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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

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En 1899, M. Gény publiait un Essai critique sur la méthode d'interprétation du droit privé. Le succès fut immense. Le livre arrivait à son heure. L'éclosion de quelques théories nouvelles, comme celle de l'abus du droit, les travaux de M. Saleilles et de M. Josserand, les innovations de la loi du 9 avril 1898, agitaient les esprits. Les problèmes se rattachant aux sources et à l'interprétation du droit privé avaient été quelque peu abordés dans la doctrine, mais incidemment et fragmentairement. M. Gény était le premier qui les traitât avec ampleur et méthode dans leur ensemble. A la vérité, des critiques observèrent que l'œuvre était un peu massive, que l'auteur avait parfois usé d'une bien grosse artillerie pour emporter des positions abandonnées par l'ennemi, que sa documentation, souvent surabondante, était trop exclusivement puisée chez les juristes d'outre-Rhin, qu'en revanche, il s'était montré d'une sobriété excessive à l'égard de la littérature juridique anglaise, qui, sur bien des points, et par exemple sur l'emploi qu'il convient de faire des travaux préparatoires de la loi, eût mérité mieux. Mais l'ouvrage était si solidement construit, l'auteur y paraissait à la fois si prudent et pourtant si parfaitement libre de tous préjugés scientifiques, que ces critiques de forme passèrent inaperçues. L'édition s'épuisa vite, et les amateurs de livres rares savent ce qu'il en coûtait, il y a quelques mois seulement, pour s'en procurer un exemplaire. Voici venir la seconde édition. Il serait exagéré d'y voir une refonte. C'est bien plutôt une réimpression, fortifiée par une documentation nouvelle, destinée à la mettre au courant. Au bas de plus d'une page, se lit l'invitation au lecteur de se reporter aux publications antérieures et même futures de l'auteur, s'il veut savoir comment celui-ci entend compléter ou corriger son texte. Toutefois, M. Gény nous donne quelques nouveaux paragraphes et 160 pages d'épilogue qui méritent l'attention. proche (§ 176) la libre recherche scientifique du pouvoir discrétionnaire laissé aux tribunaux, et se demande si la libre recherche ne serait pas simplement une application du pouvoir discrétionnaire. Sans prétendre ici creuser le problème, il nous semble que les deux choses diffèrent à bien des égards et dans leur essence, l'une s'exerçant en dehors de la loi, l'autre en vertu de la loi, l'une soumise au contrôle de la

ANNÉE 1920.

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Cour de cassation, contrôle que n'admet pas l'autre, etc. M. Gény consacre le premier chapitre de son épilogue à rechercher les efforts faits pour remédier aux insuffisances de la méthode employée au XIX° siècle pour assurer l'interprétation juridique. Il découvre, parmi ces éléments plus ou moins nouveaux, la pratique du droit vivant, la psychologie, l'économie politique, l'histoire, la jurisprudence et le droit comparé. Si, dit-il, ces procédés se sont révélés comme pouvant fournir des directions utiles pour solutionner certains cas ambigus, ils ne paraissent pas susceptibles, chacun pris à part, de suppléer, en guides infaillibles, aux lacunes des sources formelles positivement reconnues. M. Et. Lambert, M. Saleilles, et surtout M. Van den Eycken, ont fait de leur mieux pour arriver à une reconstruction synthétique de la méthode juridique. Mais, pour des raisons diverses, ces efforts n'ont pas abouti. - Le chapitre relatif au << phénomène Magnaud » est de tout point excellent. L'éminent professeur a senti le danger que présentaient pour lui les excentricités du « bon juge » : on pourrait être tenté d'en tirer argument contre les méthodes critiques d'interprétation du droit. Tout en cherchant à se montrer juste pour l'ancien président de Château-Thierry et à surmonter l'impression de défiance que suscitent les incorrections tapageuses que l'on connaît, M. Gény conclut à bon droit que M. Magnaud ne s'est jamais appuyé sur la critique scientifique de Finterprétation traditionnelle, qu'il ignore, et qu'en somme, ses pratiques n'ont pas fait école ; il n'y a guère à craindre que « le germe d'anarchie déposé dans son esprit initial » prenne racine dans notre magistrature. Les rédacteurs du nouveau Code civil suisse, dans les art. 1 et 4 surtout, étaient entrés trop largement dans les vues de M. Gény pour qu'il ne s'applaudit pas de l'aide morale qu'ils apportaient à ses idées. Pour la première fois, fait-il observer, un législateur moderne confère au juge les pouvoirs nécessaires pour préciser et compléter son action propre. Jamais n'est apparue aussi clairement cette vérité que les moyens employés par la législation pour imprimer une direction à la vie sociale ne sont que des procédés destinés à réaliser une fin consacrée par des principes supérieurs. Nous ne ferons que mentionner, à raison de son caractère très spécial, l'étude concernant le mouvement du freies recht (libre droit), qui forme l'objet du quatrième chapitre de l'épilogue. Ce mouvement, qui, comme l'indique son nom, s'est produit en Allemagne, y serait né d'une réaction contre la doctrine dont Savigny fut le plus illustre interprète, doctrine d'après laquelle les lacunes apparentes du droit positif devraient être comblées à l'aide des éléments de ce droit lui-même, et sans recourir à un soi-disant droit

