LE PREMIER CONSUL (*) dit qu'il est impossible de déterminer, d'une manière précise, le moment de la conception. Au surplus, on paraît partir d'un faux principe; car il n'y a jamais d'intérêt à priver un malheureux enfant de son état : il n'y en a qu'à forcer ses père et mère à le reconnaître. M. FOURCROY demande si les articles en discussion sont nécessaires. Il est impossible, dit-il, de reconnaître à des signes certains l'âge d'un enfant qui naît. On n'a sur cela que des aperçus ou équivoques ou trompeurs. La question des nais · (*) § A quel terme doit naître l'enfant pour étre légitime. LE PREMIER CONSUL: « Un enfant né à six mois six jours peut-il vivre?» g non.» LE PREMIER CONSUL: On part de données très-vagues. On n'a aucun intérêt à flétrir une créature innocente. Comment sait-on quand un enfant est conçu? Quand les théologiens croient-ils que l'âme entre dans le corps? » FOURCROY: Les uns à six semaines, d'autres à........» LE PREMIER CONSUL: Cette matière donne lieu à des observations de deux sortes: 1° le terme auquel naît l'enfant; 2° l'état dans lequel il se trouve en naissant. On dit que le fœtus est formé à six semaines, il peut donc naître à cette époque. Il naîtra mort; mais il sera né. Né est donc une mauvaise expression dont on se sert dans le projet. Il faudrait dire né vivant. Il peut aussi naître mort à neuf mois. Qu'est-ce qui constate que l'enfant est viable ou non? Quand a-t-il vie dans le ventre de sa mère? » TRONCHET: On pourrait dire l'enfant né à terme avant cent quatre-vingt-six LE PREMIER CONSUL: « Un enfant peut-il naître vivant à six mois? » LE PREMIER CONSUL: « J'adopterais que le père pourra désavouer l'enfant né avant cent quatre-vingt-six jours, et qui survit un certain temps. Mais quand l'enfant est né mort, il doit toujours appartenir au mariage. Quand les ongles viennent-ils aux enfans? » FOURCROY: « Avant six mois. LE PREMIER CONSUL: Si un enfant me naissait à cinq mois, je le prendrais pour être de moi, et je le croirais malgré les médecins. (Tiré des Mémoires de M. Thibaudeau sur le Consulat, pages 452 et 453.) sances accélérées et des naissances tardives a donné lieu à des opinions, et même à des décisions judiciaires très-variées en différens temps et en différens lieux. Il présente sur cet objet un précis de la doctrine des meilleurs auteurs de médecine (a). (a) PRÉCIS PRÉSENTÉ PAR M. FOURCROY, Sur l'époque de la naissance humaine, et sur les naissances accélérées et tardives. La question du terme de la naissance humaine, et surtout celle des naissances tardives, ou du terme prolongé des accouchemens, considérées sous le rapport de la législation, sont peut-être, de toutes les questions médico-légales, celles sur lesquelles on a le plus écrit, et qui ont le plus partagé les naturalistes et les médecins, surtout en 1765, époque d'un procès fameux dans ce genre de causes. Il a paru alors à Paris une foule de dissertations sur cet objet; mais, avant d'en faire mention, il ne sera pas inutile d'exposer au Conseil la doctrine des principaux auteurs qui se sont occupés, avant cette époque, de la question des accouchemens retardés, et du terme de Ja naissance de l'homme. Doctrine de Paul.Zacchias. Parmi ces auteurs, Paul Zacchias est celui qui, dans ses questions médico-légales, a traité le plus méthodiquement et le plus clairement l'objet qui occupe le Conseil. Son mode de discussion faisant le passage entre les auteurs anciens et modernes, et la plupart de ceux qui ont écrit des ouvrages de médecine légale à peu d'intervalle de celui de Zacchias, ne l'ayant qu'imparfaitement imité, il est utile de donner ici un précis de la doctrine de ce savart. Paul Zacchias a consacré le titre II de son premier livre à la question du part légitime et viable, de partu legitimo et vitali; il a divisé le titre en dix questions: La première, sur le terme naturel de la naissance ; La deuxième, de l'accouchement avant le septième mois; La troisième, de l'accouchement à sept mois; La quatrième, de l'accouchement à huit mois ; La cinquième, de l'accouchement à neuf et à dix mois; La sixième, de l'accouchement au-delà de dix mois Les quatre questions suivantes, qui raitent des signes de Penfant né sans viabilité, du nombre des fætus-viables qui peuvent naître d'une seule couche, du jour où le fœtus conçu est animé, enfin, de