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ce qu'une autre qualité s'imprimât sur lui.
Telle était, dans l'espèce, la situation de la
ville légataire, à la suite du décret impérial
qui l'a autorisée à accepter le legs à elle
fait, jusqu'à concurrence des deux tiers seu-
lement; elle l'a si bien compris qu'elle avait
spontanément demandé la délivrance aux
héritiers naturels. C'est plus tard, alors que
la délivrance était consentie, qu'elle a pré-
tendu que la demande en délivrance était
inutile et qu'elle a soutenu qu'elle avait droit
aux fruits de son legs à compter du décès du
testateur. Cette prétention si contraire aux
principes a été admise par l'arrêt attaqué.-sation.
Les motifs sur lesquels cette décision se fonde
sont injustifiables. En effet, d'après l'arrêt,
c'est le testament qui détermine la nature
du legs, indépendamment des circonstances
qui suivent; l'autorisation ultérieure du Gou-
vernement ne saurait modifier la situation
acquise au décès du testateur. Il y a là une
première contradiction à la règle posée en l'art.
910, C. Nap., d'après laquelle le legs ne
saurait avoir « d'effet » qu'autant qu'il est
approuvé par le Gouvernement. C'est l'au-
torisation seule qui confère à la ville la ca-
pacité, qui donne au legs une existence ef-
fective, qui détermine même l'objet du legs.
L'arrêt ne se conforme pas mieux au texte
légal dans l'assimilation qu'il fait entre le
légataire universel en concours avec des
héritiers à réserve et la ville à qui il attri-
bue cette première qualité, bien qu'elle ne
prenne que les deux tiers de l'hérédité, dont
le surplus reste à la famille. A la différence
du véritable légataire universel, la ville est,
en effet, obligée, dans tous les cas, de de-
mander la délivrance aux héritiers qui,
seuls, ont la saisine. Elle est, en effet, on l'a
vu, incapable de recevoir sans l'approba-
tion du Gouvernement. Son droit ne s'ouvre
donc pas au jour du décès; il s'ouvre au jour
de l'autorisation et il s'ouvre tel qu'il sort de
l'autorisation, même; de telle sorte que, si
à raison de la réduction qui lui est imposée,
il ne porte plus que sur une quote-part, il ne
saurait être celui d'un légataire universel.
C'est ce qu'a décidé avec raison un arrêt de
Nîmes du 29 déc. 1862 (S. 1864.2.69.-P.
1864.615). Voilà, comme le dit cet arrêt, le
langage du bon sens en même temps que
celui de la loi. L'arrêt attaqué renferme
donc une erreur évidente en refusant de te-
nir compte, dans l'espèce où il a été rendu,
de l'autorisation du Gouvernement, qui, nou-
seulement influe sur le caractère du legs,
mais qui lui donne l'existence et l'effet lé-
gal. En décidant autrement, il a violé la loi
et encouru la cassation.

torisation au jour du décès du testateur. En admettant que, contrairement à ce qui vient d'être soutenu, la ville doive être considérée comme investie d'un legs universel, l'effet de ce legs ne peut, en aucun cas, remonter au jour du décès, puisque, d'après l'art. 910, C. Nap., cet effet ne doit résulter que de l'autorisation du Gouvernement, et que, selon l'art. 48 de la loi de 1837, il ne se produit que du jour où l'autorisation intervient. L'arrêt attaqué tombe tout au moins, à ce point de vue subsidiaire, sous la censure de la Cour de cas

