pouvoir politique, dans un Etat où existe la séparation des pouvoirs, que celui qui a la puissauce d'empêcher une mesure de devenir executoire. V. Montesquieu, Esprit des lois, liv. 11, cb. 6, sur la puissance d'empecher. Quand une mesure est devenue exécutoire, elle n'intéresse plus le pouvoir politique; si elle tombe dans la chausse-trappe d'un conflit, apres ou même avant son execution. cela n'est plus qu'un accident

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CONS. D'ÉTAT 24 mars 1911. CONTRIBUTIONS DIRECTES, IMPÔT FONCIER, IMPOT DES PORTES ET FENÈTRES, EXEMP TION TEMPORAIRE, HABITATIONS A BON Marché, CERTIFICAT DE SALUBritĖ, ProDUCTION, DÉLAI.

juridique, et le pouvo juridictionnel, qui, à raison de ce conflit, appréciera les conséquences de son exécution, ou qui l'annulera avant son exécution avec des formes juridictionnelles, n'est plus qu'un pouvoir juridique. La distinction du politique et du juridique se place entre le pouvoir exécutif et le pouvoir juridictionnel. Or, le propre du pouvoir exécutif est de rendre les mesures exécutoires, le propre du pouvoir juridique et juridictionnel est de traiter, au point de vue du droit, les conflits provoqués par les mesures devenues exécutoires.

Un juge qui refuse d'appliquer une loi à une hypothèse déterminée n'empêche point cette loi de devenir exécutoire; il n'a point la prétention d'arrêter le Parlement dans son droit de légiférer, ni le chef de l'Etat dans la promulgation. Il ne s'occupe de cette loi qu'après qu'elle a été votée; il ne l'annule même pas. Le Conseil d'Etat annule des décisions administratives exécutoires, et, ce faisant, on ne dit point qu'il soit un pouvoir politique. A plus forte raison, le juge qui refuserait d'appliquer une loi ordinaire, comme contraire à une loi fondamentale, ne ferait point un acte politique, puisqu'il n'annulerait même pas la loi ordinaire. Il ne déclarerait même pas la loi inapplicable en toute hypothèse; le plus souvent, il ne la déclarerait inapplicable qu'en de certaines hypothèses. Il ne ferait qu'un travail d'interprétation et de mise au point de la loi, en partant de l'idée qu'il y a une hiérarchie parmi les lois, et que, de cette hiérarchie, il peut résulter des conflits; il classerait les lois une fois faites, il les rangerait par catégories, il ferait la besogne d'un conservateur de musée ou d'un bibliothécaire, ou d'un archiviste, et cela, d'après les intentions du législateur luimême, car il faut supposer bien évidemment que la distinction des lois fondamentales et des lois ordinaires serait admise par celui-ci implicite

ment.

Pour les mêmes raisons, il est bien clair qu'en usant de ce pouvoir d'interpréter et de cataloguer les lois votées en fondamentales et ordinaires, le juge ne commettrait pas un délit. On a brandi un texte du Code pénal, qui, en réalité, s'applique à tout autre chose; c'est l'art. 127, § 1, ainsi conçu : « Seront coupables de forfaiture et punis de la dégradation civique: 1° les juges... qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, soit par des règlements contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou en suspen dant l'exécution d'une ou de plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si les lois seront · publiées ou exécutées ». Le juge, qui statue sur le conflit qui s'éleve, en une matière donnée, entre une loi fondamentale et une loi ordinaire, ne s'immisce pas dans l'exercice du pouvoir législatif, il ne fait pas un arrêt de règlement, il n'arrête ni ne

Dans le cas où une habitation à bon marché a été achevée après la promulgation de la loi du 12 avril 1906, mais avant la publication du décret du 10 janv. 1907, en vertu duquel l'exonération d'impôts doit être appuyée du certificat de salubrité de l'immeuble, dans un délai de trois mois à compter de l'achèvement de la construction, le propriétaire de l'immeuble n'est astreint, pour la production du certificat de salubrité, à l'observation d'aucun autre délai que celui qu'il appartient au juge de lui assigner (1) (L. 12 avril 1906, art. 5 ct 9; Décr., 10 janv. 1907, art. 59).

En conséquence, une société de construc

suspend l'exécution d'une loi; la loi demeure exécutoire; il règle un conflit entre deux lois, et c'est, en réalité, l'une des lois qui suspend l'application de l'autre dans le cas donné.