l'accouchement qui doit être considéré comme avortement, n'ayant point de rapport avec l'objet qui occupe le Conseil, on ne parlera que des six premières. Le terme de la naissance a été traité par Paul Zacchias d'après les données d'Hippocrate et d'Aristote. Voici comment il discute cette première question: Aristote voyant qu'Hippocrate avait admis des naissances depuis sept jusqu'à onze mois, en a conclu que l'homme n'avait point de terme fixe pour sa naissance comme les autres animaux. De là, quelques tribunaux ont légitimé même une naissance de treize mois. Une foule d'auteurs et de jurisconsultes ont adopté l'opinion d'Aristote; ils l'ont appuyée sur la diversité des tempéramens, des saisons et des températures; sur la capacité variée de l'uterus; sur la quantité diverse du sang; sur la nature tout à la fois multipare et paucipare de l'espèce humaine, etc., etc. Zacchias réfute longuement toutes ces raisons. Il n'est pas vrai, suivant lui, que l'homme soit le seul animal dont le tempérament varie: tous les animaux présentent des disparités entre les individus. Pourquoi, d'ailleurs, si la différence de la naissance tenait à celle des tempéramens, cette différence ne serait elle pas aussi multipliée que celle des tempéramens même ? La grandeur de l'uterus varie dans les animaux où l'on n'admet pas la variété de naissance : pourquoi la même femme a-t-elle souvent un accouchement de sept mois et un autre de neuf? La quantité de sang n'est pas une cause de variété de naissance, puisque toutes les jeunes femmes, qui ont moins de sang, devraient accoucher à neuf mois, et toutes les femmes plus âgées, à sept mois cependant on n'observe pas cette constance dans le terme comparé de leurs accouchemens. L'homme n'a point une nature moyenne entre les animaux multipares et les paucipares: il n'appartient qu'à cette dernière classe. En considérant quelques femmes comme paucipares, et quelques autres comme multipares, celles-ci devraient toujours accoucher à sept ou huit mois, et celleslàà neuf ou dix ; et 'on sait que cette constance de rapport n'existe point. S'il était vrai, comme le voulait Aristote, que l'homme n'eût point un terme fixe de naissance, pourquoi ne naîtrait-il pas des individus au delà de onze mois, et d'autres avant sept mois? pourquoi n'y aurait-il pas des naissances à deux ou trois mois, comme à deux ou trois ans ? En renfermant cette latitude entre sept et dix mois, il est cependant remarquable que les enfans nés à dix mois vivent presque tous, tandis qu'il meurt beaucoup de ceux qui naissent à sept mois. Zacchias conclut de cette discussion et de beaucoup d'autres raisons tirées des causes finales, qui n'ajoutent rien à la force de ses raisonnemens, que la nature a fixé un terme à la naissance de l'homme, comme à celle de tous les animaux; que ce terme est l'étendue du neuvième et du lixième mois; que la naissance au septième et au huitième mois est un accident ou une maladie ; M. TRONCHET répond que les questions que ces articles décident se présentant fréquemment, il est indispensable que que la naissance avant le septième est une maladie si grave à cause de la faiblesse du fœtus, que celui-ci ne peut pas vivre que les enfans nés dans le septième et huitième inois peuvent vivre à cause de leur organisation plus rapprochée de la perfection; qu'il existe cependant une latitude de quelques jours en deçà et au-delà du terme naturel pour la naissance de l'homme, comme pour celle de tous les animaux; enfin, que neuf mois est le terme commun de la naissance humaine quoiqu'il y ait plus de ces naissances à sept et à huit mois qu'au delà de dix mois. Zacchias traite avec un soin égal la seconde question relative à la naissance avant le septième mois; le résultat de cet article présente les propositions suivantes : les enfans nés à trois et à quatre mois ne peuvent pas vivre; ceux qui naissent avant sept mois ne sont point légitimes, et sont très-rarement viables. Un accouchement avant sept mois est un avortement : le fœtus qui en provient n'est pas né, ou est censé né mort. La naissance qui a eu lieu avant le cent quatre-vingtdeuxième jour de la grossesse ne garantit ni légitimité, ni viabilité de l'enfant. La troisième question roule sur l'accouchement au septième mois; elle peut être réduite aux résultats suivans: l'homme naît viable au septième