naturel, domaine des conceptions subjectives. Cette doctrine, demcurée celle du nouveau Code allemand, malgré quelques dissidences, était ébranlée sérieusement par Zitelmann en 1902, puis attaquée violemment en 1907 dans un manifeste de G. Flavius, qui déchaînait la tempête du freies recht. Il semble que, d'ailleurs, le mouvement ait échoué. M. Gény termine en présentant ce qu'on appelait jadis les « positions » de sa thèse, résumé d'autant plus utile que le lecteur peut aisément s'égarer au travers des méandres d'une pensée toujours infiniment subtile et nuancée. Il lui semble entrevoir pour l'avenir c'est là son dernier mot une distinction féconde entre les éléments provenant de la nature des choses et la construction de ces éléments par des procédés artificiels, ou, si l'on veut, entre l'élaboration scientifique du droit et son élaboration technique. En somme, M. Gény rend, en réimprimant son ouvrage de 1899, un signalé service à tous ceux qu'intéressent les questions qu'il y traite. Les additions qu'il y apporte lui permettent de donner une précision nouvelle à ses formules et de les rectifier là où il le juge nécessaire.

Cours d'économie politique, par M. H. TRUCHY, professeur à la Faculté de droit de Paris. Tome 1°; 1 vol. in-8°; prix: 14 fr.Paris, Librairie de la Société du Recueil Sirey, L. TENIN, directeur, 22, rue Soufflot.

M. Truchy a composé ce livre pour les étudiants des Facultés de droit, c'est-à-dire pour des jeunes gens que leur âge, leurs études, leur milieu et leurs lectures ont quelque peu familiarisés avec les notions élémentaires, tout au moins avec les termes de l'économie politique. Les historiettes et les démonstrations un peu enfantines des premiers économistes, qui convenaient aux lecteurs d'il y a cinquante ans, et qui sont encore acceptables pour les élèves des écoles primaires, rebuteraient des étudiants sérieux. L'économie robinsonesque a fait son temps et risque de déconsidérer la science ellemême, par ses affirmations absolues. Raisonner sur les actes d'un Robinson dans son ile, «< c'est un procédé qui facilite l'exposition de certaines questions; mais il est dangereux »>. Personne ne l'a mieux compris que M. Truchy. « Il y a, dans la vie économique, un tel entrecroisement de forces que, dans beaucoup de cas, la vérification expérimentale des lois économiques ne peut être qu'incomplète... Cependant la notion de loi n'en demeure pas moins essentielle ». On se tromperait donc singuliè rement, si on croyait que M. Truchy fait bon marché des théories économiques. Sans doute, l'étude des faits forme la base de la science Mais, comme il le dit excellemment, « il n'y a

d'intelligence vraie et profonde des faits économiques que par la théorie ». La fonction de celle-ci est de faire la critique des observations amassées, de classer les faits observés, d'y démêler l'accidentel d'avec le permanent, le particulier d'avec le général, etc. ». L'histoire tragique de ces dernières années s'est chargée d'ailleurs de mettre en lumière tout ce qu'il y avait d'exact dans les principes proclamés par les économistes, même ceux de l'école classique, et le danger que courait une société à les méconnaître. On lira notamment avec le plus vif intérêt les pages consacrées par M. Truchy à l'intervention de l'Etat dans la formation des prix. Il y démontre sans peine que la taxation est à peu près inefficace contre la hausse des prix, et qu'en revanche, elle présente de très grands inconvénients. L'ouvrage de M. Truchy se distingue surtout par ses qualités de mesure et de sincérité scientifique. Aucun parti pris. L'auteur, qui a beaucoup étudié, observé et réfléchi, s'est dit qu'il y avait, en général, une part de vérité, comme aussi une part d'exagération, dans les différents systèmes qui se combattent, et il s'est appliqué à dégager cette part. Nous estimons qu'il y est arrivé, dans la mesure du possible. Bien souvent les discussions s'éternisent, parce que les problèmes sont mal posés, d'une façon trop simpliste, et sans qu'on introduise dans leurs éléments les distinctions réellement importantes. - On rencontre, par exemple, une doctrine, aujourd'hui bien désuète, d'après laquelle il n'y aurait de travail économiquement utile que le travail manuel. Il est à peine besoin de la réfuter. Mais M. Truchy observe justement que la classification vraiment intéressante des travaux est celle qui distingue le travail d'exécution et le travail de direction. D'ailleurs, la société se transforme, sans qu'on s'en rende compte. C'est ainsi que la concurrence, « qui a été longtemps considérée comme le postulat fondamental de la vie économique », voit sa place diminuer par la concentration croissante des entreprises. Un autre exemple des distinctions qu'il importe souvent de faire dans un problème difficile nous est fourni dans la question de la population. Le nombre tolal, le sexe et l'âge sont assurément des éléments essentiels. Toutefois, il faut tenir compte de la composition quantitative, c'est-à-dire des différences d'aptitude, de moralité et d'intelligence. Les mouvements migratoires intérieurs ou extérieurs constituent aussi un phénomène digne d'intérêt. « Ce n'est d'ailleurs pas en se lamentant sur le dépeuplement des campagnes qu'on résout ces problèmes ». Quant à la décroissance de la natalité, qui se manifeste surtout en France, et, moins sensiblement, dans presque toute l'Europe, M. Truchy, après en avoir recherché les causes, aboutit à cette conclusion « que c'est avant tout une question morale, et..., que la tâche est difficile et de longue haleine, mais non pas impossible ». - On aurait tort de croire d'ailleurs que le savant professeur évite de prendre parti sur les questions délicates, et se borne à marquer les coups. Il se prononce, au contraire, franchement sur la plupart des problèmes, mais évite les extrêmes. Il se dégage du livre une personnalité très nette et une originalité de bon aloi; nous entendons par là une originalité qu'il n'a pas cherchée. Il convient d'abréger; à feuilleter le volume, on se laisserait facilement entraîner à tout citer. Bornons-nous à appeler l'attention sur les pages concernant le système Taylor, l'industrie à domicile, la poli

