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sûreté réelle a produit son effet; il ne faut pas la laisser subsister sans utilité. Si, en fait, elle est encore utile au créancier, il n'a qu'à la renouveler.

Il faut enfin - ce qui a plus d'importance - que l'inscription ait été prise en temps utile. Elle peut être prise immédiatement après l'acquisition du privilège, en d'autres termes dès que la créance privilégiée existe; elle peut l'être plus tard, à une époque quelconque, au moins tant qu'il ne s'est produit aucun fait arrêtant le cours des inscriptions. Selon que l'inscription aura été prise à une date ou à une autre, il pourra en résulter des différences importantes quant au rang de collocation'; mais le privilège peut être utilement inscrit, sauf à avoir une efficacité variable, tant qu'aucun événement n'est survenu qui empêche de prendre utilement inscription, cas auquel le privilège non conservé en temps utile reste définitivement inefficace.

Or ces faits, ces événements qui mettent obstacle à ce que l'inscription d'un privilège ou d'une hypothèque soit utilement prise sont au nombre de trois.

530. Le premier est l'aliénation de l'immeuble par le débi

teur.

Puisque le privilège ne devient opposable aux tiers que par l'inscription, il est logique qu'une inscription ne puisse plus être prise utilement quand l'immeuble est sorti du patrimoine du débiteur et appartient à un tiers. L'acquéreur a désormais un droit indépendant; l'immeuble ne peut plus être affecté à son détriment soit par le précédent propriétaire, soit du chef de celui-ci.

Donc l'inscription, pour produire effet, doit précéder l'aliénation. Plus exactement, elle doit précéder le moment où l'aliénation devient opposable à tous; et ce moment est variable suivant les cas.

S'il s'agit d'un mode de transmission investissant l'acquéreur erga omnes indépendamment de la transcription, l'inscription doit être antérieure à la transmission. Par exemple le débiteur meurt après avoir légué l'immeuble affecté d'un privilège non encore inscrit; l'inscription ne peut plus désormais être prise, car le testament n'est pas un acte de nature à être transcrit, et le légataire devient propriétaire erga omnes par le décès, dès le décès du testateur.

1. Infrà, nos 552 et suiv.

II. - 3

S'il s'agit d'un mode de transmission n'investissant l'acquéreur au regard des tiers que par la transcription, l'inscription reste possible, malgré l'aliénation, tant que la transcription n'est pas intervenue, puisqu'elle seule confère à l'acquéreur un droit opposable aux tiers. Par exemple, le débiteur donne entre vifs l'immeuble affecté d'un privilège non encore inscrit, ou bien le vend ou l'échange; l'inscription reste possible, malgré l'aliénation, jusqu'à la transcription de cette aliénation, car la donation, la vente et l'échange sont des actes de nature à être transcrits. C'est ce que porte l'article 6 alinéa 1 de la loi du 23 mars 1855 : « A partir de la transcrip«tion, les créanciers privilégiés... ne peuvent prendre utile<< ment inscription sur le précédent propriétaire. >>>

Le Code civil de 1804 ne faisait pas ces distinctions. Elles s'imposent depuis la loi de 1855, qui a rétabli la transcription1.

Pour comprendre toutes ces hypothèses dans une seule formule, nous dirons: l'inscription d'un privilège immobilier ne peut plus être prise à partir du moment où l'aliénation confère à l'acquéreur de l'immeuble grevé un droit opposable aux tiers.

531. Cette règle ne comporte qu'une seule exception. Elle est inscrite dans la loi de 1855 et concerne deux privilèges : celui du vendeur et celui du copartageant. A ces deux créanciers la loi de 1855 fait une situation de faveur; elle les admet à s'inscrire malgré l'aliénation, même malgré la transcrip

1. Entre le système du Code de 1804 et celui de la loi de 1855, il faut signaler le régime des articles 834 et 835 du Code de procédure, qui a été en vigueur pendant un demi-siècle. Sous ce régime, la transcription n'était pas requise pour rendre le transport de propriété opposable aux tiers, mais pour faire courir un délai de quinzaine pendant lequel les créanciers pouvaient encore s'inscrire sur l'immeuble du chef de l'aliénateur. Ces deux articles, aujourd'hui abrogés (article 6 alinéa 3 de la loi du 23 mars 1855), n'ont plus d'application qu'en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique.