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LA COUR;-Sur le premier moyen, tiré de la violation des art. 910, 1003, 1004, 1010 et 1011, C. Nap., et de l'art. 48 de la loi du 18 juill. 1837: Attendu qu'aux termes de l'art. 1003, C. Nap., le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l'universalité de ses biens; qu'il suit de cette définition que c'est au testament lui-même qu'il y a lieu de recourir pour reconnaître le véritable caractère de la libéralité qu'il con. tient; Attendu qu'il n'est pas contesté que le sieur Jean-Pierre-Charles-Louis Fieffé Montgey de Liévreville a, par son testament olographe du 26 juill. 1856, légué l'universalité de ses biens à la ville de Bordeaux et l'a ainsi instituée sa légataire universelle;-Attendu que le décret impérial du 10 mai 1862, qui a ultérieurement autorisé la ville de Bordeaux à accepter le legs fait à son profit, jusqu'à concurrence des deux tiers seulement, a bien pu, dans un intérêt public, modifier l'étendue de la libéralité, mais n'a pu en changer le caractère, irrévocablement fixé par les dispositions du testament; —Attendu que les demandeurs soutiennent vainement que le legs, quelle que soit sa nature, étant subordonné à une condition suspensive, ne peut produire effet qu'à partir de l'autorisation accordée par le Gouvernement, et que, dès lors, c'est seulement à partir de cette époque que les fruits peuvent être réclamés; Attendu qu'aux termes de l'art. 910, C.Nap., les dispositions entre-vifs ou par testament au profit des hospices et autres établissements publics n'ont leur effet qu'autant qu'elles sont autorisées par le Gouvernement;-Attendu que par ces mots leur effet, le législateur a nécessairement entendu que les dispositiors testamentaires autorisées auraient le même effet que si elles n'avaient été soumises à aucune condition; d'où il suit qu'une commune légataire universelle peut, jusqu'à concurrerence de la quotité maintenue à son profit, réclamer les fruits des choses léguées à partir du décès du testa

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2 Moyen. Violation, sous un autre rapport, de l'art. 910, C. Nap., et de l'art. 48 de la loi du 18 juill. 1837, en ce que l'arrêt attaqué, au lieu de donner effet à l'autorisateur; tion du Gouvernement à partir seulement du jour de l'acceptation du legs par la ville, conformément au dernier des articles précités, à fait remonter l'effet de ladite au

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Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des mêmes art. 910, C. Nap., et 48 de la loi du 18 juill. 1837: Attendu que les demandeurs prétendent que la ville de Bor

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deaux était tenue, aux térmes des dispositions spéciales de l'art. 48 de la loi du 18 juill. 1837, d'accepter provisoirement le legs, objet du litige, si elle voulait faire courir à son profit les fruits des biens légués; Mais attendu que l'art. 48 de la loi précitée a été édicté dans le seul intérêt des communes, pour leur permettre d'éviter, par des acceptations provisoires, les déchéances qu'elles pouvaient encourir par leur inaction forcée pendant l'instance administrative qui précède toute autorisation; Attendu que l'art. 48 de la loi du 18 juill. 1837 est manifestement sans application au cas où, comme dans l'espèce, aucune acceptation n'était nécessaire, et où, en l'absence d'héritiers à réserve, les droits des parties étaient réglés par la loi elle-même ; Attendu que c'est donc à bon droit que l'arrêt attaqué a décidé que la ville de Bordeaux, légataire universelle, avait droit, jusqu'à concurrence des deux tiers de la succession, aux fruits à partir du décès du testateur; Attendu qu'en statuant ainsi, la Cour impériale de Bordeaux s'est, en outre, exactement conformée aux dispositions du décret impérial du 10 mai 1862, lequel, en maintenant le legs universel fait au profit de la ville de Bordeaux jusqu'à concurrence des deux tiers, n'a fait aucune distinction entre les capitaux ou immeubles de la succession, et les fruits qu'ils pouvaient produire; Attendu que de tout ce qui précède, il résulte que l'arrêt n'a fait qu'une juste application des principes et n'a violé ni les art. 910, 1003, 1004, 1010 et 1011, C. Nap., ni l'art. 48 de la loi du 18 juill. 1837; Rejette, etc. Du 4 déc. 1866. - Ch. req.-MM. le cons. Taillandier, prés.; Hély d'Oissel, rapp.; Savary, av. gén. (concl. conf.); Clément, av.

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CASS.-REQ. 9 janvier 1867.

POSTE (MAITRE DE), INDEMNITÉ, VOITURES PUBLIQUES, RELAIS DÉMONTÉ.

