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par les héritiers de l'injure faite à la mémoire de leur auteur? C'est, ainsi que l'a remarqué un savant criminaliste, parce que l'on considérait l'injure comme faite à l'héritier lui-même, dicendum est hæredi quodammodo factam, celui-ci ayant toujours intérêt à défendre la mémoire de son autour, semper enim hæredis interest defuncti existimationem purgare. L. 1, § 6, tit. citat.-Sur ce fondement, on avait admis l'action des héritiers dans l'ancienne jurisprudence criminelle, dont la règle était énoncée en ces termes dans la praxis criminalis: « Injuria non censetur facta defuncto, quia postquam quis est mortuus non potest plus aliquo modo offendi, sed benè dicitur facta hæredibus qui propterea proprio nomine habent injuriarum actionem. Ainsi, le droit de poursuite était fondé sur la présomption légale d'une injure faite personnellement à l'héritier; mais cette présomption ne se réalise pas toujours, et il a été reconnu, en fait, par la Cour impériale de Paris, en 1860, qu'elle ne s'était point réalisée à l'égard des héritiers Rousseau; elle n'a point été érigée en présomption légale par le législateur moderne, qui prend pour base de ses incriminations, non des fictions de droit, mais des faits positifs, rigoureusement déterminés et considérés dans leur rapport avec la personne qui en est la victime. L'ancienne législation laissait plus de place à l'arbitraire, non-seulement dans la fixation des peines, mais encore dans la détermination des faits délictueux. Un arrêt du conseil de 1743 voulait que l'on punît suivant la rigueur des ordonnances les libelles contre l'honneur et la réputation des familles. La loi de 1819 n'a admis que dans l'intérêt collectif d'une seule famille, celle du souverain, un délit d'une nature spéciale, l'offense, présentant ce caractère particulier, qu'il y a un criminel, mais qu'il ne peut y avoir de victime, comme le disait M. le duc de Broglie, rapporteur de la loi. On en fit l'application en 1823 à la suite de propos outrageants pour la mémoire du duc de Berry, dans lesquels les juges du fait virent une offense pour la famille royale, et le pourvoi fut rejeté le 24 avril de cette année (P. et S. chr.) Mais à la différence de ce délit exceptionnel, la diffamation et l'injure veulent être considérées dans leur rapport avec une personne déterminée qui en soit victime et qui en rende plainte.

On doit donc poser aujourd'hui ce dilemme : Ou les héritiers de celui dont la mémoire a été diffamée prétendent que la diffamation leur est commune, que, du moins, elle renferme contre eux une injure personnelle dans ce cas, l'action leur est ouverte devant les tribunaux de répression et doit être accueillie, s'ils justifient que l'auteur de l'injure a eu l'intention de leur nuire, condition essentielle du délit; c'est ce qui a été jugé par arrêt de la Cour de Paris, du 11 (ou 9) juill. 1836 (P. chr.-S. 1838.2.50), en faveur des héritiers de la duchesse de Tourzel, qui avaient été présentés, avec intention, comme détenant illégalement une fortune acquise par des moyens honteux et criminels; ou bien les héritiers, sans justifier, sans même alléguer qu'une injure leur ait été personnellement adressée, se plaignent seulement de diffamations et d'injures adressées à la