mois; néanmoins, les enfans nés à cette époque sont souvent faibles, comme imparfaits, et peu susceptibles de vivre. Les médecins et les jurisconsultes sont d'accord: les premiers en admettent la viabilité, et les seconds la légitimité à cette naissance précoce; cependant c'est presque toujours par une cause contre nature et vio lente que l'accouchement a lieu au septième mois. L'accouchement à huit mois, sujet de la quatrième question, a plus fait varier les opinions relativement aux enfans nés à cette époque, que l'accouchement à sept mois. On a prétendu, d'après une interprétation d'Hippocrate, que les premiers étaient moins viables que les seconds parce que le terme de huit mois, moins naturel que celui de sept ou de neuf mois, supposait une grande fatigue dans le fœtus. Zacchias n'admet point cette raison; il pense que l'enfant né à huit mois, quoique avant terme, est plus fort et plus viable que celui qui naît à sept inois. La cinquième question comprenant l'accouchement à neuf et à dix mois, présente le complé ment de la première, puisqu'elle a rapport au terme naturel de la naissance. Zacchias détermine la latitude de la naissance de l'homme entre le commencement du neuvième mois, et la durée du dixième tout entier, ou même le commencement du onzième : suivant lui, les enfans très-forts naissent au commencement du neuvième mois; les faibles, entre la fin du neuvième et le commencement du dixième. Hippocrate regardait le dixième mois comme l'époque la plus fréquente de la naissance de l'homme. Platon et Aristote étaient dans la même opinion. Les livres sacrés admettent le même terme. Tiraqueau a recueilli beaucoup d'autorités. d'où il a conclu que le dixième mois est le terme le plus fréquent et le plus naturel de la naissance. Enfin, la sixième question traite de l'accouchement au-dessus de dix mois. A travers beaucoup de détails d'érudition, presque étrangers à l'objet dont il s'agit, on trouve pour résultat unique de la discussion à laquelle Zacchias se livre, que l'enfant peut naître à dix mois et quelques jours, deux ou trois au-delà; mais qu'à peine il doit être permis d'étendre ce terme jusqu'à dix jours au delà des dix mois. On voit par cet extrait fidèle que Paul Zacchias est bien persuadé de l'existence d'un terme fixé par la nature pour l'époque de l'accouchement, et qu'il est bien éloigné d'adopter la possibilité des naissances tardives. Doctrine de Haller Haller, l'un des plus savans et des plus illustres physiologistes du siècle dernier, a consacré, dans sou grand ouvrage de physiologie, deux paragraphes à l'objet qui occupe le Conseil (livre xxix, fœtus; sect. v, partus, 2 VIII et IX.). Suivant cet homme célèbre, le temps de l'accouchement doit avoir une certaine latitude, suivant le volume du fœtus, la rapidité de son accroissement. sa descente accélérée, son action sur l'crgane qui le renferme, là sensibilité et la contractibilité de celui-ci; toutes ces causes peuvent l'accélérer, et les causes contraires le retar der. Une chaleur forte augmente l'accroissement du poulet; une faible le retarde. Le ver à soie, qui éclot en vingt-huit jours dans l'Inde, n'éclot qu'en quara te en Angleterre. Aussi, quoique l'accouchement au neuvième mois ou à la quarantième semaine révolue soit le terme le plus constant, et la loi la plus commune de la nature humaine, je crois, dit Haller, que ce terme n'est pas assez fixe pour ne pas admettre une variation un peu en deçà, ou un peu au-delà de cette époque. Il est certain que l'accouchement peut être accéléré par des causes irritantes, la pléthore, la terreur: et retardé par le chagrin, la langueur, le défaut d'alimens ou une maladie lente. Les enfans nés à huit mois sont plus viables que ceux qui sont nés à sept. Pythagore admettait comme naturel le terme de la naissance moindre de deux cent dix jours, ou de sept mois. Cependant, à cause du grand intervalle qui existe entre le septième et le neuvieme mois, j'exigerais, dit Haller, pour être persuadé d'un accouchement accéléré, la fontanelle du fœtus très-large, la bouche plus fendue, les cheveux peu abondans et pâles, les ongles mous ou nuls, la stature moindre que ne l'indiquerait celle des parens, les membres plus grêles, le sommeil plus fréquent, la faiblesse générale, la cécité. En effet, dans le septième mois de la vie du fœtus, la