Au fond, ils avaient invoqué, pour justifier leur défaut de livraison, la force majeure résultant d'un décret rendu en France le 24 juillet 1870, prohibant la sortie des plombs. Le sieur Massoni a demandé à la Cour d'Aix l'autorisation d'exécuter en France les décisions ci-dessus; il a présenté à l'appui les lettres rogatoires qu'il avait obtenues de la Cour de Gênes, conformément au traité de 1760 entre la France et la Sardaigne et à la déclaration interprétative du 1" septembre 1860 (1). er Les sieurs Rodrigues et Carcassonne ont fait opposition à cette demande. Aux termes de la déclaration diplomatique ci-dessus, disent-ils, la Cour, sur la demande d'exequatur, ne doit examiner que les trois points suivants : 1° Si la décision émane d'une juridiction compétente; 2° Si elle a été rendue les parties présentes ou dûment appelées ; 3° Si les règles du droit public ou les intérêts de l'ordre public du pays où l'exécution est demandée, ne s'opposent pas à ce que la décision du pays étranger ait son exécution. Or, la question de compétence doit être examinée au point de vue de la loi du lieu de l'exécution. Dans l'espèce, c'est l'art. 59 du Code de procédure française qui était applicable, le défendeur devait être cité devant le Tribunal de son domicile, c'est-à-dire en France; donc les règles de compétence ont été violées. L'art. 420 du même Code pose bien une exception à la règle de l'art. 59; mais, en fait, Massoni ne se trouvait pas dans cette exception: Gênes pou-vait être le lieu de la promesse, mais non celui de la livraison; il n'était pas celui du payement; l'art. 59 était donc seul applicable. Du reste, condamner un vendeur français pour n'avoir pas (1) Voy. cette déclaration, ce rec. 1861. 2 31. livré une marchandise dont la sortie était prohibée en France par décret, c'est violer les règles de l'ordre public en France, et, à ce second point de vue, l'exécution ne doit pas être ordonnée. Le sieur Massoni répond d'abord que c'est au point de vue de la loi italienne que la compétence doit être examinée, et que l'art. 105 du Code de Commerce italien, qui a été appliqué dans la cause, autorise à citer les défendeurs à Gênes; Il répond ensuite, en fait, que la prohibition de sortie des plombs dont excipent les adversaires, n'était pas absolue, et comportait quelques exceptions; en droit, qu'examiner cette question, ce serait entrer dans le fond du débat, ce qui est interdit; il s'agit seulement de savoir si l'exécution du jugement, et non du contrat qui y a donné lieu, présente en France quelque chose de contraire à l'ordre public. Or, la décision rendue condamne simplement les défendeurs au payement d'une somme d'argent. ARRÊT. Sur l'opposition faite par Rodrigues et Carcassonne à l'exécution des lettres rogatoires rendues par la Cour d'appel de Gênes, le 3 septembre 1873: Attendu que Massoni a obtenu du Tribunal et de la Cour d'appel de Gênes un jugement, à la date du 6 décembre 1870, et trois arrêts aux dates des 20 juin 1871, 10 mai 1872 et 6 mai 1873, qui déclarent résiliée, pour défaut de livraison, une vente de quarante-trois tonnes plomb argentifère faite par Rodrigues et Carcassonne à Marseille, et condamnent les vendeurs à payer à l'acheteur la somme de 5,000 lires, aveč intérêts de droit; Attendu que Massoni a intérêt à faire éxécuter en France les décisions ci-dessus mentionnées, et qu'il a obtenu, à cet effet, de la Cour de Gênes, des lettres rogatoires priant la Cour d'appel d'Aix de permettre l'exécution en France desdits jugements et arrêts; Attendu que Rodrigues et Carcassonne s'opposent à cette exécution; qu'ils invoquent à l'appui de leur opposition les dispositions de l'art. 22, § 4 et 3 de la déclaration diplomatique du 4 septembre 1860, et qu'il y a lieu d'examiner le mérite de cette opposition; En droit : Attendu que le traité intervenu entre la France et la Sardaigne, le 24 mars 1760, avait fait naître des doutes et des difficultés sur l'application de son article 22, § 3; que les gouvernements français et sarde, pour enlever tous les doutes résultant de l'interprétation de cet article, sont convenus, par la déclaration diplomatique du 1" septembre 1860, qu'à l'avenir : er « Les Cours, en déférant, à la forme de droit, aux demandes d'exécution des jugements rendus dans chacun des deux Etals, ne devront faire porter