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sociétés souffrantes ont de même leurs empiriques et leurs médecins. Les médecins du corps social, ce sont les politiques sages et prudents qui s'appliquent à calmer les passions, à conjurer les orages, à éviter les crises, à maintenir ou à rétablir la paix, à ramener l'équilibre dans le budget, l'ordre dans les finances, la liberté dans les lois, de façon à ce que les affaires de tout le monde allant de mieux en mieux, celles de chacun en particulier profitent de cette amélioration générale. Les empiriques de l'ordre politique, ce sont ces réformateurs à grandes prétentions qui se flattent d'avoir trouvé une formule merveilleuse, grâce à laquelle on va voir la misère disparaître du monde et l'âge d'or refleurir sur la terre.

L'homme a de tout temps souffert, et comme individu et comme membre d'une société; il a fort naturellement cherché de tout temps un remède à ses maux. Par malheur, il a aussi été à toutes les époques très-enclin à écouter d'une oreille favorable les gens qui, au lieu de l'engager simplement à alléger peu à peu ses souffrances, lui promettaient avec assurance de l'en débarrasser à tout jamais en un tour de main. Aussi les charlatans, les empiriques et les faiseurs de plans de rénovation sociale, n'ont-ils jamais manqué de clients et de disciples.

Nous ne nous arrêterons pas à rappeler ici tous les projets de réformes radicales de la société qui ont été mis en avant depuis tant de siècles par des rêveurs, dont quelques-uns étaient des hommes de génie. Nous n'énumérerons pas non plus les diverses

tentatives pratiques qui ont été faites pour renouveler en un jour la face du monde. Nous ne dirons donc rien de Platon et de sa République, ni de Thomas Morus et de son Ile d'Utopie, ni de Campanella et de sa Cité du Soleil, ni de Fénelon et de la république de Salente, ni de Morelly et du Code de la nature. Nous ne parlerons pas davantage du mouvement communiste du seizième siècle, et de ce royaume. anabaptiste de Munster dont la courte histoire offre d'étranges ressemblances avec celle de la Commune de Paris; nous ne dirons même pas un mot de Babeuf et de sa conspiration, bien qu'il y ait des rapports de filiation à peu près directs entre la conjuration des égaux et les démagogues qui ont ensanglanté et incendié Paris sous la troisième république. Mais il est nécessaire de rappeler au moins en quelques mots l'histoire théorique et pratique du socialisme dans la première moitié du dix-neuvième siècle.

Les systèmes de Saint-Simon et de Fourier furent conçus par leurs auteurs et publiés avant 1830 (1). Mais c'est grâce au mouvement imprimé aux esprits par la révolution de Juillet qu'ils sortirent du cercle étroit des premiers initiés pour arriver à la connaissance du véritable public. On sait quel fut leur destin.

(1) Saint-Simon mourut à Paris en 1825, entre les bras de ses premiers disciples: Auguste Comte, Olinde Rodrigue, Bazar, Enfantin, etc.; Fourier vécut jusqu'en 1837, mais ses ouvrages les plus importants sont antérieurs à la révolution de Juillet.

Le saint-simonisme, embrassé avec passion par une partie de l'élite de la jeunesse de 1830, parut un instant capable de convertir le monde; puis après une période de vif éclat, il disparut. Les apôtres de Ménilmontant étaient, il est vrai, au bout de vingt ans d'efforts obscurs, arrivés presque tous aux premiers rangs de la société industrielle et financière du second empire, mais sans faire pour cela triompher les idées du maître : l'éclatante fortune des saint-simoniens n'a nullement été une victoire pour le saint-simonisme mort depuis longtemps. Le fouriérisme, qui paraissait avoir moins de chances de succès et qui n'eut jamais un aussi grand nombre d'adeptes éminents par leur science et leur intelligence, a du moins eu la vie plus longue. Repris, résumé et rajeuni par Victor Considérant, comme le système de Saint-Simon l'avait été par la pléiade de ses premiers disciples, il a lutté sans beaucoup d'éclat jusqu'en 1848, et a paru un moment, après cette nouvelle crise, devoir jouer, sous la seconde république, le rôle que la doctrine rivale avait rempli dans les premières années de la monarchie de juillet; mais il s'est à son tour éteint peu à peu, sans laisser dans le monde une trace bien brillante.

La première de ces deux doctrines absorbait complétement l'individu dans l'État qui, sous prétexte de nous diriger et de nous protéger, devenait le plus insupportable des tyrans. La seconde brisait d'une façon encore plus irrémédiable toute personnalité, en supprimant non-seulement la propriété, mais jus

qu'à la vie même de l'individu devenu un simple élément de la phalange, sans volonté, sans initiative, sans droits particuliers.

Ces deux systèmes avaient au moins pour les rêveurs un singulier attrait dû à la force d'imagination de leurs auteurs qui avaient bâti l'édifice de leur société idéale sur un plan à la fois neuf et grandiose.

Les réformateurs qui leur succédèrent ne surent pas se rapprocher plus qu'eux de la réalité et du possible; mais loin de faire comme eux appel aux sentiments généreux de la nature humaine, ils ne s'adressèrent qu'à nos penchants les plus vulgaires, à nos passions les plus basses; aussi au lieu d'attirer auprès d'eux, comme Fourier et surtout comme Saint-Simon, un petit nombre d'esprits d'élite, ils ne séduisirent qu'une foule ignorante. Les plus célèbres de ces réformateurs sont Cabet, l'auteur du Voyage en Icarie, et M. Louis Blanc, le trop fameux inventeur de l'Organisation du travail. Tous deux trouvèrent de nombreux partisans dès qu'ils eurent publié les écrits que nous venons de rappeler.

« Il faut, dit M. Corbon, dans un livre qui mérite d'être beaucoup lu et beaucoup cité (1), il faut savoir distinguer les communistes déterminés, conséquents, des communistes sans le savoir et sans le vouloir. Ceux-ci sont, je le reconnais, assez nombreux. En étudiant l'esprit de la classe ouvrière de Paris, nous verrons certainement la tendance communautaire se

(1) Le Secret du peuple de Paris, 1 vol. in-8, 1863. Paris.

manifester par une progression marquée à alléger considérablement la prévoyance et la responsabilité individuelles, pour charger d'autant la responsabilité sociale. En supposant que rien ne fasse résistance à cette propension, il est bien évident que de proche en proche, on arriverait à la fusion de tous les intérêts privés dans le suprême intérêt social; on serait en pleine communauté.

«Mais il faudrait être bien ignorant des dispositions générales de la société et de la force même des choses, pour croire que ces tendances populaires puissent aller jusqu'à leurs conséquences dernières.

« Les partisans décidés du système se divisaient en deux classes: l'une comprenait les communistes immédiats, c'est-à-dire ceux qui croyaient à la possibilité d'une réalisation prochaine et d'une pièce; l'autre ceux qui, n'ayant pas cette croyance, voulaient procéder par voie de transition.

<< Les communistes immédiats se divisaient euxmêmes en deux branches: l'une comprenant ceux qui songeaient à appliquer révolutionnairement le système à la société française, l'autre ceux qui ne prétendaient qu'à le réaliser entre eux et en dehors de toute compression sur la société. Ces derniers se rangèrent pour la plupart autour de Cabet. Ce ne fut pas d'ailleurs le centre parisien qui fournit à ce chef socialiste la majorité de ses adhérents : les Icariens se recrutèrent dans toutes les villes de France. Les plus déterminés allèrent fonder une communauté au sud

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