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tique des classes moyennes, les cartels et les trusts, l'intervention de l'Etat en matière de transports, le rôle de l'Etat dans la production, les mouvements généraux des prix, etc. M. Truchy n'a pas abusé des statistiques. Pourtant on en trouvera, croyons-nous, un peu plus qu'il n'est d'usage dans les traités élémentaires (V. notamment les chiffres qui se réfèrent à la population, à la concentration des entreprises, aux transports, à l'encaisse des banques). Si, comme nous l'avons dit, c'est surtout pour les étudiants des Facultés de droit que M. Truchy a écrit, cependant aucun ouvrage ne peut mieux que celui-ci convenir à tous les esprits curieux des questions générales. On demeure stupéfait de voir avec quelle inconscience et quelle légèreté ont été prises des mesures, inspirées sans doute par des intentions patriotiques, mais pourtant déplorables dans leurs effets, mesures que la connaissance de l'histoire et des principes de l'économie politique aurait évitées. Nous souhaitons qu'un ouvrage comme celui-ci trouve sa place dans toutes les administrations et chez tous les fonctionnaires chargés, à des degrés divers, des intérêts publics.

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Le livre de M. Bonnecase est un livre de guerre, en même temps qu'un livre d'histoire. Devant le manifeste des intellectuels allemands, le savant professeur à l'Université de Bordeaux a tenu à affirmer que la force brutale ne trouve pas en elle-même sa justification, et que, si on a confondu, outre-Rhin, la force et le droit, une école puissante et prépondérante a su maintenir en France, malgré des divergences, des hésitations, des confusions indéniables, la saine et claire notion traditionnelle du droit. Mais M. Bonnecase est de la race des bons juristes; il ne se contente pas d'affirmer; il prouve. C'est pour démontrer l'exactitude de son affirmation qu'il a écrit son livre. Après avoir établi la nécessité de la notion de droit, il en détermine le contenu et la fonction, d'après les diverses écoles entre lesquelles se sont partagés les juristes français du XIX siècle. Pour lui, c'est à la doctrine métaphysique du droit qu'il donne son adhésion, c'est à l'école libérale, par laquelle cette doctrine a été brillamment défendue, qu'il se rallie, et c'est elle qui, correspondant « seule aux tendances profondes de la nature humaine »>, lui paraît constituer la doctrine de l'avenir. Même après

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démonstration très serrée de sa thèse et le déploiement d'érudition sur lequel il l'appuie, on peut conserver quelques doutes sur son exactitude. Les faits ont condamné trop souvent l'idéalisme libéral pour que beaucoup ne soient pas tentés de chercher plutôt l'avenir dans cette école réaliste, dont notre éminent collaborateur, M. Duguit, est aujourd'hui le représentant le plus qualifié. Mais, même en contestant ses solutions et en se refusant à accepter ses tendances, on doit rendre à M. Bonnecase un juste hommage. Jamais ses préférences personnelles n'obscurcissent son sens

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M. Nézard a donné à ce livre un rôle trop modeste, lorsqu'il a paru, par son titre, l'assimiler à un simple memento à l'usage des étudiants de capacité. Sans parler du grand public, étranger aux études de droit, qui peut trouver là toutes les notions de droit public dont la connaissance est indispensable à qui veut avoir une culture générale, il est plus d'un licencié, voire même d'un docteur en droit, qui trouverait profit à cette lecture. Ses qualités n'ont, d'ailleurs, pas échappé au public, puisque la première édition, parue au début de l'année scolaire 1910-1911, était épuisée depuis quelques mois, lorsque la guerre a éclaté. Nul doute que l'édition nouvelle n'ait la même fortune. Où trouver, d'ailleurs, plus heureusement réunies, des notions importantes précisées et clarifiées en quelques phrases vigoureuses et nettes? L'auteur indique le contenu du droit public, son fondement, ses sources; il étudie les droits individuels (liberté, égalité, fraternité) et les sanctions qui en constituent la garantie; l'Etat, ses éléments, ses fonctions, ses organes; l'organisation politique et administrative de la France; enfin, les services spéciaux (défense nationale, domaine national, finances publiques, justice). C'est, en un petit volume, tout l'essentiel du droit constitutionnel, du droit administratif, de la science des finances et de l'organisation judiciaire. On ne saurait trop recommander un tel livre. Tenu au courant de la plus récente législation, il ne néglige pas les dispositions abrogées. Chaque fois qu'il est nécessaire, des notes brèves donnent l'indication des transformations diverses subies par l'institution, de telle sorte que le lecteur a, du même coup, l'état actuel du droit et son évolution. Le plan, très net, est facilement suivi, et le style sobre et clair rend agréable la lecture d'un livre qui aurait pu devenir aisément difficile et obscur. On ne peut lui faire qu'un reproche : l'auteur, s'étant interdit toute discussion, s'est également interdit toute critique. A le lire, on se persuaderait vite que nos institutions réalisent à peu près le plus haut point de perfection. Mais ce reproche en est-il vraiment un? En défendant, contre toutes les objections, les formes dans lesquelles s'exprime actuellement la souveraineté populaire, M. Nézard continue, en l'adaptant aux circonstances actuelles, l'œuvre des légistes de l'ancienne monarchie en faveur de l'autorité du roi capétien. C'est cette œuvre, ne l'oublions pas, qui, en permettant à nos rois de triompher de leurs rivaux, clercs et laïcs, leur a permis de faire l'unité française.