Un entrepreneur de voitures publiques, tenu, aux termes de l'art. 1er de la loi du 15 vent. an 13, de payer au maître de poste dont il n'emploie pas les chevaux une indemnité de 25 c. par poste et par cheval, n'est pas affranchi de cette indemnité par cela seul que celui-ci, dans la gestion de son relais, commettrait des infractions aux rè

(1) La Cour d'Orléans a pareillement décidé, le 24 nov. 1852 (P.1853.1.456.-S.1852.2.675), qu'il n'y pas cause légitime d'exonération, lorsque l'infraction reprochée au maître de poste constitue seulement un détail d'administration qui ne touche pas aux obligations des loueurs à l'égard des maîtres de poste; comme si, notamment, elle consiste en ce que le maître de poste n'habiterait pas le lieu du relais et y serait représenté par un gérant que l'administration aurait agréé d'une manière tacite seulement.

ANNÉE 1867.-2 LIVR.

glements de la matière, si ces infractions, approuvées ou tolérées d'ailleurs par l'admi nistration, ne sont pas de celles d'où résulte le démontement du relais (1). (Décr. 10 brum. an 14, art. 2, et 6 juill. 1806, art. 4.)

(Riverain-Collin C. Moreau.)

Le 14 mars 1865, jugement du tribunal civil de Blois qui déclare le sieur RiverainCollin, entrepreneur de messageries, mal fondé dans la prétention qu'il avait soulevée de se soustraire au paiement, envers le maître de poste de Blois, le sieur Moreau, du droit de 25 cent. par poste et par cheval. Ce jugement est ainsi motivé: «Attendu que, pour que les entrepreneurs de voitures publiques puissent s'affranchir du paiement du droit de 25 cent. qu'ils doivent aux termes du décret du 15 vent. an 13, il faut qu'ils démontrent que le relais envers lequel ils prétendent être déliés de l'obligation susdite, est démonté; que la question de savoir si un relais est démonté ou ne l'est pas, est en même temps une question de droit et de fait dont la solution se rattache aux conditions légales de la constitution du relais et aux circonstances de fait qui établissent son existence; Attendu que, sous ce double rapport, non-seulement Riverain n'établit pas que le relais de Blois ait cessé d'exister, mais qu'il résulte avec évidence, au contraire, des documents produits par Moreau qu'au point de vue du droit, comme à celui du fait, le relais de poste de Blois ne peut être considéré comme démonté; -Attendu, sous le premier rapport, que Moreau est toujours titulaire du brevet de maître de poste à Blois; qu'il est, en toutes circonstances, reconnu comme tel par l'administration; que, par décision en date du 16 mars 1853, il a été autorisé à remettre la gérance de sa poste à la dame Moreau; que, plus tard, il a confié cette même gérance à un sieur Leroy, au su et vu de l'administration : ce qui résulte de l'inspection à laquelle ce dernier a été soumis, en 1862 et 1864, de la part des préposés de l'administration; qu'entin, ce même individu a été, par décision du 16 août 1864, officiellement agréé comme gérant de la poste; que toutes ces circonstances constituent légalement l'existence d'un relais de poste et créent contre celui qui a accepté cette situation des obligations définies par la loi; que, notamment, les maîtres de poste

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Mais le maître de poste ne serait plus fondé à se retrancher derrière l'approbation ou la tolérance administrative, si, de l'infraction aux règlements de la matière, résultaient, par exemple, des retards dans le service de la poste imputables au défaut du matériel. Les juges pourraient alors, comme l'a fait, en pareil cas, un arrêt d'Amiens du 4 janv. 1862 (P.1862.936.-S. 1862.2.260), en induire que le relais est démonté.