D

mémoire du défunt. Dans ce cas, ils ne peuvent agir devant les tribunaux de répression à raison' d'un fait qui, tout répréhensible qu'il est en morale, n'est point érigé en délit par nos lois pénales. Vainement a-t-on argumenté des termes de l'art. 5 de la loi du 26 mai 1819 pour soutenir que la loi n'exige point que les plaignants se prétendent injuries, et qu'il leur suffit de se prétendre lésés. Ces expressions ont été interprétées par le législateur lui-même dans l'art. 17 de la loi du 25 mars 1822, portant: La poursuite n'aura lieu que sur la plainte du particulier qui se croira diffamé ou injurié. Il fut reconnu à cette époque, dans la discussion législative, que l'art. 5 de la loi du 26 mai 1819, dont on voulait maintenir la disposition, avait le même sens. Les expressions de l'art. 5 de la loi de 1819 sont les mêmes que celles de l'art. 63, C. inst. crim., communes à tous les plaignants. Il est nécessaire, dans tous ces cas également, que la lésion, que le préjudice soit produit par un délit commis contre celui qui s'en plaint, car l'existence d'un délit motive seule la compétence des tribunaux répressifs, et la simple lésion, le simple préjudice ne donnent lieu qu'à l'action par la voie civile. Cette discussion de procédure était presque superflue s'il est bien établi que nos lois n'ont point érigé en délit la diffamation de la mémoire des morts, et la défense croit l'avoir prouvé. Le législateur n'a point énoncé les motifs de la réserve qu'il a gardée à cet égard, mais il en est un que tout le monde comprend et approuve. Il se rattache à un grand intérêt qui semble placé en dehors de ce procès par la nature des faits et la condition des personnes, mais qui toutefois se trouve engagé dans la question de droit que vous avez à résoudre : c'est l'intérêt de la liberté de l'histoire, que revendiquait Voltaire, lorsqu'il disait : « On doit des égards aux vivants, « on ne doit aux morts que la vérité. » Les faits et les hommes du passé sont les matériaux mêmes de l'histoire. - La liberté de l'écrivain sera-t-elle entière si, en dévoilant le secret de la conduite des hommes publics, il s'expose aux poursuites de leurs héritiers sans pouvoir être admis, pour se justifier, à la preuve des faits diffamatoires? Le véritable historien n'a rien à craindre, dit-on, parce qu'il n'est point animé de l'envie de nuire, qui est l'élément essentiel du délit. Mais lorsque l'écrivain trace le tableau de certaines époques et les portraits de certains hommes, peut-on lui interdire de chercher à nuire à leur mémoire? Ne doit-il pas, au contraire, s'il raconte l'histoire de la Terreur, par exemple, ne rien omettre et ne rien affaiblir de ce qui peut en inspirer l'horreur aux générations nouvelles ? Le système du pourvoi serait donc inconciliable avec les droits et les devoirs de l'historien. La vérité, quelque fâcheuse qu'elle soit pour la mémoire de certains hommes publics, ne peut rester indéfiniment captive, et lorsque la postérité a commencé pour eux, commence la mission des écrivains qui doivent en préparer les arrêts.

Après vous avoir présenté l'analyse des moyens des parties, nous devons vous rendre un compte succinct de l'état de la jurisprudence, dont les monuments sont peu nombreux. Le système qui voit un délit dans la diffamation envers un mort

a en sa faveur les deux arrêts rendus par votre cham bre criminelle le 24 mai 1860 (P.1860.596.-S. 1860.1.657), dans l'affaire des héritiers Rousseau, le 23 mars 1866 (P.1866.801.-S.1866.1. 311), dans l'affaire qui revient aujourd'hui devant vous. Le système contraire a pour lui, outre l'arrêt de la Cour impériale de Paris dans l'affaire des héritiers Rousseau et ceux des Cours de Rennes et d'Angers dans la présente affaire, un arrêt de la Cour de Bruxelles du 16 fév. 1827 (P. et S. chr.), et deux jugements rendus par le tribunal correctionnel de la Seine, le

