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Le propriétaire dépossédé par une adjudication injuste et irrégulière a-t-il droit, contre le créancier expropriant, à une indemnite, dans la proportion du préjudice qu'il éprouve? (Rés. aff.)

La demoiselle GEORGEON, C. LE SIEUR FOUGERON. Après la mort de Françoise Riboudu, femme du sieur Louis Georgeon, négociant à Orléans, cinq enfans issus de ce mariage, du nombre desquels était la demoiselle Anne-Françoise-Victoire Georgeon, liquidèrent la communauté qui avait eu lieu entre elle et leur père, et firent en même temps partage des biens provenans tant de cette communauté que de la succession maternelle.

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Par l'événement de ce partage, passé devant Fougeron, notaire à Orléans, le 23 février 1788, le domaine du SaintEsprit, situé commune de Viobon, propre maternel évalué à 28,300 livres, fut compris au lot de la demoiselle Georgeon.

Il paraît que depuis cette époque elle en a joui comme seule propriétaire, et a été imposée à la contribution foncière sous son nom personnel.

Le notaire Fougeron, qui, à la fin de la minute du partage et de la liquidation de communauté, avait fait reconnaître aux parties qu'il lui était dû, par le sieur Georgeon père, une somme de 4,400 livres, n'attendit pas son décès, arrivé le 22 septembre 1791, pour en faire prononcer la condam

nation contre lui.

Dans cet intervalle, le mauvais état des affaires du sieur Georgeon père l'avait obligé à faire un abandon général de ses biens à ses créanciers, et à recevoir une pension alimentaire de ses enfans, qui, dans la vue de faire honneur aux engagemens paternels, s'étaient rapprochés des créanciers unis pour vendre sans frais les biens abandonnés, avec obligation de leur part de remplir tout le passif.

Ce concordat, uniquement relatif aux créanciers accédans,

se trouvait étranger au sieur Fougeron, qui n'y avait point été partie, et qui n'était point entré dans l'union,

La marche qu'il a suivie a été de faire déclarer exécutoire contre les enfans Georgeon, comme héritiers et cessionnaires de leur père, le jugement qu'il avait obtenu contre lui avant sa mort, et de les poursuivre personnellement en cette double qualité.

Mais alors ils n'étaient qu'héritiers par bénéfice d'inventaire, en vertu d'un jugement du 17 mars 1792,-rendu sur le vu d'un inventaire régulier;

Au lieu de faire valoir ce titre, qui mettait une barrière entre leurs biens et ceux de la succession, ils ont fait des offres réelles refusées et jugées insuffisantes.

Alors le sieur Fougeron a poursuivi contre la demoiselle Georgeon l'expropriation forcée du domaine du SaintEsprit.

Elle s'est rendue opposante, et a motivé son opposition, 1° sur sa qualité d'héritière bénéficiaire, dont elle a justifié; 2o sur le partage de 1788, qui établissait sa propriété exclusive du domaine saisi, et a conclu, en conséquence, à la nullité des poursuites.

L'expropriant n'en est pas moins allé en avant, fort des jugemens et actes où les enfans Georgeon avaient agi comme héritiers sans aucune modification, et avaient été condamnés comme tels, et d'un extrait du rôle de la contribution foncière de Viobon pour l'an 14, délivré par le directeur des contributious, du département d'Eure-et-Loir, d'où il resultait que le domaine en question était imposé, art. 118, sous le nom du sieur Georgeon père.

La demoiselle Georgeon a inutilement invoqué le partage de: 1788, connu du sieur Fougeron, qui en était le rédacteur; la qualité de propre maternel, imprimée au domaine du Saint-Esprit; sa propriété exclusive de cet héritage, compris au lot qui lui est échu; le fait qu'elle en a joui exclusivement; elle a inutilement représenté un extrait de la contri

bution foncière pour l'an 14, dans la forme la plus authentique, qui prouvait qu'elle était personnellement imposée.

Le tribunal civil de Chartres, par son jugement du 27 dé cembre 1806, jour indiqué par l'affiche pour la vente, a ordonné qu'il serait passé outre à l'adjudication, qui a été faite de suite au sieur Gréau.

Ses motifs sont que, dans les différens jugemens et procédures représentés par le sieur Fougeron, la demoiselle Geor geon ainsi que ses cohéritiers ont pris la qualité de cessionnaires et héritiers du père commun, ce qui est une renonciation au bénéfice d'inventaire qu'ils avaient obtenu; que par ces jugemens, passés en force de chose jugée, ils sont condamnés dans la double qualité de cessionnaires et d'héritiers; qu'ils sont dès lors personnellement et hypothécairement passibles du paiement de la créance du sieur Fougeron; que la demoiselle Georgeon n'a point établi sa propriété exclusive, démentie par l'extrait de la matrice du rôle qu'on lui oppose; que, d'après cet extrait, le poursuivant a eu juste sujet de regarder la ferme du Saint-Esprit comme commune à tous les enfans Georgeon.