Ce qui emporte tout, d'ailleurs, c'est qu'il y a un besoin urgent d'assurer la stabilité des institntions contre le danger des remaniements faits à la légère par les lois ordinaires. Qu'on donne satisfaction à ce besoin par la théorie des lois en forme constitutionnelle, ou par celle des lois fondamentales, la chose en soi importe peu, l'essentiel est qu'on trouve un moyen pratique. Nous inclinerions en faveur de la théorie des lois fondamentales, telle que nous venons de l'exposer, parce qu'elle n'exige aucun remaniement des lois organiques; elle n'oblige pas à leur donner la forme constitutionnelle; elle laisse au juge le soin de discerner les lois fondamentales. Cela se ferait lentement, progressivement, avec l'assentiment tacite du législateur. Le Conseil d'Etat, en ce qui le concerne, peut aussi bien établir une liste des lois fondamentales qu'il a établi une liste des actes de gouvernement.

L'essentiel est de rompre avec cette idée absurde que toutes les lois seraient pareilles. Non. toutes les lois ne sont pas pareilles. Il y a déjà l'exemple des lois constitutionnelles qui sont hors classe; voici maintenant l'exemple, donné par la loi militaire du 7 août 1913, de dispositions de lois qui ne peuvent pas être modifiées par voie budgétaire : nous avons rencontré, il y a quelque temps une distinction à faire entre des lois qui seraient impératives et d'autres qui seraient simplement permissives ou indicatives. V. Cons. d'Etat, 26 janv. 1912, Blot (Supra, 3 part., p. 17), et la note de M. Hauriou. Pourquoi n'y aurait-il pas aussi une distinction entre des lois fondamentales et des lois ordinaires? D'une certaine façon, un Etat entré dans la voie du régime constitutionnel est un Etat qui élabore son statut, et le statut doit comprendre toutes les lois fondamentales. Il n'est pas dit que le statut ne puisse être fixé que par des lois en forme constitutionnelle, ni qu'il ne puisse être fixé que par le Parlement. Les puissances juridiques doivent y travailler aussi bien que les pouvoirs politiques; c'est une tâche magnifique pour le juge.

MAURICE HAURIOU.

(1) Cette décision, rendue par l'assemblée du Conseil d'Etat siégeant au contentieux, fixe la jurisprudence sur la question. Il convient de remarquer que, à la suite de la loi du 23 déc. 1912 (S. et P. Lois annotées de 1913, p. 484; Pand. per., Lois annotées de 1913, p. 484), qui a modifié et complété la législation sur les habitations à bon marché, un décret du 3 mai 1913 (S. et P. Lois annotées de 1913, p. 500; Pand. pér., Lois annotées

tion d'habitations à bon marché, qui n'a pas produit devant le conseil de préfecture le certificat de salubrite, a droit à l'exemption d'impôts, si, en appel devant le Conseil d'Etat, elle justifie que, posté rieurement à l'arrêté du conseil de préfecture, le comité de patronage des habitations à bon marché a reconnu salubres les maisons édifiées par elle, et si elle remplit, en outre, les conditions exigées par la loi pour avoir droit à l'exemption temporaire d'impôts (1) (Id.).

(Soc. de construction d'habitations à bon marché l'Abri).

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LE CONSEIL D'ÉTAT; Vu la loi du 12 avril 1906 et le décret du 10 janv. 1907; Considérant, d'une part, que si, d'après les art. 5 et 9, combinés, de la loi du 12 avril 1906, les maisons d'habitation à bon marche ne sont temporairement affranchies de la contribution foncière et de la contribution des portes et fenêtres qu'à la condition que la salubrité en ait été certifiéé par un comité de patronage, aucune disposition de ladite loi n'impartit de délai pour l'accomplissement de cette formalité; que, d'autre part, l'art. 59 du décret du 10 janv. 1907, en vertu duquel la demande d'exonération doit être appuyée du certificat de salubrité dans un délai de trois mois, fixe comme point de départ de ce délai l'achèvement de la construction; que, par suite, il n'est pas applicable aux maisons qui ont été terminées antérieurement à la publication dudit décret; que, dans cette hypothèse, les intéressés ne sont astreints, pour la production du certificat dont s'agit, à l'observation d'aucun autre délai que celui qu'il appartient au conseil de préfecture de leur assigner; Considérant qu'il résulte de l'instruction que les maisons de la Société l'Abri ont été achevées aux mois de mai et juin 1906; qu'ainsi, c'est à tort que le conseil de préfecture, qui n'avait imparti aucun délai à ladite société, a rejeté sa demande, par le motif qu'elle n'avait pas été appuyée d'un certificat de salubrité dans les trois mois de la publication du décret du 10 janv. 1907; Considérant qu'il est établi par les pièces versées au dossier que le comité de patronage des habitations à bon marché du Pas-de-Calais a, le 9 avril 1908, reconnu salubres les maisons édifiées par la société requérante; que celle-ci remplit, en outre, les autres conditions exigées par la loi du 12 avril 1906 pour avoir droit à l'exemption temporaire de la contribution foncière et de la contribution des portes et fenêtres; que, dès lors, elle est fondée à réclamer le bénéfice de cette exemption;... Art. 1er. Les arrêtés sont annu

