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l'abrogation fut résolue et elle est écrite, comme je l'ai déjà dit, dans l'article 1761.

9. Mais le bailleur peut se réserver, par la convention, le droit qu'il tenait autrefois de la loi, (1) Une pareille stipulation n'est qu'une restriction licite de l'obligation, que contracte le bailleur de faire jouir le preneur de la chose louée.

10. Si, dans l'ancien régime, l'opinion n'avait pas eu assez de force pour détruire le privilège accordé aux bailleurs; du moins elle avait fait sentir la nécessité de le limiter et d'en atténuer les effets. Ainsi, on le refusait au propriétaire pour partie, au locataire principal, à l'égard des souslocataires; et on le contestait à l'usufruitier. D'ailleurs, le propriétaire ne pouvait expulser le locataire qu'à la charge de lui donner congé pour le prochain terme, et même, il était obligé de lui accorder un dédommagement. (2)

Aujourd'hui, le bailleur, qui s'est réservé le droit de venir habiter dans sa maison est tenu, lorsqu'il l'exerce, de signifier d'avance un congé, aux époques déterminées par l'usage des lieux (art, 1762),

Je pense qu'il est également obligé de payer au

(1) Voy. art. 1761.

(2) Despeisses, du Louage, sect.V, no 11; Rousseaud de Lacombe, v Bail, sect. I; Denisart, vo Bail, no 22 et suiv.; Pothier, du Louage, n°335, 336, 337, 338; introduction au titre XIX de la Coutume d'Orléans, no 72. L'usage d'accorder un dédommagement au locataire était autrefois suivi au Châtelet de Paris; mais il paraît que dans les derniers temps on l'avait abandonné. Bourjon, chap. VI, sect, VII, n° 62 et suiv.; Pothier, loc. cit..

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locataire qu'il expulse un dédommagement. Le texte ne s'explique pas, il est vrai, sur ce dernier point; mais le bailleur qui s'est réservé, en cas de vente, d'expulser le fermier ou le locataire, est tenu de l'indemniser; les articles 1744, 1745, 1746 et 1747 posent la règle et en font l'application aux différentes espèces de baux. Or, pourquoi l'indemnité qui est due par le propriétaire, lorsqu'il vend sa maison, ne le serait-elle pas, lorsqu'il veut venir l'habiter? Il use, dans les deux cas, de la même faculté ; il la puise également dans une clause du bail; enfin, il nuit de la même manière au locataire. Les motifs de l'expulsion sont seuls différens; dans un cas, elle a lieu pour laisser à l'acheteur la libre disposition de l'immeuble; dans l'autre, c'est le bailleur qui veut jouir en personne de la chose louée. Il me semble que si celui-ci devait être affranchi de l'obligation d'indemniser le locataire, dans l'une de ces deux hypothèses; ce serait plutôt, lorsqu'il s'agit d'une vente qui a pu être pour lui une impérieuse nécessité, que lorsque, pour satisfaire son intérêt ou ses convenances, il transporte son habitation dans la maison dont il est propriétaire. D'ailleurs les articles 1744, 1745, 1746 et 1747 sont placés parmi les dispositions communes aux baux des maisons et aux baux des héritages ruraux; le principe qu'ils consacrent est donc général. Il s'applique avec toutes ses conséquences aux baux à loyer, bien qu'il ne soit pas reproduit dans la section qui leur est consacrée.

Mais peut-on dire : des dommages-intérêts ne sont point dus, lorsque le fait nuisible est l'exercice

d'un droit, nullus videtur dolo facere qui suo jure utitur (1); et il est évident que le bailleur qui expulse le locataire, en vertu de la faculté qu'il s'est expressément réservée, use d'un droit créé par la convention.