Sur l'appel, interjeté seulement vis-à-vis du sieur Fougeron, et non de l'adjudicataire, la demoiselle Georgeon a justifié pleinement qu'elle était exclusivement propriétaire da domaine du Saint-Esprit ; qu'elle l'avait possédé depuis 1788 comme propre maternel, en vertu du partage fait à cette époque, partage connu de l'intimé, qui l'avait rédigé; qu'elle en avait payé seule les contributions, et que le prétendu extrait de rôle qu'on lui opposait n'était nullement fidèle; qu'ainsi l'expropriation n'avait point été poursuivie et consommée sur le véritable propriétaire, supposé être la succession Georgeon père, débitrice du sieur Fougeron, circonstance qui en opérait la nullité...

A la vérité, poursuivait le défenseur, la demoiselle Geor→ geon a été, dans des actes de procédure, des jugemens passés en force dé chose jugée, qualifiée cessionnaire et héritière de son père; mais la conséquence tirée de ces énoncia

tions, qu'elle est tenue personnellement et hypothécairement de la créance du sieur Fougeron, pour laquelle elle a fait des offres réelles, n'en est pas plus exacte.

1o. La qualité de cessionnaire de son père lui a été faussement attribuée; ce n'est ni à elle, ni à ses autres enfans, que le sieur Georgeon a fait l'abandon de ses biens: il les a délaissés à ses créanciers unis en direction, qui seuls y avaient droit.

Si la demoiselle Georgeon, ses frères et sœurs, ont pris vis-à-vis des créanciers unis l'engagement de les remplir de leurs créances, en cas d'insuffisance des biens compris dans l'abandon, comme les convention's n'ont d'effet qu'entre les stipulans, l'intimé ne saurait s'en prévaloir. Ce n'est point une obligation indéfinie de payer toutes les dettes de leur père, qu'ils ont contractée : ils n'ont promis et entendu promet tre que d'acquitter les créanciers qui s'étaient prêtés aux arrangemens arrêtés, qui avaient donné des termes. Le sieur Fougeron n'étant pas de ce nombre, il ne saurait exciper d'une convention qui lui est étrangère.

2o. On ne peut raisonnablement induire de ce qu'elle a été qualifiée seulement héritière de son père, dans les condamnations prononcées contre elle, qu'elle ait tacitement abandonné le privilége attaché à sa qualité d'héritière bénéficiaire. Une telle abdication ne saurait être que l'effet d'une déclaration expresse; elle ne se présume pas plus que l'adition d'hérédité après une renonciation. Le successible qui, dans le temps accordé pour délibérer, fait acte d'héritier pur et simple, ne peut plus se dégager ni recourir au bénéfice d'inventaire, parce que, de ce moment, d'après la règle Le mort saisit le vif, il est censé avoir pris l'engagement de faire face à toutes les charges de la succession; mais celui qui a eu recours au bénéfice d'inventaire ne s'étant soumis, aux déttes que jusqu'à concurrence des moyens héréditaires, pourquoi voudrait-on que, sans intérêt contraire, il eût laissé échapper un privilége si avantageux, lorsqu'il ne s'en est pas disertement expliqué ?

Quant aux offres faites par l'appelante au sieur Fougeron, elle pouvait en faire comme héritière bénéficiaire : d'ailleurs elles ont été refusées et annulées; elles sont réputées non ave

nues.

La demoiselle Georgeon soutenait en conséquence n'avoir jamais été débitrice, ni personnellement ni hypothécairement, du sieur Fourgeron; que dès lors l'expropriation du domaine du Saint-Esprit était nulle; que l'adjudication qui en était le résultat disparaissait avec elle, quoiqu'il n'y eût pas d'appel vis-à-vis de l'adjudicataire, et qu'il ne fût pas Elle concluait à des dommages et intérêts contre

en cause.

Fougeron.

L'intimé ajoutait aux motifs des premiers juges que les argumens de l'appelante étaient de pures subtilités.

En effet, disait-il, la qualité d'héritier, dans des actes de procédure, dans des jugemens, sans aucune modification, s'entend toujours de l'héritier pur et simple. Le bénéficiaire ne se connaît que par l'indication de son privilége: aussi, quand il est établi dans un titre quelconque, est-il toujours désigné sous le nom d'héritier bénéficiaire, ou par bénéfice d'inventaire. L'un est le genre, l'autre l'espèce ou l'exception au genre, exception qui a besoin d'une désignation additionnelle pour la caractériser.

Le créancier héréditaire acquiert hypothèque et exécution personnelle contre l'un, non contre l'autre ; mais ce créancier ayant plus d'intérêt à trouver un héritier simple qu'un héritier bénéficiaire, s'il est dans l'erreur, s'il envisage le bénéficiaire comme simple, c'est à celui-ci à le détromper; et s'il ne le fait pas, s'il subit une condamnation en qualité d'héritier proprement dit, il doit l'acquitter personnellement, à moins qu'il n'ait moyen de la faire réformer.

Or la demoiselle Georgeon s'est laissé condamner comme héritière: c'est chose jugée en dernier ressort. Elle est donc tenue de la dette par une hypothèque générale comme héritière; la condamnation obtenue contre son père étant déclarée exécutoire contre elle, il faut qu'elle paie, à cause de l'au

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