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COUR DE CASSATION.

Un émigré amnistie est-il recevable dans sa ticrce opposition à des jugemens rendus contre sa femme pendant son absence, et qui leur attribuent pour fils un enfant qu'elle a désavoué et que lui-même méconnaît? (Rés. aff.) En d'autres termes, la chose jugée sur l'état de l'enfant. contre la mère, pendant la mort civile du père, est-elle irrevocables à l'égard de celui-ci, en telle sorte que, rendu à la vie civile, le `non recevable à contester de nouveau l'état de l'enfant ? (Rés. nég.)

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père soit

LE SIEUR VOYNEAU, C. AUGUSte.

Du mariage du sieur Vorneau avec la demoiselle Monsorbier sont issus deux enfans, une fille et un garçon: ce dernier naquit le 9 septembre 1789, et fut nommé Auguste. Cette famille habitait le département de la Vendée.

En 1792, le sieur Voyneau abandonne la France, sa femme et ses enfans, et va chercher, sur un sol étranger, un abri contre les persécutions révolutionnaires qui, suivant lui, le menaçaient au sein de sa patrie. En 1795, des mouvemens de guerre se manifestent sur divers points des départemens de l'ouest. Bientôt c'est un incendie qui embrase toute cette malheureuse contrée.

Les circonstances obligent la dame Voyneau à mener une vie errante et vagabonde, quittant les lieux où arrivaient les colonnes armées, et retournant vers les points qu'elles avaient abandonnés.

Il paraît que, dans ses différentes courses, elle emmenait ordinairement avec elle ses deux enfans. Mais obligée, au mois de juillet 1793, de quitter précipitamment la Rochesur-Yon, à l'approche de l'armée des Sables, la dame Voyneau ne prend cette fois que sa fille, et laisse le petit Auguste au village de la Fauconnière, à la garde d'une ancienne femme de chambre, nommée Rose Séguin, native de 'ce village, et qui s'y retrouvait au sein de sa famille.

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Le 27 février 1794, le village de la Fauconnière est ravagé, incendié; une partie des habitans sont massacrés; Rose Séguin est du nombre des victimes. Mais que devient lé petit Auguste dans ce désastre affreux? Est-il mort? Les fureurs de la guerre auraient-elles, au contraire, respecté son jeune âge, son innocence?

L'un et l'autre fait sont respectivement contestés.

Cependant, vers la même époque, des commissaires aux subsistances, parcourant la Vendée, trouvent, aux environs de Saint-Pezanne, village qui n'est pas très-éloigné de celui de la Fauconnière, et qui avait subi le même sort, trois malheureux enfans que l'incendie et la mort avaient épargnés. Ces commissaires sont émus de compassion à la vue de ces infortunés, et les emmènent à Nantes. L'un d'eux est charitablement recueilli par une dame Clavier, marchande de cette ville.

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Après bien des perquisitions sur la famille de cet enfant, on croit reconnaître qu'il est le fils de la dame Voyneau, que c'est cet Auguste laissé à la garde de Rose Séguin, dans le village de la Fauconnière. Mais la dame Voyneau a soutenu que l'enfant qu'on lui présentait n'était pas le sien, et que son fils Auguste avait péri avec sa gouvernante.

Ce désaveu a donné lieu à une contestation; et, le 24 nivôse an 6, le tribunal de Fontenay a rendu un jugement contradictoire entre la dame Voyneau et le tuteur de l'enfant, qui déclare ce dernier fils de la dame Voyneau. Appel devant le tribunal civil des Deux-Sèvres. Le 6 fructidor an 7, jugement confirmatif.

Après son amnistie, le sieur Voyneau forme tierce opposition à ce jugement; et, le 23 juillet 1806, arrêt de la Cour d'appel de Poitiers, qui l'y déclare non recevable. Cet arrêt est ainsi conçu « Considérant que, lorsque la partie de Fromentin (Auguste) a réclamé l'état et le nom d'enfant légitime du sieur Voyneau et de la dame son épouse, et qu'il s'est fait maintenir en possession de son état par les jugemens des tribunaux civils des départemens de la Vendée et des

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Deux-Sèvres, l'un confirmatif de l'autre, le sieur Voyneau était émigré, et par conséquent mort civilement ; que, pendant que le sieur Voyneau était ainsi émigré et mort civilement, les droits de la paternité résidaient dans la personne de son épouse, comme ceux de la maternité; que l'enfant ne pouvait réclamer son état que contre la dame Voyneau, qui était alors la représentante de son mari et seule. capable pour défendre à la question d'état dont il s'agissait; que la voie de la tierce opposition est interdite à ceux qui ont été représentés; que la chose jugée contre la dame Voyneau, relativement à la question d'état dont il s'agissait, l'est irrévocablement contre le sieur Voyneau lui-même, comme représenté par la dame son épouse pendant le temps de son émigration et de sa mort civile, et que le jugement, objet de la tierce opposition, est l'un de ces actes qu'il doit res→ pecter après son amnistie, aux termes du sénatus-consulte du 6 floréal an 10, et de l'avis du conseil d'Etat, du f1 prairial an 12, ledit jugement étant revêtu de sa forme extérieure et matérielle. >>

Pourvoi en cassation pour violation de l'art. 2, tit. 35, de l'ordonnance de 1667.

