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COUR D'APPEL DE LIEGE.

Le débiteur d'une rente constituée avant le Code civil peutil aujourd'hui être force à la rembourser, s'il laisse écou ler deux années sans en payer les arrérages? (Rés. nég.) C. civ., art. 1909 et 1912.

REYMAN, C. CAMBERLYN.

L'origine du contrat de constitution de rente n'est pas biencertaine; quelques auteurs ont cru en trouver des traces dans les lois 33, ff, de usur., et 2, C., de debit. civitat.-Dumoulin pense au contraire qu'il n'en existe de vestiges que dans la novelle 160, où Justinien décide qu'un prêt fait par la ville d'Aphrodise, et à l'égard duquel les parties étaient convenues que le remboursement du capital ne pourrait être exigé des emprunteurs, n'était pas un véritable prêt à intérêt; que, par conséquent, le cours des intérêts ne devait point être arrêté, quoiqu'ils eussent égalé le principal. Quant à son introduction parmi nous, elle est environnée des nuages les plus épais; il paraît qu'elle est due principalement aux prohibitions si souvent et quelquefois si vainement répétées dans nos ordonnances, de prêter de l'argent à intérêt.

Pothier définit ainsi le contrat de constitution de rente : « Un contrat par lequel l'un des contractans vend à l'autre une rente annuelle et perpétuelle dont il se constitue le debiteur, pour un prix licite convenu entre eux, qui doit consister en une somme de deniers qu'il reçoit de lui, sous la faculté de pouvoir toujours racheter la rente lorsqu'il lui plaira, pour le prix qu'il a reçu pour la constitution, et sans qu'il puisse y étre "contraint.'» On voit que cette définition n'est pas différente de celle consacrée par le Code, art. 1909. On peut stipuler un intérêt moyennant un capital que le prêteur s'interdit d'exiger : dans ce cas, le prêt prend le nom de constitution de rente. » Mais l'art. 1912 ajoute ; « Le dé«biteur d'une rente constituée en perpétuel peut être conTome IX. 45

« traint au rachat, io s'il cesse de remplir ses obligati << pendant deux années, etc. Les dispositions de cet arti peuvent-elles s'appliquer à la rente constituée avant le Co comme à celle qui lui est postérieure? C'est cette questi qui a été décidée dans l'espèce que nous allons rapporter.

Joseph et Marie-Joséphine Reyman devaient au sie Camberlyn et à ses cohéritiers cinq années d'arrérages, éch de 18 avril 1806, d'une rente constituée en perpétuel, le avril 1772. Ils sont poursuivis, non seulement en paieme des arrérages, mais encore en remboursement du capita attendu qu'ils avaient laissé écouler plus de deux anné d'intérêts sans payer. Ils offrent, en première instance, 1 cinq années d'arrérages échus, mais se défendent sur le rem boursement du capital, en se fondant sur ce que l'art. 191 du Code civil ne pouvait avoir d'effet rétroactif, ni par con séquent être appliqué à une rente constituée en 1772.

Leur défense n'est point accueillie.-Jugement de pre mière instance qui les condamne au remboursement. Appel.

Il est un principe certain, incontestable, disaient les appelans, c'est que tout contrat doit être régi par la loi en vigueur au moment où il a été fait, et non par celles qui peuvent exister à l'instant où des contestations s'élèvent sur sa nature ou ses effets. Ce principe est fondé sur la volonté des contractans, qui sont censés avoir voulu que leurs conventions fussent réglées par les lois existantes et qui leur étaient connues, et non qu'elles fussent soumises à des lois futures qu'ils ne pouvaient ni connaître ni prévoir. Appliquer à un contrat une loi qui lui est postérieure, c'est violer la volonté dés contractans, c'est dénaturer leurs engagemens, c'est, en un mot, donner un effet rétroactif à la lõi.

Or quelle était la nature du contrat de rente à l'époque de 1772? Tous les auteurs, tous les jurisconsultes, nous, apprennent qu'il était alors de l'essence de ce contrat que le capital ne pût, dans aucun cas, être exigé du débiteur. Non seulement la loi voulait que le capital ne pût être exigé par

ancier, mais elle ne permettait pas même aux contrac l'y déroger par des conventions particulières, Ainst e, dans un contrat de constitution de rente, on avait é que le créancier pourrait exiger le capital, le contrat nul; il dégénérait en véritable prêt, qui, à cette époque, réprouvé par la loi.