Le jugement d'expropriation, n'étant pas un jugement d'adjudication, n'est pas soumis à l'application de l'article 1-4o de la loi de 1855. Il ne rentre pas non plus dans la catégorie des actes translatifs de propriété visés par l'article 1-1o du même texte. Donc les privilèges grevant l'immeuble peuvent être utilement inscrits pendant les quinze jours qui suivent la transcription du jugement d'expropriation. Les articles 16 et 17 de la loi du 3 mai 1841, qui appliquent à la matière le droit commun des articles 834 et 835 du Code de procédure civile, n'ont pas été abrogés par la loi du 23 mars 1855. - Voy. Cabantous, Revue critique, 1835, р. 92, - Aubry et Rau, 5o édition, II, p. 245, texte et note 43, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, II, no 1558.

tion, si on est encore dans les quarante-cinq jours soit de la vente, soit du partage. De sorte que le sous-acquéreur, pour régler sa propre situation, pour payer son prix, doit attendre le délai pendant lequel peuvent encore se révéler des charges de l'immeuble qui lui seront opposables.

En édictant cette règle, le législateur de 1855 a voulu protéger le vendeur non payé contre les conséquences d'une revente immédiate de l'immeuble par l'acheteur, revente dont la transcription, d'après le droit commun, rendrait l'inscription impossible. De là le délai de quarante-cinq jours, pendant lequel le vendeur non payé peut s'inscrire même après une aliénation suivie de transcription.

La même situation est faite, pour des raisons analogues, au copartageant, afin de le protéger contre les suites d'une revente immédiate par l'héritier.

Ce risque d'une revente à bref délai menace.évidemment tous les créanciers soit privilégiés, soit hypothécaires, si le débiteur aliène en hâte, avant que le créancier ait eu le temps de s'inscrire. Le sursis serait donc, s'il est fondé dans un cas, nécessaire dans tous. Pourquoi alors le délai de quarante-cinq jours est-il accordé seulement au vendeur et au copartageant? Nous retrouverons plus loin cette anomalie, qui fait tache dans le système et qui a une genèse historique.

532. En résumé, sous la réserve de quelques distinctions quant au moment précis où l'effet se produit, l'aliénation de l'immeuble met obstacle à ce que l'inscription puisse désormais être prise utilement.

533. Le second événement qui arrête le cours des inscriptions est la faillite du débiteur. Les inscriptions « ne produi« sent aucun effet, dit l'article 2146 alinéa 1, si elles sont « prises dans le délai pendant lequel les actes faits avant « l'ouverture des faillites sont déclarés nuls ».

L'article 448 du Code de commerce précise à cet égard la règle posée par l'article 2146. Aux termes de l'alinéa 1, aucune inscription ne peut être utilement prise après le jugement déclaratif de faillite. Aux termes de l'alinéa 2, les inscriptions prises avant le jugement déclaratif peuvent être déclarées nulles quand elles ont été prises après l'époque de la cessation des paiements ou dans les dix jours qui précèdent, « s'il s'est écoulé plus de quinze jours entre la date

<< de l'acte constitutif du privilège et celle de l'inscription ». En conséquence, bien que l'immeuble n'ait pas été aliéné par le débiteur et soit encore entre ses mains, le créancier ne peut plus utilement s'inscrire quand arrive la faillite. Les droits de préférence antérieurement acquis et régulièrement conservés sont et restent efficaces dans la liquidation; mais il ne peut plus en surgir de nouveaux. Dans le naufrage commun, il n'est plus temps de faire naître des causes de préférence; la condition de tous doit être désormais la même; on liquide d'après l'état de choses existant au moment de la faillite 1.

La liquidation judiciaire du débiteur produit, à cet égard, les mêmes effets que la faillite. Aux termes de l'article 5 alinéa 2 de la loi du 4 mars 1889, aucune inscription ne peut être prise après le jugement qui déclare la liquidation ouverte. Quant aux inscriptions prises avant ce jugement, la loi de 1889 n'édicte, en ce qui les concerne, aucune règle analogue à celle que pose l'article 448 alinéa 2 du Code de commerce pour le cas de faillite; mais il est admis communément que l'article 448 alinéa 2 est applicable au cas de liquidation judiciaire 2.

534. Un troisième événement met obstacle à ce qu'un créan

1. L'article 448 parle uniquement des droits de privilège ou d'hypothèque nés avant le jugement déclaratif; il reste étranger à ceux qui prendraient naissance postérieurement. Si le failli acquiert de nouveaux biens, la masse devra respecter les privilèges et hypothèques qui les grèvent. Ainsi, une succession venant à s'ouvrir au profit du failli, les créanciers héréditaires peuvent demander la séparation des patrimoines et requérir dans les six mois l'inscription de l'article 2111, sans que la masse ait le droit de s'y opposer. De même, au cas de partage opéré depuis le jugement déclaratif, le copartageant créancier peut inscrire son privilège dans les soixante jours impartis par l'article 2109.

