considérer ces mouvemens d'un autre œil que ceux du nord de cet empire. Il était donc dans la nature des choses qu'il se prononçât sur les troubles de la Morée de la même manière que sur ceux de la Valachie et de la Moldavie, c'est-à-dire les condamnât également. « Il ya eu, à la vérité, en Europe, des hommes de bien et des âmes sensibles qui, en pensant aux Grecs, nos frères en religion, ont oublié tous les autres rapports, et qui, parce que l'empereur s'était efforcé antérieurement dans tous les traités de paix d'adoucir l'oppression qu'éprouvaient les Grecs, le croyaient en quelque sorte obligé de voler aussitôt à main armée au secours de ses protégés, sans égard à aucune autre considération. Ces pieux désirs se réfutent d'eux-mêmes par l'exposé de la situation dans laquelle la Russie se trouvait alors, et des circonstances qui ont forcé l'empereur à improuver les troubles de la Grèce. Dans le cas où S. M. eût changé d'avis, tous les cabinets ne l'auraientils pas accusée d'inconséquence, ou, ce qui est pis encore, de desseins ambitieux. << Notre différend avec la Turquie a une origine purement diplomatique; notre ministre a été offensé. L'insulte a commencé par une violation du droit des gens dans sa personne, et des traités que la Russie avait antérieurement conclus; et cette insulte a été si grossière, que notre ministre a été obligé de regarder sa mission comme terminée, et de quitter Constantinople. Ce qui a donné lieu à cette offense, ce sont certainement les révolutions des Grecs et les mesures dont elles ont été l'objet. Mais les griefs, généralement du baron de Strogonoff, ne contiennent pas un mot qui défende la révolution des Grecs ni de ce qu'on réprimait cette révolution, mais de ce que l'orgueilleux divan se refusait à reconnaître des priviléges auxquels M. de Strogonoff avait droit en qualité de ministre de Russie, et de ce que des individus qui, ne prenant aucune part à la révolution, devaient prétendre à la protection du ministre, ont été, malgré toutes ces protections, en proie à toutes les violences de la guerre. Ainsi c'est la violation des traités et du droit des gens qui a fait rompre les relations existantes entre les deux puissances. << Sous quel point de vue faut-il donc considérer notre différend avec la Turquie? Il est fondé sur une contestation particulière que les deux États ont à vider entre eux, et pour laquelle notre empereur a réclamé ou plutôt accepté la médiation des puissances étrangères, parce que les intérêts politiques actuels de la Russie commandent le maintien de la paix; parce qu'il a la grandeur d'âme de préférer la paix à la gloire militaire; parce que les puissances médiatrices comprennent très bien notre véritable état de droit; et enfin parce que tous les monarques sont d'accord pour maintenir les conventions européennes conclues au congrès de Vienne. » Cette faible apologie d'un système de modération qui révoltait la conscience des peuples, et que l'on était en droit de regarder comme le fruit des suggestions de l'Autriche, n'obtint pas plus de succès en Russie que dans le reste de l'Europe, et n'empêcha pas le parti existant en faveur de la Grèce de prendre de jour en jour une couleur et une attitude plus prononcée d'opposition nationale. Cependant les délibérations du congrès de Vérone vinrent confirmer par une double et éclatante application l'opiniâtre résolution des rois, et surtout celle de l'empereur Alexandre, dans le maintien de ces principes. D'une part, on y décida que la situation de l'Espagne motivait suffisamment l'emploi du terribles moyens de l'intervention armée (1); et de l'autre, qu'il fallait s'abstenir entre les (1) Il est curieux, pour voir jusqu'à quel point la Sainte-Alliance est parvenue à remplir ses généreuses intentions en intervenant dans les affaires d'Espagne, de rapprocher de la situation actuelle de ce pays les espérances que l'on avait conçues en sa faveur : voici un passage d'une lettre de M. Nesselrode à l'ambassadeur russe à Madrid, dans laquelle on verra que S. M. l'empereur Alexandre n'avait en vue, en appuyant la résolution d'intervenir, que de conserver la prospérité, la richesse, la force et la gloire de la péninsule. « En vous chargeant, monsieur le comte, de faire part aux ministres de S. M. C. des considérations développées dans cette dépêche, l'empereur se plaît à croire que ses intentions et celles de ses alliés ne seront pas méconnues. En vain la malveillance essaierait-elle de les présenter sous des couleurs d'une influence étrangère qui prétendrait dicter des lois à l'Espagne. «Exprimer le désir de voir cesser une longue tourmente, de soustraire au même joug un monarque malheureux et un des premiers peuples de l'Europe, d'arrêter l'effusion du sang, de favoriser le rétablissement d'une administration tout-à-fait sage et nationale, certes ce n'est point attenter à l'indépendance d'un pays, ni établir un droit d'intervention contre lequel une puissance quelconque ait raison de s'élever. Si S. M. I. nourrissait d'autres vues, il ne dépendrait que d'elle et de ses alliés de laisser la révolution d'Espagne achever Grecs et les Musulmans. Il semble que, pour le monarque russe, c'était abjurer à la fois les lois du bon sens, celles de l'équité, les prescriptions de la charité chrétienne, les traditions de ses prédécesseurs et de ses ancêtres, les espérances de ses sujets et les intérêts de sa gloire : c'était sacrifier à la fois de nombreuses et puissantes considérations. Chacun des congrès qui eurent lieu depuis 1815 peut être considéré comme un acte distinct du drame politique de la Sainte-Alliance, mais le plus rempli d'intérêt est sans contredit celui de Vérone. On peut dire, en admettant un moment la suite de la comparaison, que là se complique en présence d'une cause son ouvrage. Bientôt tous les germes de prospérité, de richesse et de force seraient détruits dans la péninsule, et si la nation espagnole pouvait aujourd'hui supposer ces desseins hostiles, ce serait dans l'indifférence et dans l'immobilité seules qu'elle devrait en trouver la preuve. « La réponse qui sera faite à la présente déclaration va résoudre des questions de la plus haute importance. Vos instructions de ce jour vous indiquent la détermination que vous aurez à prendre, si les dépositaires de l'autorité publique, à Madrid, rejettent le moyen que vous leur offrirez, d'assurer à l'Espagne un avenir tranquille et une gloire impérissable. >>> |