pupille est encore fermée par la membrane de Wachendorf, et l'on n'en voit plus de traces au neuvième mois. Avant le septième mois, le fœtus ne peut pas vivre; cependant des académies célèbres, des médecins habiles, ont reconnu pour terme possible de l'accouchement naturel, le cent quatrevingt-deuxième, le cent quatre-vingt-troisième, le cent quatre-vingt quatrième, le cent quatrevingt-cinquième et le cent quatre vingt-dixième jour. Polybe et Ulpien ont fixé le cent quatre-vingtdeuxième jour pour dernier terme naturel de l'accouchement accéléré. Toutes ces décisions out la loi donne une règle aux juges. Celle qu'on propose est prise de l'opinion la plus universellement reçue parmi les paru suspectes à Haller, quoiqu'il remarque qu'il est bien plus facile de prononcer dans un ouvrage savant, dont l'auteur n'est mû par aucune passion, par aucun motif d'intérêt, que dans le baroù tant de passions et tant d'intérêts agitent les hommes. reau, La superfétation lui paraît pouvoir donner lieu à des accouchemens accélérés. On a écrit des mémoires pour légitimer des enfaus nés à cent soixante-dix-huit, cent soixante-dix-sept, ceut soixante-quinze, cent soixante-treize, cent soixante onze, et même à cent soixante-dix jours, pour trois jumeaux nés le cent soixante-huitième jour : il rejette cependant la possibilité de ces naissances, poussées surtout à cent soixante jours; il blâme les prétentions de ces avocats qui ont voulu faire légitimer un enfant né à cette époque. Que penser de la consultation de médecins insérée dans les Causes célèbres de Pitaval, tome IX, par laquelle on a voulu défendre la légitimité d'un enfant né à cinq mois ou à cent cinquante jours? Quant aux naissances tardives, voici comment Haller s'exprime : Je ne rejeterais pas, dit-il, une limite de quelques jours et même de quelques semaines; mais il me faudra trouver dans la mère des causes de retard, du chagrin, de la langueur; dans l'enfant, des signes d'une conformation parfaite plus qu'ordinaire, la fontanelle plus resserrée, la bouche plus petite, les cheveux plus longs et plus colorés, les ongles mieux formés, des dents, une stature plus grande, une voix plus forte, une vue plus assurée, des os plus durs. Les Romains accordaient au mécompte de la mère le dixième mois tout entier, mais rien au delà. Venette cite un arrêt du parlement de Paris, qui a légitimé une petite fille née au trois cent quatrième jour. Louis cite la femme d'un médecin dont les enfans naissaient après le dixième mois. Sylvius et Lamotte parlent aussi de familles entières nées à sept mois. La jurisprudence a beaucoup varié à cet égard. Des juges ont rejeté des enfans nés le trois cent neuvième et le trois cent douzième jour; des tribunaux en ont légitimé qui étaient nés le trois cent onzième un tribunal danois a légitimé un enfant né à onze mois et quinze jours. Cependant Ulpien et Justinien rejettent fortement cette naissance tardive. On trouve des médecins et des tribunaux qui ont poussé l'indulgence jusqu'à douze mois. Heister parle d'une femme qui est accouchée deux fois à treize mois. On cite des naissances tardives à quatorze, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt, vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre mois, et mème jusqu'à trois ans. A la vérité, ces assertions paraissent peu probables à Haller; il soupçonne ou des calculs mal faits, ou des erreurs volontaires. Il cite des époques constantes de portées dans les animaux, chez lesquels les passions n'ont aucune influence; il rapporte des faits qui prouvent que les secousses les plus violentes n'ont point dérangé le terme prescrit par la nature aiusi, il se prononce manifestement pour une durée limitée dans la grossesse, et contre les naissances tardives. Résultat d'une discussion élévée à Paris, en 1765, sur les naissances tardives. A la même époque où Haller écrivait la partie de l'ouvrage dont on vient de donner l'extrait une cause célèbre fit élever à Paris une grande discussion sur les naissances tardives. Une femme accoucha dix mois vingt jours après la mort de son mari, qui avait eu une maladie de quarante jours, pendant lesquels il était resté dans son lit presque sans mouvement. Comme il s'agissait d'un grand héritage, il s'éleva, de la part des collatéraux, un procès fameux, dans lequel une foule de médecins furent