Le règlement transactionnel pour cause de guerre entre débiteurs et

créanciers. Commentaire détaillé de la loi du 2 juill. 1919, avec formules, par MM. HERBULOT, secrétaire général de la présidence du Tribunal de commerce de la Seine, et directeur de la Revue pratique de législation et de jurisprudence du tribunal de commerce de la Seine, et TCHERNOFF, avocat à la Cour d'appel de Paris, ancien chargé de cours à la Faculté d'AixMarseille. Préface de M. PETIT, président du Tribunal de commerce de la Seine. 1 vol. in-8°. Paris, Bibliothèque du tribunal de commerce de la Seine, 1, quai de la Cité.

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La législation commerciale s'est enrichie, pendant la guerre, d'institutions nouvelles, dont une des plus importantes, à coup sûr, est le concordat préventif, organisé par la loi du 2 juill. 1919 sous le nom de Règlement transactionnel entre commerçants et créanciers pour cause générale de guerre. A la vérité, cette institution n'est pas dépourvue de précédents; les périodes troublées de 1848 et de 1870-1871 avaient motivé des dispositions spéciales moins rigoureuses pour les négociants gênés que la loi des faillites du droit commun. La liquidation judiciaire, avec sa publicité encore trop large, et les mesures de guerre, telles que les décrets moratoires, ne pouvant remédier d'une manière efficace à la situation embarrassée des commerçants victimes d'une mobilisation prolongée ou des répercussions économiques du conflit, nos législateurs ont cherché à leur faciliter la reprise du cours de leurs affaires, moyennant des concessions concordataires, obtenues de leurs créanciers avec l'homologation du tribunal de commerce, et cela, en leur épargnant la publicité déshonorante et destructive du crédit et les déchéances découlant habituellement de la suspension des paiements. Comment le règlement transactionnel a-t-il été pratiquement organisé? Quelles difficultés soulève son application? Le but cherché a-t-il été atteint? Telles sont les questions auxquelles les auteurs, spécialement qualifiés par leur expérience et leur talent, ont tâché de répondre dans un ouvrage à la fois substantiel et pratique. Ils ont eu soin de placer, dans l'introduction, une importante étude d'histoire et de législation comparée, qui leur a permis de dégager en quelques traits, et de faire saisir au lecteur les principes directeurs, les innovations essentielles de la nouvelle loi et d'en décrire le domaine d'application. - De ce fait, le commentaire des dispositions de la loi s'est trouvé fort éclairé et allégé à l'avance. Successivement, nous apprenons à quelles conditions et en quelles formes un débiteur peut déposer une requête à fin d'obtenir un règlement transactionnel, comment le tribunal statue sur la requête, quels sont les effets du refus ou de l'admission de cette requête sur l'administration du patrimoine du débiteur. Les modes de constatation du passif, les règles toutes nouvelles concernant le vote du règlement, la délicate procédure de l'homologation par le tribunal (avec les incidents nés d'une opposition ou d'un appel), les conséquences du refus et les effets du règlement homologué, enfin, les sanctions civiles et pénales de la fraude et de la mauvaise foi, font l'objet d'autant de sections, où sont examinées, avec sobriété et clairvoyance, les délicates questions concernant l'interprétation des

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nouveaux textes et leur confrontation avec les

principes généraux. Un titre spécial, qui constitue certainement la partie la plus hâtivement élaborée de la loi du 2 juill. 1919, est consacré aux sociétés comptant parmi leurs créanciers des porteurs d'obligations ou autres titres, et il organise, en dehors de la procėdure applicable aux autres créanciers, un système de consultation spécial des obligataires réunis en assemblée générale. Mais, si l'idée était en principe excellente, sa réalisation a été moins heureuse, faute d'une communication expressément organisée entre les deux groupes de créanciers. MM. Herbulot et Tchernoff, qui ont aperçu la lacune, se sont ingéniés à la combler par voie d'interprétation, soit en reconnaissant de larges pouvoirs au tribunal saisi de la demande d'homologation des deux règlements séparés, soit en soudant les oppositions ou appels interjetés contre ces règlements. Ils ne se sont pas dissimulé cependant l'insuffisance pratique des procédures préconisées par eux. Et, sur ce point, comme en bien d'autres, ils n'ont pas hésité, d'accord avec l'éminent auteur de la préface, M. Petit, président du tribunal de commerce de la Seine, à signaler les retouches ou perfectionnements qu'il serait souhaitable d'apporter à la loi du 2 juill. 1919, afin que l'institution du règlement, qui n'a actuellement qu'une durée d'application provisoire, puisse rendre en France, et d'une manière permanente, les services que n'a pas pu rendre la liquidation judiciaire, et que rend L'ouà l'étranger le concordat préventif. vrage de MM. Herbulot et Tchernoff, écrit avec le plus grand soin, et divisé d'une manière extrêmement claire, est heureusement complété par une table analytique, une table alphabétique des matières, et surtout par un formulaire général, comprenant deux cents modèles exactement rédigés, et qui sera particulièrement précieux aux magistrats, liquidateurs, greffiers, avocats ou justiciables appelés à user de la loi du 2 juill. 1919. Ce commentaire, d'une valeur doctrinale très sûre, satisfera pleinement les praticiens, qui en attendaient la publication avec une légitime impatience.