st en vain que l'on dirait que, si le créancier ne peut r son débiteur au remboursement du capital, il ne lui aucun moyen de le contraindre à s'acquitter. Cet argun'a rien de bien péremptoire : il ne s'agit pas de savoir créancier a des moyens ou non de contraindre son débimais bien si, depuis le contrat, sa condition a été dérée ou changée. Quels étaient donc ses droits sous la loi ontrat? Il pouvait saisir-exécuter son débiteur en revendre ses meubles, etc.; mais il ne pouvait, dans aucas, exiger le remboursement du capital. Son sort n'a pas changé, puisque les mêmes voies lui sont toujours rtes. Au surplus, ce n'est pas pour la première fois que ille question s'est présentée à la décision des tribunaux: elle a été résolue, dans un sens favorable aux débiteurs, rrêt de la Cour d'appel de Turin, du 17 décembre 1806, el a déclaré qu'un débiteur en retard ne pouvait être au remboursement, si la cente était antérieure au Code. (1) es intimés répondaient que l'art. 1912, du Code civil de être appliqué aux rentes constituées avant le Code, sans pour cela on pût accuser la loi de rétroactivité. Et en , l'application de cet article ne porte point atteinte à la re du contrat; mais elle établit un nouveau moyen de er le débiteur à s'acquitter. Le mode de contraindre un teur au paiement de ses obligations a toujours été dans le aine dulégislateur: c'est ainsi, par exemple, qu'un débiqui a contracté sous les lois anciennes se plaindrait vaient de ce qu'il est exproprié avec des formes beaucoup

Voy. M. Chabot de l'Allier, dans ses Questions transitoires, tom. 2; 281. Il décide la question en faveur des débiteurs.

plus dispendieuses que celles qui étaient suivies au mom du contrat. D'ailleurs, en matière de rétroactivité, il f bien distinguer les droits établis avant la loi, indépenda ment du fait de l'homme, de ceux qui, quoique exist déjà, avaient cependant besoin du fait de l'homme p étre parfaits car, dans ce dernier, cas', ces droits doiv être soumis à l'empire des lois nouvelles. Appliquant ces pr cipes à l'espèce, il s'ensuit que, le défaut de paiement éta un fait postérieur à la loi, il a pu être régi par elle; qu par conséquent, elle a pu lui attribuer telle peine qu'elle voulu, sans renfermer un effet rétroactif.

Dire que les parties sont censées avoir voulu conformer leu volontés aux dispositions de la loi alors existante n'est qu'un supposition gratuite: car, dès qu'il s'agit de lois impérative ou prohibitives, qui maîtrisent la volonté individuelle et m permettent aux traitans aucune dérogation, toute restriction, toute convention de leur part, deviendraient illicites on illusoires; et, s'ils ne peuvent, à cet égard, faire utilemen des conventions expresses, on ne peut pas, on ne doit pa même en supposer de tacites. Sous tous les rapports, l'appli cation de l'art. 1912 devient donc nécessaire, et le débou tement des appelans indispensable.

Le 13 décembre 1808, ARRÊT de la Cour d'appel de Liége deuxième chambre, par lequel:

« LA COUR, — Attendu que le contrat de constitution de rente, du 18 avril 1772, établit et règle les droits et obliga tions respectifs des parties et de leurs successeurs, pendant la durée de l'existence de cette rente; Attendu que l'obligation d'acquitter les intérêts stipulés ne prend point naissance chaque année, mais que toute obligation, soit à terme, soil conditionnelle, prend sa source et son fondement dans le contrat même constitutif de la rente, puisque autrement il faudrait autant de prescriptions distinctes, correspondantes à chacune des échéances, ce qui n'a jamais été reçu en jurisprudence; Attendu que le rachat de la rente etait essentiellement facultatif aux appelans, et que l'exigibilité du

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capital n'a pas été ni pu être stipulée au profit des intimés, d'après les lois de ce pays, en vigueur au temps du contrat;

De tout quoi il résulte que la condition résolutoire, introduite par l'art. 1912 du Code civil, renferme manifestement un principe nouveau qui ne saurait régir le sort des rentes créées antérieurement à sa publication, sans opérer un effet rétroactif, en imposant au débiteur la charge du remboursement, à laquelle il n'a eu ni volonté ni pouvoir de se soumettre; MET l'appellation et ce dont est appel au néánt; — Emendant, donne acte aux appelans de ce qu'ils ont offert de payer aux jutimés la somme de 263 fr. 95 c pour cinq années d'intérêt de la rente dont s'agit, la cinquième éclue au 18 avril 1806;- Condamne les appelans à se conformer à leurs offres, ainsi qu'aux intérêts de ladite somme, depuis le jour de la demande en conciliation jusqu'à celui des offres faites devant le premier juge; - Condamne, en outre, les appelans aux intérêts de deux années échues au 18 avril 1807 et 1808, pendant le procès, à la somme de 56 florins fr. 58 c.); Déclare les intimés mal fondés dans leurs fins et conclusions tendantes au remboursement du capital; - Condamne les intimés aux dépens de la cause d'appel, ainsi qu'aux trois quarts des dépens de première instance, le dernier quart restant à la charge des appelans. »

Nota. La Cour de Turin, dans l'arrêt cité par les appelans, a consacré, il est vrai, le même principe que la Cour de Liége; mais elle a fait l'application d'une loi différente et très-positive à cet égard : « Attendu, en droit, dit cet ar rêt, que la bulle du pape Pie V, sous l'empire de laquelle cette rente a été constituée, et qui doit être la seule règle des juges, dans l'espèce, interdisait au possesseur d'une rente toute faculté d'en prétendre le rachat de la part de son débiteur.» La bulle du pape Pie V n'a jamais été admise par les tribunaux français.

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