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situation reste ce qu'elle est; aucune modification n'y peut être apportée 1.

535. Tels sont les trois faits qui mettent obstacle à l'inscription d'un privilège, fût-il antérieurement acquis. Or l'inscription est la condition préalable de l'exercice du privilège.

536. En résumé, l'efficacité des privilèges sur les immeubles, en ce qui concerne leur exercice, par conséquent en ce qui concerne la production à l'ordre, est subordonnée à l'existence d'une inscription régulière, non périmée et prise en temps utile. C'est ce qui résulte de l'article 2106.

Ainsi formulée, la règle est générale.

Cependant, elle comporte trois exceptions, qui sont annoncées par la fin de l'article 2106 et indiquées par les articles 2107, 2108 et 2110.

PREMIÈRE EXCEPTION

537. Elle concerne les privilèges généraux sur les immeubles, les privilèges de l'article 2101 en tant qu'ils portent sur les immeubles par application de l'article 2104. L'article 2107 dit: « Sont exceptées de la formalité de l'inscription les « créances énoncées en l'article 2101.»

De sorte que l'efficacité des privilèges généraux sur immeubles quant au droit de préférence - et nous ne parlons pour le moment que de cet aspect des privilèges - n'est pas subordonnée à l'inscription. Le créancier n'a aucune formalité à remplir pour conserver son privilège; il lui suffit pour l'exercer de produire à l'ordre en temps utile; et il peut produire en vertu de sa seule qualité de créancier privilégié, sans avoir pris inscription 1.

1. Le sort des créanciers dépend de la détermination à laquelle l'héritier s'arrête. S'il accepte purement et simplement, les inscriptions prises après la mort du débiteur sont valables; elles sont nulles s'il accepte sous bénéfice d'inventaire.

Lorsque l'héritier est déchu du bénéfice d'inventaire, la doctrine admet en général que les inscriptions prises depuis la mort du débiteur deviennent valables, puisque le successible est censé avoir toujours été héritier pur et simple (article 777). En ce sens, Demolombe, Successions, III, no 397, - Pont, Privilèges et hypothèques, II, no 920, - Aubry et Rau, 50 édition, III, p. 552,

Thézard, Privilèges et hypothèques, no 1576, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, II, no 1566.- Au contraire, d'après la jurisprudence les inscriptions deviennent inefficaces: Grenoble 26 décembre 1891, D. P. 1892.11.279, Sir. 1893.11.33 (note de M. Wahl). C'est une conséquence logique du principe admis par la jurisprudence, et d'après lequel les créanciers héréditaires conservent un droit acquis au bénéfice de la séparation des patrimoines après la déchéance du bénéfice d'inventaire (suprà, no 516, in fine).

Pourquoi en est-il ainsi ?

On a considéré que les créances de l'article 2101 prennent leur source dans les habitudes communes et constantes, que dès lors l'existence de ces créances peut et doit toujours être supposée. On les trouve dans presque toutes les liquidations. A quoi bon l'inscription, qui ne révèlerait que ce que tout le monde sait ou doit supposer?

On a considéré, en outre, que les créances de l'article 2101 sont ordinairement peu élevées, que les privilèges garantissant ces créances n'atteignent les immeubles que subsidiairement et en cas d'insuffisance des meubles, c'est-à-dire rarement en fait. Dès lors, il y aurait un double inconvénient à les soumettre à la formalité de l'inscription: inconvénient pour les créanciers, qui, se croyant suffisamment garantis sur les meubles, ne s'inscriraient pas sur les immeubles et seraient exposés à perdre la sûreté subsidiaire que la loi a entendu leur accorder, inconvénient pour le propriétaire débiteur, dont l'inscription discréditerait les immeubles sans utilité véritable, étant donné le peu d'importance de ces créances.

Pour ces deux motifs, et par exception à l'article 2106, l'article 2107 les dispense de l'inscription.

538. Toutefois, cette dispense d'inscription pour les privilèges généraux de l'article 2101, en tant qu'ils s'exercent sur les immeubles, existe seulement au point de vue du droit de préférence. L'article 2107 n'apporte exception qu'à l'article 2106, lequel a trait exclusivement au droit de préférence 2. Au point de vue du droit de suite, les créanciers restent soumis au droit commun. Or, en règle générale, l'acquéreur d'un immeuble ne peut être poursuivi par un créancier privilégié ou hypothécaire du chef de l'aliénateur que si les privilèges ou hypothèques ont été régulièrement inscrits avant l'aliénation.

