Images de page
PDF
ePub

prescription extinctive de l'hypothèque. Quel en est le caractère? Sous quelles conditions s'accomplit-elle ?

Quant aux effets, c'est une prescription extinctive. Elle affranchit l'immeuble, au profit du tiers détenteur, du droit réel qui l'affectait.

Quant aux conditions, elle est traitée comme une prescription acquisitive et subordonnée aux mêmes conditions: c'est l'usucapio libertatis. Le tiers détenteur acquiert la libération de l'immeuble comme il acquerrait l'immeuble lui-mème; il acquiert le démembrement de la propriété, privilège ou hypothèque, précédemment attribué au créancier privilégié ou hypothécaire. Il doit donc réunir les conditions exigées pour la prescription acquisitive 1.

1o Il lui faut avoir la possession de l'immeuble, avec les qualités exigées par l'article 2229.

2o S'il a juste titre et bonne foi, il prescrira par dix à vingt ans (article 2265)2; dans le cas contraire, par trente ans seulement (article 2262).

C'est à cet ensemble de règles que se réfère l'article 21814o alinéa 2. Il ne parle expressément que de la condition de délai; mais cette application faite du droit commun de la prescription acquisitive implique renvoi à ce droit commun dans son ensemble. Tout le droit commun de la prescription acquisitive est applicable.

1. Certains auteurs (voy. en particulier Aubry et Rau, 5o édition, III, p.819), soutiennent que la prescription de l'hypothèque est extinctive, parce qu'elle a pour but de libérer l'immeuble d'un droit réel qui le grevait. Mais, dans cette opinion, on est obligé de reconnaître que la prescription de l'hypothèque présente des caractères spéciaux. D'ordinaire, la prescription extinctive n'est pas soumise à d'autres conditions que l'inertie du titulaire du droit; au contraire, la prescription de l'hypothèque exige la possession de l'immeuble par le tiers détenteur. D'autre part, l'article 2180-4° alinéa 2 vise, entre autres hypothèses, un cas où la prescription suppose un titre, condition irréalisable en matière de prescription extinctive. Aussi, la grande majorité des auteurs enseignent-ils que la prescription de l'hypothèque est acquisitive. En ce sens: Pont, Privilèges et hypothèques, II, no 1248, - Laurent, Principes, XXXI, no 389 et suiv., - Demante et Colmet de Santerre, Cours analytique, IX, no 164 bis II, Glasson, Revue pratique, 1873, p. 201, - Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, III, n° 2274; Rouen 30 mars 1895, Sir. 1896.11.41 (note de M. Dalmbert).

2. Dans ce cas, le délai se calcule eu égard au domicile ou à la résidence du créancier hypothécaire: Pont, Privilèges et hypothèques, II, no 1254, Aubry et Rau, 5a édition, III, p. 823, - Glasson, Revue pratique, 1873, p. 211, - Thézard, Privilèges et hypothèques, no 250, - Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, III, no 2289.

De là plusieurs conséquences, et notamment les trois suivantes.

Première conséquence.

1099. La possession exigée doit réunir les conditions générales de l'article 2229, comme s'il s'agissait de l'acquisition de la propriété1, sauf toutefois une différence en ce qui concerne le point de départ du délai. Quand il s'agit de la prescription acquisitive de la propriété, la possession est utile dès qu'elle a commencé en fait; le délai court à compter de l'entrée en possession (articles 2228 et 2265). Quant à la prescription de l'hypothèque, la possession n'est utile qu'à partir de la transcription du titre, pourvu bien entendu qu'il s'agisse d'un titre soumis à cette formalité (article 2180-4°, alinéa 2). Cette particularité tient à ce que, jusqu'à la transcription, des inscriptions peuvent être utilement prises du chef de l'aliénateur; l'acquéreur ne peut pas prescrire les hypothèques existantes tant qu'il peut en être acquis de nouvelles contre lui; donc il ne libère l'immeuble qu'après la transcription. C'est la même raison qui fait que la purge lui est interdite avant l'accomplissementde cette formalités.

Deuxième conséquence.

1100. L'expression «juste titre » a ici le même sens qu'en matière d'usucapion en général. Elle signifie: titre légitime d'acquisition *.

La bonne foi consiste ici dans l'ignorance légitime des charges hypothécaires. Le tiers détenteur est de mauvaise foi quand il a connu ces charges, de bonne foi s'il les a ignorées. C'est une question de fait.

1. Le tiers détenteur ne peut joindre à sa possession celle de son auteur que si cette possession était de nature à faire acquérir à ce dernier la prescription de l'action réelle: Glasson, loc. cit., - Rouen 30 mars 1895, D. P. 1895.11.209 (note de M. Dupuich), Sir. 1896. II. 41 (note de M. Dalmbert).