On disait, pour le sieur Voyneau, demandeur: Suivant l'art. 2 du tit. 35 de l'ordonnance, celui qui n'a pas été partie ou dûment appelé dans un procès peut se pourvoir à fin d'opposition contre les arrêts et jugemens en dernier ressort qui lui sont préjudiciables. Or les jugemens de l'an 6 et de l'an 7, qui étaient l'objet de la tierce opposition si indiscrètement rejetée par la Cour de Poitiers, ont été poursuivis et rendus contre la dame Voyneau seule. Elle seule a été appelée et mise en cause: ils sont donc étrangers à son mari. Si celui-ci n'a pas pu être cité à raison de son émigration et de la mort civile qui en était la conséquence, il avait, dans le fisc, un représentant légal, de même que, dans les actions ordinaires, le mort est représenté dans la personne de ses héritiers. En effet, en confisquant les biens des émigrés et en promettant des secours à leurs enfans, la

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loi, à l'égard de ceux-ci, s'est en quelque sorte mise à la place des émigrés eux-mêmes donc le fisc devait être appelé dans la cause du prétendu Auguste Voyneau, puisqu'on de supposait être l'enfant d'un émigré.

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On ne conçoit pas bien ce qu'a voulu dire la Cour d'appel en établissant que la femme était la représentante du mari, et que les droits de la paternité résidaient dans sa personne comme ceux de la maternité. — Cela peut être, exact relativement à la puissance paternelle; mais du reste ce système mènerait aux conséquences à la fois les plus funestes et les plus absurdes : car il en résulterait que la femme, pendant la mort civile du mari, pourrait reconnaître comme siens et faire entrer dans sa famille des enfans qui ne fui appartiendraient pas, sans que le mari rendu à la vie civile, ‘ou ses héritiers, à son défaut, eussent jamais le droit de contester l'état de ces intrus, ni d'écarter cette progéniture pa rasite.

En dernière analyse, il n'y a rien de jugé, à l'égard du demandeur, dans les jugemens rendus contre sa femme, puisqu'il ne fut ni ne put être appelé, puisque enfin le fisc, seul capable de le représenter, ne l'a pas été davantage. Ainsi, en rejetant sa tierce opposition, les juges d'appel ont contrevenu à l'article cité de l'ordonnance et faussement appliqué l'exception qu'elle établit à l'égard de ceux qui, n'ayant pas été parties dans les jugemens attaqués, y ont été représentés et par conséquent défendus.

Telle était la principale ouverture à cassation proposée par le demandeur.

L'arrêt attaqué, répliquait le défendeur, a-t-il violé les lois en déclarant le sieur Voyneau non recevable dans sa tierce opposition? La négative est incontestable. Et d'abord, le sieur Voyneau est non recevable, parce que son fils ne devait ui ne pouvait l'appeler dans l'instance. Quelles sont les personnes à qui la voie de la tierce opposition est ouverte? L'ordonnance de 1667, tit. 55, art. 5, n'ouvre cette voie qu'à ceux qui n'ont point été parties dans le jugement qu'on

leur oppose, et qui ne sont ni héritiers, ni successeurs, ni ayans cause de ceux avec lesquels il a été rendu.

Mais ce n'est point assez, pour être reçu à la tierce opposition, qu'on n'ait pas été partie dans le jugement: il faut encore qu'on ait dû l'être. Il faut, suivant Denisart, avoir qu lors du jugement une qualité qui ait obligé de nous y appeler. On n'attaque un jugement que parce qu'il est préjudiciable, que parce qu'il nous dépouille d'un droit que nous avions la faculté d'exercer. Or, dans les années 6 et 7, le sieur Voyneau pouvait-il se présenter devant les tribunaux de la Vendée, pour y contester avec sa femme l'identité d'Auguste?; Non, sans doute: la mort civile dont il se trouvait frappé à ces deux époques était à son égard un obstacle insurmontable. Ainsi les jugemens contre lesquels le sieur Voyneau prétend se pourvoir ne l'ont pas privé d'un droit qu'il pouvait alors exercer; ainsi l'arrêt attaqué s'est conformé à l'ordonnance en le déclarant non recevable dans sa tierce opposition à des jugemens lors desquels il n'y avait ni obligation. ni même possibilité de l'appeler. *

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L'ordonnance, au surplus, n'admet la tierce opposition à un jugement qu'autant qu'on n'y aurait point été représenté. Telle est aussi la disposition de l'art. 474 du Code de procédure. Mais le sieur Voyneau a été représenté par la dame son épouse dans les jugemens de l'an 6 et de l'an 7 donc il a dû être déclaré non recevable dans sa tierce opposition à ces jugemens. En effet, après le décès naturel ou civil du mari, c'est à la femme qu'appartiennent tous les droits de paternité et même tous les attributs de la puissance paternelle. Elle peut former tierce opposition au mariage de ses enfans; elle jouit de leurs biens; la tutelle lui appartient de plein droit ; elle a sur eux le droit exclusif de correction; elle peut les émanciper; en un mot, elle cumule tous les droits de la paternité. Il résulte de là qu'elle seule a le droit d'agir contre les individus qui voudraient se ranger au nombre de ses enfans; qu'elle est, dans ce cas, le seul contradicteur légitime; que les jugemens rendus contre elle seule ont la

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