Il y a d'ailleurs une raison pour que l'inscription des privilèges de l'article 2101 reste indispensable quant au droit de suite. Le droit de suite ne se comprend et n'existe que sur les biens envisagés comme corps certains, non sur les biens in genere; aussi les privilèges généraux, soit mobiliers, soit immobiliers, ne sont, comme tels, que de purs droits de préférence 1. Les privilèges généraux sur immeubles ne procurent le droit de suite qu'à la condition d'avoir été spécialisés par l'inscription prise sur l'immeuble aliéné.

1. Pont, Privilèges et hypothèques, I, no 288, - Aubry et Rau, 5 édition, III, p. 506, texte et note 4, - Flandin, Transcription, II, no 1030, - Verdier, Transcription, no 529, - Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, I, no 808.

2. Aubry et Rau, 5o édition, III, p. 507, texte et note 5.

DEUXIÈME EXCEPTION.

539. Elle concerne le privilège du vendeur.

De même que les autres créanciers privilégiés sur les immeubles, le vendeur ne peut ni produire à l'ordre, ni saisir sur un tiers acquéreur, en un mot exercer son privilège que s'il l'a conservé. Seulement le mode de conservation est ici spécial. L'article 2108 consacre à cet égard un système particulier; il fait exception à l'article 2106, tout en laissant le privilège du vendeur soumis au principe de la publicité.

Dans la pensée des rédacteurs du Code civil, le privilège du vendeur devait être conservé non par une inscription, mais par la transcription de l'acte de vente faite par l'acheteur. Cette transcription, dit l'article 2108, vaut inscription du privilège, sous la seule condition que le titre transcrit constate que le prix est dû en tout ou en partie. En effet, elle prévient suffisamment les tiers, créanciers hypothécaires de l'acheteur ou sous-acquéreurs, qui ne traiteront qu'après avoir examiné le titre de leur auteur; elle les avertit que le vendeur n'est pas payé, que dès lors il a son privilège ; et ce privilège, suffisamment rendu public, est conservé de la

sorte.

Seulement, dans l'intérêt de ceux qui ont besoin de connaître les charges hypothécaires grevant l'immeuble, et afin que les certificats d'inscriptions qu'ils se font délivrer à cet effet soient complets, l'article 2108 prescrit au conservateur des hypothèques d'inscrire d'office le privilège du vendeur à la suite de la transcription requise par l'acheteur, Cette inscription d'office n'est pas nécessaire pour la conservation du privilège; elle n'est pas exigée du créancier, mais du conservateur des hypothèques; elle est exigée dans l'intérêt de ceux qui se font délivrer des certificats d'inscriptions1 et sous la responsabilité du conservateur envers eux *.

1. C'est pour ce motif, sans doute, que M.Thézard refuse le droit de suite aux privilèges généraux sur immeubles (Privilèges et hypothèques, no 381, p. 500). Toutefois, l'article 2104 déclare qu'ils s'étendent subsidiairement aux immeubles; ils doivent donc, à cet égard, être traités comme des privilèges immobiliers et en produire les effets. Quand il s'agit du droit de suite, il faut appliquer l'article 2166, auquel aucun texte ne déroge. Sic: Pont, Privilèges et hypothèques, II, n° 1122, - Aubry et Rau, loc. cit., BaudryLacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, III, no 2085.

540. Ce système, qui regarde la transcription comme suppléant à l'inscription, a été emprunté à l'article 29 de la loi de brumaire an VII. Sous l'empire de la loi de brumaire, les ventes d'immeubles étaient soumises à la transcription. De fait, elles étaient toujours transcrites. L'acheteur, ayant intérêt à rendre le plus tôt possible son droit opposable aux tiers, requérait la transcription sinon tout de suite après la vente, au moins très promptement. Alors, pourvu que l'acte de vente constatât que le prix était dû en tout ou en partie, la transcription rendait public le privilège du vendeur aussitôt après le fait qui lui donnait naissance, ou très peu de temps après. Elle le conservait au rang que lui fixait la loi, c'est-à-dire à la date même de la vente.

