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La reconnaissance de l'enfant naturel faite, après la loi

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du 12 brumaire an 2, devant un juge de paix, doit-elle

étre réputée authentique? (Rés. aff.) (1)

Est-elle valable, et doit-elle étre considérée comme l'effet d'une volonté libre, lorsqu'elle a été faite dans les temps orageux de la révolution, à la suite d'une citation en conciliation donnée par l'enfant naturelà son père, et lorsque celui-ci l'a révoquée par son testament? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 334 et 337.

JEAN-BAPTISTE PICOT, C. JEAN-FRANÇOIS PICOT.

Jean-Baptiste fut inscrit, le ro juillet 1770, sur les registres de l'état civil, comme né de père et mère inconnus.

"Le 8 floréal de l'an 2, et pendant qu'il était sous les drapeaux de la république à l'armée des Pyrénées-Occidentales, il fit citer en conciliation devant le juge de paix de Bayonne le sieur Leon Picot, ancien officier retiré, sur la demande qu'il était dans l'intention de former contre lui, en justice, pour qu'il eût à le reconnaître pour son fils naturel, à l'effet qu'il pût jouir des avantages que les nouvelles lois lui assuraient. Il écrivait à l'huissier chargé par lui de donner l'assignation de lui faire connaître le résultat de ses démarches, afin qu'il pút prendre d'autres mesures.

Devant le juge de paix les parties s'accordèrent ; et il y fut fait, le 26 dudit mois de floréal, une transaction dans laquelle Léon Picot, qui était alors veuf, et père d'un enfant légitime, déclara que, malgré les motifs de doute qui l'avaient arrêté jusqu'à ce moment, et voulant donner une preuve de l'intention qu'il avait manifestée dans tous les temps de se conformer aux lois de la révolution, et pour qu'on ne puisse pas lui imputer des chicanes indignes d'un républicain, il voulait bien reconnaître ledit Jean-Baptiste

(1) Un arrêt de la Cour de cassation, du 15 thermidor de l'an 13, a résolu cette question dans le même sens.-Voy. tom. 6, pag. 367.

pour son fils naturel, qu'il avait eu de ses liaisons avec la citoyenne Despagnet; il termina en observant qu' se réjouissait de le voir en ce moment rangé sous les étendards de la patrie, au nombre des défenseurs de la république.

Neuf ans s'écoulèrent sans aucune réclamation de la part du sieur Léon Picot. Il fit son testament le 27 floréal de l'au 11, par lequel il révoque, dans les termes suivans, la reconnaissancé par lui précédemment faite il dit qu'il n'avait reconnu Jean-Baptiste pour son fils que pour conjurer les persécutions certaines qu'il allait éprouver; que cette reconnaissance n'avait été que le pur accent de la violence et de la terreur; qu'il avait résisté aux réclamations de JeanBaptiste par principe de convention et de justice, et qu'il n'avait cédé que forcément et pour garantir sa vie et sa liberté. Il mourut le 14 thermidor suivant.

Jean-Baptiste Picot requit l'apposition des scellés sur la succession de son père naturel. Jean-François Picot, fils légitime et héritier de Lécn Picot', refusa de reconnaître la qualité et les droits du premier celui-ci fut renvoyé à se pourvoir. La constestation s'engagea devant le tribunal civil de Bayonne; et il y intervint, le 13 prairial de l'an 12, un jugement qui déclara Jean-Baptiste Picot non recevable dans ses demandes à fin d'inventaire, liquidation et partage, et le condamna aux dépens. Les premiers juges donnèrent pour motifs de leur décision que la reconnaissance, ayant eu lieu au préjudice d'un enfant légitime, tombait dans la prohibition prononcée par l'art. 337 du Code civil; que l'acte qui la contenait n'était point authentique, dans lé sens que la loi semblait indiquer, et surtout depuis celle du 20 septembre 1792, sur l'état civil; et qu'au surplus, en la supposant telle, cette reconnaissance serait infectée d'un vice radical, soit parce qu'elle n'aurait eu lieu qu'à la suite d'une action intentée par le prétendu fils naturel contre le défunt, action qui était interdite, ainsi que toutes celles qui avaient pour objet la recherche de la paternité; soit enfin, parce qu'elle avait été l'effet nécessaire de la crainte, comme

cela résultait manifestement du désaveu de Léon Picot, condans son testament.

signé

Jean-Baptiste Picot appela de ce jugement devant la Cour d'appel de Pau, qui accueillit, malgré la défense énergique de l'intimé, les moyens qu'il proposa pour justifier san ap-. -pel ; et voici l'arrêt qui fut rendu,'le r3 prairial an 12, sur les conclusions conformes de M. le procureur-général :

