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On trouve dans les livres de jurisprudence une infinité d'arrêts qui, sans égard pour l'inconduite de la mère, ont jugé en faveur de la légitimité de l'enfant. Il en est deux surtout qui font époque dans les fastes de la jurisprudence ancienne et moderne, l'un du 15 juin 1693, intervenu dans la cause du sieur Bouillerot de Vinantes, sur les conclusions conformes de M. d'Aguesseau, et l'autre rendu par la Cour de cassation, le 4 vendémiaire an 9, dans la cause célèbre du sieur Feger-Kerhuel, négociant à Bordeaux (1).

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Quoi qu'il en soit, il faut convenir que la règle Is pater est ne doit pas être, dans son application, portée au delà des justes bornes :,car, si les enfans sont favorables, la loi, pour l'honneur et le maintien des mœurs, doit aussi sa protection aux máris. Si la femme est adultère, où sera la certitude de la légitimité de l'enfant ? Qu'il est à plaindre l'homme qui, croyant trouver dans l'union conjugale cette tendre affection, cettesensibilité touchante, cet attachement réciproque qui font le bonheur des époux, n'y rencontre que la honte et le désespoir! Elle est bien affreuse la situation d'un mari que les désordres de sa femme réduisent au double malheur.et de nourrir les enfans de l'adultère, et de n'oser, dans le doute affreux qui le glace, presser contre son cœur ses propres enfans! Le mariage est une chaîne dont la fidélité de la femme est le principal anneau : vient-il à se rompre, tous les autres se détendent et se brisent; l'amour fuit, la haine prend sa place; ce n'est plus que désordre affreux dans la famille, et les malheureux enfans sont les premières victimes de la discorde de leurs parens. — Cependant les juges, dans de pareilles hypothèses, ne peuvent se déterminer que d'après les circonstancès et les présomptions plus ou moins graves qui en résultent. La détention du mari, dans l'espèce, n'aurait pas été ún motif suffisant pour autoriser le désaveu, si d'ailleurs la femme eût paru à l'abri de reproches : car il n'y avait pas

(1) Voyez le nota à la fin de l'article.

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mpossibilité physique de rapprochement. Un gardien peut Etre facilement corrompu; et, dans les temps les plus orageux de la révolution, on a vu des geôliers flexibles céder aux armes de la beauté, aux sollicitations pressantes de l'amour ngénieux et suppliant, et quelquefois à un argument. plus irrésistible encore! Mais la Cour de Toulouse a été déterminée par une masse de présomptions tellement fortes, qu'il était impossible de résister à l'évidence.

Voici au surplus les faits qui ont amené la contestation. Le 15 vendémiaire an 2, le sieur C... fut arrêté comme suspect, et conduit dans les prisons de Villefranche. - Pendant sa détention, la dame G... son épouse s'abandonna aux plus grands désordrės; en sorte que le mari, instruit de sa vie scandaleuse, fit avec elle, le 27 vendémiaire an 3, un traité portant qu'elle quitterait de suite la maison maritale, et s'engagea‚· sous cette condition, à lui faire une pension de 650 fr. Le 25 brumaire an 3, le sieur C... est mis en liberté. Le 28 du même mois, il forme contre sa femme une demande en divorce pour déréglement de mœurs et pour adultère. La dame G..., retirée à Toulouse, y accouche, le 14 nivôse de la même année, d'un enfant qu'elle fait présenter par l'officier de santé, et inscrire sur les registres de l'état civil, comme fils légitime, issu de son mariage avec le sieur C... — Le 22 du même mois, elle fait, par le ministère d'un huissier, notifier à son mari la naissance de cet enfant. - Plús de deux années s'écoulent sans que les parties donment suite à leurs prétentions respectives; mais au mois de pluviôse an 5, la dame G... dirige contre son mari une demande en paiement de ses frais de gésine et d'alimens fournis à l'enfant. Alors celui-ci reprend son action en divorce, et conteste à l'enfant l'état de fils légitime.

Le 29 floréal an 5, jugement qui renvoie à faire droit sur T'action en désaveu, après qu'il aura été statué sur la demande en divorce, et provisoirement condamne le mari à payer à sa femme, pendant l'instance, une pension de 650 fr., et 24 fr: par mois pour les alimens de l'enfant; admet, au sur

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plus, le sieur C... à la preuve des faits d'inconduite et d'adultère articulés contre la dame son épouse, etc.

Des témoins sont entendus : l'enquête est concluante; et, le 19 pluviôse an 7 intervient jugement qui prononce le divorce, motivé sur les preuves acquises de l'adultère et de la prostitution. La dame G... décède peu de temps après,— Le sieur C... poursuit son action en désaveu contre l'enfant, pourvu à cet effet d'un tuteur ad hoc.

Lei fructidor an 12, nouveau jugement du tribunal civil de Villefranche, qui, vu l'acte de naissance de l'enfant et sa possession d'état pendant plus de deux années, le déclare légitime.