de 1913, p. 500) a, dans son art. 8, porté à quatre mois, à compter du jour de l'achèvement de la construction, le délai dans lequel devra être produit le certificat de salubrité.

(1) V. la note qui précède.

(2-3) Bien que le domaine public répugne à toute idée de droits privatifs appartenant à des particuliers, il y a des cas exceptionnels où un particulier peut occuper des dépendances de ce domaine et y exécuter des travaux en vertu de titres valables, sans être exposé à des poursuites

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CONS. D'ÉTAT 24 mars 1911. DOMAINE DE L'ETAT OU DOMAINE PUBLIC, FLEUVE, DÉPENDANCES, TERRAIN, CONSTRUCTIONS, VENTE NATIONALE, TITRE, CONTRAVENTION DE GRANDE VOIRIE (ABSENCE DE) (Rép., v° Biens nationaux, n. 21 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 18 et s.). Dans le cas où le riverain d'un fleuve a élevé des constructions sur un terrain qui, bien que recouvert par les plus hautes eaur coulant à pleins bords avant tout débordement, et faisant, par suite, partie du domaine public, avait été l'objet d'une vente nationale en l'an 4, le riverain, en sa qualité d'acquéreur, est fondé à se prévaloir de l'origine de sa propriété pour invoquer, à l'encontre même du domaine public, le principe de l'inviolabilité des droits résultant des ventes nationales (2) (Arrêt du Cons., 24 juin 1777).

En conséquence, le fait d'avoir élevé les constructions ci-dessus indiquées ne constitue pas une contravention de grande voirie commise sur le domaine public fluvial, et le riverain du fleuve doit être renvoyé des fins du procès-verbal de contravention dressé contre lui (3) (Id.).

(Chemitlin).

M. Chemitlin a élevé des constructions, au bord de la Seine, sur un terrain qui est recouvert par les plus hautes eaux du fleuve coulant à pleins bords avant tout débordement. Le conseil de préfecture de la Seine l'a condamné, pour exécution d'ouvrages sur les dépendances du domaine public fluvial, à la démolition de ces ouvrages et à 50 fr. d'amende.-M. Chemitlin a formé un pourvoi contre cette décision. Il a exposé notamment que son terrain constituait autrefois une partie d'un vaste domaine, qui avait été confisqué sous la Révolution comme bien d'émigrés, et qui avait été ensuite acquis du domaine natiole maréchal Brune, suivant acte du 12 mess. an 4. Le terrain ayant fait ainsi l'objet d'une vente nationale, le requérant soutenait qu'il aurait dû être renvoyé des fins du procès-verbal.

nal par

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pour contravention de grande voirie. Ces titres exceptionnels peuvent résulter de concessions antérieures à l'édit de Moulins de 1566, ou de ventes nationales. V. sur cette question, la note sous Cons. d'Etat, 31 juill. 1908, Dame de Vallefond (S. et P. 1911.3.9; Pand. pér., 1911.3.9). Adde, Laferriere, Tr. de la jurid, admin, et des rec. content., 2o éd., t. 2, p. 648 et s. Il a été décidé, par application de ces principes, qu'un étang au bord de la mer ne peut être compris dans les dépendances du domaine public maritime, dans le cas où un particulier jus

lin a exécuté les ouvrages qui ont donné lieu au procès-verbal, a fait l'objet d'un acte de vente nationale, passé le 12 mess. an 4; que le requérant, en sa qualité d'acquéreur, est fondé à se prévaloir de l'origine de la propriété pour invoquer, à l'encontre même du domaine public, le principe de l'inviolabilité des droits résultant des ventes nationales; qu'ainsi, les faits relatés au procès-verbal ne constituaient pas des contraventions de grande voirie commises sur le domaine public fluvial; que, dès lors, c'est à tort que le conseil de préfecture a condamné le requérant à la démolition desdits ouvrages, à 50 fr. d'amende et aux dépens;... Art. 1er. L'arrêté est annulé. Art. 2. Le sieur Chemitlin est renvoyé des fins du procès-verbal dressé contre lui.