lotais et le 8 nov. 1836 (Ga ayril 1826

(S. chr.), dans l'affaire des

La Chadu 9), dans celle des héritiers Cheron. Nous ne comptons ni pour i'un ni pour l'autre de ces systèmes les arrêts qui, comme ceux de la Cour de Paris en faveur des héritiers de la duchesse de Tourzel et de Casimir Perrier, ont condamné pour avoir personnellement diffamé ou injurié les héritiers en diffamant leur auteur.-Les auteurs sont également divisés sur la question. M. Carnot, M. Mangin, M. Carré, M. Garnier-Dubourgneuf et M. de Grattier se sont prononcés en quelques mots pour la doctrine que la chambre criminelle a depuis adoptée, et plus récemment M. Bertin a consacré à la défense de cette doctrine plusieurs articles du journal judiciaire le Droit (numéros des 30 et 31 janvier et 1er février 1867), utiles à consulter sur la direction de la jurisprudence dans l'application des lois pénales, qu'il a bien étudiée. Mais l'opinion contraire a été fortement soutenue dans le Tr. de l'instr. crim., d'un de nos savants collègues, M. Faustin-Helie (t. 2, p. 361 et suivantes); dans l'ouvrage de M. Chassan sur les Délits de la presse (tom... P. 356); dans le Tr. de la diffam. et de l'inj. de M. GrelletDumazeau (tome 1, n. 61 et suivants); M. Dalloz, par M. Achille le Morin dans une dissertation approfondie (Journ du dr. crim., 1860, n. 6997); enfin, par tous les annotateurs de nos recueils de jurisprudence. Plusieurs magistrats en retraite ou en exercice, M. Berville, M. Paillart, M. Grand; des jurisconsultes et des publicistes, M. Lefèvre-Pontalis, M. Paringault, ont concouru avec ardeur à la défense de cette opinion par d'intéressantes publications.

par

Cette

lutte prolongée tient les esprits en suspens sur une question qui touche à des susceptibilités délicates et à de graves intérêts. Ils est temps qu'une décision rendue avec l'autorité qui appartient aux chambres réunies de la Cour vienne mettre un erme aux incertitudes et fixer la jurisprudence.

M. le procureur général Delangle a conclu à la cassation.

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Dès que l'arrêt de la chambre criminelle, a dit ce magistrat, annulant dans l'intérêt de la loi, la décision prononcée par la Cour impériale de Paris dans l'affaire des héritiers Rousseau contre Dupanloup, fut connu du monde judiciaire, il devint l'objet des plus vives préoccupations et de contradictions énergiques. L'origine du pourvoi, l'importance pratique de la solution, du

rapport et des conclusions qui l'avaien eclat

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préparée, la longue et grave délibération dont elle avait été précédée, en avaient fait un événement. Pour

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les uns, c'était une sage et nécessaire application de la loi du 17 mai 1819; la légitime interprétation qui restituait à la mémoire des morts la garantie qu'en aucun temps on ne lui ui avait déniée, devenait un inappréciable bienfait; en confirmant, en fortifiant la solidarité qui unit ceux qui survivent à ceux que la mort a ravis, l'arrêt du 24 mai 1860 donnait une sauvegarde à l'honneur des familles, il créait la sécurité que reclame cet intérêt si cher dans les sociétés civilisées.-Aux yeux des autres, au contraire, l'arrêt avait un double tort: le premier, de blesser les règles les plus élémentaires et les plus essentielles du droit criminel, en créant par induction et punissant un délit qui n'est pas spécifié par la loi; le second, de porter une atteinte irrémédiable aux immunités de l'histoire. Où est l'erreur, où est la vérité dans ces controverses? De quel côté le droit, la raison, l'intérêt social, le sentiment philosophique? C'est ce que la solennité de l'audience qui doit fixer les incertitudes de la jurisprudence et donner aux tribunaux une règle fixe pour l'avenir nous appelle à examiner. Nous essaierons de le faire simplement, rapidement, en évitant la déclamation et en ne présentant à la Cour que des arguments dignes de son attention.

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« Un premier soin, à notre avis, doit précéder la discussion légale. Il faut avant tout rechercher si, comme il est apparu à des esprits sérieux, la solution consacrée par l'arrêt du 24 mai 1860 n'a pas, en effet, pour conséquence de nuire aux franchises de l'histoire et d'en comprimer les enseignements en plaçant sur la tête de l'historien la continuelle menace d'un

résolar

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procès correctionnel.