2. Le titre dont la loi exige la transcription est l'acte même par lequel le débiteur originaire a aliéné l'immeuble grevé. Il n'est pas nécessaire, au point de vue qui nous occupe, de faire transcrire l'acte constatant une deuxième aliénation consentie par le premier acquéreur. Limoges 22 juin 1881, Dalloz, Supplément au Répertoire, v Privilèges et hypothèques, no 1532. 3. Supra, no 974.

4. Il suffit que ce soit un acte juridique translatif de propriété par sa nature: Glasson, loc. cit., p. 204 et 205. Il n'est pas nécessaire que ce titre déclare l'immeuble libre de toutes charges. Voy. cependant Labbé, note dans Sir. 1867.11.34.

5. Cass. 7 août 1860, D. P. 1860.1.506, Sir. 1861.1.257,- Rouen 7 juillet 1862 et Cass. 11 mai 1863, D. P. 1864.1.191, Sir. 1864.1.357,- Riom 12 janvier 1882, D. P. 1883.11.12, Sir. 1883.11.81, 1897.11.18.

L'existence d'inscriptions ne suffit pas à le constituer de mauvaise foi, et cela pour deux raisons.

D'abord, il peut se faire qu'il n'ait pas demandé un certificat au conservateur1. Il eût été prudent de le faire; mais la précaution n'est pas obligatoire.

D'autre part, même s'il s'est fait délivrer un certificat, ce qui constitue contre lui une présomption de mauvaise foi, il est admis à prouver qu'il avait de justes motifs de croire à la nullité ou à l'extinction des hypothèques 2. On peut avoir des raisons de penser qu'une inscription qui subsiste a été maintenue à tort, et que la créance à laquelle l'inscription se réfère n'existe plus.

Troisième conséquence.

1101. Il faut appliquer ici le droit commun, quant aux causes d'interruption et de suspension.

1102. La prescription de l'hypothèque sera donc interrompue: 1o par les causes qui font perdre matériellement la possession (article 2243), — 2o par la sommation de payer ou de délaisser signifiée au détenteur, sommation qui tient lieu de commandement à son égard 3, 3o par l'action en déclaration d'hypothèque, - 4o par la reconnaissance que le débi

3

Agen 1er mars 1895, D. P. 1895.11.369, Sir.

1. Pont, Privilèges et hypothèques, II, no 1250, - Aubry et Rau, že édition, III, p. 821, texte et note 6, Demante et Colmet de Santerre, Cours analytique, IX, no 164 bis IX, Thézard, Privilèges et hypothèques, no 249, Glasson, Revue pratique, 1873, p. 206, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, III, no 2285. Cette solution s'impose, sans quoi l'application de la prescription par dix ou vingt ans se limiterait aux hypothèques légales dispensées d'inscription, ce qui serait peu conforme aux termes très généraux de l'article 2180.

2. Aubry et Rau, 5o édition, III, p. 821, texte et note 7, - Thézard, Privilèges et hypothèques, no 249.

3. Pont, Privilèges et hypothèques, II, no 1259, - Aubry et Rau, 50 édition, II, p. 511, - III, p. 823, - Thézard, Privilèges et hypothèques, no 253, Laurent, Principes, XXXI, n° 397, XXXII, n° 109, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, III, no 2300, Baudry-Lacantinerie et Tissier, Prescription, n. 517; Cass. 27 décembre 1854, D. P. 1855.1.52, Toulouse 18 décembre 1874, Sir. 1875.II.109.

4. Si tant est que cette action existe encore sous l'empire du Code civil. Voy. suprà, p. 312. Cpr. Aubry et Rau, 5a édition, II, p. 488 à 490, note 24, - Glasson, op. cit., p. 220,- Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges

teur a faite des droits du créancier hypothécaire, notamment par le délaissement (articles 2248 et suivants).

La prise et le renouvellement d'inscriptions sont ici sans influence (article 2180-4° in fine). En effet, la prise d'une inscription ne constitue pas une interpellation, et l'inscription prise peut être ignorée du débiteur actuel. Autre chose est le rang, autre chose l'hypothèque elle-même.

La prescription n'est pas même interrompue par l'accomplissement des formalités de la purge, car le tiers détenteur, en remplissant ces formalités, n'a pas entendu reconnaître l'existence d'inscriptions qu'il n'a ni examinées ni discutées au préalable. Les offres de payer jusqu'à concurrence de son prix sont conditionnelles, éventuelles, subordonnées à la vérification de la créance et de l'hypothèque, vérification à laquelle il doit être procédé au moment de l'ordre 1.