Du 24 mars 1911. Cons. d'Etat. MM. Jaray, rapp.; Chardenet, comm. du gouv.; Durnerin, av.

CONS. D'ÉTAT 24 mars 1911. PATENTE, DROIT FIXE, ÉTABLISSEMENT DISTINCT, USINE POUR LA FABRICATION, TISSAGE DE SOIE, LIEU D'IMPOSITION, DROIT PROPORTIONNEL, USINE, MOYENS MATÉRIELS DE PRODUCTION, ENERGIE ÉLECTRIQUE, FORCE MOTRICE (Rép., v° Patentes, n. 918 et s., 1014 et s., 1236 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 1912 et s., 2008 et s.).

Les industries du tissage de soie et du dévidage de fil étant, d'après le tarif du tableau C annexé à la loi du 15 juill. 1880, assujetties au droit fixe en raison du nombre des métiers ou des broches mis en action, l'exercice de ces professions consiste essentiellement dans les actes de fabrication, et non dans les opérations commerciales qui les suivent ou les précédent (4) (L. 15 juill. 1880, tabl. C annexé).

En conséquence, une usine, dans laquelle s'exécute l'ensemble des opérations que comportent le tissage de la soie et le dévidage du fil,et qui est placée sous l'autorité d'un agent responsable, chargé de la direction de la fabrication, constitue un établissement distinct, au sens de l'art. 8 de la loi du 15 juill. 1880, alors même que le directeur de l'usine n'effectuerait ni achats de matières premières et d'outillage, ni ventes d'objets fabriqués, qu'il n'aurait, même au point de vue industriel, aucune initiative personnelle, et que les produits de l'usine, avant d'être mis en vente, recevraient, dans un établissement installé dans une autre commune, un complément de fabrication (5) (L. 15 juill. 1880, art. 8).

Le propriétaire de l'usine est, dès lors, imposable au droit fixe de patente dans la commune où est située l'usine (6) (Id.).

tifie de titres antérieurs à l'édit de 1566. V. Cons. d'Etat, 31 juill. 1908, Dame de Vallefond, précité. V. encore, Cons. d'Etat, 11 juin 1909, Serrois, Guyot de Villeneuve et autres (S. et P. 1910.3.113; Pand. pér., 1910.3.113), et la note de M. Hauriou.

(4-5-6) Cette décision, qui a été rendue par l'as semblée du Conseil d'Etat siégeant au contentieux, fixe la jurisprudence sur une question délicate, dont les conclusions ci-dessus reproduites de M. Corneille, commissaire du gouvernement, présentent un examen très complet.

Le droit proportionnel de patente, dù à raison de l'énergie électrique employee comme force motrice, doit être calculé, non sur la redevance payée au producteur d'énergie, mais sur une valeur locative égale à celle de l'outillage employé à l'usine génératrice pour produire cette force (1) (L. 15 juill. 1880). Sol. implic.

(Forest et Cie).

M. le commissaire du gouvernement Corneille a présenté dans cette affaire les conclusions suivantes :

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Les sieurs Forest et Ce sont fabricants de rubans; le siège social est à Saint-Etienne; l'ensemble des opérations de fabrication est assuré dans trois usines, sises dans le département de la Loire à Saint-Etienne même, à Saint-Maurice-de-Lignon et à Yssingeaux. Or, en 1909, sous le nom de Forest (Pierre), gérant de la commandite, sous l'art. 336 du role, la dernière des trois usines a été imposée au droit fixe et au droit proportionnel : au droit fixe, taxe uniquement variable, 100 métiers, 2.480 broches, en qualité de fabricant à métiers et dévideur de fils, tableau C, deux professions, méme établissement; au droit proportionnel, au 60° sur 15.160 fr. de valeur locative.