Cette la discussion en sera plus alerte et plus sûre. - Qu'est-ce donc que l'histoire, et comment ses légitimes prérogatives, prérogatives dont l'intérêt même de l'humanité commande le respect, peuvent-elles être diminuées par la doctrine que deux fois is déjà la Cour de cassation a consacrée ? Comment la liberté de son allure peut-elle être gênée par des solutions qui ont pour objet et pour limite des faits de la vie privée? L'histoire,

est le récit dans sa signification philosophique,

des événements qui intéressent la vie des peuples; tout ce qui tient à l'existence des nations, la forme des gouvernements, la religion, les mœurs, les lois, les guerres, les finances, les traites de paix et d'alliance, le progrès des arts

tiles, les abus qui dégénèrent en tyrannie, etc., c'est dans ce domaine qu'elle recueille les éléments et l'expérience du passé. Mais ses appréciations ne se bornent point aux faits qui influent sur la destinée des nations, elles embrassent de droit les personnages qui, vivant de la vie publique, ont eu dans le pays qu'elle explore un rôle politique. Princes, ministres, généraux, administrateurs, etc., appartiennent à son tribunal, et peu importe que les faits qu'elle étudie soient anciens ou modernes; qu'il s'agisse d'hommes dont il n'est resté que le souvenir ou qu'elle s'occupe de contemporains, son pouvoir est le même. L'histoire, qui a enregistré les règnes de Louis XIV et de Louis XV, a retracé avec la même liberté tous les événements qui, depuis 1789, ont agité notre pays : l'empire, la révolution de 1830, celle de 1848, et les faits glorieux qui, en Italie comme en Crimée, ont il

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lustré le règne commencé en 1852. Mais, le domaine de l'histoire ainsi déterminé, quelle doit être l'allure de l'historien, et comment doit s'exercer son droit? Cicéron a tracé la règle avec une précision admirable: Ne quid falsi dicere ne quid verinon audeat. Et Et c'est cette règle que duisait en son style pittoresque et passionné le duc de Saint-Simon, quand, recherchant quelles prerogatives lui appartenaient comme historien, il s'écriait: Est-on obligé d'ignorer les princes, les rois et la Cour de leur temps, de peur d'apprendre leurs horreurs et leurs crimes? les Riles mouvechelieu, les Mazarin, pour ignorer ments que leur ambition a causés, et les vices et les défauts qui se sont déployés dans les intrigues et les cabales de leur temps? Se tairat-on sur M. le prince, pour éviter ses révoltes et leurs accompagnements? N'a idée de madame de Monte de Montespan et de ses Migung aura-t-on nulle

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funes. tes suites, de peur de savoir les péchés de son « élévation ? Qui pourrait résister à un problème « si insensé, je dis si radicalement impossible? Distinguons ce que la charité commande d'avec ce qu'elle ne commande pas et d'avec ce qu'elle ne

...

ne peut pas commander. Elle n'ordonne

pas, sous prétexte d'aimer les personnes parce sont nos frères, d'aimer en eux leurs defauts, leurs vices, feurs mauvais desseins, leurs crimes; elle n'ordonne pas de s'y exposer; elle ne défend

elle veut même qu'on

pas, avertisse ceux qu'ils menacent ou qu'ils regardent pour qu'ils puissent s'en garantir. · saints les plus révérés et

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pas épargné les découvertes fâcheux, ni même les

Les illustres n'ont

les plus fais les plus mates plus amères les personnes les plus élevées dans l'église ou dans le monde.