leur examen que sur les points suivants : « 4° Si la décision émane d'une juridiction compétente; « 3° Si la règle de droit public ou des intérêts de l'ordre public du pays où l'exécution est demandée, ne s'opposent pas à ce que la décision du Tribunal étranger ait son exécution. >> Sur le premier point, et relativement à la juridiction compétente : Attendu que les opposants soutiennent que le contrat de vente intervenu entre eux et Massoni a été conclu à Marseille, et devait être exécuté dans cette ville, quant à la livraison et au payement, et que le Tribunal de Gênes était incompétent, aux termes des art. 59 et 420 du Code de procédure française, et aux termes mêmes du Code de procédure sarde; Attendu que le Tribunal dont la compétence doit être examinée, est celui du pays où la décision a été rendue; qu'on ne saurait soutenir avec raison que des juges statuent sur des lois autres que celles de l'Etat dans lequel les jugements sont rendus; qu'il faut donc, dans l'espèce, rechercher si le Tribunal de Gênes était compétent, conformément à la loi italienne, et non point à la loi française ; En fait : Attendu qu'il est établi au procès que le traité de vente passé entre les parties a été fait à Gênes et non à Marseille; que Manouri, représentant à Gênes la maison Rodrigues et Carcassonne, de Marseille, a conclu le traité à Gênes avec M. Massoni au nom de ses mandants; que ces derniers se sont contentés de confirmer le marché, et qu'ils n'avaient pas à le ratifier; Attendu que, dans ces conditions, le Tribunal de Commerce de Gênes était compétent, conformément aux dispositions de l'art. 105 du Code de procédure sarde; Attendu, en outre, que l'art. 30 du Code civil sarde autorise les nationaux à citer devant les Tribunaux de leur pays les étrangers qui ont traité avec eux; que cet article n'est que la reproduction de l'art. 14 du Code civil français; qu'il établit une réciprocité entre l'Italie et la France, et qu'à ce double titre, le Tribunal et la Cour de Gênes étaient compétents pour statuer sur le litige; que le premier grief n'est pas justifié, et qu'il y a lieu de le rejeter; Sur le second point tiré de l'ordre public : Attendu que Rodrigues et Carcassonne soutiennent que, s'ils n'ont pas exécuté le traité intervenu avec Massoni, c'est qu'un décret, à la date du 24 juillet 1870, a prohibé l'exportation des plombs de France à l'étranger; que cette prohibition constitue en leur faveur une force majeure, et que le décret de 1870 doit les affranchir de toute obligation; Attendu que cette défense n'était pas fabsolue; qu'il était possible de faire cette exportation en en demandant l'autorisation au ministre compétent; que Rodrigues et Carcassonne ne justifient d'aucune démarche faite pour obtenir cette autorisation que la force majeure qu'ils invoquent n'est pas établie ; Attendu, en outre, que la Cour n'a pas à examiner le fond du procès pour savoir si les Tribunaux italiens ont bien ou mal jugé ; qu'il y a seulement à rechercher si l'exécution des décisions rendues à Gênes peut porter atteinte aux rêgles du droit public ou aux intérêts de l'ordre public français ; Attendu que les arrêts dont on demande l'exécution portent seulement sur la condamnation à 5,000 lires; que cette exécution ne blesse en rien nos lois françaises; que si la contrainte par corps, abolie en France, a été prononcée par les juges italiens, Massoni déclare, dans ses conclusions, y renoncer; Attendu que, le deuxième grief n'étant pas plus justifié que le premier, il y a lieu de rejeter l'opposition de Rodrigues. et Carcassonne et d'accueillir les lettres rogatoires de la Cour de Gênes; LA COUR, Sans s'arrêter à l'opposition de Rodrigues et Carcassonne, dont ils sont démis et déboutés, statuant en conformité de l'art. 22, § 3 du traité du 24 mars 1760, entre la France et la Sardaigne, complété par la déclaration de septembre 1860, accueille les lettres rogatoires de la Cour de Gênes à la date du 30 septembre 1873, et y faisant droit, autorise l'exécution en France des jugement et arrêts susmentionnés, à l'exception du chef relatif à la contrainte par corps prononcée par les décisions dont s'agit, et an} bénéfice de laquelle Massoni a renoncé. re Du 13 mai 1874. Cour d'Aix (1 Ch.). Prés. M. ROLLAND.-M. CLAPPIER, av. gén.- Plaid. MM. Paul RIGAUD et CRÉMIEU. 1875.1 P. 10 5 |