Images de page
PDF
ePub

la suite de ces deux rapports intervint, le 19 décembre 1806, un jugement par lequel le tribunal, considérant que le demandeur n'appuie sa demande que sur son intention de dessécher l'étang dont il est devenu propriétaire, au lieu de le laisser en eau et d'en jouir de même et ainsi que l'avaient fait ses prédécesseurs; que l'étang inférieur ne peut être assujetti qu'à recevoir les eaux qui découlent naturellement de celui qui lui est supérieur; qu'il est de principe que le propriétaire du fonds supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur, et qu'il est constant dans la cause que le sieur Durand, tant par lui que par ses prédécesseurs, jouit sans trouble et de temps immémorial de l'étang Neuf, tel qu'il est actuellement; déclare le sieur Chantreau non recevable dans sa demande.

Le sieur Chantreau appela de ce jugement; mais, par arrêt du 23 juin 1807, la Cour de Paris, adoptant les motifs des premiers juges, déclara qu'il avait été bien jugé.

Pourvoi en cassation pour violation des principes en matière de servitude.

[ocr errors]

Les juges de première instance et d'appel, disait-on pour le sieur Chantreau, ont renversé l'ordre naturel et légal des choses, en rendant le fonds supérieur serf du fonds inférieur. Avant que les auteurs du sieur Chantreau eussent formé l'étang Pinard, ils jouissaient du droit de faire écouler les eaux de leur fonds sur le fonds voisin. Le propriétaire de celui-ci ne pouvait rien faire qui mît obstacle à cet écoulement, et depuis lors ils n'ont point entendu abolir une telle servitude. L'étang Neuf fut construit, en 1709, par le seigneur du lieu, à la prière des habitans; mais ce seigneur ne put élever les eaux que pour cet usage seulement, sans submerger les terres voisines. Tant que l'étang Pinard a existé, les auteurs du sieur Chantreau n'ont eu aucun intérêt à empêcher la formation de l'étang Neuf, ou à exiger l'abaissement de son relais; mais aussitôt que le sieur Chantreau a voulu mettre son terrain dans son premier état, il a pu demander la destruction de tout ce qui s'opposait au droit de faire couler ses

[ocr errors]

eaux sur les propriétés environnantes. L'exercice seul de cette servitude avait été interrompu; mais le droit en luimême n'avait jamais cessé d'exister, car il résulte de la situation des lieux, ou plutôt de la nature elle-même. Le demandeur a donc une action pour forcer le sieur Durand de changer des constructions qui nuisent au fonds supérieur, en y retenant les eaux, dont le cours naturel est de descendre. Cela est conforme à la doctrine de Pothier, deuxième append., du Voisinage, nos 256 et 259, et à celle du Code civil, art. 639 et 640. D'un autre côté, les juges de première instance et d'appel ont admis que le sieur Durand est le maître de tenir le relais de son étang à la hauteur où il se trouve actuellement. Mais ce droit, s'il existait, ne pourrait réșulter que d'une prescription, puisque le sieur Durand n'a point de titre. Or la Coutume de Champagne, qui régissait les parties, ne dit pas si une servitude peut être acquise sans titre et par prescription: il faut donc recourir aux Coutumes de Paris et d'Orléans, qui, dans le silence des autres Coutumes, formaient le droit commun de la France, et ces Coutumes exigent un titre, la première par l'art. 116, la seconde par

l'art. 225.

On répondait, pour le sieur Durand, qu'en supposant que, d'après la situation des lieux, le propriétaire du fonds inférieur eût autrefois été obligé de recevoir les eaux qui ont formé l'étang Pinard, le propriétaire du fonds supérieur, en creusant cet étang pour les y retenir, aurait depuis longtemps restreint la servitude dont il jouissait, puisque dès lors le fonds inférieur n'aurait reçu les eaux dont il s'agit que périodiquement, lors de la pêche ou d'une crue extraordinaire; que, si maintenant le sieur Chantreau veut faire écouler l'eau de son étang pour le dessécher, le nouveau cours qui en résulte ne provient plus de la nature, mais du fait de l'homme, et ne doit point nuire au propriétaire de l'étang Neuf. Dès lors les art. 639 et 640 du Code civil, loin de condamner le sieur Durand, sont entièrement en sa faveur. Bien que les

ouvrages de l'étang Neuf occasionrent le reflux de ses eau sur le fonds supérieur, il ne sera pas tenu d'y rien changer La prescription a consolidé l'état actuel des choses. La Cou tume de Champagne n'a mis aucun obstacle à cette prescrip tion, puisqu'elle gardait le silence sur ce point, et que le autres Coutumes n'étaient en quelque sorte, pour les juge locaux, que des autorités auxquelles ils n'étaient pas rigoureusement tenus,de se conformer. L'arrêt attaqué est donc à l'abri de toute atteinte..

