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Bonaparte, qui voulait donner plus de poids à sa demande et 1796-an IV. profiter en effet de la position où l'avaient placé ses victoires, avait, le même jour, donné ordre à son armée de passer l'Elero, et, après avoir jeté des ponts sur le Pesio, avait porté son avantgarde sur Carru. Le 24, après quelques escarmouches de cavalerie de peu d'importance, les Français occupèrent Bene.

Cependant Beaulieu, pressé par la cour de Sardaigne, et dans la crainte de déplaire à son gouvernement, en paraissant négliger trop les intérêts de ses alliés, s'était décidé à faire un mouvement concentrique, qui pût le rapprocher un peu de l'armée de Colli. Le 24 il leva son camp d'Acqui, et se mit en marche avec seize bataillons et vingt-deux escadrons, après toutefois avoir eu la précaution de laisser dans Terzo sept bataillons et six escadrons commandés par le général Liptay. Ce mouvement était trop tardif pour opérer une diversion favorable aux Piémontais de Colli.

Celui-ci avait pris une position défensive sur la Stura; son front était couvert par cette rivière; sa droite s'étendait vers la forteresse de Coni, et se tenait en communication avec les troupes qui défendaient le passage du Col-de-Tende; sa gauche s'appuyait à Cherasco. Cette position couvrait les places du Piémont, et défendait les seules routes par lesquelles les Français pouvaient y pénétrer alors.

Le général Serrurier se porta le 25, avec sa division, sur la Trinità, et s'avança jusqu'à portée de canon de la ville de Fossano, où se trouvait le quartier général de Colli. Les Français et les Piémontais, séparés par la Stura, se canonnèrent pendant plusieurs heures sans résultat. Le général Masséna s'était en même temps dirigé sur Cherasco, et s'étant jeté avec impétuosité sur l'ennemi, culbuta d'abord les grand'gardes. Cette ville, forte par sa position au confluent de la Stura et du Tanaro, l'était aussi par une enceinte bastionnée, très-bien palissadée, fraisée et garnie de vingt-huit pièces de canon. La garnison ayant fait mine de vouloir se défendre, Bonaparte envoya son aide de camp Marmont et le général Dujard, pour reconnaître la place, et placer des batteries d'obusiers, pour couper les palissades. Ces démonstrations suffirent pour épouvanter l'ennemi. N'espérant point pouvoir résister longtemps, il se

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1796 — an Iv. contenta de tirer quelques coups de canon, et profita de la nuit pour évacuer la ville et repasser la Stura. Cette conquête, qui procurait vingt-huit pièces de canon à l'armée, qui en manquait, et où l'on trouva des magasins considérables de munitions et de vivres, était d'autant plus importante aux yeux de Bonaparte, qu'elle appuyait sa droite et lui donnait un poste à l'abri d'un coup de main, où il pouvait établir ses dépôts de première ligne. Après la prise de Cherasco, le général Colli se retira sur Carignano, afin de mettre à couvert la ville de Turin, dont Bonaparte n'était plus qu'à neuf lieues. Cette retraite, qui privait Fossano de tout moyen de résistance, laissa le général Serrurier maître de passer la Stura et de faire son entrée dans cette ville. Le même jour, la division du général Augereau s'était portée sur Alba, malgré un temps affreux qui avait rendu tous les chemins impraticables. Il suffit aux Français de se présenter devant la place pour s'en rendre maîtres. Le peu de troupes piémontaises qui étaient restées à sa garde s'enfuirent sans avoir brûlé une amorce, et le général Augereau se hâta d'y faire jeter sur-le-champ plusieurs ponts de bateaux, afin de pouvoir passer le Tanaro, qui est dans cet endroit d'une largeur et d'une rapidité considérables.