Appel. Et, le 28 juillet 1808, ARRÊT infirmatif de la Cour d'appel de Toulouse, MM. Barrué et Flottes avocats, par lequel:

« LA COUR, Considérant que la fin de non recevoir opposée au sieur C... est prise de la prétendue possession d'état de Marie-Basile-Edouard pendant plus de deux ans, et du silence du sieur C... pendant ce même espace de temps; mais que, sous l'un et l'autre rapports, ce moyen n'est pas fondé. D'abord il est constant, tant d'après les anciennes que d'après les nouvelles lois, que ce qui constitue la possession d'état d'un enfant est le traitement filial'; et, pour se servir des termes du Code civil, qui, à cet égard, n'a pas introduit un droit nouveau, les principaux faits qui constituent la po session d'état sont que l'individu a toujours porté le nom du père auquel il prétend appartenir; que le père l'a traité comme son enfant, et a pourvu en cette qualité à son éducation, son entretien et à son établissement; qu'il a été reconnu constamment pour tel dans la société, qu'il a été reconnu pour tel dans sa famille. Or il est constant qu'aucun de cès faits ni autres semblables n'existent dans l'espèce actuelle; que ledit C... n'a jamais appelé ledit Marie- Basile-Edouard son fils; qu'il n'a pourvu volontairement ni à son entretien ni à son éducation; et qu'au contraire il l'a toujours désavoué dans 40 toutes les occasions: d'où suit que ledit Marie-Basile-Edouard

à

n'a jamais eu la possession d'état de fils légitime ni naturel du sieur C.... En second lieu, et relativement au silence qu'on reproche audit G... d'avoir gardé pendant plus de deux ans, la Cour a reconnu que la législation antérieure au Code. civil ne fixait point de délai fatal pendant lequel le mari fût astreint à désavouer l'enfant auquel sa femme avait donné le jour, et qu'il était toujours reçu à former ce désaven, lors-. que d'ailleurs il ne résultait pas de sa conduite qu'il se fût reconnu directement ou indirectement le père de l'enfant sur l'état duquel il s'agissait de statuer; que, si le législateur a cru devoir insérer dans le Code civil des délais de rigueur après lesquels le père ne peut plus former la demande en désaveu de paternité, cette disposition législative, introduisant un droit nouveau, ne peut recevoir son application à uue demande en désaveu formée plusieurs années avant la publication dudit Code; que décider autrement serait donner un effet rétroactif à la loi, et violer l'art. 2 de ce même Code, qui consacre à jamais ce principe, que la loi ne dispose que pour l'avenir; étant d'ailleurs sensible que le sieur C... ne pouvait pas exécuter en l'an 3 une disposition législative qui n'a été faite et publiée qu'en l'an 11: or-il est constant, en point de fait, qu'au même instant où la G.. réclama en justice les frais de couches et une pension pour l'entretien de l'enfant, il renouvela à son tour, et dans les formes voulues par la loi', sa déclaration en désaveu, qu'il voulait faire prononcer sur la question d'état en même temps que sur la demande en divormais que le tribunal nanti de la contestation ne voulut pas cumuler ces deux objets, et renvoya à prononcer sur la question d'état après qu'il aurait prononcé sur le divorce; et. que, par jugement du 29 floréal an 5, ce tribunal, en admettant ledit C... à la preuve des faits relatifs au déréglement de mœurs, et en accordant une pension provisoire de 24 francs par mois pour l'enfant, déclara que c'était sans préjudice sur la question de légitimité, et réserva tousses droits à cet égard audit C..., réserve qui fut encore réitérée dans le jugement définitif du 19 pluviôse an 7, qui statua sur le divor

ce;

ce: d'où suit que la fin de non recevoir est mal fondée, sous quelque rapport qu'on l'envisage; Considérant, sur la seconde question, que, pour être toujours juste et jamais pernicieuse, la règle Is pater est quem nuptio demonstrant a de tous les temps reçu des exceptions qui la confirment au lieu de la détruire; que, comme on l'a rappelé au Corps législatif lors de la confection du Code civil, cette règle est fondée sur une simple présomption, et qu'une présomption ne peut porter le caractère de l'infaillibilité; qu'elle doit disparaître devant une preuve positive, et s'évanouir aussitôt que l'évidence des faits lui est contraire;-Considérant qu'il a été reconnu et prouvé que la conception est du mois de germinal de l'an 2; que déjà à cette époque le sieur C... était reclus à Villefranche depuis le 15 vendémiaire précédent, et qu'il ne recouvra sa liberté qué le 25 brumaire an 3;-Considé rant qu'il était résulté des faits et circonstances discutés devant la Cour que la réclusion du sieur C... à été exacte et continuelle pendant tout le temps de sa durée, et qu'à l'épo que de la conception, il n'y a pas eu de cohabitation entre les deux époux;→ Considérant qu'à cela se joignent toutes les circonstances morales qui forcent la raison à transporter l'opinion certaine de la paternité à un autre qu'au mari de la G...; 'que, du moment de la réclusion du sieur C.., sa femme, qui, après huit ans de mariage, n'avait donné aucune marque de fécondité, se vanta qu'elle voulait essayer si c'était par son défaut ou celui de son mari qu'elle ne faisait point d'enfans; que ce propos fut suivi de sa part de la prostitution et d'un concubinage déhonté; qu'elle déclara ellemême le nom de celui qui l'avait rendue enceinte, en réponse au reproche qu'on lui faisait de conserver des relations intimés et criminelles avec cet individu et en même temps avec plusieurs autres; qu'il résulte d'une enquête solennelle. contradictoirement faite avec la G..., et sur le fondement de laquelle fut rendu le jugement de divorce, la preuve la plus complète de l'adultère et des désordres de ladite G...;-Considérant que, malgré que l'adultère ne soit pas le moyen di

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