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sait que la contestation n'était pas de savoir si Virginie Chady est le même enfant qui a été inscrit aux registres, sons ces noms, en pluviôse an 2, mais uniquement si elle avait eu pour mère la feue dame Degosse; qu'avant que cette question préjudicielle de la maternité alléguée eût été décidée, aucune instruction contradictoire ne pouvait être ordonnée avec la famille Degosse, 1o parce que l'enquête ordonnée sur la seule individualité de Virginie serait visiblement frustratoire pour le jugement de la réclamation d'état; 2o parce que l'art. 323 du Code civil, traitant exclusivement des preuves de la filiation, était inapplicable pour la vérification d'une pure identité; 3° parce que l'interlocutoire est une voie détournée manifeste pour arriver indirectement à une audition de témoins qui ne pouvait pas être ordonnée directemen!.

Abordant le principal, le sieur Degosse opposait à la prétention de la demoiselle Virginie quatre fins de non recevoir. La première, disait-il, prononcée par l'art. 322 du Code civil, est justifiée par la double circonstance avérée que Virginie, aux registres de la municipalité, a été nommée Cha dy; que Virginie a été mise en nourrice, en sevrage, en pension, par Chady, s'annonçant partout comme son père; qu'elle a partout été connue sous le nom de Chady, ce qui, suivant l'art. 321, caractérise une possession d'état. Cette possession de l'état de fille Chady étant conforme au titre municipal, sa réclamation de l'état contraire d'enfant De gosse est inadmissible; n'attaquant par aucune voie légale les déclarations et signatures portées dans l'acte public qui lui donne Chady pour père, Virginie ne peut être reçue à diviser cet acte pour en rejeter les énonciations les plus positi ves, et s'emparer exclusivement de celles qu'elle croit être favorables à son système. 2o. La recherche, soit de la pater nité, soit de la maternité, est interdite aux enfans adultérios; et Virginie, qui n'a point légalement fait effacer du contexte de l'acte du 14 pluviôse an 2 les déclarations signées et attestées de la paternité de Chady, est un enfant adultérin. Si la jurisprudence des anciennes Cours, dans le cas où la ma

ternité était constante, a toujours repoussé les réclamations d'état fondées sur des actes ou sur des faits présentant les réclamans comme les fruits d'une conjonction illicite, a fortiori on doit le décider dans l'espèce, où la réclamante en est encore à la recherche de la maternité, 3o. L'acte de naissance dont il s'agit ne peut être opposé à la famille Degosse; il n'est point authentique; il n'a point été dressé en présence des chefs de la famille ou de quelques uns de ses membres; cet acte n'a obtenu d'aucune manière l'assentiment prochain ou éloigné des vrais intéressés; d'ailleurs il n'est point conforme au vœu littéral de la loi; car, si Michel Chady n'est point le père de la réclamante, pourquoi le commissaire de police a-t-il reçu de lui la déclaration de naissance? Ce Chady était alors sans qualité pour figurer dans l'acte de l'état civil; et vu l'absence du sieur Degosse, père supposé, c'était à l'accoucheur de sa femme à faire cette déclaration. Ainsi, de deux choses l'une, ou Chady est le père de Virginie, alors l'acte sera régulier, mais alors elle ne pourra plus réclamer un autre père; ou bien Chady est un imposteur, et dans ce cas on ne peut plus ajouter foi à sa déclaration touchant la maternité; l'acte du 14 pluviôse ne mérite plus aucune croyance, et Virginie devient sans titre pour réclamer aucun état. 4°. Enfin, Virginie n'est soutenue dans la proposition de la preuve testimoniale, ni par les dispositions du Code, ni par la qualité des faits articulés. Aucune des exceptions introduites par l'art, 323, pour l'admission de ce genre de preuyé, ne lui est acquise, puisqu'il n'y a pour elle, ni défaut de titre, ni défaut de possession constante, et qu'elle ne prouve pas avoir été inscrite sous de faux noms, ou comme née de père et mère inconnus. Il résulte de la combinaison des art. 323 et 341 du Code que les réclamans qui se livrent à la recherche de la maternité sont tenus au préalable de rappor ter un commencement de preuve par écrit: or l'acte de naissance de Virginie, n'étant émané ni de la dame Degosse ni d'aucun des siens, ne peut lui servir de commencement de preuve par écrit. Dans l'hypothèse où il suflirait de faits dès

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lors constans, dont parle aussi le même art. 323, en exigeant qu'ils soient assez graves pour rendre présumable celui allégue, Virginie Chady ne satisferait pas plus à la loi ; il n'y a entre elle et la famille Degosse aucun fait constant, puisque le premier de tous, celui de l'accouchement de la dame Degosse en pluviôse an 2, est dénié. Il est improposable de donner pour faits dès à présent constans et assez graves l'énon•ciation même des noms et prénoms de la mère aux actes de naissance. Ces actes, étant contestes, ne peuvent fournir par eux-mêmes la présomption dont la loi s'autorisé pour admettre la preuve testimoniale : des actes argués en leur entier, et alternativement par les deux contendans, n'offrent pas en eux-mêmes le caractère de certude requis pour passer l'admission de la preuve.