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Traité pratique de la légitimation des enfants naturels simples, incestueux ou adultérins, par M. EDOUARD LEVY, docteur en droit, secrétaire et rapporteur de la commission de l'état civil au ninistère de la justice, secrétaire de la commission sénatoriale de la légitimation. Préface de M. A. WAHL, professeur à la Faculté de droit de Paris, directeur de la Revue trimestrielle de droit civil. 1 vol. in-8°; prix: 12 fr. Paris, Librairie de la Société du Recueil Sirey, L. TENIN, directeur, 22, rue Soufflot.

Comme la plupart des institutions touchant au droit de famille, la légitimation a subi, dans ces dernières années, une évolution très importante, dont les trois lois des 7 nov. 1908, 30 déc. 1915 et 7 avril 1917 marquent les étapes. Non seulement on a vu disparaître le principe qui excluait dans tous les cas les enfants incestueux et adultérins du bénéfice de la légitimation, mais encore des atteintes ont été portées à cet autre principe, qui faisait de la reconnaissance préalable au mariage des parents la condition sine qua non de la légitimation, et à celui, plus strict

encore, qui excluait toute légitimation en dehors du mariage. Quelles sont donc la portée juridique et la répercussion des réformes nouvelles sur les principes admis sous le régime du Code civil; quelles sont la valeur sociale du nouveau régime et les modifications dont il est susceptible, voilà les deux questions capitales que M. E. Lévy a examinées, non pas isolément, mais dans une étude d'ensemble, entièrement neuve par son fond, sa forme et son esprit. — La première partie, consacrée à la légitimation des enfants naturels simples, traite des conditions de la légitimation, et ensuite de ses formnes, c'est-à-dire des cas où la reconnaissance est antérieure, concomitante, et même (depuis 1915) postérieure au mariage, des cas où la légitimation peut avoir lieu sans mariage, à titre posthume, enfin, de l'hypothèse classique d'une naissance d'enfant dans les 180 premiers jours du mariage.

L'auteur, se séparant sur ce point de la jurisprudence et d'une doctrine presque unanimes, se refuse à traiter cet enfant comme simplement légitimé. Il le considère comme véritablement légitime, en appuyant sa thèse d'arguments inédits. Peut-être eût-il été intéressant de confronter ceux-ci avec l'arrêt de la Cour de cassation du 7 juill. 1910, annoté dans ce Recueil par notre regretté collaborateur Loubers (S. et P. 1914.1. 273; Pand. pér., 1914.1.273), et avec l'opinion assez divergente émise par Aubry et Rau (5° éd., par M. Bartin, t. 9, p. 36, § 545, note 9). - Signalons enfin, à côté de l'examen des effets de la légitimation, l'étude tout à fait originale des répercussions de celle-ci sur les actes de l'état civil déjà dressés, et la section où est finement étudiée l'annulation de la légitimation. La deuxième partie, très courte, traite de la légitimation des enfants incestueux. Celle-ci est implicitement, mais nettement permise par la loi de 1907, tout au moins lorsque le mariage entre les parents est interdit, mais avec possibilité de dispense. Bien plus complexe est la situation des enfants adultérins, non seulement à cause des questions morales et des difficultés pratiques qu'elle suscite à l'intérieur de la famille, mais encore à raison du manque de simplicité et de la défectuosité des textes transactionnels votés, d'abord en 1907, puis en 1915, en présence de l'hostilité témoignée par le Sénat à l'égard de reformes destructives de l'ancien principe. Dans la troisième partie, M. E. Lévy trace avec clarté l'historique de cette législation, et se livre ensuite à un examen serré des cas de légitimation autorisés par la loi, pour montrer combien de situations ont échappé aux prévisions, et en combien de cas la légitimation est interdite, malgré des conditions morales plus favorables, ou en dépit d'exigences d'humanité plus impérieuses. Servi par une grande expérience des questions d'état civil et par un sens critique toujours en éveil, M. Lévy a mené à bien une étude qui fait honneur à ses qualités de praticien, de juriste et d'écrivain. On ne peut que souscrire à l'éloge formulé par un maître réputé pour l'inflexibilité de ses jugements, M. Wahl, en disant avec lui que l'auteur nous a donné un livre destiné à rester classique.

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Le succès des deux premières éditions du Guide pratique des fondateurs de sociétés par actions a encouragé M. Decugis à développer et à refondre son ouvrage, pour y traiter, non seulement de la fondation des sociétés par actions, mais aussi de leur gestion et de leur liquidation. Mais le nouveau traité est conçu et écrit avec le même esprit pratique qui avait inspiré sa rédaction primitive.-L'auteur, tenant compte des modifications économiques qui ont suscité la création d'entreprises considérables et rendu caducs les anciens procédés de gestion administrative et financière des sociétés, s'est préoccupé d'exposer aux intéressés les meilleures méthodes à employer pour l'administration intérieure de leurs entreprises, l'emploi du capital, la rémunération du personnel, l'évaluation des bénéfices et la confection des inventaires, les réserves et amortissements, les augmentations et les réductions de capital, les émissions d'obligations, les fusions de sociétés, le contentieux des titres nominatifs, les faillites et liquidations de société. Le chapitre consacré aux consortiums et comptoirs d'achat ou de vente, c'est-à-dire à des organisations modernes dont le mécanisme est encore peu connu en France, en dehors de quelques initiés, est particulièrement instructif et utile. Les lois nouvelles, qui ont modifié d'une manière importante le régime commercial ou fiscal des sociétés par actions, et celles plus nombreuses encore qui ont sanctionné, au cours de ces dernières années, des organisations inédites (sociétés anonymes à participation ouvrière, sociétés de caution mutuelle et banques populaires, etc.), ou encore non réglementées (sociétés coopératives de production et de consommation), ont toutes été l'objet de commentaires pratiques, insérés à la place la plus judicieuse. - L'ouvrage de M. Decugis a été à dessein dépouillé de citations d'arrêts ou d'articles de doctrine, et les notes de statistique économique, ainsi que les formules, sont infiniment plus nombreuses que les références de caractère juridique. Il n'en sera pas moins consulté avec fruit, car l'auteur, avec sa grande expérience du droit des sociétés, a su discerner la valeur des réformes législatives des dernières années, et il montre par son exemple quel parti les interprètes peuvent tirer des lois nouvelles, au grand profit des sociétés francaises.