Le 26, l'armée française d'Italie se trouva entièrement rassemblée en avant de la ville d'Alba. Elle était alors dans un des plus beaux et des plus riches pays de l'Europe, et nageait dans l'abondance. Fiers des victoires remportées au prix de leur sang et de leur courage, les soldats de cette armée étaient animés de l'esprit le plus belliqueux, et n'aspiraient qu'à poursuivre un ennemi qu'ils avaient vaincu avec tant de gloire. Bonaparte, pour exciter davantage encore leur enthousiasme, et en même temps tranquilliser les peuples d'Italie, adressa aux uns et aux autres la proclamation suivante :

« Soldats1 !

<< Vous avez, en quinze jours, remporté six victoires, prist vingt et un drapeaux, cinquante pièces de canon, plusieurs places

Nous avons déjà fait remarquer cette dénomination de soldats, donnée par Bonaparte à ses troupes. Les autres généraux de la république les appelaient camarades ou citoyens; mais Bonaparte crut devoir innover, ce qui convenait peut-être à ses desseins ultérieurs.

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fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont; vous avez 1796—aniv. fait 15,000 prisonniers, tué ou blessé 10,000 hommes. Vous vous étiez jusqu'ici battus parmi des rochers stériles, illustrés par votre courage, mais inutiles à la patrie; vous égalez aujourd'hui, par vos services, l'armée conquérante de la Hollande et du Rhin. Dénués de tout, vous avez suppléé à tout; vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué plusieurs fois sans pain: les phalanges républicaines étaient seules capables d'actions aussi extraordinaires. Grâces vous en soient rendues, soldats!

« Les deux armées qui naguère vous attaquèrent avec audace fuient devant vous; les hommes pervers qui se réjouissaient dans leur pensée du triomphe de vos ennemis sont confondus et tremblants. Mais, soldats, il ne faut pas vous le dissimuler, vous n'avez encore rien fait, puisque beaucoup de choses vous restent encore à faire. Ni Turin, ni Milan ne sont encore à vous; vos ennemis foulent encore les cendres des vainqueurs des Tarquins.

« Vous étiez dénués de tout au commencement de la campagne, vous êtes aujourd'hui abondamment pourvus. Les magasins pris à vos ennemis sont nombreux. L'artillerie de siége est arrivée. La patrie attend de vous de grandes choses. Vous justifierez son attente; vous brûlez tous de porter au loin la gloire du peuple français, d'humilier les rois orgueilleux qui méditaient de nous donner des fers, de dicter une paix glorieuse qui indemnise la patrie des sacrifices qu'elle a faits. Vous . voulez tous, en rentrant dans le sein de vos familles, dire avec fierté : J'étais de l'armée conquérante de l'Italie !

« Amis, je vous la promets cette conquête ; mais il est une condition qu'il faut que vous juriez de remplir: c'est de respecter les peuples que vous délivrerez de leurs fers, c'est de réprimer les pillages auxquels se portent les scélérats suscités par nos ennemis. Sans cela, vous ne seriez point les libérateurs des peuples; vous en seriez le fléau. Le peuple français vous désavouerait: vos victoires, votre courage, le sang de vos frères morts en combattant, tout serait perdu, surtout l'honneur et la gloire. Quant à moi et aux généraux qui ont votre confiance, nous

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1796 — anıv. rougirions de commander une armée qui ne connaîtrait de loi que la force; mais, investi de l'autorité nationale, je saurai faire respecter à un petit nombre d'hommes sans cœur les lois de l'humanité et de l'honneur, qu'ils foulent aux pieds; je ne souffrirai pas que des brigands souillent vos lauriers.

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« Peuples d'Italie, l'armée française vient chez vous pour rompre vos fers; le peuple français est l'ami de tous les peuples. Venez avec confiance au-devant de nos drapeaux. Votre religion, vos propriétés et vos usages seront religieusement respectés. Nous ferons la guerre en ennemis généreux : nous n'en voulons qu'aux tyrans qui vous asservissent 1. »