C'est le système qui est appliqué par les articles 2109 et 2111 aux privilèges des copartageants et des créanciers séparatistes. Mais il y a deux différences. En premier lieu, l'inscription à l'effet de conserver le privilège est remplacée ici par la transcription de l'acte de vente. En second lieu, l'article 2108, à l'inverse des articles 2109 et 2111, ne fixe pas un délai pendant lequel le privilège doit être conservé sous peine de dégénérer en hypothèque; cela s'explique, car l'acheteur a trop d'intérêt à transcrire le plus vite possible pour ne pas agir promptement.

541. Comme la transcription remplace ici l'inscription au point de vue de la conservation du privilège, elle peut être utilement opérée, comme celle-ci, tant que ne s'est produit aucun des faits qui arrêtent le cours des inscriptions: l'aliénation de l'immeuble, la faillite ou la liquidation judiciaire de l'acheteur, la mort de l'acheteur suivie d'acceptation bénéficiaire ou de renonciation par les héritiers 3.

1. Au point de vue pratique, l'inscription d'office est très utile. Les transcriptions sont faites sur un registre spécial qui n'est pas celui des inscriptions. Le législateur veut que les intéressés puissent connaître l'existence du privilège du vendeur sans avoir à requérir un état des transcriptions. 2. Trib. de Toulon 2 avril 1895, D. P. 1897.11.57 (note de M. de Loynes). 3. Aubry et Rau, 5o édition, III, p. 587, texte et note 6, - Thézard, Privi1889, Sir. 1891.11.110, Trib. de Toulon 2 avril 1895 et Douai 4 avril 1895, D. P. 1897.11.57 (note de M. de Loynes).

Faite en temps utile, la transcription requise par l'acheteur conserve au vendeur son privilège. Le jour où elle ne peut plus s'opérer utilement, le privilège est perdu faute d'avoir été conservé d'une façon régulière.

Par conséquent, au cas de revente par l'acheteur avant que la première vente ait été transcrite, la transcription de l'acte de revente ne suffirait pas à conserver le privilège du vendeur originaire non payé, quand même cet acte constaterait que tout ou partie du prix de la première vente restait dû. En effet, si la transcription conserve le privilège, elle ne le fait que dans la mesure où l'inscription aurait pu le faire; l'aliénation par l'acheteur entraîne à l'égard du vendeur originaire perte du privilège non conservé en temps utile '.

1

542. Tel est le système de l'article 2108.

Sous l'empire du Code de 1804, il présentait un inconvénient, signalé par tous les commentateurs des articles 1138 et 1140, à propos des conventions translatives de propriété immobilière. Voici lequel. Les rédacteurs du Codeont fini par ne pas maintenir le régime de la loi de brumaire sur la transcription; d'où il est résulté que le fondement même de l'article 2108 a disparu. Aussi cet article fut un de ceux dont se prévalurent certains interprètes pour soutenir que le législateur de 1804 avait maintenu, sinon expressément, du moins tacitement, le système de la transcription 3. C'était même l'argument le plus probant, car l'article 2108 ne peut pas s'expliquer autrement. Cependant, cette opinion n'a pas prévalu *.

Plus tard, la loi du 23 mars 1855 a rétabli la transcription. Le fondement du système de l'article 2108 s'est trouvé re

lèges et hypothèques, no 304, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, I, no 819, III, no 2093. Cpr. Cass. 14 février 1865, D.P. 1865, 1.254, Sir. 1865.1.190, -6 mai 1868, D. P. 1868.1.316, Sir. 1868.1.255,

pellier 5 mai 1869, D. P. 1874.11.147, Sir. 1869.II.264,

Mont

Poitiers 10 juillet

1. Aubry et Rau, 5a édition, III, p. 584.

2. Voy. le volume du Cours de droit civil qui contiendra le commentaire du titre Des obligations.

3. En ce sens: Comte, dissertation dans Sir. 1812.11.217, - Jourdan, Thémis, V, p. 481, - Hureaux, Etudes théoriques et pratiques sur le Code civil, n° 127, - Pont, Privilèges et hypothèques, I, no 258.

4. Troplong, Privilèges et hypothèques, IV, no 894, - Vente, no 43, - Aubry et Rau, 5 édition, II, p. 124, texte et note 8, - Demolombe, Contrats, I, nos 443 et suiv.

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