à

Le tuteur de la mineure Virginie soutenait, par l'organe de son défenseur, M. Desèze fils, la validité de l'acte de naissance. Il est reçu, disait-il, dans les formes voulues par la loi, l'identité de la dame Degosse, et de la mère de Virginie est constante. L'identité résulte de l'exacte conformité du nom et du prénom inscrits dans un'acte, et des nom et prénoms qui appartiennent à une personne, jusqu'à la preuve contraire. Identitate nominis et cognominis probatur identitas personarum, si non in contrarium probetur diversitas. (Président Favre, lib. 4, tit. 14, de probat. et præs., def. 26.) Si, datis un acte, on ajoute au nom d'un individu quelque désignation, quelque signe, en prouvant la vérité du nom et des désignations, on prouve l'identité. Probando nomen proprium cum aliqua demonstratione et signo, probatur identitas. (Menochius, præs. 15, lib. 6, no 43 et 44.). Un exemple indiqué par cet auteur démontre l'application de ce principe. Qu'un testateur, dit-il, fasse un legs à une femme nommée Clarice, qui habite une telle paroisse, et qu'une femme nommée Clarice, domiciliée dans cette paroisse, se présente, c'est elle qui doit recueillir le legs: Si testator legavit Claratie habi-.. tanti in tali parochia, et compareat una nomine Claratia, que in ea parochia habitet, illi debetur legatum. (Ibid.) Si

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les principes sont clairs, les faits le sont aussi. Il est constant que la dame Degosse n'était autre qu'Anne-Thérèse Buirette, née à Paris, baptisée paroisse Saint-Paul, domiciliée rue Saint-Thomas-du-Louvre, no 248. Son acte de naissance, son acte de mariage, son acte de décès, lè prouvent. Eh bien! cette femme était, au moment de la naissance deVirginie, engagée dans les liens du mariage. C'est un principe que l'acte qui prouve qu'un enfant est né d'une femme mariée prouve par cela seul la paternité du mari, quoique la paternité soit attribuée dans l'acte à un étranger, Ce principe est puisé dans la loi-romaine Miles, 11, §9, ad leg. Juliam, de adultër. Non utique crimen adulterii quod mulieri objicitur infanti præjudicat, quum possit et illa adultera esse, et impubes pa trem defunctum habuisse. (Voyez aussi M. d'Aguesseau, affaire de Vinantes, t. 2, 3e plaid.) H n'en faudrait pas davantage pour justifier la réclamation de Virginie; mais la preuve testimoniale achèvera de dissiper tous les doutes, et on ne peut la refuser. Quand il est prouvé qu'un enfant est né, disait Cochin, dans la cause de la demoiselle Ferrand, et qu'il n'y a aucune preuve de son décès, en sorte qu'il ne s'agit que savoir si celui qui se présente est le même enfant, non seule ment on ne peut refuser la preuve testimoniale; mais, on ose le dire, c'est une preuve souverainement nécessaire, et mê→ me, pour ainsi parler, la seule à laquelle on puisse recourir. Exige-t-on un commencement de preuve par écrit? Il existe,. puisque les noms que Virginie possède sont consignés dans un acte reçu par un officier public, et qu'on ne chercle qu'à prouver que l'individu qui rapporte eet acte est le même pour qui on l'a dressé, et qui en a toujours porté les noms. Cet acte fournit également un commencement de preuve par écrit, pour le cas même où il s'agirait de prouver l'identité de la mère et le fait de l'accouchement. Il ne suffit pas de le contester, comme le prétend le sieur Degosse, pour faire rejeter la preuve testimoniale: autrement elle ne serait jamais admise; on contesterait tous les actes qui peuvent donner lieu à cette preuve. Mais, dans l'espèce, le com

de

mencement de preuve écrite n'est même’j

'pas nécessaire, parce que, toutes les fois qu'il ne s'agit pas de détruire un titre, il n'est pas besoin d'un commencement de preuve par écrit pour être admis à la preuve testimoniale. Il suffit de poser des faits précis et pertinens, accompagnés de présomptions fortes, d'indices violens, et on trouve tout cela dans la cause. Ainsi, sous aucun rapport, la preuve testimoniale ne peut être écartée.

Le 15 juillet 1808, ARRÊT de la Cour d'appel de Paris, re chambre, président M. Seguier, par lequel :

« LA COUR,-Sur les conclusions conformes de M. le procureur-général,-Faisant droit sur l'appel du jugement rendu au tribunal civil du département de la Seine, le 26 janvier dernier;-Attendu que la mineure Virginie réclame un état contraire à son acte de naissance et à sa possession d'état; qu'elle ne produit aucun commencement, de preuve par écrit, et qu'il n'existe dans la cause ni indices ni faits constans assez graves pour faire admettre à la preuve; A Mis et MET l'appellation et ce dont est appel au néant; émendant, évoquant le principal et y faisant droit, sans s'arrêter ni avoir égard aux faits articulés par Bourbonne, au nom de tuteur de la mineure Virginie, lesquels faits la Cour déclare inadmissibles, déclare pareillement ledit Bourbonne, audit nom, non recevable dans sa demande; fait défense à Virginie de prendre le nom de Degosse; condamne ledit Bourbonne, audit nom, en l'amende de son appel, et en tous les dépens. »

Nota. Voici ce que M. Toullier dit de cet arrêt, qu'il rapporte tome 2, p. 164, de son Cours de droit civil,: « Cette Cour (celle de Paris) pensa que la déclaration de Chady, se disant père de l'enfant, qu'il attribuait à une mère avec laquelle il n'était pas marié, ne pouvait faire contre l'épouse du sieur Degosse ni une preuve ni un commencement de preuve par écrit, puisque cette déclaration n'était pas émanée d'elle. Et, eu effet, cette déclaration, qui n'aurait eu aucune force contre une fille libre (art. 336), ne pourrait en

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