Le 30 août 1808, ARRÊT de la Cour de cassation, section civile, M. Viellart président, M. Castellamonte rapporteur MM. Prieur et Tripier avocats, par lequel :

« LA COUR, -Sur les conclusions de M. Lecoutour, substitut du procureur-général;-Attendu 1o que l'on n'a aucun renseignement sur l'état et la position des terrains contentieux, antérieurement à leur formation en étangs, ni sur les conventions qui ont pu avoir été passées lors de cette formation entre les propriétaires respectifs; 2o que l'arrêt dénoncé a établi en point de fait que les étangs dont il s'agit existent depuis un temps immémorial dans l'état où ils se trouvent, et que la réduction de l'étang du demandeur en état de culture ne peut s'effectuer entièrement qu'en faisant perdre à l'étang du défendeur onze arpens en surface d'eau sur environ vingt-sept dont il se compose;—Que, d'après cela, et sans entrer dans l'examen si le défendeur a pu, sous l'empire d'une Coutume muette sur ce point, se libérer d'une servitude, ou l'acquérir par la prescription sans titre, les faits susénoncés ont dû suffire pour autoriser la Cour d'appel de Paris à refuser au demandeur le droit de changer cet état de choses aussi ancien en nuisant à la propriété de son voisin; -Que l'art. 640 du Code civil est étranger à l'espèce: car il ne s'agit point ni d'eaux qui découlent naturellement, et sans que la main de l'homme y ait contribué, du fonds supérieur au fonds inférieur, ni d'une digue formée par le dé fendeur pour s'y opposer; mais il est question d'eaux que le

demandeur veut rejeter par son fait sur le fonds voisin, dont alles relais existent à la même hauteur depuis un temps immémorial;-REJETTE, etc. »

Observations. La question jugée par cet arret se trouve aussi décidée par les lois romaines, au titre du Digeste, de aqua et aquæ pluvic arcendæ. En effet, la loi 1, § 10 de ce titre, dit que, si le flux ou le reflux de l'eau ne résulte pas de la situation naturelle des lieux, mais de quelque ouvrage fait de main d'homme, le propriétaire du fonds inondé peut demander la destruction de cet ouvrage. Quod si, opere facto, aqua aut in superiorem partem repellitur, aut in inferiorem derivatur, aquæ pluvia arcendæ actionem competere. Et cette décision est une conséquence de la règle générale que l'obligation du fonds inférieur de recevoir les eaux du fonds supérieur est une servitude purement naturelle, agri natu-. ram esse servandam, et semper inferiorem superiori servire. L. 1, Sult., ff., dict. tit. Mais cette règle a ses exceptions, et la principale a lieu lorsque l'ouvrage dont le voisin demande après coup la destruction a été fait à son vu et su, sans qu'il ait réclamé. Labeo ait : Si patiente vicino opus faciam, ex quo ei aqua pluvia noceat, non teneri me actione pluvia arcendæ. L. 19, dict. tit. Dans ce cas, et lorsqu'il s'est écoulé un certain temps, le nouvel état des lieux est considéré comme une seconde nature qui a tous les priviléges que la position primitive des lieux assurait aux héritages limitrophes. La situation actuelle de ces héritages produit une espèce de servitude aussi respectable que la première, et rien n'autorise à demander, après un long espace de temps, la suppression d'un ouvrage qu'on n'a pas empêché de construire dans le principe, et dont on ne s'est pas plaint depuis. Si tamen lex agri non inveniatur, VETUSTATEM VICEM LEGIS TENERE. Hoc enim utimur, ut ubi servitus non invenitur imposita (conventione expressa), qui diu usus est servitute, neque vi, neque precario, neque clam, habuisse longa consuetudine, vel ex jure impositam servitutem videatur..... Dict. L. 1, Sul. Et c'est précisément ce qu'a jugé la Cour de cassation,

en partant du point de fait établi par l'arrêt attaqué, que les étangs dont il s'agit existent depuis un temps immémorial dans l'état où ils se trouvent, pour décider que ce même arrêt avait bien fait de refuser au demandeur le droit de changer cet état de choses aussi ancien, et de consacrer ainsi la règle qu'en cette matière, vetustas vicem legis obtinet.

COUR DE CASSATION.

Le vendeur a-t-il trente ans pour réclamer le remboursement de la contribution foncière qu'il a payée à la décharge de l'acquéreur, expressément obligé de l'acquitter? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 2262 et 2277.

LA RÉGIE, C. LE SIEUR ALLard.

En nivôse de l'an 6, le sieur Allard se rend adjudicataire d'un domaine national, à la charge d'acquitter la contribution foncière de l'année courante; mais il ne le fit point, et ce fut la Régie qui paya l'impôt, Le 2 janvier 1807, contrainte décernée contre le sieur Allard pour restitution de la somme payée en son acquit. Opposition de la part de ce dernier, sous prétexte qu'en matière d'impôt, la prescription de cinq ans était reçue, et que le silence de la Régie pendant ce temps la rendait non recevable. Jugement du tribunal civil de Bressuire, qui admet la fin de non recevoir, sur les motifs que, soit que la somme demandée représentât l'impôt ou des fermages, l'action était également prescrite, dans le premier cas par trois ans, dans le second par cinq; que d'ailleurs le gouvernement avait fait remise des contributions antérieures à l'an g. - Pourvoi de la Régie pour fausse application des lois qui admettent la prescription tant triennale que quinquennale, et pour violation de l'art. 2262 du Code civil.

Le 50 août 1808, arrêt de la Cour de cassation section civile, M. Liger-Verdigny rapporteur, par lequel:

« LA COUR,-Sur les conclusions de M. Lecoutour, sub

22

21

« PrécédentContinuer »