· contre les

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L'histoire n'est que trop souvent le tableau des crimes et des malheurs; trop souvent, les personnages qu'elle met en scène ne sont que des ambitieux pervers: le droit de l'historien, son devoir plutôt, est de les citer å sa barre et juger ; et s'il arrive que princes, généraux ou ministres, et de les jus etc., trouvent dans son œuvre des vérités désagréables, qu'ils se souviennent qu'étant hommes publics, ils doivent compte au public de leurs actions; qu'ils paient de ce prix leur grandeur; que l'histoire est un témoin, non un flatteur; que le seul moyen d'obliger les hommes à dire du bien de nous, c'est d'en faire.-Le droit de l'historien est infini, il lui appartient de reviser les jugements portés avant lui; mais la vérité a ses rudesses, la conscience a ses austérités; elle peut inspirer des opinions sévères jusqu'à la cruauté. Qui ne frémit des stigmates infligés par Tacite aux personnages de son temps? et, sans remonter au passé, de quels jugements contradictoires, rigoureux, extrêmes, injustes même, n'ont pas été l'objet Richelieu, Colbert, Louis XIV, Napoléon Ier! Traités par les uns comme des dieux, insultés par les autres et traînés dans la fange! Le droit de l'historien va jusque-là, pourvu qu'il soit véridique et de bonne foi, car c'est la condition indispensable des prérogatives qui lui sont accordées. Si, dans une compilation insolente, un soi-disant historien se fait un jeu de diffamer les vivants et les morts; si, sans alléguer la moindre vraisemblance qui

puisse donner couleur à ses mensonges, il remplit son œuvre d'impostures, altérant, dénaturant les faits, ce n'est plus l'histoire, c'est la satire! L'écrivain n'est qu'un libelliste, la loi de répression pèse sur lui de tout son poids. Un arrêt de la Cour imperiale de Paris auquel je m'honore d'avoir participé, a posé ces principes en 1858, et sa doctrine a obtenu l'assentiment général. A moins donc qu'il ne mente à son titre et qu'il ne foule aux pieds storien n'a rien à redoules règles qui sont et son guide et sa bunaux, quelque sévères que soient

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une erreur que les termes mêmes de l'arrêt avaient pris soin de réfuter. Mais ce n'est pas seulement co contre l'action répressive qu'est garanti T'historien sincère; il est tout aussi bien à l'abri de l'action civile. Il ne suffit pas, en effet, de démontrer que ses récits ont cause un dommage,

une révélation historique peut faire une blessure incurable! il faudrait encore démontrer

que l'historien n a commis une faute; en d'autres termes, qu'il a trahi la vérité et qu'il a manqué de bonne foi. Autrement, il a usé de son droit, et, sous l'égide de la bonne foi, il est invulnérable. Ecartons donc tout ce o ce qui tient à l'histoire; elle n'a rien à faire dans ce débat. C'est d'un fait de la vie privée qu'il s'agit exclusivement. La diffamation dont t les demandeurs en cassation poursuivent la réparation se restreint à la vie privée..

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Ici, M. le procureur général rappelle les circonstances du procès; il cite les termes de la plainte et démontre que, dans leur généralité, ils embrassaient nécessairement le préjudice fait aux enfants vivants comme l'outrage fait à la mémoire du père décédé; et il conclut sur ce point qu'en écartant par une de non-recevoir les conclusions prises en appel par les héritiers Leprince sur le motif qu'elles constituaient une demande nouvelle, la Cour d'Angers a violé la loi. Ce n'est là, toutefois, ajoute M. le procureur général, éral, qu'un côté spécial de la question. Ce qui reclame tout l'attention de la Cour, c'est la solution donnée par l'arrêt attaqué à la question générale de la diffamation envers les morts. Vous vous rappelez sur quels motifs repose cette sol solution. L'arrêt attaqué proclame qu'en

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est animé et par le dommage qu'il peut causer? Est-ce que la condamnation qui intervient devant l'une ou devant l'autre juridiction ne comporte pas la même honte et ne révèle pas la mème indignité ? Où donc est le motif (le texte réservé bien entendu), où donc est l'intérêt de la différence? Un publiciste distingué en a donné cette double raison : 1° que, devant la juridiction civile, on peut être admis à des preuves formellement interdites devant la police correctionnelle; 2° que la juridiction civile réserve au diffamateur des chances de succès que ne comportent pas les nécessités de la juridiction correctionnelle.