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contractent l'obligation d'avoir un certain nombre de chevaux, sont soumis aux inspections de l'autorité, aux réquisitions administratives et même à celles de tous particuliers requérant des chevaux, et que l'inaccomplissement de ces obligations et notamment des dernières, peut leur faire assumer des responsabilités sérieuses et leur faire supporter des dommages-intérêts; - Attendu, d'autre part et en fait, que Moreau a pour gérant de sa poste, avec l'autorisation du Gouvernement, un sieur Leroy; qu'il a été reconnu par l'inspecteur des postes qu'il avait dans ses écuries le nombre réglementaire de chevaux exigé par les ordonnances et décrets de la matière; que, de plus, il est certain que l'administration fait exécuter périodiquement le service des voitures cellulaires par le relais de poste de Blois et que, par une circulaire de nov. 1862, il a réglé par un tarif spécial les frais de ce service; qu'au cours même de 1864, Leroy a reçu à cet égard des réquisitions auxquelles il a obtempéré; que, dans certaines circonstances, telles que des courriers en retard ou des services spéciaux d'administration, il a été requis de donner des chevaux de voiture ou d'estafelle, et qu'il a toujours fait droit à ces demandes; que toutes ces circonstances établissent, en droit comme en fait, que le relais de poste de Blois existe légalement et ne peut être considéré comme démonté ;Que, sans doute, les relais de poste n'ont plus ni l'importance ni l'activité qu'ils avaient autrefois, mais qu'un grand nombre, et spécialement celui de Blois, ne cessent de fonctionner dans les limites étroites que les circonstances leur ont faites, et qu'il importe grandement à l'intérêt public que ces établissements ne cessent pas d'exister : c'est en vue de leur utilité et pour en assurer le maintien que l'Etat leur accorde, chaque jour, les plus grandes facilités et qu'il est juste de maintenir le paiement des indemnités auxquelles ils ont droit, aux termes du décret du 15 vent. an 13; Par ces motifs, etc. >>

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Appel de la part du sieur Riverain-Collin; mais, le 22 juin 1865, arrêt confirmatif de la Cour d'Orléans.

POURVOI en cassation pour violation, par fausse application, de l'art. 1er de la loi du 15 vent. an 13 et violation de l'art. 2 du dé

(1) En décidant que l'imitation, en langue étrangère, d'une œuvre littéraire doit être considérée comme une contrefaçon, lorsqu'elle reproduit l'œuvre originale avec une certaine exactitude, c'est-à-dire lorsqu'elle se rapproche d'une traduction, la Cour de Paris et la Cour de cassation décident par là même implicitement, mais nécessairement, que la traduction constitue une contrefaçon. La question avait déjà été formellement résolue dans ce sens par la Cour de Rouen le 7 nov. 1845 (P.1846.1.658.-S.1846.

cret du 10 brum. au 14, en ce que l'arrêt attaqué a condamné le demandeur en cassation au paiement du droit de 25 cent. au profit du défendeur éventuel, alors qu'il était constant, non-seulement que son relais était démonté, mais même qu'il n'existait plus aucun relais à Blois.

ARRÊT.

LA COUR; Sur le moyen unique : Attendu qu'il résulte de la combinaison des dispositions des décrets des 10 brum. an 14 et 6 juill. 1806 qu'un relais n'est réputé démonté que lorsqu'il ne fonctionne plus et ne peut pourvoir au service de la poste; · Attendu qu'il est constaté par l'arrêt attaqué que le relais de Blois n'a pas cessé fonctionner et de satisfaire au service de la poste;

Que, de cette appréciation souveraine des faits, l'arrêt attaqué a pu conclure que le relais de Blois n'était pas démonté; -Attendu que les infractions aux règlements et instructions sur le service de la poste reprochées au défendeur éventuel, ont été ou approuvées ou tolérées par l'administration; Que, d'ailleurs, ces infractions ne seraient pas de nature à affranchir le demandeur en cassation des obligations qui lui sont imposées par l'art. 1er de la loi du 15 vent. an 13;-D'où il suit que l'arrêt attaqué, loin d'avoir violé les textes de loi invoqués par le pourvoi, en a fait, au contraire, une juste application; Rejette, etc. Du 9 janv. 1867. Ch. req. MM. Bonjean, prés.; Dumon, rapp.; P. Fabre, av. gén. (concl. conf.); Bozérian, av.

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CASS. - REQ. 15 janvier 1867 PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE, CEUVRE DRAMATIQUE, IMITATION, PRESCRIPTION, REPRÉSENTATION, ACTION CIVILE, INTÉRÊT (DÉFAUT D').

L'imitation, même en langue étrangère, d'un ouvrage dramatique, ne peut être représentée sur un théâtre public, sans le consentement de l'auteur de cet ouvrage, alors que le sujet, la disposition des scènes et la marche générale sont les mêmes, et que l'imilation reproduit_ainsi l'œuvre originale aussi exactement que le permettaient les convenances et les intérêts de l'imitateur (1). (C. pén., 425; L. 19 janv. 1791, art. 3, et L. 19 juill. 1793, art. 1er.)