"La société fit une réclamation, soulevant trois questions: 1o Le droit fixe afférent aux métiers et aux broches n'est-il pas imposable à Saint-Étienne, et non à Yssingeaux? 2° Subsidiairement, les opérations de dévidage constituent-elles une industrie distincte? 30 L'énergie électrique, employée comme force motrice, n'a-t-elle pas été surévaluée pour l'assiette du droit proportionnel? Le conseil de préfecture rejeta la réclamation sur les trois points. Devant vous, la société les reprend, mais, pour deux d'entre eux, la question se simplifie. Elle se simplifie pour le troisième point, à cause d'un arrêt du 5 août 1908, De Montgolfier (Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, p. 877), où vous avez décidé que tout patentable qui loue de l'énergie électrique à une usine de production n'est pas imposable au droit proportionnel d'après le chiffre global de la redevance qu'il paie à celui qui lui loue cette force, mais seulement à raison de la portion de cette rederance représentant la valeur locative de l'outillage produisant l'énergie donnée à bail. Déjà, pour 1907, en vertu de ces principes, une décision de la troisième sous-section spéciale a réduit ici la base du droit proportionnel de 1.600 fr. à 880 fr. Nous vous proposons la même réduction pour 1909. La question se simplifie, d'autre part, en ce qui concerne les prétentions subsidiaires pour les opérations de dévidage, car ces conclusions sont abandonnées dans un mémoire du 1er févr. 1911.

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Reste la question principale, celle que vous êtes appelés juger (sur renvoi ordonné par le vice-président du Conseil d'État, par application de l'art. 19 du décret du 31 mai 1910, parce qu'il s'agit d'une question de principe), celle du lieu d'imposition au droit fixe des établissements industriels. Elle se pose, à la suite d'un incident à la Chambre des députés, dans la séance du 21 nov. 1910, incident soulevé par M. Mistral, député de l'Isère. à propos du droit fixe de patente des usines ou établissements industriels ou commerciaux qui ont leur siège social en dehors des localités où ils s'élevent et où ils sont exploités ". Les fabricants lyonnais ayant, en général, leur fabrique à métiers dans les communes rurales de l'Isère, le

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(1) V. en ce sens, Cons. d'Etat, 5 août 1908

:

point de savoir si le fabricant serait imposé à Lyon, ou dans la commune de l'usine, était brûlant au sujet des finances locales; dans l'Isère, le point était devenu surtout brûlant depuis un certain nombre de décisions du Conseil d'Etat pour la région lyonnaise (Cons. d'Etat, 28 oct. 1908, Terrail, Payen et C, Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, p. 901; 27 juill. 1909, Pelluat et Testenoire, Id., p. 759), qu'on avait interprétées en ce sens qu'une fabrique ou une usine formerait un établissement, avec droit fixe spécial, seulement dans le cas où les actes de commerce y seraient en même temps effectués. Les intéressés n'avaient peut-être pas assez remarqué que la question du lieu des opérations commerciales d'un fabricant n'était pas, dans les arrêts par eux cités comme les plus topiques, l'élément exclusif d'appréciation, et que cet élément se doublait, se triplait même d'autres éléments opérants; les décisions en cause, en effet, parlaient toutes, ou à peu près toutes, de la direction de l'industrie, et imposaient le droit fixe au lieu où se concentrait cette direction. Quoi qu'il en soit, un mouvement local se dessinait réunions de maires, vœux d'assemblées départementales et municipales, et le mouvement avait abouti à l'incident du 21 nov. 1910, où l'intervenant demandait au gouvernement de revenir à l'ancienne jurisprudence, caractérisée, d'après lui, par un arrêt du 5 nov. 1875 (Mazancieux et Foussemagne, Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, p. 867), ou de préciser devantage la loi du 15 juill. 1880, afin d'éviter une interprétation « abusive, comme celle des arrêts récents (J. off. du 22 nov. 1910, déb. parl. de la Chambre des députés, p. 2888, 2° col.). A cela, le rapporteur général du budget répondait qu'il était nécessaire de modifier la jurisprudence du Conseil d'Etat, ce qui était l'affaire de l'Administration des contributions directes (J. off. du 22 nov. 1910, déb. parl. de la Chambre des députés, p. 2888, 3° col.). Mais le ministre des finances, qui ne paraissait pas tout à fait d'accord avec le rapporteur général sur les facilitès de vous faire modifier subitement votre jurisprudence en matière de contributions, pour des raisons purement économiques et locales, déclara : Il faut une loi» (J. off., ubi supra). C'est quelques jours après cette déclaration, le 5 déc. 1910, que fut enregistré le mémoire du ministre dans l'affaire actuelle. Pouvez-vous rejeter les conclusions de la requête sur l'irrégularité de l'imposition du droit fixe à Yssingeaux (comme le demande le ministre des finances, en notre espèce), sans qu'il y ait lieu de changer du tout au tout votre jurisprudence, sans qu'il y ait lieu d'attendre une nouvelle loi? Nous allons essayer de vous démontrer l'affirmative, au moyen de l'exposé des faits, du commentaire de la législation actuelle, et du résumé de votre jurisprudence.