consultés. Il parut pendant les premiers mois de 1765 un grand nombre de dissertations et de pamphlets, dans lesquels les uns soutenaient, les autres rejetaient la possibilité des naissances tardives. Du milieu de cette masse d'ouvrages, dont la plupart semblaient plutôt propres à augmenter qu'à dissiper l'obscurité de la cause, trois se sont fait surtout remarquer, soit par le mérite qui y brille, soit par la célébrité de leurs auteurs. Ils étaient dus à Bouvart, à Antoine Petit et à Louis. Bouvart nia les naissances tardives; Louis soutint le même parti; Antoine Petit voulut en prouver la possibilité et l'existence. Tous les auteurs de médecine légale, une foule de jurisconsultes furent cités, et les autorités les plus fortes et les plus respectables accumulées pour l'une et pour l'autre opinion. Aux premières consultations de chacun de ces trois antagonistes, succédèrent plusieurs répliques, soit de leur part, soit de celle de leurs amis ou de leurs partisans. Les noms les plus fameux dans l'art furent associés aux premiers dans des consultations successives: et la plus grande partie des médecins les plus célèbres de Paris prit part à cette discussion scientifique, où furent consignées toutes les raisons pour et contre. Sans vouloir parcourir les nombreuses diatribes dont la plupart n'ont fait que répéter en d'au tres termes, ou commenter plus ou moins longuement, ce qui avait déjà été dit auparavant, je me contenterai de parcourir rapidement les deux premières dissertations de Bouvart et de Petit, parce qu'elles contiennent tout ce qui est essentiel à l'objet de la discussion dont le conseil s'oc cupe en ce moment. Bouvart commence par énoncer les jugemens contraires à son opinion, pour en discuter ensuite la valeur. Tels sont : 1o un arrêt du parlement de Paris, du 2 août 1649, cité par Boutillier dans la Somme rurale, lequel arrêt légitime une fille née onze mois entiers après le départ de son père; 2o un arrêt cité par Dufresne dans son Journal des audiences, qui déclare légitime une fille née dix mois neuf jours après l'absence du père; 3° une consultation de la faculté d'Ingolstadt, qui prononce la légitimité d'une naissance à douze mois moins douze jours; 4° un arrêt du 6 septembre 1753, cité par Dufresne, qui déclare légitime une fille née onze mois presque révolus après naturalistes, et même on lui a donné plus de latitude. LE PREMIER CONSUL dit que l'enfant étant formé après en la mort de son père; 5° un fait fameux, décrit par Schemkins, sur une femme qui, après avoir eu des douleurs à neuf mois, n'accoucha qu'à dix-huit; fait qui, à cause de sa singularité, fut, dit on, inscrit sur les registres du parlement de Rouen: 6° tous les jugemens ou tous les prononcés dans lesquels on s'est fondé sur les opinions de quelques anciens, tels qu'Aristote, Galien, Pline, Avicenne, etc., qui ne croyaient pas au terme fixe de l'accouchement. La physique des anciens était trop peu avancée pour mériter sa confiance. Les faits anciens du préteur Papirius, qui a légitimé un enfant né à treize mois, et de l'empereur Adrien, qui a pris la même décision à l'égard d'un enfant né à onze mois, lui paraissent dus à l'erreur dans laquelle les ont fait tomber les médecins et les philosophes qu'ils ont consultés. Dufresne s'appuie de l'opinion de beaucoup d'anciens qui voulaient trois cents jours complets pour la perfection de l'accouchement. Bouvart remarque que, s'il en était ainsi, presque aucun enfant ne serait parfait; que le nombre de ceux qui naissent dans le dixième mois est très-faible; que d'ailleurs cette opinion excluerait l'accouchement à onze mois. Il cite la loi des Douze Tables et le Digeste, qui n'admettent pas les naissances du onzième mois, même commençant : Post decem menses mortis natus non admittetur ad legitimam hereditatem. Les Décemvirs ont fixé le terme le plus long des naissances à dix mois révolus. Bonaventure d'Urbin, auteur d'une médecine légale, dit que l'accouchement au commencement du onzième mois est illégitime. Teichmeyer, dans ses Institutions médico-légales, range parmi les systèmes, l'opinion des naissances tardives à onze et à douze mois. Low d'Ersfeld, professeur en droit et en médecine à Prague, auteur d'un Traité complet des questions médico-légales, regarde les naissances tardives du douzième au vingt-unième mois comme