2.521), et la même doctrine peut s'induire aussi d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 janv. 1853, ainsi que du rapport de M. le conseiller Hardouin lors de cet arrêt (P.1853.1.177.S. 1853.1.81); V. encore Paris, 27 juin 1866 (infrà, p. 205). Quant aux auteurs, ils sont divisés sur ce point de droit. V. dans le sens des arrêts ci-dessus, Pardessus, Dr. comm., n. 164 et 167; Et. Blanc, Contrefaçon, p. 416; Delalain, Législ. de la propr. litt., p. 2 et 7; Lacan et Paulmier, Législ. des theatres, t. 2, n.

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Le droit qui appartient à l'auteur d'empécher la représentation d'une semblable imitalion, est distinct et indépendant du droit de poursuivre la contrefaçon qui aurait été faite de son œuvre par le moyen de l'impression. Par suite, la prescription de l'action contre le contrefacteur ne saurait entraîner celle du droit d'interdire la représentation (1). (C. inst. crim., 637 et 638; C. pén., 425.)

Ce droit de l'auteur est absolu et indépendant de tout préjudice matériel: l'exception tirée du défaut d'intérêt ne lui est donc pas opposable. (C. Nap., 1382; C. pén., 425 et 429; L. 19 juill. 1793, art. 1 et 3.)

D'ailleurs, cet intérêt existe par cela même que l'auteur peut autoriser la représentation de son ouvrage moyennant rétribution.

(Bagier C. Scribe.)

La dame veuve Scribe a saisi le tribunal civil de la Seine d'une demande en dommages-intérêts contre le sieur Bagier, directeur du Théâtre-Italien de Paris, pour avoir fait représenter sur ce théâtre, sans y être autorisé par la demanderesse: 1° la Sonnambula, paroles de Romani, musique de Bellini; 2° P'Elisire d'amore, paroles de Romani, musique de Donizetti; 3° Un Ballo in maschera, paroles de Somma, musique de Verdi. Cette demande était fondé sur ce que les trois opéras indidiqués seraient la contrefacon: 1° de la Somnambule, comédie de Scribe et Delavigne; 2° du Philtre, opéra, paroles de Scribe, musique d'Auber; 3° de Gustave III, ou le Bal masqué, opéra, paroles de Scribe, musique d'Auber, ballet de Taglioni.

20 avril 1864, jugement qui rejette la demande par les motifs suivants : << Attendu que l'Elisire d'Amore et la Sonnambula onl été publiés il y plus de vingt-cinq ans ; Que le livret du Ballo in maschera a été posé au ministère de l'intérieur le 7 fév. 1859, et que le livret et la partition ont été publiés et mis en vente à une époque contemporaine; - Attendu qu'aucune réclamation n'ayant été intentée, aucune protestation n'ayant été faite par Scribe, dans le cours des trois années suivantes, le délit de contrefaçon, à l'égard de Somma et de Romani, aux termes des art. 637 et 638, C. instr. crim., serait prescrit; Attendu que si la veuve Scribe n'est pas recevable à poursuivre Somma et Romani, elle ne l'est pas à intenter un procès à Bagier pour avoir représenté les opéras revendiqués, car autrement elle arriverait à faire indirectement contre

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celui-ci ce qu'elle ne pourrait faire directetement contre eux, la preuve du délit de contrefaçon; Attendu que si elle ne peut établir le fait de contrefaçon contre Somma et Romani, il s'ensuit, au point de vue légal, que les opéras qui font l'objet du procès sont réputés les œuvres originales de ces derniers, et que, par conséquent, elle ne peut s'opposer à ce que Bagier les fasse représenter. »

Appel par la dame Scribe; et, le 30 juin 1855, arrêt infirmatif ainsi conçu :-«Considérant que la veuve d'Eugène Scribe, héritière de son mari, demande qu'il soit interdit à Bagier de faire représenter les pièces la Sonnambula, l'Elisire d'Amore et le Ballo in maschera, qui, suivant elle, sont des reproductions ou contrefaçons de pièces d'Eugène Scribe, portant les titres de la Somnambule, le Philtre et Gustave III; Considérant qu'en présence de cette demande, Bagier soutient: 1° que les pièces par lui représentées ne sont point des reproductions ni des contrefaçons de celles d'Eugène Scribe; 2° que, dans tous les cas, l'action de la veuve Scribe serait éteinte par la prescription; 3° qu'en supposant l'action bien fondée et non prescrite, ce serait contre les auteurs seuls des pièces italiennes que la poursuite pourrait être dirigée; 4° qu'enfin, la demande est sans intérêt, aucun dommage n'étant éprouvé par la demanderesse; Sur le premier point:

Considérant que la lecture des œuvres dont il s'agit démontre que les sujets, la disposition des scènes et la marche générale de l'ouvrage sont les mêmes dans les pièces françaises de Scribe et dans les imitations italiennes; qu'en réalité, ce sont les produc tions du théâtre d'Eugène Scribe qui sont données au public par les imitateurs, avec les modifications inévitables que nécessitait l'apdé-propriation à une autre scène, c'est-à-dire que ces reproductions ou contrefaçons sont aussi exactes que le permettaient les convenances et les intérêts des imitateurs; - Considérant que l'impression et la publication de ces imitations constituaient ainsi une atteinte aux droits de propriété d'Eugène Scribe, dont il pouvait poursuivre la répression, soit devant les tribunaux civils, soit devant la justice correctionnelle; Sur l'exception de prescription: Considérant qu'il est opposé par l'intimé que, en admettant que publication des traductions ou imitations dont il s'agit constituât un délit, Eugène Scribe n'en ayant pas poursuivi la réparation pendant trois années, toute action à cet

703; Rendu et Delorme, Droit industriel, n. 814 et 869; Calmels, Propr. et contref. des œuvres de l'intell., n. 91.-Contrà, Renouard, Dr. d'auleurs, t. 2, n. 16; Gastambide, Contref., n. 58; Goujet et Merger, Dict. de dr. commerc., v° Propr. litter., n. 220. V. d'ailleurs, Rép. gén." Pal., v Propriété littéraire, n.235 et suiv.

(1) La Cour de Paris, de qui émane l'arrêt ici maintenu par la Cour suprême, s'était prononcée

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en sens contraire sur ce point par deux arrêts des 24 fév. 1855 (P.1855.2.326.- S.1855.2.409) et 13 nov.1855 (P.1855.2.610.-S.1856.2.158). -Du reste, la solution ci-dessus est conforme à l'opinion généralement admise par les auteurs. V. MM. Renouard, t. 2, n. 267 et 268; Gastambide, n. 194; Calmels, n. 518; Rendu et Delorme, n. 878; Brun de Villeret, Prescript. en mat. crim., n. 513 et 514.

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égard, soit civile, soit criminelle, notamment celle dirigée par la veuve Scribe dans la cause, se trouve éteinte aux termes des art. 637 el 638, C. Instr. crim.; que les auteurs desdites contrefaçons, en prescrivant la peine, sont devenus propriétaires légitimes de leur travail, en ont pu faire tel usage qu'il leur a plu, notamment les faire représenter, et transmettre ce droit à Bagier et à tous autres; Considérant que, lorsqu'il y a lieu d'apprécier les conséquences de la prescription édictée par les ari. 637 et 638, C. instr. crim., il importe d'examiner la nature du délit auquel elle est appliquée; que lorsqu'il s'agit d'un fait illicite de prise de possession d'un objet mobilier, comme cette possession forme un titre complet de propriété, le délinquant qui a prescrit la peine devient, par le fait même, propriétaire à la place de celui qui a été victime du délit, et par suite, investi de tous les droits que donne la propriété ; Mais qu'il n'en est pas de même quand le fait délictueux ne porte qu'une atteinte partielle au droit de propriété; que, dans ce cas, le légitime propriétaire conserve tout son droit, hors la part enlevée; qu'il doit supporter sans indemnité le fait dommageable protégé par la prescription, mais qu'il garde la faculté d'empêcher que ce fait ne se répète ou ne s'augmente; - Considérant que cette règle devient évidente quand on l'applique à des délits spéciaux; qu'ainsi le délinquant pour fait de classe, de destruction de clôture ou de toute autre atteinte à la propriété immobilière d'autrui, peut sans doute, après divers délais écoulés sans poursuites, opposer l'exception de la prescription à l'action, soit civile, soit criminelle, du propriétaire, mais qu'il ne viendrait à la pensée de personne de soutenir qu'il puise dans cette prescription la faculté de renouveler les mêmes ou semblables délits; - Que, de même, le contrefacteur d'un objet breveté qui a prescrit contre la peine, garde bien la chose par lui contrefaite, mais n'est nullement autorisé à continuer sa fabrication, à imiter autrement l'invention ou à porter tout autre nouveau préjudice à l'inventeur; Considérant qu'il en est ainsi à l'égard des délits contre la propriété littéraire; que celui qui, par impression, traduction, copie ou tout autre moyen, a porté atteinte aux droits de l'auteur, peut prescrire, par l'expiration d'un délai déterminé, la peine et l'action en indemnité, mais que cette impunité légale du fait accompli ne rend pas celui qui l'a commis propriétaire de l'œuvre originale, au préjudice de celui qui l'a créée ni concurremment avec lui; - Que, dans ce cas, le délinquant conserve l'impression, la copie, la traduction qu'il a faite, mais n'a le droit de faire ni une édition, ni une copie, ni une traduction nouvelle de ladite contrefaçon; Considérant qu'ainsi, étant admis que les reproductions italiennes des pièces de théâtre d'Eugène Scribe ont été imprimées par Somma ou autres i. y a plus de trois années,

