deux ordres naturellement jaloux et rivaux l'un de l'autre. Partout elle faisait naître une noble émulation de sacrifices mutuels, et entretenait ainsi, dans les affections réciproques des diverses classes de ce grand peuple, le premier des sentimens, commun à toutes, l'amour de la patrie. Lorsque, cédant à cette fatalité que nous avons déjà signalée, Rome perdit ses vertus et tout ce qu'elle devait à ses vertus de gloire et de vraie puissance, il en fut de l'adoption comme de toutes ses autres institutions. D'utile et de bienfaisante qu'elle était, elle devint une nouvelle source d'abus et de désordres, qui acheva de corrompre ce qui pouvait rester encore de moins impur dans les mœurs, et de bouleverser enfin tout le système de son antique législation. Ce fut alors que l'on vit se multiplier ces monstrueuses et dégoûtantes fictions qui, en attaquant sans pudeur l'ordre de toutes les convenances, violaient à la fois, par leur scandaleuse absurdité, tous les droits de la raison et de la justice. On conviendra cependant qu'à tous les maux qu'elle enfanta dans ces temps désastreux il se mêla encore quelques biens. Si on peut lui reprocher d'avoir appelé Tibère à l'empire, on doit au moins lui savoir quelque gré d'avoir donné à la terre Trajan, Adrien, Antonin et Marc-Aurèle. Il résulte de ce rapide aperçu des effets de l'adoption chez les Romains, en la jugeant toujours d'après l'hypothèse du mode de leur gouvernement, de leurs mœurs et de leurs lois, qu'elle y fut considérée comme très-avantageuse tant qu'elle se conserva dans sa première pureté; il résulte en tout, de ces réflexions, que, vue en elle-même, elle n'a rien de mauvais ni de dangereux; mais qu'au contraire, en la modifiant aussi selon l'esprit de nos lois et de nos mœurs, elle peut produire chez nous de très-grands biens, y faire naître et entretenir le sentiment des plus hautes vertus, porter aux plus belles actions; et, pour me servir de l'heureuse expression de mon collègue Grenier, nous créer de nouvelles successions d'honneur et de gloire. Mais nos lois, nous dira-t-on, ne suffisent-elles pas, sans y porter une aussi étrange innovation, pour donner à la bienfaisance le champ le plus vaste? En étendant pour chacun la faculté de disposer de ses biens, n'auront-elles pas tous les effets de l'adoption sans en avoir les inconvéniens? Qu'est-il donc besoin d'une illusion qui n'ajoutera rien de réel au bien qu'on peut faire par d'autres moyens et à beaucoup moins de frais? Ira-t-on, pour créer des familles imaginaires, s'exposer au danger de briser les liens des véritables familles, de jeter de la défaveur sur le mariage, en tout, de nuire aux mœurs de la manière la plus funeste? J'observerai d'abord que les reproches que l'on fait ici au principe de l'adoption ne lui sont pas tellement propres, qu'ils ne puissent être adressés au système dans lequel on ne fait qu'en rejeter le nom, en laissant d'ailleurs subsister de même la plus grande partie de ses effets. Qu'a donc ce nom de si effrayant? Quel mal peut résulter de ce caractère que la loi imprime à un acte de bienfaisance aussi étendu, en lui donnant la dénomination qu'appellent les sentimens où il a pris sa source? Et pourquoi refuseriez-vous ce nom de père à celui qui, après en avoir rempli les devoirs, en a si justement acquis les droits; et cet autre nom si doux de fils, à celui qui n'en peut trouver un plus digne de sa reconnaissance? Malgré vous, ils se les donneront, et accuseront, par le retour fréquent de ces expressions chéries, les seules conformes à leurs sentimens, la froideur dédaigneuse avec laquelle vous traitez d'illusions les liens qui les unissent. Mais le législateur, plus juste et moins aisé à épouvanter, les sanctionnera; et, comme nous le verrons bientôt, il trouvera les moyens de vous rassurer contre des effets dont peut-être quelques préventions vous exagèrent un peu trop le danger. Veuillez bien vous rappeler les suffrages imposans que principe de l'adoption a déjà obtenus parmi nous, le décret de l'Assemblée nationale du 18 janvier 1792, les décrets de : la Convention du 7 mars 1793, du 4 juin de la même année. Reprenez ce projet de Code de l'an IV, modèle de sagesse dans ses principales dispositions, de précision et de dignité dans son style relisez ce que son auteur, pour qui l'éclat de la réputation n'a pas attendu celui des dignités, dit en faveur de cette institution, sur laquelle il a le premier fait un projet de loi. Joindrai-je à ces autorités celle de l'exemple que nous donne la Prusse, exemple dont certes le poids est bien quelque chose en législation? Mais les respectables auteurs du nouveau projet du Code civil ont omis d'en parler.... Le premier de nos tribunaux va répondre à cette observation. " « Les auteurs du projet n'ont pas cru devoir admettre l'adoption: la majorité du tribunal de cassation s'est déter«minée à la proposer. Cette majorité a