Cass.

Lorsqu'une inscription est annulée par application de l'article 448 du Code de commerce, le syndic ne peut pas, dans l'intérêt de la masse, se faire colloquer dans l'ordre ouvert sur la distribution du prix de l'immeuble hypothéqué. La sanction de l'article 448 consiste dans la suppression de l'inscription à l'égard de la masse, non dans son maintien avec effet à son profit. Trib. de com. de la Seine 29 décembre 1885, Le Droit du 28 janvier 1888, 20 décembre 1889, Le Droit du 29 décembre 1889, - Trib. de la Seine 8 février 1890, Le Droit du 3 mars 1890.; Lyon-Caen et Renault, Traité de droit commercial, 2e édition, VII, no 383, p. 322, - Aubry et Rau, 5o édition, III, p. 548, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, II, n° 1568, et la dissertation publiée dans le journal Le Droit du 1er janvier 1890.

2. Lyon-Caen et Renault, Traité de droit commercial, 2a édition, VIII, p.308, n° 1065.

cier privilégié prenne inscription: la mort du débiteur, si sa succession est acceptée sous bénéfice d'inventaire. Les inscriptions ne produisent aucun effet « entre les créanciers « d'une succession, dit l'article 2146 alinéa 2, si l'inscription « n'a été faite par l'un d'eux que depuis l'ouverture et dans le << cas où la succession n'est acceptée que par bénéfice d'in<<< ventaire ». A plus forte raison la règle serait-elle la même si la succession avait été répudiée '.

Les causes de préférence antérieurement acquises continuent de produire effet; mais, en cas d'acceptation bénéficiaire ou de renonciation, il n'en peut plus naître de nouvelles. Ici encore il y a naufrage commun, car l'acceptation bénéficiaire, à plus forte raison la renonciation, font légitimement présumer que la succession n'est pas solvable; donc il n'est plus temps de faire surgir des causes de préférence, ou de consolider celles qui ont été acquises auparavant. La

1. En vertu du principe de l'interprétation restrictive des textes concernant les privilèges, certains auteurs refusent d'appliquer l'article 2146 alinéa 2 au cas de renonciation. Sic, Demante et Colmet de Santerre, Cours analytique, IX, no 119 bis II, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, II, no 1580, Aubry et Rau, 5e édition, III, p. 554, texte et note 40.

2. La présomption d'insolvabilité sur laquelle repose l'article 2146-20 n'existe évidemment pas lorsque l'acceptation bénéficiaire est imposée par la loi au successible. Un héritier mineur, par exemple, ne peut accepter que sous bénéfice d'inventaire (article 461 C. civ.).

Aussi certains auteurs proposent-ils une autre explication. Ilsla recherchent dans la nature et les effets de l'acceptation bénéficiaire. Quand la succession d'un débiteur est acceptée sous bénéfice d'inventaire, ses créanciers, qui avaient jusque la un débiteur personnel engagé sur tous ses biens présents et à venir, perdent le bénéfice de cette situation. On peut dire que la personnalité du débiteur n'est pas continuée, puisque la consistance de son patrimoine est fixée d'une manière immuable. Les droits des parties sont réglés comme si la liquidation s'opérait au moment même du décès. A partir de cette époque il devient impossible de se réserver des causes de préférence. La situation est la même qu'en cas de faillite. Voy. Aubry et Rau, 5e édition, III, p. 550, note 30, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, II, no 1574.

Les auteurs qui expliquent ainsi la règle de l'article 2146 alinéa 2 assimilent au cas où la succession du débiteur est soit acceptée sous bénéfice d'inventaire, soit répudiée, l'hypothèse où elle est déclarée vacante. Sic, Thézard, Privilèges et hypothèques, no 154, - Demante et Colmet de Santerre, Cours analytique, IX, no 119 bis 11, Aubry et Rau, 5o édition, III, p 553, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, II, no 1581, Guillouard, Privilèges et hypothèques, III, n° 1150; - cpr. Orléans 26 août 1869, D. P. 1869.11.185, Sir. 1870.11.113. Secus, Mourlon, Transcription, II, no 660.

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