temps orageux de notre révolution, mit sur la même ligne les enfans naturels et les enfans légitimes; c'est une de celles dont le vœu universel hâte le plus l'abrogation; mais les enfans naturels changent-ils donc d'espèce, parce qu'ils seront adoptés? Sera-t-il plus moral et plus politique de leur accorder, à la faveur de cette vaine formalité, une succession que les mœurs et l'intérêt public leur refusent directement? M. Maleville suppose que, convaincu de cette vérité, on veuille exclure de l'adoption les enfans naturels; mais cette restriction devient impossible dans l'état de notre législation. La recherche de la paternité est défendue : comment donc parvenir à prouver que tel, adopté par tel, est son enfant naturel, si le père le dénie? On adoptera donc, avec la loi ou malgré la loi, ses enfans naturels; et cet inconvénient seul devrait faire rejeter l'adoption.. D'autre part, l'opinant n'est pas, sans doute, partisan de la loi du 17 nivose, et de cette interdiction presque absolue de la liberté de tester, qui n'avait en vue qu'une égalité impossible de fortune, au lieu d'une égalité désirable de droits. Mais le bien ne repose que loin de tous les extrêmes; s'il ne faut pas tout donner aux liaisons du sang et à l'esprit de famille, il ne faut pas non plus méconnaître absolument leurs droits; et la bonne politique même veut que, dans des degrés très-rapprochés, on leur réserve une part dans l'héritage. C'est dans cet esprit qu'a été rédigé le mode de succéder porté par la loi de germinal et par le projet de Code civil. Et cependant ce mode est abrogé; cette part réservée aux frères et aux neveux leur est enlevée par l'adoption. Si la loi qui règle l'ordre des successions est bonne, utile et politique, celle qu'on propose sur l'adoption est nécessairement mauvaise; car le oui et le non ne peuvent subsister ensemble dans le même sujet. Voilà cependant à quoi se réduit l'innovation qu'on propose; elle se réduit, comme dans Rome dégénérée, et en France, où on la transplanta, à établir un mode de disposer de ses biens, à une institution à la charge de porter le nom et les armes. M. Maleville se résume, et dit que l'adoption peut être utile au bien public, qu'elle peut élever l'âme de l'adopté et le porter à de grandes choses, lorsqu'elle est faite par des citoyens distingués et d'un mérite éminent, que la République jugera dignes de perpétuer leur nom; mais qu'elle n'est plus d'aucune utilité, qu'elle ne sert plus qu'à favoriser la vanité, l'immoralité et le mépris des lois, lorsqu'elle devient une faculté commune et un acte de juridiction ordinaire. M. TRONCHET dit qu'il y a trois opinions sur la question dont s'occupe le Conseil : Les uns rejettent absolument l'adoption; Les autres la permettent à tous ceux qui en voudront user, et veulent qu'elle s'opère par une simple déclaration; D'autres enfin ne l'admettent qu'autant qu'elle serait prononcée en connaissance de cause et par un acte du Corps législatif. Cette dernière opinion a été celle de la commission qui a rédigé le projet de Code civil : elle a pensé unanimement que l'adoption, comme institution de droit commun, est inutile, et qu'elle aurait moins d'avantages que de dangers, et elle a réservé au gouvernement d'examiner si l'adoption restreinte à une mesure politique pourrait avoir quelque utilité. Voici les motifs de la commission. Rien ne se présente sous des apparences plus séduisantes que l'adoption, lorsqu'on ne la voit qu'embellie des charmes que l'imagination et la sensibilité se plaisent à lui donner; mais dépouillée de ces prestiges, mais vue à nu et sous sa véritable forme, l'adoption n'est plus qu'un moyen d'éluder les prohibitions par lesquelles la loi limite', surtout à l'égard des enfans naturels, la faculté de disposer, ou une manière de satisfaire la vanité de ceux qui désirent perpétuer leur nom et leur famille. Sous le premier point de vue, l'adoption est absurde. Si les prohibitions de la loi ne sont pas déterminées par des motifs solides, il faut les abolir franchement; si, au contraire, la justice les avoue et l'intérêt public les réclame, la loi, en donnant un moyen de les éluder, blesse l'intérêt public et la justice, et se contredit elle-même. Et qu'on ne dise pas qu'il est des précautions possibles pour empêcher les enfans naturels de profiter de l'adoption; il n'en existe point. Les défenses que ferait la loi seraient illusoires; elles échoueraient dans l'exécution. Comment, en effet, signaler assez sûrement la filiation de l'enfant naturel, pour empêcher son père de l'adopter? Ne voit-on pas que le père se ménagera à son gré la facilité d'adopter un jour son fils naturel, s'il le réduit à l'état d'enfant abandonné; que, pour lui imprimer ce caractère, il suffit au père de ne le pas faire inscrire sous son nom, et de s'abstenir de le reconnaître; et que presque tous les pères prendront cette précaution dès lors qu'ils verront dans la loi l'expectative de les faire