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sur les vingt-deux Girondins arrêtés depuis le 8 juin. Ce député, pour calmer l'impatience des spectateurs, montra du geste et feuilleta rapidement de la main les pièces probantes de ce rapport déposées d'avance sur la tribune, et qui contenaient la vie ou la mort encore illisible de tant de proscrits. Bientôt Amar parut lui-même. C'était un de ces hommes modérés de caractère quand les temps sont calmes et que la modération est sans danger, et qui rachètent, par la servilité et par la violence, leur modération passée, dans les temps extrêmes. Amar, ancien anobli du parlement de Grenoble, avait d'abord combattu la Montagne. Il s'efforçait depuis de la fléchir en lui présentant des coupables à punir, pour écarter de lui-même les soupçons et les ressentiments. Son rapport, long et calomnieux, résumé de toutes les rumeurs contradictoires semées contre les Girondins par leurs ennemis, concluait :

1° Par déclarer coupables de conspiration contre l'unité et l'indivisibilité de la république les députés Brissot, Vergniaud, Gensonné, Duperret, Carra, Mollevault, Gardien, Dufriche-Valazé, Vallée, Duprat, Sillery, Condorcet, Fauchet, Pontécoulant, Ducos, Boyer-Fonfrède, Gamon, Lasource, Lesterpt - Beauvais, Isnard, Duchâtel, Duval, Devérité, Mainvielle, Delahaye, Bonnet, Lacaze, Mazuyer, Savary, Hardy, Lehardy, Boileau, Rouyer, Antiboul, Bresson, Noël, Coustard, Andréi de la Corse, Grangeneuve, Vigée; enfin Philippe Égalité, ci-devant duc d'Orléans, oublié un moment, demandé nominativement par BillaudVarennes, accordé d'acclamation par tous.

2o Par déclarer traîtres à la patrie, conformément à un précédent décret du 8 juillet, les députés girondins fugitifs Buzot, Barbaroux, Gorsas, Lanjuinais, Salles, Louvet, Bergoing, Péthion, Guadet, Chasset, Chambon, Lidon, Valady, Fermon, Kervélégan, Henri Larivière, RabautSaint-Étienne, Lesage, Cussy et Meillan.

Le rapporteur suspendit un moment la lecture de ces conclusions après ces deux articles. Les membres du centre, complices de la politique des députés de la Gironde empri

sonnés ou proscrits, respirèrent. Ils se crurent oubliés ou amnistiés. Rien ne leur avait révélé, dans les confidences de leurs collègues des comités, que le glaive fût suspendu si près de leurs propres têtes. Ils se résignaient douloureusement à la proscription ou au supplice des chefs d'une opinion qu'ils ne pouvaient plus sauver. Ils cherchaient à se cacher et à se confondre dans les rangs obscurs de la Convention: muets, de peur qu'en entendant parler d'eux le peuple ne se rappelât qu'ils l'avaient offensé et qu'ils vivaient! Aux premières phrases du rapport d'Amar, quelques-uns s'étaient glissés furtivement hors de l'enceinte; craignant, par un pressentiment vague, que l'immense filet d'accusation déroulé par l'organe du comité de sûreté générale ne s'étendît jusque sur eux, et ne les enveloppât sur leurs bancs : les autres étaient restés à leurs places, et se félicitaient déjà intérieurement de n'avoir pas provoqué le soupçon en paraissant le devancer et le fuir.

Cette illusion ne fut que de quelques minutes. Amar reprit d'une main plus impassible les feuilles de la seconde partie de son rapport; mais, avant de lire, il demanda que les portes de la salle fussent fermées par un décret instantané, et que personne ne pût sortir même des tribunes. Les suspects votèrent comme les autres ce décret inattendu, de peur de paraître le craindre. Amar reprit : << Ceux des << signataires des protestations des 6 et 19 juin dernier, »> (contre le 31 mai, expulsion des Girondins) dit-il, « qui ne « sont pas envoyés au tribunal révolutionnaire, seront mis << en état d'arrestation dans une maison d'arrêt et les scellés apposés sur leurs papiers. Il sera fait à leur égard un << rapport particulier par le comité de sûreté générale. »

K

Il commença alors à lire les noms de ces soixante et treize députés. Un long silence entre chaque nom prononcé laissait flotter un moment dans l'âme de tous l'espérance d'être omis ou la terreur d'être nommés. Voici ceux qui entendirent l'arrêt nominatif de leur proscription immédiate et de leur mort prochaine sortir de la bouche d'Amar : Lauze

Duperret, Cazeneuve, Laplaigne, Defermon, Rouault, Girault, Chastelin, Dugué-d'Assé, Lebreton, Dussaulx, Couppé, Saurine, Queïnnet, Salmon, Lacaze ainé, Corbel, Guiter, Ferroux, Bailleul, Ruault, Obelin, Babey, Blad, Maisse, Peyre, Bohan, Fleury, Vernier, Grenot, Amyon, Laurenceot, Jarry, Rabaut, Fayolle, Aubry, Ribereau, Derazey, Mazuyer de Saône-et-Loire, Vallée, Lefebvre, Olivier Gerente, Royer, Duprat, Garithe, Devilleville, Varlet, Dubusc, Savary, Blanqui, Massa, Debray-Doublet, Delamarre, Faure, Hecquet, Deschamps, Lefebvre de la Scine-Inférieure, Serre, Laurence, Saladin, Mercier, Daunou, Périès, Vincent, Tournier, Rouzet, Blaux, Blaviel, Marboz, Estadenz, Bresson des Vosges, Moysset, Saint-Prix, Gamon.