« Cette argumentation repose sur une double erreur. D'une part, en effet, quand la loi a tracé les caractères d'un délit, qu'elle a réglé les conditions de l'attaque et celles de la défense, autorisé ou refusé certaines preuves, le choix de la juridiction ne peut modifier des dispositions inspirées par l'intérêt de la société. Si le diffamé est fonctionnaire public et que la diffamation ait pour sujet des actes de sa fonction, quelque parti qu'il prenne, qu'il s'adresse à la justice répressive ou que, plus prudent, il se réfugie dans l'action civile, il ne peut éluder la preuve testimoniale. Où serait la garantie des citoyens s'il suffisait d'un déplacement de juridiction pour enlever au diffamateur les garanties que, dans un intérêt public, le législateur a instituées ? La jurisprudence est fixée sur ce point. Toutes les fois donc que, négligeant l'action criminelle, le fonctionnaire, en vertu du droit écrit dans l'art. 3, C. inst. crim., a choisi l'action civile, les tribunaux ont décidé que la preuve du fait allégué pouvait être faite par témoins, et la Cour de cassation a confirmé de son autorité ces solutions, qui sont un hommage à la loi. Mais, par la même raison, si la diffamation s'adresse à un simple particulier et ne touche pas à la vie privée, il n'est pas plus permis de dévoiler devant les juges civils que devant les juges correctionnels des faits que le législateur a déclarés inaccessibles. L'intérêt social exige qu'à tous les degrés de la justice la vie privée soit murće. Il n'est pas exact non plus que, devant la justice civile, le diffamateur puisse trouver des secours qui lui sont refusés devant le tribunal de répression. Je lis dans un arrêt de la Cour de cassation, du 12 avril (ou 12 S.1842.1.749) août) 1842 (P.1842.2.683.

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Que la loi du 17 mai 1819 n'a pas dérogé aux principes généraux du droit suivant lesquels, à « moins d'une disposition expresse de la loi, il ne peut exister de délit qu'autant que le fait matéariel qui le constitue a été commis avec l'intention a de nuire; que si, dans le cas de diffamation ena vers un particulier, la vérité du fait diffamatoire « ne peut excuser le délit, et que, par conséquent, « le prévenu ne soit pas recevable à offrir la « preuve du fait comme moyen de justification; néanmoins, si les circonstances de la publication ⚫ établissent qu'elle a eu lieu sans intention coupable, les juges du fond peuvent déclarer le que « délit n'existe pas.. Et telle est, en effet, la jurisprudence. Peccata nocentium nota esse, et oportere et expedire, a dit la loi 18, ff. de Injuriis.

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Mais, maintenant, est-il vrai que le texte de

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la loi du 17 mai 1819 résiste à l'application qu'en a faite la Cour de cassation ? . Voici ce texte : - Art. 13. Toute allégation ou impu⚫tation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Toute expression outrageante, terme de mépris ⚫ ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. La première observation qu'en a tirée l'arrêt, c'est que le délit de diffamation envers les morts n'y est pas spécifié, et que, comme la première règle d'interprétation en matière criminelle, c'est qu'on ne peut ajouter à la loi, par cela seul, l'application qu'on essaie de faire est arbitraire et condamnée par les principes. C'est aller trop loin: une règle de tout temps acceptée est que la disposition de la loi ne doit pas être restreinte aux objets qu'elle embrasse littéralement, et qu'il faut la généraliser d'après sa raison d'être. C'est l'appliquer sainement que de l'étendre à tous les cas auxquels s'adapte le motif qui l'a dictée. - Non possunt, disait la loi romaine, omnes articuli sigillatim legibus comprehendi: sed cùm in aliquâ causâ sententia eorum manifesta est, is qui juridictioni præest ad similia procedere atque ita jus dicere debet. L. 12, ff, de Legibus, Quelle écla