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«1o Les faits. L'usine d'Yssingeaux ne conclut aucun achat de matières premières, aucune vente, aucune expédition à des clients; elle est exclusivement un centre de fabrication. Toutes les matières premières sont envoyées de Saint-Etienne, et tous les rubans sont dirigés, après leur tissage, sur la maison de Saint-Etienne, où les industriels eux-mêmes leur font subir les dernières préparations accessoires (impression et teinture). Les opérations faites à Yssingeaux sont exécutées sous les ordres d'un directeur, logeant dans l'usine, qui a sous ses ordres des contremaîtres et contremaîtresses; ce directeur a versé un cautionnement pour la garantie de sa gestion. C'est à lui qu'ont à faire, exclusivement, les contremaitres et les ouvriers. Car MM. Forest ne se

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De Montgolfier (Rec. des arrêts du Cons. d'Etat.

rendent jamais à l'usine, où ils n'ont aucun logement, ni même aucun pied-à-terre» (rapport de l'inspecteur). Ils y viennent environ deux fois par an, un peu comme les propriétaires vont visiter leurs fermes. Le directeur engage, règle les ouvriers, les renvoie, les licencie en morte-saison, fait les réparations et les achats de matériel; on ne lui demande aucun inventaire; il y a à l'usine une comptabilité-matières très rigoureuse et très spéciale, qui fait que le fil arrivé par le courrier de Saint-Étienne est minutieusement suivi par le directeur jusqu'à son retour à Saint-Étienne, quand il y revient transformé en produit marchand. En résumé, l'usine d'Yssingeaux (comme celle de Saint-Maurice-deLignon) est un centre de fabrication autonome, décentralisé du siège social, placé sous les ordres d'un « préposé spécial (suivant l'expression que vous employez pour les professions commerciales), ayant initiative complète et responsabilité intégrale pour la fabrication, véritable représentant du fabricant, puisqu'il concentre toutes les parties de la gestion, assume, à lui seul, la responsabilité et la comptabilité, surveille, à lui seul, l'ensemble de l'usine (où il est logé), laquelle n'est plus, des lors, une simple annexe du siège social, un simple atelier de fabrication, placé sous la direction de l'industriel lui-même, simplement secondé par des chefs d'atelier.

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Dans ces circonstances de fait, l'usine d'Yssingeaux est-elle le siège d'un établissement; le droit fixe doit-il être imposé dans la commune méme? Avant de répondre, nous croyons devoir signaler que, si vous adoptiez l'affirmative, en donnant à votre décision une portée plus étendue que celle de l'espèce actuelle a) vous éviteriez un grave inconvénient budgétaire : celui de priver les communes rurales d'une recette qui semble leur revenir un peu, puisque l'usine leur cause des dépenses de chemins, d'écoles, etc.; b) vous éviteriez un inconvénient pratique l'obligation d'imposer là où l'élément n'a pas été recensé ; c) vous éviteriez peut-être un inconvénient juridique, qui serait de vous mettre, en partie, en contradiction avec le dernier paragraphe de l'art. 7 de la loi du 15 juill. 1880, d'après lequel le droit fixe se paie, en principe, où se trouve l'élément qui sert de base au droit; d) vous éviteriez, en tout cas, un inconvénient logique, car vous unifieriez la théorie de l'établissement, que ce soit en matière commerciale ou en matière industrielle. Vous ne surchargeriez pas les industriels, dans la plupart des cas, puisque le droit fixe n'est pour ainsi dire plus qu'un vain mot, une expression de tradition, le droit se composant, pour la plupart des professions du tableau C, d'un ensemble de taxes variables d'après les éléments de fabrication. Que le droit fixe soit payé, dans l'espèce, à Saint-Etienne ou à Yssingeaux, son principal ne variera pas. Et si, dans certains cas, outre les taxes variables, se paie un droit déterminé par établissement, ce droit est si minime, par rapport à l'ensemble de la patente des grandes industries, qu'il est à peine intéressant de le mentionner.

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