1103. Les causes de suspension sont également les mêmes qu'en matière de prescription ordinaire. La prescription ne court ni contre les mineurs ou interdits (article 2252), ni entre époux (article 2253) 2. Nous renvoyons sur ces points aux règles de la prescription.

Signalons cependant qu'une difficulté spéciale se présente dans le cas où la dette est à terme ou conditionnelle. La prescription ne court pas à l'égard de la dette (article 2257). Mais court-elle à l'égard de l'hypothèque? Aucun texte ne tranche la question. Le terme met obstacle à ce que la prescription éteigne l'hypothèque par voie de conséquence. Empêche-t-il aussi la prescription de l'hypothèque par voie principale?

La jurisprudence l'admet. Elle admet que la modalité qui affecte la créance affecte en même temps l'hypothèque 3. Le

et hypothèques, III, no 2305; - Cass. 2 mars 1830, Sir. 1830.1.342,

23 mars 1847, D. P. 1849.11.52, Sir. 1848.11.760.

Caen

1. Aubry et Rau, 5e édition, III, p. 823 à 824, et p. 862, texte et note 40, Glasson, loc. cit, p. 218 et 223, - Laurent, Principes, XXXI, n° 400, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, III, no 2304. Douai 17 novembre 1863, Sir. 1864.II.253.

2. Cass. 25 janvier 1881, D. P. 1881.1.246.

3. Cass. 16 novembre 1857, D. P. 1858.1.34, Sir. 1858.1.397, 28 janvier 1862, D. P. 1862.1.89, Sir. 1862.1.236, Paris 12 juin 1866, Sir. 1867.11.33, Dijon 3 janvier 1878, D. P. 1879.11.118, Sir. 1878.11.25, Montpellier 10 janvier 1878, Sir. 1878.11.313, - Bordeaux 12 mai 1879, Sir. 1879.11.199, Cass, 30 décembre 1879, D. P. 1880.1.338, Sir. 1880.1.64,

motif allégué est le suivant. L'hypothèque est un accessoire de la créance; il serait déraisonnable qu'elle s'éteignît par la prescription avant d'avoir pu s'exercer; or c'est ce qui arriverait si la prescription courait contre l'hypothèque alors que la créance n'est pas exigible. La règle de l'article 2257, bien que spéciale à la créance, est l'application d'un principe de bon sens. La prescription ne courra donc que du jour de l'exigibilité.

Cette manière de voir est très contestable. L'article 2180-4° alinéa 2 in fine dit que la prescription court du jour de la transcription. Qu'importe que la créance soit exigible ou non? Les articles 2251 et 2257 rapprochés l'un de l'autre fournissent en ce sens un raisonnement en forme. L'article 2251 abroge la règle: Contra non valentem agere non currit praescriptio; or l'article 2257 n'apporte d'exception à ce texte qu'en admettant la suspension pour les seules créances ou actions personnelles, non pour les actions réelles; donc la prescription court contre l'hypothèque. Le débiteur, lié personnellement envers le créancier, ne peut pas prescrire contre son titre pendente conditione; mais le tiers détenteur, qui n'est pas lié et qui prescrit un droit distinct de la créance, est traité plus favorablement 1.

Il est inexact, d'ailleurs, de prétendre que le créancier ne peut pas agir. L'ancien droit avait imaginé à son usage une action tendant à l'interruption de la prescription : l'action en déclaration ou en reconnaissance d'hypothèque2.

Cependant la jurisprudence est fixée en sens contraire *.

1104. En résumé, il existe deux cas très distincts d'extinction des privilèges et hypothèques par la prescription: extinction par voie de conséquence et par voie principale. Ces

Pau 26 juin 1888, D. P. 1889.11.119, Sir. 1889.II.215, Nancy 16 novembre 1889, Sir. 1894.11.161, Paris 25 avril 1891, Journal des Conservateurs des hypothèques, 1891, no 397.

1. Laurent, Principes, XXXII, nos 25 et suiv., Labbé, note dans Sir. 1867.11.33, et 1878.11.313, Bourcart, note dans Sir. 1891.11.161, - BaudryLacantinerie et Tissier, Prescription, nos 394 et suiv.,- Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Privilèges et hypothèques, III, nos 2293 et 2295.

2. Voy. Pothier, Traité de l'hypothèque, § 6. - Cpr. suprà, no 1102.

3. M. Thézard fait à cet égard une distinction: Privilèges el hypothèques,

n° 252, p. 344, - Revue critique de droit, 1868, p. 385.

« PrécédentContinuer »