Le décret d'accusation fut voté sans discussion. Quelques-uns des députés désignés voulurent réclamer: l'impatience couvrit leurs voix. Ils se parquèrent en silence, comme un troupeau destiné à la boucherie, dans l'étroite enceinte de la barre, entourée d'une barrière. Quelques membres de la Montagne demandèrent avec acharnement l'adjonction des noms de leurs ennemis à la liste des proscrits. On jeta, à la fin de cette longue séance, les députés désignés, dans les prisons de Paris, et surtout à la Force.

On demandait à grands cris leur jugement avec celui des Girondins envoyés au tribunal révolutionnaire. Leur jugement c'était leur mort. Robespierre employa, avec plus de courage qu'il n'en montra à défendre tant d'autres victimes, son influence pour les préserver de l'échafaud. Il ne craignit pas de résister aux cris du peuple, et de froisser ses collègues des comités pour soustraire ses soixante et treize collègues à l'impatience de leurs ennemis. L'avenir montra qu'il les réservait peut-être comme contre-poids à l'omnipotence de la Montagne pour le moment où il aurait à dominer seul la Convention. Ce témoignage lui fut rendu plus tard par ceux-là même qui croyaient voir en lui l'inspirateur secret de leur proscription. Le député giro ndin Blanqui, un des soixante et treize détenus à la Force, avait

eu des rapports personnels avec Robespierre dans le comité d'instruction publique. Il lui écrivit pour se plaindre des indignes traitements qu'on faisait subir à lui et à ses collègues dans les cachots, et pour lui reprocher la mutilation violente de la représentation nationale. Robespierre osa répondre à Blanqui, mais il le fit en termes vagues et obscurs, qui laissaient transpercer des sentiments humains, des espérances de liberté et des promesses de protection cachée, qui se réalisèrent dans la suite pour tous ces détenus. Blanqui et ses compagnons de captivité comprirent, à ces symptômes, que leur proscription était plutôt une concession qu'une incitation de Robespierre, et qu'il voulait les attacher par la reconnaissance à ses destinées futures. Quant aux députés incarcérés depuis le 31 mai, leur sort venait de s'expliquer par la bouche d'Amar. Ils pouvaient le pressentir depuis longtemps. La Montagne, au commencement, satisfaite de sa victoire; Danton et Robespierre, honteux de meurtres odieux et impolitiques, s'étaient efforcés en vain de les faire oublier. Il ne s'élevait pas un échafaud dans Paris que la multitude ne demandât pourquoi les Girondins n'y montaient pas. Le comité de salut public tremblait de laisser plus longtemps ce grief contre sa prétendue faiblesse aux Montagnards exaltés et à la commune. Les Jacobins avaient arraché aux Girondins la tête de Louis XVI; la démagogie d'Hébert, de Pache, d'Audouin, sommait les Jacobins de donner à la république le gage des trente-deux têtes de leurs collègues. Robespierre céda à regret. Garat, encore ministre de l'intérieur, vint le conjurer de sauver les prisonniers. « Ne m'en parlez plus, dit Robespierre. « Moi-même je ne pourrais pas les << sauver. Il y a des jours en révolution où le crime est de << vivre et où il faut savoir donner sa tête quand on vous la << demande. Et la mienne aussi, on me la demandera peut« être,» ajouta-t-il en portant ses deux mains à ses cheveux comme un homme qui saisit un fardeau sur ses épaules pour le jeter à terre, « vous verrez si je la dispute! » Garat se retira consterné.

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IV

Ainsi qu'on l'a vu dans le cours de ce récit, Vergniaud, Gensonné, Ducos, Fonfrède, Valazé, Carra, Fauchet, Lasource, Sillery, Gorsas et leurs collègues étaient demeurés volontairement prisonniers à Paris. Condorcet s'était soustrait à temps aux recherches de la commune et au décret d'accusation lancé contre lui.

Roland s'était réfugié et caché dans les environs de Rouen après l'emprisonnement de sa femme. Brissot, que l'opinion publique considérait comme le chef de cette faction parce qu'il en avait été le publiciste et qu'il lui avait donné son nom, avait prévenu l'ordre de l'arrestation par la fuite. Arrivé à Chartres, sa patrie, il n'y trouva plus d'amis. Il sortit de la ville seul, à pied, vêtu d'habits d'emprunt, et chercha à gagner, à travers champs et par des routes détournées, les frontières de la Suisse ou les départements du Midi. Muni d'un faux passe-port, Brissot erra ainsi, sans être reconnu, dans une partie de la France, mangeant et couchant dans les chaumières, reprenant, le jour, sa route au sein des campagnes revêtues en ce moment de leur plus éclatante végétation. Il retrouvait, à l'aspect du ciel splendide, des champs en fleur et des solitaires forêts des bords de la Loire, cette passion pour la nature, cet enivrement de la solitude que les tempêtes politiques n'avaient pu altérer dans son âme, et que la destinée semblait lui faire savourer plus délicieusement au moment où elle allait l'en sevrer pour jamais. Reconnu et arrêté à Moulins, échappé avec peine à la fureur des Jacobins de cette ville, il avait été ramené à Paris à travers mille imprécations et mille morts, et jeté dans les cachots de l'Abbaye. Il y languissait depuis cinq mois.

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