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Traité-formulaire théorique et pratique de l'état civil des militaires à l'intérieur et en campagne, par CH. L. JULLIOT, docteur en droit, officier d'administration de 2o classe de territoriale. 1 vol. in-8°; prix 10 fr. Paris, Librairie de la Société du Recueil Sirey, L. TENIN, directeur, 22, rue Soufflot.

M. Julliot est un des rares spécialistes qui, dès le temps de paix, se soient préoccupés d'étudier et faire connaitre l'organisation et le fonctionnement des services de l'état civil aux armées. Aussi son traité, rédigé à un moment où le mariage par procuration des militaires venait d'être institué, et où la mention « Mort pour la France » sur les actes de décès, venait à peine d'être prescrite, a-t-il rendu les plus grands services aux officiers chargés de constater, soit à l'intérieur, soit aux armées, les faits d'état civil. - S'éten

dant avec juste raison sur ce qui concerne les décès, il a exposé la réglementation tout à fait spéciale qui sépare les actes de décès proprement dits des procès-verbaux de constatation de décès, des simples procès-verbaux de déclaration, et enfin des avis de disparition, et donné en chaque hypothèse des indications précises et des formules prêtes à l'officier instrumentaire. - Il serait à souhaiter de voir paraître une nouvelle édition de cet intéressant ouvrage, où soient commentées et étudiées les lois les plus récentes sur la déclaration judiciaire du décès des disparus, sur la rectification administrative des actes de décès dressés aux armées, sur la qualité des témoins (même mineurs) aptes à faire la déclaration de décès à l'officier instrumentaire, etc.

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Ainsi que l'indique l'auteur dans la préface de son traité, il s'agissait d'un sujet totalement nouveau en doctrine et en jurisprudence. Cette indication suffirait à elle seule pour justifier l'étude à laquelle il s'est livré. Cette étude est claire et complète. Elle contient le rappel des principes généraux du droit en matière testamentaire, et leur application aux testaments militaires. Des formules précises terminent l'ouvrage, et sont de nature à faciliter grandement les officiers rédacteurs des testaments. A côté de ces données d'ordre purement pratique, M. Julliot s'est proposé de dégager les principes essentiels de la matière, et il y a pleinement réussi. Quel est le caractère du testament militaire? C'est, d'après la définition qu'il en donne, un testament par acte public, un testament authentique. Il est manifeste, en effet, que l'officier chargé de le dresser joue le rôle d'un officier public, d'un notaire; or, l'acte authentique est celui qui a été reçu par un officier public compétent, avec les solennités requises (C. civ., 1317). Bien que public, le testament militaire doit être fait en double original, ou, si cette condition ne peut être remplie, être accompagné d'une expédition pour tenir lieu du testament. Les deux originaux, ou l'original et l'expédition, sont adressés séparément, et par courriers différents, sous pli clos et cacheté, au ministère de la guerre ou de la marine, pour être déposés chez le notaire indiqué par le testateur, ou, à défaut d'indication, chez le président de la chambre des notaires de l'arrondissement du dernier domicile (C. civ., 893). Est-ce un dépôt au rang des minutes qui est prescrit par le Code, ou bien un simple dépôt analogue à celui qui est habituel en matière de testament olographe? M. Julliot étudie la question, et, après certaines réserves, accepte le procédé suivi par l'autorité militaire, qui se contente d'un simple dépôt dans le coffre-fort du notaire. Le chapitre IV de l'ouvrage s'occupe de la responsabilité des officiers préposés à la réception des testaments. Ces ofliciers, jouant ici le rôle de fonctionnaires de l'ordre judiciaire, relèvent de la compétence des tribunaux de

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Au début de l'année 1913, M. Rodrigo Octavio a été admis à faire, à la Faculté de droit de Paris, un cours sur le droit international privé au Brésil. L'accueil chaleureux dont ses leçons furent l'objet et le succès mérité qu'elles obtinrent ont donné à l'éminent professeur à la Faculté de Rio-de-Janeiro, l'heureuse pensée de les réunir en un volume. Elles retrouveront certainement, sous cette forme, le légitime succès qu'elles ont immédiatement obtenu. M. Rodrigo Octavio y étudie le problème de la nationalité et de la condition des étrangers au Brésil. Il nous montre, en ces matières, l'antagonisme des jeunes républiques de l'Amérique latine et des vieilles nations européennes, les principes différents qui les régissent et les solutions opposées auxquelles elles ont abouti. Pays de peuplement, le Brésil peut s'ouvrir largement à l'immigration et accepter pour ses nationaux des colons, venus chercher fortune dans le Nouveau Monde, qui n'ont pas rompu les liens de sentiment qui les rattachaient à leur pays d'origine. De dures expériences nous obligent à ne marcher dans cette voie qu'avec une prudence qui ne pourra paraître timide qu'à ceux qui oublient les leçons de la plus récente histoire:

Un point où nous ne pouvons non plus suivre l'éminent professeur, c'est dans sa croyance à l'unification du droit international privé. Peut-être peut-on la souhaiter. On ne peut croire, en tous cas, que, dans notre Europe, où les rivalités nationales sont plus vives qu'elles ne l'ont jamais été, sa réalisation soit possible dans un avenir même lointain. Mais, si certaines nations se heurtent, parce qu'elles sont des races ennemies, d'autres sont faites pour s'entendre. Entre la France et le Brésil, il, existe une communauté d'origine qui explique toutes les sympathies et justifie toutes les espérances. Depuis le jour où notre Henri de Bourgogne vint au Portugal fonder une dynastie jusqu'à celui où Portugais et Brésiliens se sont rangés aux côtés de la France dans la lutte mondiale qui vient de finir, les occasions n'ont pas manqué où cette sympathie s'est affirmée. C'est l'honneur d'un livre comme celui de M. Rodrigo Octavio de nous donner, en nous apprenant à nous connaître mieux, de nouvelles raisons de nous estimer et de nous unir.

Manuel de Droit constitutionnel, par M. LEON DUGUIT, doyen de la Faculté de droit de Bordeaux. 3 édition. 1 vol. in-16; prix: 16 fr. Paris, E. DE Boccard, éditeur, 1, rue de Médicis.

La publication, au cours de la guerre, de la 3o édition du Manuel de Droit constitutionnel de M. Duguit, présentait, en dehors de l'intérêt que provoque tout nouvel ouvrage sorti de la plume du savant professeur et aujourd'hui doyen de la Faculté de Droit de Bordeaux, un intérêt tout spécial. D'une part, il importait de savoir comment fonctionneraient dans la pratique celles de nos institutions spécialement réglées en vue de la guerre, et comment notre Constitution s'adapterait aux circonstances tragiques dans lesquelles s'est trouvé notre pays pendant plus de quatre ans. D'autre part, il fallait constater les changements provoqués dans la vie politique par les événements de ces dernières années. Ces changements ont pu passer plus ou moins inaperçus de la grande majorité du public, alors que les esprits s'attachaient anxieusement aux événements militaires. Mais la guerre est le creuset qui met à l'épreuve les institutions d'un pays; les modifications qui en résultent sont caractéristiques et doivent être minutieusement analysées. C'est précisément un des avantages de la troisième édition du Manuel de nous donner un aperçu, succinct sans doute, mais clair et précis, de cette transformation de nos institutions, qui ouvre le champ aux discussions visant l'orientation future de notre constitution. Le point capital, autour duquel' tout se concentre, c'est l'évolution du régime parlementaire, évolution nettement saisissable en France, et non moins en Angleterre. Le régime parlementaire, tel qu'il était pratiqué, se résumant, somme toute, dans une collaboration des pouvoirs législatif et exécutif, supposant un équilibre de force et d'action entre eux, toute modification devait se traduire par un accroissement ou une diminution de pouvoirs de l'exécutif ou du législatif, faisant pencher la balance en faveur de l'un ou de l'autre, à moins toutefois que, les accroissements et les diminutions se produisant de part et d'autre, un nouvel équilibre ne vint à s'établir. — Tout d'abord, un changement dans la nature même du régime parlementaire doit être noté. Le régime parlementaire, tel qu'il fonctionnait en France avant la guerre, était avant tout un gouvernement de parti; il est devenu un gouvernement fondé sur un concert de partis, l'union sacrée ayant groupé tous les citoyens en un même bloc pour la défense du pays et le triomphe de nos armes. Aussi a-t-on vu des ministères grouper des représentants des divers partis politiques de nos assemblées. La guerre nous apparaît donc comme un événement qui nécessite une concentration exceptionnelle de force, l'unité dans la direction.

L'exécutif est tout naturellement apte à tenir un rôle important dans de pareils moments; il est normal aussi qu'il tende à développer son action. Le gouvernement devait être porté à user largement de ses pouvoirs légaux; des questions d'interprétation des lois constitutionnelles, de limites à apporter à l'extension des attributions du pouvoir exécutif, devaient nécessairement se poser. Le chef de l'Etat dispose de la force armée; comment s'exercerait cette prérogative, et, tout particulièrement, serait-il possible de cantonner l'action gouvernementale vis-à-vis des chefs militaires? ANNÉE 1920.