tante application n'a pas faite la Cour de cassation de cet axiome dans l'affaire du duel! Vingt arrêts avaient décidé que le duel ne pouvait être atteint par la loi pénale, parce qu'elle n'en avait pas fait l'objet d'une disposition spé ciale; mais, en appatronnant le fait sur les termes de l'art. 295, C. pén., on a reconnu que l'homicide, en quelque circonstance qu'il ait été commis et de quelque convention qu'il ait été précédé, quelque intérêt même qu'inspirât sa cause, n'était pas moins un homicide, et que le sang humain ne pouvait être versé sans réparation. Or, l'art. 13 de la loi du 17 mai 1819 ne peut-il, ne doit-il pas s'appliquer à la diffamation envers les morts, aussi bien qu'à la diffamation envers les vivants? Est-ce que l'honneur et la considération d'un mort ne peuvent être atteints par la calomnie? Est-ce qu'il n'a pas besoin de protection ? Est-ce que le sentiment de haine et de répulsion qui poursuit le diffamateur des morts n'en prouve pas la nécessité? Est-ce qu'enfin le plus grand malheur qui puisse frapper une famille, lorsque son chef est descendu au tombeau, n'est pas de voir sa mémoire livrée à l'insulte et à l'opprobre? Quand on lit dans Saint-Simon le portrait qu'il a tracé du premier président de Harlay, on est épouvanté des ravages que peut faire la diffamation. Le premier président de Harlay avait vécu honoré, respecté dans sa compagnie; il avait tenu dans le monde un rang considérable, et voilà que près d'un siècle après sa mort, une plume trempée dans le fiel le représente comme un misérable, sans foi, sans honneur, comme le plus vil des magistrats et des hommes. Et depuis que ce portrait est connu, il a été considéré comme la fidèle image du premier président. Du passé, il n'est rien resté. L'honneur des morts ne protestet-il pas contre de tels excès et ne réclame-t-il pas une garantie? Tel a été le sentiment de toutes

les législations. Solon avait défendu qu'on injuriât les morts; Plutarque loue sa prévoyance, car la religion, dit-il, fait un devoir de tenir les morts pour sacrés, la justice, d'épargner ceux qui ne sont plus, l'intérêt public, d'interdire les haines éternelles. Un passage d'un plaidoyer de Démosthène autorise à croire que la loi de Solon punissait plus sévèrement l'injure envers les morts que l'injure envers les vivants. La loi romaine n'était pas moins formelle; les mêmes sentiments avaient trouvé place dans nos anciennes lois françaises. On les retrouve dans toutes les lois européennes; partout et en tout temps la diffamation envers les morts a été considérée et punie comme un délit.

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« Ce n'est donc pas assez, pour justifier l'arrêt d'Angers, de dire que la loi du 17 mai 1819 est muette; il faut prouver qu'elle est antipathique à toute idée de protection pour les morts; que son esprit, ses termes, sa pensée, y résistent absolument.-L'orateur du gouvernement, en présentant au Corps législatif le projet du Code pénal, prononçait ces paroles remarquables: « La ⚫loi n'abandonne pas l'homme quand il a cessé de ◄ vivre. —Ainsi, l'art. 360 punit d'emprisonement et d'amende quiconque se rend coupable de violation de tombeau ou de sépulture. Et qu'on ne croie pas que cet article n'ait en vue que la réparation de l'atteinte matérielle portée à la cendre des morts! Un arrêt de la chambre criminelle, du 22 août 1839 (P.1840.1.237. S. 1839.1.928), a proclamé que la disposition embrassait en outre tout ce qui tend à violer directement le respect dû aux morts; « qu'il y avait ⚫ indivisibilité entre le tombeau et la dépouille ⚫ mortelle qu'il renferme sans quoi resteraient impunis les outrages les plus graves qui ne seraient pas des paroles ou discours ou qui ne seraient pas publics. D -Aux termes de l'art. 613, C. comm., le négociant failli peut être réha bilité après sa mort. La loi veut que sa mémoire un instant obscurcie puisse reparaître dans son éclat et son crédit comme s'il en pouvait encore tirer parti.—Enfin, l'art. 447 C. instr. crim. ordonne que si des présomptions d'innocence s'élè vent en faveur d'un condamné dont la vie s'est éteinte dans l'expiation même, un curateur soit nommé à sa mémoire et sa réhabilitation poursuivie.-Quelle autre preuve faut-il pour démontrer qu'aux yeux du législateur français la mémoire survit au corps? qu'après la mort comme avant la mort la loi veille à ce que l'honneur du citoyen soit conservé, à ce que son nom demeure entouré de considération et de respect?