il peut en résulter que Scribe ou ses ayants droit aient perdu toute action au sujet de cette publication, mais que la prescription n'est qu'une exception qui couvre exclusivement le fait délictueux; qu'elle n'est point acquisitive de la propriété lésée; que Scribe ou ses ayants droit sont restés propriétaires de l'œuvre contrefaite, et qu'ils ont le droit de s'opposer à toute exploitation nouvelle de la contrefaçon ; Que la réimpression, la traduction en une autre langue et tout nouvel usage de la contrefaçon constituent de nouvelles atteintes à leurs droits de propriété et, par suite, un nouveau délit que la prescription acquise au premier ne peut ni autoriser ni couvrir ; Considérant qu'en faisant application de ces principes, il a été jugé que la contrefaçon couverte par la prescription ne donnait pas le droit de mettre en vente l'objet contrefait; Que, dans la cause, la veuve Scribe ne s'oppose pas à la vente de la contrefaçon imprimée, mais que la représentation théâtrale de celle-ci constitue un mode distinct de reproduction de l'œuvre originale et, par suite, un second délit que la prescription du premier n'autorise pas; Considérant que la représentation est tellement distincte de l'impression, que l'éditeur qui a acheté le droit d'imprimer une pièce serait évidemment inadmissible à prétendre avoir la faculté de la faire jouer, et qu'il serait bien étrange d'accorder à celui qui a prescrit la peine infligée à l'impression frauduleuse un droit que le possesseur légitime de cette impression ne pourrait réclamer;-Considérant, dès lors, que les premiers juges ont à tort assimilé la prescription qui couvre un fait de contrefaçon d'un ouvrage fittéraire à une décision judiciaire qui déclarerait qu'il n'y a pas contrefaçon et que la nouvelle œuvre a été originale; - Qu'ainsi l'exception opposée à la demande et fondée sur l'impression faite, il y plus de trois ans, des pièces jouées par Bagier, n'est pas admissible; Que celle qui s'appuie sur les représentations données plus de trois ans antérieurement à la demande, ne l'est pas davantage ;-Considérant qu'en effet les représentations données par d'autres que l'intimé ne pourraient être par lui opposées; qu'il n'a jamais été soutenu que la prescription acquise par un délinquant puisse être invoquée par un autre;

Qu'en admettant, ce qui n'est point établi, que Bagier eût fait lui-même représenter les pièces dont il s'agit il y a plus de trois années, il en résulterait seulement que les dommages causés par ces délits pourraient être prescrits, mais que chaque représentation constitue un fait nouveau et, par suite, une cause nouvelle d'action de la part de l'auteur; - Considérant que la tolérance de celui-ci pour une ou plusieurs représentations de la pièce, ou de la contrefaçon de celle-ci, ne peut constituer un abandon de sa propriété; Que la loi détermine les cas dans lesquels l'œuvre littéraire tombe dans le domaine public; qu'aucune disposition ne

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