La guerre donne à l'exécutif un pouvoir considérable par la déclaration d'état de siège; il était intéressant d'envisager quelle serait, sous la pression des événements, la portée de cette déclaration, l'étendue de l'état de siège, son influence sur les libertés publiques, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse. Le besoin de prendre des décisions rapidement, alin de parer aux nécessités imprévues, urgentes, devait amener une extension du pouvoir réglementaire. Le gouvernement n'a pas hésité à en user largement, à le pousser aux limites extrêmes de la pratique constitutionnelle; peut-être même est-il allé au-delà. Les règlements, imposés par la nécessité, qui ne furent pas toujours soumis à la ratification des Chambres, se sont multiplies, modifiant les lois, en arrêtant l'application, touchant fréquemment aux libertés publiques, tout particulièrement à la liberté du commerce et de l'industrie. Tandis que le gouvernement développait ainsi son action, le Parlement, aux premiers mois de la guerre surtout, abandonnait une partie de ses pouvoirs. Après s'être réunies au début d'août 1914, les Chambres s'étaient ajournées pour ne rentrer en session qu'au mois de janvier 1915. Elles avaient par avance, dès la déclaration de guerre (L. 5 août 1914), autorisé l'éxtension du pouvoir réglementaire; mais, lorsqu'elles ont été de nouveau convoquées, elles se sont refusées à accepter le projet Briand, qui multipliait les hypothèses dans lesquelles le pouvoir exécutif pouvait, par des décrets-lois, se substituer aux assemblées législatives. Le pouvoir de contrôle parlementaire, dont l'absence du Parlement avait d'abord empêché l'exercice, s'était trouvé ensuite singulièrement affaibli, par suite de l'union des partis. Il est vrai qu'à partir de 1915, le Parlement allait peu à peu reprendre son activité, se maintenant en session permanente, accentuant son contrôle sur la direction de la guerre par l'intermédiaire des commissions. Mais, au point de vue financier, le Parlement perdait une partie de son rôle fondamental, puisque les discussions accompagnant le vole des douzièmes provisoires devaient remplacer, jusqu'en 1918, le vote annuel du budget. Cette transformation de la vie constitutionnelle du pays au cours de la guerre, conséquence de la guerre, est magistralement exposée dans la 3o édition du Manuel. - Si elle en est un des principaux attraits, elle ne doit point toutefois nous empêcher d'appeler l'attention sur des développements nouveaux ou plus approfondis, se rapportant aux questions courantes inscription sur les listes électorales, suffrage des femmes, représentation proportionnelle, revision constitutionnelle, responsabilité de l'Etat législateur, lois contraires au droit. - Il serait superflu de rappeler les mérites d'un ouvrage dont le succès s'est affirmé bien au delà du monde des écoles, auquel il était essentiellement destiné, et s'affirmera davantage encore, les questions de droit constitutionnel présentant, à l'heure actuelle, pour l'avenir de notre pays, atteint dans ses forces vives par une guerre sans précédent, une importance capitale.

Guerre juste et juste paix, par M. Louis LE FUR, professeur à la Faculté de droit de Strasbourg. -Préface de M. MAURICE BARRÈS.

1 vol. in-8°; prix 10 fr. Paris, A. PEDONE, éditeur, 13, rue Soufflot.

vant ce livre, c'est qu'au-dessus des volontés diverses des souverains, il existe une règle commune, qui s'impose à tous les Etats comme elle s'impose à tous les hommes. Le pouvoir qui fait la loi est soumis, comme le dernier de ceux qui l'exécutent, à une loi supérieure non écrite. Il existe un droit naturel, qui supplée à l'insuffisance des lois positives et permet d'apprécier la valeur de ces lois. Ce droit naturel domine les relations des États entre eux, en temps de guerre comme en temps de paix. La guerre n'est pas en dehors du droit. Il est faux de prétendre, comme l'ont soutenu pacifistes, internationalistes et tolstoïsants, qu'elle est en dehors du droit, parce que toutes les guerres sont injustes. Il est également faux, et plus dangereux surtout, de prétendre qu'elle est en dehors du droit, parce que nécessité n'a pas de loi, et que personne ne peut se faire juge de ce que les besoins d'un Etat peuvent commander. Cette théorie brutale, qui glorifie la force, laisse à la conscience du souverain le soin de juger de la justice de la cause et voit volontiers le jugement de Dieu dans le triomphe, par tous les moyens, du vainqueur; c'est la théorie allemande de la guerre. Sans doute, des auteurs, qui n'appartenaient pas à l'Allemagne, l'ont, plus ou moins complètement, adoptée et défendue. Elle a bénéficié depuis cinquante ans, dans le monde civilisé, du prestige de la pensée allemande et des victoires qui ont constitué l'unité de l'Allemagne. Mais elle est et reste essentiellement allemande. C'est certainement la meilleure partie du livre de M. Le Fur, celle où il montre, de Luther à von Ihering, la formation de la conception du droit de la force Luther, qui émancipe la pensée dans l'ordre religieux, et substitue à la loi de l'Eglise le jugement de la conscience individuelle, en même temps qu'il invente le droit de nécessité; Kant, qui transpose, dans le domaine philosophique, les thèses religieuses de Luther, nie toutes les vérités objectives, ne connaît d'autre devoir que celui qu'il s'impose à lui-même, et voit, dans l'état de guerre, l'état de nature pour l'homme; Fichte, qui exagère le subjectivisme de Kant, fait du Moi le principe organisateur de l'univers, et, toutefois, passant du Moi individuel au Moi « absolu et vivant »>, incarne celui-ci dans la nation allemande, le peuple élu; Hegel, qui substitue l'Etat à la nation, considère l'Etat comme un être vivant, dont le Prince serait le cerveau, et soumet l'individu à l'Etat, lequel, étant la plus grande force, impose sa volonté comme la seule loi; Nietzsche, qui célèbre le culte de la force, glorifie toutes les guerres, et proclame que « c'est la bonne guerre qui sanctifie toute cause»; von Thering, enfin, qui ne conçoit le droit que sous la forme d'une lutte, déclare qu'il est « la politique de la force », et affirme que « l'Etat est la seule source du droit». - M. Le Fur nous montre l'erreur de ces grands malfaiteurs intellectuels, dont les signataires du fameux manifeste des quatre-vingt-treize se sont révélés les fidèles disciples, en défendant une guerre que toute la pensée allemande justifiait dans ses procédés comme dans son principe. Il établit qu'il est des guerres justes et des guerres injustes; le droit naturel donne le critérium qui permet de les distinguer entre elles. Et c'est le droit naturel aussi qui détermine les justes sanctions que le bon droit triomphant peut imposer à l'injuste agresseur, les réparations qu'il peut exiger de lui, les garanties qu'il a le droit de

Ce que M. Le Fur a voulu montrer en écri- stipuler pour empêcher dans l'avenir de sem

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