L'argument paraît pressant. Pour qu'il fût déci sif, il faudrait établir que le bailleur, en se réservant de venir habiter lui-même sa maison, a entendu qu'il ne devrait pas la réparation du préjudice qu'éprouverait son locataire. Or, lorsque aucune des clauses du contrat n'exprime cette intention, on doit supposer que le droit pour le bailleur se borne à expulser le locataire en l'indemnisant. Cette interprétation est celle que le législateur moderne donne, comme je l'ai déjà fait remarquer, à la convention portant réserve pour le bailleur de vendre la chose louée, et d'expulser le locataire ou le fermier pour assurer la jouissance immédiate de l'acheteur. Nous voyons aussi qu'autrefois le seigneur d'hôtel qui expulsait le locataire, en vertu du droit qu'il tenait de la loi, et non pas seulement de la convention, était obligé donner une indemnité.

A la vérité, dans le dernier état de la jurisprudence, on obligeait le bailleur à donner un dédommagement, lorsqu'il venait habiter sa maison sans qu'un évènement inattendu lui en imposât la nécessité; non, lorsque c'était par suite d'un cas

(1) L. 55, ff. de reg. juris.

TOME XIX.

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fortuit, lorsqu'il y avait casus fortuitus, necessaria habitatio. (1)

Mais cette distinction ne me paraît pas devoir être admise. Le Code ne l'a pas faite pour le propriétaire qui vend la chose louée. Les motifs plus ou moins pressans, qui ont déterminé la vente, n'exercent d'influence ni sur l'obligation en elle-même, ni sur la quotité de l'indemnité ; je ne comprends pas, encore une fois, pourquoi les circonstances qui engagent le bailleur à reprendre sa maison influeraient sur le droit du locataire à un dédommagement.

Cependant je dois dire que la discussion au Conseil d'État indique une intention opposée à l'opinion que je viens d'émettre.

L'article 1762 fut d'abord rédigé autrement qu'il n'est maintenant; il ne disait pas : «< S'il a été convenu dans le contrat de louage que le bailleur pourrait venir occuper la maison, il est tenu de signifier d'avance un congé. » On y lisait: Il n'est tenu que de signifier un conge,

Cette rédaction fut critiquée par M. Defermon. << Elle semble supposer, disait-il, que le bailleur n'est soumis à aucune autre condition, et qu'il peut, en conséquence, louer sa maison à une

(1) Arrêt du Parlement de Paris, du 9 avril 1619; Brodeau sur Lonet, lett, L. somm. 4; Rousseaud de Lacombe, v° Bail, sect. I, n° 1. Quelques auteurs étaient même d'avis qu'il n'était dû en aucun cas des dommages-intérêts. « Autrement, dit Boucher d'Argis, dans ses notes sur Argou, ce ne serait plus un privilège. » ▼, tiv. III, chap. XXVII. J'ai déjà répondu à cette objection. V. aussi Bourjon, chap. VI, sect. VII, no 62 et suiv.

autre personne, après en avoir expulsé le preneur, sous prétexte de l'habiter lui-même. >>

M. Bigot de Préameneu répondit : <«< La locution restrictive, qu'on a employée dans l'article, n'a pour objet que de faire connaître que le bailleur ne doit pas de dommages-intérêts au preneur. » Et sur la demande de M. Defermon, au lieu des mots: il n'est tenu que de faire signifier; on mit il est tenu. (1)

Cette démonstration de la volonté du législateur ne me paraît ni assez explicite, ni assez bien motivée, ni assez réfléchie, pour l'emporter sur les raisons que j'ai déjà exposées; mais j'ai dû présenter tout ce qui peut militer en faveur du système que je combats.

12. Quels que soient la qualité et le titre en vertu desquels agit le bailleur; qu'il soit propriétaire, principal locataire, ou usufruitier, il peut insérer dans le bail la réserve du droit d'expulser le locataire, pour venir occuper lui-même la maison. Il n'y a plus maintenant, comme autrefois, de raison pour restreindre et modifier le droit de résoudre le bail; puisque ce droit ne dérive plus de la loi; qu'il n'est plus imposé au locataire; et que ce n'est qu'avec son consentement qu'il peut prendre naissance. (2)

(1) M. Locré, tome XIV, pages 348 et 349.
(2) M. Delvincourt, tome III, note page, 201.

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