fabuleuses et très fausses; il prétend, d'après Hippocrate et les jurisconsultes, que le part humain peut être retardé de deux à quatre jours au-dessus de dix mois, mais non de dix et de quinze au-dessus de ce terme. Après ces citations, Bouvart explique et commente les passages d'Hippocrate, dont il veut que ses adversaires aient mal interprété le texte. Suivant lui, le médecin grec dit positivement que le plus long terme de l'accouchement est de deux cent quatre-vingts jours ou de quarante semaines, ou neuf mois et dix jours, en prenant le mois de trente jours. Les accouchemens de dix et onze mois cités par Hippocrate, n'ont, suivant Bouvart, que le même nombre de jours, et ils ne sont estimés à dix ou à onze mois, que parce qu'il a compté pour deux mois la fin du premier, lors de la conception, et le commencement du dernier lors de l'accouchement. Il discute, entre autres faits relatifs aux naissances tardives qu'il combat, la Consultation de la faculté de Leipsick, citée par Ammann dans sa Med. crit., par laquelle on a déclaré légitime un enfant né treize mois après la mort du mari; il fait voir que cette consultation est d'un style ambigu, embarrassé, et que la conclusion a été dictée par la crainte, et arrachée par la qualité et la puissance de la personne qu'elle concernait; il motive surtout cet avis, en citant une autre opinion de la même faculté de Leipsick, qui, sept ans avant la précédente, avait refusé, en style trèsnet, la légitimité à un posthume de dix mois neuf jours; il pense que les naissances tardives, admises de bonne foi et sans aucun intérêt par les mères, ne proviennent que de leurs mauvais calculs; il finit par faire observer qu'en supposant même l'existence des accouchemens tardifs, il faudrait les ranger parmi les cas rares, contre nature, comme des exceptions à l'ordre naturel, qui ne doivent pas être adoptées par les tribunaux. Il consent que, pour ménager l'honneur des mères et pour assurer l'état des enfans, on étende à dix mois quelques jours le terme le plus long de la grossesse. Louis, le chirurgien, dans un mémoire contre la légitimité des naissances tardives, adopte entièrement le sentiment de Bouvart. Son ouvrage, qu'on peut regarder comme un assez long commentaire de la consultation de celui-ci, ne contient presque rien de plus. Il emploie les mêmes autorités, les mêmes citations, les mêmes raisonnemens: il leur donne seulement beaucoup plus de développemens; mais il n'a rien ajouté à la force des raisons de Bouvart. Il s'est fait lire dans le temps, à cause de son style assez agréable, de la clarté de ses idées, et de la mé thode qui règne dans sa dissertation: elle paraît avoir été écrite pour les gens du monde. Antoine Petit, dans une longue consultation siguée, comme celic de Bouvart, par plusieurs médecins de Paris, plus ou moins habiles et renommés, a soutenu une opinion diametralement opposée aux deux précédentes. Il commence par citer un grand nombre d'auteurs qui ont adopté les naissances tardives, soit parmi les anciens, soit parmi les modernes; il range même dans cette liste plusieurs de ceux que Bouvart croit plus favorables à sa maniere de voir; il rapproche les décisions données par six facultés d'Allemagne en faveur des accouchemens retardés, et qui ont accordé la légitimité à des naissances de onze, donze et treize mois; il entremêle ses citations de raisonnemens sur l'absence d'un terme fixe pour les accouchemens, il veut que l'accouchement à sept ou à dix mois, fait sans le secours de l'art, la mère et l'enfant se portant bien, soit un accouchement naturel, quoique non dans l'ordre commun et général. Il avoue donc ici, pour ordre commun et général, la naissance à neuf mois ou dans le courant du dixième. Pour expliquer les naissances tardives, Antoine Petit leur compare les époques de la dentition, de la puberté, de la vieillesse, les crises des maladies qui varient également; il rappelle les poulets, qui éclosent entre vingt et vingt-cinq jours d'incubation, les graines qui lèvent et les fruits qui murissent dans des temps inégaux ; il prétend que la règle que la nature s'est prescrite dans les phénomènes est de n'avoir pas un temps fixe pour ses opérations, et que si neuf mois est le terme commun pour les accouchemens, cette règle souffe des exceptions qu'il est indispensable d'admettre. |