Dans le moment où Bonaparte cherchait à exalter l'ardeur de ses soldats par cette proclamation, il s'attendait à livrer une dernière bataille, et sans doute elle eût décidé du sort du Piémont. Le roi de Sardaigne, renfermé dans Turin avec les débris de son armée, tremblait sur son trône et commençait à se convaincre qu'une prompte soumission aux volontés du vainqueur pouvait seule le sauver de la ruine certaine dont il était menacé. Déjà les Français n'étaient qu'à neuf lieues de sa capitale. L'effroi s'était plus que jamais emparé de l'esprit des habitants de Turin. Des murmures, avant-coureurs d'une insurrection, augmentaient encore les inquiétudes et la détresse du roi au milieu de sa cour stupéfaite. Le peuple, qui craignait de voir la ville livrée à toutes les horreurs du pillage, s'attroupait en foule autour du palais, et demandait la paix à grands cris. Toutes

Nous avons cité cette première proclamation d'un homme qui en a tant publié durant sa carrière militaire, afin de présenter une observation qui nous paraît avoir quelque intérêt. On a dit, on répète encore aujourd'hui que ces proclamations de Bonaparte, qui ont si souvent répandu en Europe presque autant de terreur que ses armées, n'avaient jamais été son ouvrage. On a même été jusqu'à citer ses faiscurs. Cependant, si l'on veut comparer toutes ses proclamations, depuis celle que nous venons de citer jusques à la dernière qui précéda le désastre de Mont-Saint-Jean, on restera convaincu avec nous qu'elles sont toutes la production du même homme. Le même style, les mêmes mouvements, les mêmes tournures de phrases, les mêmes exclamations, et ce ton prophétique ou d'inspiré que Bonaparte affectait dans ses actions, se rencontrent dans toutes ces pièces. Quant à nous, nous ne doutons point que les proclamations de Bonaparte n'aient, en effet, été dictées par celui qui sut en tirer tant d'avantages.

ces causes réunies firent enfin sentir au roi qu'il est des circons- 1796 tances où l'intérêt des peuples demande que les souverains renoncent à leurs plus chères affections. Il avait été l'un des membres les plus zélés de la coalition. Il avait plus qu'aucun prince de l'Europe des raisons fortes et légitimes de haïr la république; mais la fatale issue des événements le contraignit à dissimuler sa haine et à s'humilier devant le gouvernement français, en lui demandant une paix qui lui semblait presque une injure. Le roi de Sardaigne se soumit enfin à cette loi de la nécessité, si dure pour le commun des hommes, plus dure encore pour les rois.

Le 27 avril, le général Colli, autorisé par son souverain, écrivit à Bonaparte pour lui annoncer que le roi allait envoyer des plénipotentiaires à Paris, afin de traiter de la paix définitive, mais qu'en attendant il acceptait les conditions proposées « Sa Majesté, disait le général Colli dans sa lettre, m'ordonne de vous déclarer qu'elle consentira à mettre en votre pouvoir deux de ses forteresses; savoir, celles de Coni et de Tortone, comme vous l'avez demandé, pendant que dureront les négociations dont on va s'occuper, et suivant le mode dont on conviendra; au moyen de quoi toute hostilité cessera dès à présent, jusqu'à la fin desdites négociations, etc. »

D'après la même lettre, le roi de Sardaigne chargea M. le baron de la Tour, lieutenant général de cavalerie, et le marquis de Costa, colonel chef d'état-major, de traiter avec le général Bonaparte des conditions de la suspension d'armes, qui furent arrêtées au quartier général de Cherasco, le 28 avril, et dont les dispositions portaient une cessation de toutes hostilités entre l'armée française d'Italie et l'armée du roi de Sardaigne, à dater du jour où les conditions seraient remplies jusque cinq jours après la fin des négociations entamées à Paris. Les clauses de ce traité d'armistice furent très-favorables à l'armée française. La place de Coni devait être occupée par elle, ainsi que celle d'Alexandrie, en attendant que Tortone pût être remise en son pouvoir. Les Français restaient en possession de tout le pays conquis qui se trouve au delà de la rive droite de la Stura, jusqu'à son confluent avec le Tanaro, et de là suivant la rive droite de cette rivière jusqu'à son embouchure dans le Pô, pen

Italie.

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