remarqué d'abord " que s'il est dangereux d'introduire certaines lois trop peu analogues aux mœurs d'une nation, c'est lorsqu'elles sont impératives; mais que celles de simple faculté n'ont pas «< ces inconvéniens, puisqu'il en résulte seulement qu'on « n'en fait pas usage. La loi d'adoption ne pourrait être que « de cette dernière classe. >> " Je me permettrai d'ajouter à cette sage réflexion, qu'il est encore entre ces deux espèces de lois une différence essentielle à remarquer. Lorsqu'il s'agit d'établir des lois de pur commandement, il faut s'attacher le plus possible, sans doute, à ne voir les hommes que tels qu'ils sont, si l'on veut qu'elles soient justes et d'une facile exécution. Mais on peut n'être pas aussi rigoureux pour les lois de pure faculté : on peut s'y permettre de voir quelquefois les hommes tels qu'ils devraient être, et se flatter par cela même de les amener plus facilement au but qu'on se propose. Ces lois doivent être regardées comme les compagnes des mœurs; elles ne peuvent que les améliorer en arrêtant leur corruption, loin de l'accroître, comme pa raissent le craindre ceux qui n'ont pas assez réfléchi sur la différence que je viens de faire observer. ་་ ་་ Tout ce qui tend à établir de nouveaux liens entre les hommes, disent encore les magistrats du tribunal de cas«sation, tout ce qui tend à multiplier les relations qui les rapprochent et les affections qui les unissent, est une source « de bons sentimens et de bonnes actions. Telle est l'adoption, «formant une parenté légale, un principe de bienfaisance, « étant propre à inspirer aux êtres les plus délaissés de la « société l'espérance d'acquérir un état qui leur manque, et «par cette espérance le désir de s'en rendre dignes. « << Il a paru que des règles sages, des limites judicieusement posées, pouvaient prévenir les inconvéniens que redoutent « ceux qui rejettent cette institution, » ་་ Il ne s'agit donc plus que d'examiner si le projet de loi qui vous est présenté remplit ces conditions. Pour vous rendre cette recherche plus facile, je vais vous rendre compte de l'intéressante discussion qu'il a fait naître dans la section au nom de laquelle j'ai l'honneur de parler. Le titre de ce projet se divise en deux chapitres. Le premier traite en deux sections de l'adoption, de ses effets et de ses formes; le second, de la tutelle officieuse. Adoption et ses effets. Les quatre premiers articles comprennent tout ce qui est relatif aux qualités que la loi requiert dans les personnes, et aux conditions qu'elle exige pour accorder la faculté d'adopter. sect. e. L'adoption n'est permise qu'aux personnes de l'un ou de 343 l'autre sexe, âgées de plus de cinquante ans, qui n'auront, à l'époque de l'adoption, ni enfans, ni descendans légitimes, et qui auront au moins quinze ans de plus que les individus qu'elles se proposent d'adopter. Nul ne peut être adopté par plusieurs, si ce n'est par deux 344 époux. 345 346 343 Hors le cas de l'article 360-366 ci-après, nul époux ne peut adopter qu'avec le consentement de l'autre. La faculté d'adopter ne pourra être exercée qu'envers l'individu à qui l'on aura dans sa minorité, et pendant six ans au moins, fourni des secours et donné des soins non interrompus, ou envers celui qui aurait sauvé la vie à l'adoptant, soit dans un combat, soit en le retirant des flammes ou des flots. Il suffira, dans ces deux cas, que l'adoptant soit majeur, plus âgé que l'adopté, sans enfans ni descendans légitimes; et s'il est marié, que son conjoint consente à l'adoption. L'adoption ne pourra, en aucun cas, avoir lieu avant la majorité de l'adopté. Si l'adopté, ayant encore ses père et mère, ou l'un des deux, n'a point accompli sa vingt-cinquième année, il sera tenu de rapporter le consentement donné à l'adoption par ses père et mère, ou par le survivant; et, s'il est majeur de vingt-cinq ans, de requérir leur conseil. L'examen de ces articles a provoqué, sur quelques points, de sérieuses objections. Ne pas interdire aux célibataires la faculté d'adopter, n'est-ce pas nuire aux mariages? n'est-ce pas attaquer, dans la première et la plus sacrée des institutions, les fondemens de la société? En supposant toujours qu'on puisse consentir à l'admettre, l'adoption doit-elle avoir d'autre but que d'apporter quelque soulagement à la peine des époux qui ont perdu leurs enfans, ou d'adoucir leurs regrets si leur union a été stérile? Doit-on accorder le bienfait de la loi à ceux qui n'ont point satisfait aux obligations qui seules peuvent les en rendre dignes? Autrement n'est-il pas à craindre que telle personne, comptant sur la faculté de se créer ainsi, quand bon lui semblera, une famille fictive, dédaigne de s'en donner une véritable? Enfin n'y a-t-il pas ici pour la société, les mœurs, une infinité d'autres dangers que la décence ne permet pas d'analyser, mais que l'esprit le moins pénétrant peut aisément prévoir? , pour |