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Et cependant, d'après l'arrêt attaqué, quand un citoyen aimé, respecté, aura cessé de vivre, que les regrets publics l'auront accompagné à sa dernière demeure et que la seule consolation pour sa famille sera le souvenir des vertus qu'il a pratiquées, un ennemi, jusque-là, dissimulé, pourra se jeter sur sa mémoire, la souiller, la disperser au vent; et quand la famille, indignée, viendra demander justice aux tribunaux de répression, on lui répondra que la loi ne protége pas les morts et qu'on peut impunément se livrer envers eux aux plus odieuses calomnies !-L'art. 5 de la loi du 26 mai 1819 tranche la difficulté en sens con

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prétendra lésée, » désignent exclusivement la personne contre laquelle la diffamation a été dirigée; que la loi a voulu la rendre juge de son offense et n'a entendu conférer ce droit à qui que ce soit d'autre. Mais, à ce compte, que devient le principe essentiel de toutes les législation que l'héritier revêt la personnalité de son auteur, qu'il s'incorpore, qu'il s'identifie avec lui; qu'en cherchant à venger l'honneur et la considération de son auteur, c'est son honneur et sa considération qu'il défend? Y a-t-il plus grande ignominie pour un fils qne d'avoir un père frappé d'indignité ? La loi romaine a sur ce point les textes les plus précis... (V. le rapport sup., p. 355 et 358.)— Tous les auteurs français, Domat en tête, ont adopté et confirmé cette salutaire doctrine. C'est qu'en effet, entre l'héritier et son auteur, entre le fils et le père, il y a non-seulement solidarité, mais indivisibilité complète. C'est le même nom, le même patrimoine, le même honneur, la même situation morale. L'un ne peut être diminué sans que l'autre soit atteint, et il n'y a pas à craindre que le fils se jette aveuglément dans une poursuite dont le résultat peut être fatal à la mémoire de son père; il suffit de son intérêt pour le rendre prudent. Lorsque la loi a voulu soustraire à l'action de l'héritier certains droits, elle s'en est expliquée nettement ainsi l'action en adultère, l'action en désaveu, si elles n'ont pas été intentées avant la mort, ne peuvent être exercées par l'héritier. Ainsi l'injure adressée à l'auteur vivant encore, et qu'il n'a point poursuivie, ne peut être relevée par l'héritier; la remise présumée de l'offense interdit toute réclamation. Mais hors de ces cas, tout survit en quelque sorte. Les légistes du seizième siècle avait formulé le droit de l'héritier en ces termes... (Ici M. le procureur général rappelle le passage de la Praxis criminalis transcrit dans le rapport, p. 359.)-Et cela était aussi sage que moral. La plus enviable des hérédités est celle dont la gloire du défunt forme la bonne part. Malheur à l'héritier qui ne la défendrait pas !

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Toutes les raisons d'honnêteté publique, d'intérêt social, de famille, se réunissent donc pour autoriser les poursuites dont l'objet est de protéger la mémoire des morts. La morale de la loi française va plus loin. Elle ne permet pas à l'héritier l'indifférence. Elle lui impose l'obligation de venger les injures faites au mort par des légataires ou des donataires calomnieux. Les art. 727 1046 et 1847 du Code Napoléon sont formels à cet égard. Et quelle peut être la pensée de ces dispositions, sinon que tout ne s'éteint point avec la vie de l'homme; que son honneur, sa considération, s'identifient à l'honneur et à la considéra

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