arriver par ce moyen à la totalité de leur succession? Sous ce second point de vue, l'adoption rentre dans la catégorie de ces donations, de ces institutions faites à la charge de porter le nom et les armes, et qui ne convenaient que dans le système d'une noblesse héréditaire; et alors même les changemens de nom devaient être autorisés par des lettres-patentes enregistrées. Mais l'adoption permise pour contenter la vanité des noms est inconciliable avec le régime républicain. Ceci répond aux personnes qui parlent de l'adoption comme d'une institution essentiellement républicaine. On vient de voir qu'elle est au contraire une institution vraiment aristocratique. Cependant il faut peser les raisons qu'on fait valoir en faveur de l'adoption de droit commun. C'est, dit-on, une facilité donnée à la bienfaisance pour assurer l'éducation et le sort d'enfans malheureux; une consolation offerte à ceux dont le mariage a été stérile, ou que leurs travaux et leur état en ont éloignés. Changeons de point de vue, et nous apercevrons des effets peut-être plus vrais, mais beaucoup moins satisfaisans. Nous découvrirons que les motifs réels de la plupart des adoptions seront la haine des héritiers, la séduction, quelquefois le crime ; qu'elles prépareront l'événement le plus terrible, le malheur du père adoptif et du fils adopté. En effet, quels seront les regrets du père quand l'enfant qu'il aura choisi trompera ses espérances, ou quand les circonstances qui l'ont déterminé à se donner un fils viendront à changer, et que cependant il se trouvera irrévocablement lié! Son mariage était stérile; il veut cependant ètre père: il adopte; mais bientôt son mariage devient fécond; et alors les sentimens pour l'enfant de la nature étouffent toute affection pour l'enfant de la nécessité. Quels regrets encore, si le père adoptif est conduit par le cours des choses à contracter un mariage nouveau, duquel il lui naisse des enfans! Le malheur du père retombe ensuite sur l'enfant : celui-ci n'est lié que jusqu'à sa majorité; jusqu'à ce terme, il a éprouvé les désagrémens que doivent nécessairement lui donner les regrets que font naître dans l'âme du père, soit la légèreté, soit le changement survenu dans les circonstances. L'enfant renonce à l'adoption; il retourne dans la famille que lui a donnée la nature; il y revient nu et sans ressources; et cependant il n'y trouve plus de secours; car on ne voudra pas sans doute que son retour annulle rétroactivement les dispositions faites dans un temps où il n'était qu'un étranger pour cette famille. C'est ainsi que l'adoption, qui devait, dit-on, faire son bonheur, le plonge dans un éternel abandon. Remarquons, en passant, la leçon que cet exemple donne au législateur : elle lui montre combien il est dangereux d'admettre une institution seulement en principe, et sans en avoir réglé les effets. Séparer ces deux choses, c'est s'engager dans des embarras d'où l'on ne peut plus sortir. Mais quel est donc ce monstre qu'on veut établir dans l'ordre social? Il est impossible d'admettre que, par sa seule volonté, un individu puisse changer l'ordre des successions d'une famille entière, et donner à tous ses parens un héritier que la loi n'avait pas indiqué. Un tel changement ne pourrait s'opérer que par un acte du Corps législatif. Il n'y a que la loi qui puisse déroger à la loi. Le Conseil examinera sans doute, avec la plus grande attention, si le législateur, qui peut, par une loi générale, changer l'ordre des successions, pourrait, par une loi particulière, me priver des droits que m'assure la parenté civile, droits qui forment ma propriété individuelle; et cependant, dans le système de l'adoption de droit commun, la seule volonté du père adoptif créerait une parenté collatérale indéfinie. Pour adoucir la bizarrerie d'une telle 'disposition, on a imaginé d'attribuer aux autres parens une faculté d'exclusion ou de réciprocité à l'égard des droits héréditaires. Vaine précaution! trop souvent les collatéraux ou négligeraient d'user de la faculté que leur donnerait la loi, ou, surpris par la mort, n'auraient pas le temps de l'exercer. En principe général, les effets de l'adoption ne doivent pas s'étendre au-delà du père adoptif et du fils adoptif; et c'est précisément là ce qui en fait un monstre dans l'ordre social; car elle attribue à un individu le nom d'une famille, sans cependant le placer dans cette famille : elle crée un être bizarre qui n'appartient plus à la famille dans laquelle la nature et la loi l'avaient placé, et qui ne tient que par un seul point à la famille dans laquelle il passe. Il faudrait des raisons bien puissantes pour s'élever audessus de ces considérations, et il n'en existe pas. La bienfaisance, seul prétexte qu'on donne à l'adoption, a d'autres moyens pour répandre ses bienfaits. Ne voit-on pas maintenant des personnes vertueuses élever des orphelins, les chérir comme leurs propres enfans, les établir, assurer leur sort, |