« La Cour, considérant 1° que l'art. 337 n'embrasse que la durée du mariage, et non ses effets; qu'étendre ses disposition à une reconnaissance faite après la mort de l'un des époux, quand il reste des enfans, serait ajouter à la loi; 2o Que, si la loi du 12 brumaire an 2 avait voulu que la reconnaissance d'un enfant naturel fût faite devant l'officier de l'état civil, elle n'aurait pas manqué de le dire; qu'il est sensible que cette loi, en désignant un officier public, a voulu donner une plus grande latitude aux pères, en leur permettant de choisir dans la classe des officiers publics ; 3o Que, quoique l'action intentée par Jean-Baptiste Picot, qui avait pour but la recherche de la paternité, ne fût pas permise par les lois, et qu'il fût loisible à Léon Picot père de la repousser, néanmoins, loin de le faire, il se présenta devant le juge de paix et fit la reconnaissance demandée : d'où il suit qu'il couvrit par-là la nullité originelle; -- 4° Qu'il n'est justifié d'aucune menace ou violence, telle que, d'après la loi 6, ff., quod metus causa, et les art. 1109 et 1112 du Code civil, on soit fondé à dire que l'acte du 26 floréal an 2 soit l'effet de l'erreur, du dol, de la surprise ou de la violence; que les circonstances du temps, la lettre à l'huissier et son contenu, n'étaient pas suffisans pour opérer cet effet ; que ce qui le prouve, c'est que Léon Picot vécut neufans sans se plaindre, ce qu'il n'eût pas manqué de faire si la reconnaissance ne fût réellement émanée de sa propre volonté; 5o Que cette reconnaissance étant consignée dans un acte authentique, elle a conféré un droit positif et irrévocable à Jean-Baptiste Picot; - Faisant droit sur l'appel, dit qu'il a été mal jugé, bien appelé du jugement dont il s'agit; émen

⚫dant, ordonne que Jean-Baptiste Picot sera admis au partage de la succession de cujus, etc. »

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Le sieur Jean-François Picot s'est pourvu en cassation de cet arrêt; pour violation des art. 334 et 337 du Code civil. Il a établi en principe que l'authenticité de l'acte ne suffisait pas toujours pour rendre efficace la reconnaissance de l'enfant naturel; mais qu'il fallait encore que cette reconnaissance fût l'expression d'une conviction intime de la paternité, d'une volonté libre, et il a soutenu que celle de Jean-Baptiste par Léon Picot n'avait point ce carctère, puisqu'elle avait été provoquée par une action judiciaire, et et qu'elle ne devait être attribuée qu'au désir de prévenir un procès scandaleux; - Que, d'autre part, elle était l'effet de la terreur générale qui pesait sur la France à l'époque où elle fut faite, et de la crainte particulière inspirée à Léon Picot par le pouvoir dont étaient revêtus ceux dont Jean-Baptiste se flattait d'avoir la protection; que le sieur Picot était dù nombre de ceux à qui leur naissance et leur fortune faisaient des ennemis des individus qui exerçaient alors l'autorité; et que la moindre résistance, la plus légère opposition, auraient nécessairement compromis sa liberté et sa vie ; qu'ainsi le reconnaissance dont se prévalait aujourd'hui Jean-Baptiste était l'effet de la violence morale sous l'influence de laquelle elle avait été consentie, ce qui se trouve prouvé dans le plus haut degré d'évidence par les termes qui y sont employés, puisqu'il y est écrit en toutes lettres qu'elle ne fut faite que pour obéir aux lois de la révolution, et pour éviter le reproche de n'être pas un bon républicain': d'où l'on devait nécessairement conclure qu'elle était nulle par défaut de consentement, et qu'il en était de même si elle n'existait pas. que Ici le demandeur en cassation invoquait à l'appui de son système la propre jurisprudence de la Cour, dans son arrêt du 18 floréal an 13 (1), qui, à son avis, offrait des rapports d'analo

(1) Voy. le tom. 6 de cette collection, p. 165: il s'agissait, dans l'esPèce de cet arrêt, d'une reconnaissance faite par transaction sur procès

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gie avec l'espèce présente. Il ajoutait que Jean-Baptiste ne pouvait tirer aucun avantage de ce que Léon Picot n'avait pas réclamé avant sa mort; qu'il ne fallait attribuer son silence qu'à l'état d'incertitude où il était sur son droit, pår la versatilité de la jurisprudence sur les enfans naturels et sur les effets des reconnaissances; qu'il avait pris le seul parti qu'il pût employer, celui de protester dans le dernier acte de sa vie contre la violence qui lui avait été faite, et de fournir à son fils le moyen d'en arrêter les effets. - Il disait enfin qu'il résultait de l'art. 357 du Code civil, sainement entendu, qu'il importait peu que la reconnaissance eût lieu pendant le mariage, ou après sa dissolution, lorsqu'il existait des enfans légitimes, et que, dans l'un comme dans l'autre cas, il devait lui être refusé tout effet nuisible à ceux-ci; que le législateur avait eu en vue, dans cet article, non les époux, mais les enfans qui naîtraient de leur union; que leur descendance légitime formait le motif unique de la prohibition, et que toute autre interprétation qui serait donnée à cet article contrarierait évidemment le vœu du législateur.

Le défendeur à la cassation fondait sa défense sur les motifs de l'arrêt attaqué. Il réfutait les inductions tirées de l'arrêt du 18 floréal an 13, par les raisons de différence que nous avons précédemment indiquées.

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Le 6 janvier 1808, ARRÊT de la Cour de cassation, section civile, M. Liborel, doyen d'âge, président, M. Zangiacomi rapporteur, MM. Chabroud et Sirey avocats, par lequel : « LA COUR, Sur les conclusions de M. Pons, substitut du procureur-général ; Après en avoir délibéré dans la chambre du conseil; Considérant, dans le fait, que c'est après la publication de la loi du 12 brumaire an 2 que LéonFrançois Picot a reconnu pour son fils naturel Jean-Baptiste

pendant le mariage, et non d'une reconnaissance faite en conciliation avant la naissance du procès et après la dissolution du mariage; ce qui présente une différence notable.

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