Lord Strangford avait été renvoyé à Constantinople malgré le refus de la Porte de se faire représenter au congrès. Il avait mission de demander de nouveau que le divan fournît des preuves de la sincérité de ses dispositions pour la paix; qu'il notifiât officiellement à la Russie la nomination des hospodars, et fit évacuer les deux principautés par ses troupes; qu'il rétablit en faveur du commerce russe Alexandre, que vous soyez venu à Vérone, afin de rendre témoignage à la vérité. Auriez-vous cru, comme le disent nos ennemis, que l'alliance n'est qu'un mot qui ne sert qu'à couvrir des ambitions? Cela peut-être eût été vrai dans l'ancien état de choses, mais il s'agit bien aujourd'hui de quelques intérêts particuliers quand le monde civilisé est en péril! « Il ne peut plus y avoir de politique anglaise, française, russe, prussienne, autrichienne; il n'y a plus qu'une politique générale qui doit, pour le salut de tous, être admise en commun par les peuples et par les rois. C'est à moi de me montrer le premier convaincu des principes sur lesquels j'ai fondé l'alliance. Une occasion s'est présentée, le soulèvement de la Grèce. Rien sans doute ne paraissait être plus dans mes intérêts, dans ceux de mes peuples, dans l'opinion de mon pays, qu'une guerre religieuse contre la Turquie; mais j'ai cru remarquer dans les troubles du Péloponèse le signe révolutionnaire; dès-lors je me suis abstenu. Que n'a-t-on point fait pour rompre l'alliance? et de toutes les nations chrétiennes, les mêmes avantages de libre navigation dans la mer Noire dont on jouissait avant l'insurrection grecque, et dont on avait été privé sous le faux prétexte que la Russie avait secouru les insurgés. Une partie de ces conditions fut exécutée en 1823. Une lettre du reis-effendi adressée dans le mois de février de cette année au comte On a cherché tour à tour à me donner des préventions ou à blesser mon amour-propre; on m'a outragé ouvertement: on me connaissait bien mal si on a cru que mes principes ne tenaient qu'à des vanités ou pouvaient céder à des ressentimens. Non, je ne me séparerai jamais des monarques auxquels je me suis uni. Il doit être permis aux rois d'avoir des alliances publiques pour se défendre contre les sociétés secrètes. Qu'est-ce qui pourrait me tenter? Qu'ai-je besoin d'accroître mon empire? La Providence n'a pas mis à mes ordres huit cent mille soldats pour satisfaire mon ambition, mais pour protéger la religion, la morale et la justice, et pour faire régner ces principes d'ordre sur lesquels repose la société humaine.... » Lorsque M. de Châteaubriand entendit ce discours, pourquoi donc n'eut-il pas l'inspiration des belles et simples paroles qu'il a depuis fait entendre aux ministres français: SOYEZ CHRÉTIENS! Dans la bouche de qui une telle hardiesse aurait-elle été plus heureuse, ou du moins plus permise? de Nesselrode, par l'entremise de lord Strangford, en fait foi. Cette note, dont le ton peutêtre moins apre que celui des précédentes semblait indiquer que le négociateur anglais avait un peu relevé son crédit auprès du divan, annonçait officiellement au ministre russe la nomination des hospodars de Valachie et de Moldavie; et de son côté il réclamait l'exécution complète des traités précédens, la restitution des forteresses d'Asie retenues contre les stipulations formelles du traité de Bucharest, et enfin il demandait le retour d'un ministre russe à Constantinople, comme une garantie des dispositions amicales de l'empereur de Russie pour la Sublime-Porte. Ces diverses demandes furent éludées dans la réponse que fit le ministre russe au reiseffendi: mais lord Strangford fut chargé de faire connaître verbalement ce que l'on ne voulait pas écrire. Dans la note qui fut adressée à l'ambassadeur anglais, éclatait, il faut l'avouer, une mauvaise foi indigne. La Porte avait exécuté ce qu'on avait demandé, mais ne pouvant nier la réalité des concessions qu'elle venait de faire avec tant d'empressement, on en critiquait la forme, on se rejetait sur des circonstances de détail, puis surgissaient de nouvelles plaintes sur l'émission récente d'un firman qui soumettait, disait-on, le commerce européen dans les mers du Levant à des avanies, à des vexations encore inconnues; enfin l'on revenait aux Grecs, au droit de protection de la Russie; on exigeait que la Porte répondit nettement à ce sujet : or la Porte avait, ainsi qu'on a pu le voir, déjà plusieurs fois très nettement et énergiquement répondu à ce sujet : prendre pour point de départ d'une nouvelle négociation, et pour base d'une réconciliation, précisément la difficulté sur laquelle on ne pouvait s'entendre, c'était évidemment vouloir prolonger indéfiniment cette situation équivoque qui épargnait le scandale d'une paix proclamée honteuse par les peuples, sans faire courir les chances d'une guerre jugée inopportune par les rois. La Porte, outrée de la manière dont ses concessions avaient été appréciées, sortit avec violence de son système de ménagemens, en arrêtant dans le port de Constantinople et séquestrant quatre navires sous pavillon russe, comme appartenant à des Grecs insurgés. Cette mesure valait bien un coup de canon tiré sur la frontière. Ce coup d'audace retentit avec éclat en Europe, et l'on demeura dans l'attente de la détermination qui allait sortir de Saint-Pétersbourg. L'opinion générale était que la Russie était forcée de faire la guerre, sous peine de se déshonorer politiquement. On s'émut vivement à Vienne du danger que courait le système, et c'est alors que fut provoquée une entrevue entre les deux empereurs. Celui d'Autriche fit un voyage dans la Gallicie et la Buckowine, tandis qu'Alexandre visitait les provinces méridionales de son empire. Les deux souverains se rencontrèrent à Czernowitz. (1) (1) L'empereur d'Autriche, qui devait faire les honneurs de cette entrevue, avait envoyé le feld-maréchal-lieutenant baron de Kutschern à KamenietzPodolsky, pour y complimenter l'empereur de Russie.. Le jour de l'arrivée de son auguste ami, S. M. était allée le recevoir en personne sur la frontière. Les deux souverains entrèrent ensemble le 6 octobre à Czernowitz, à six heures et demie du soir, dans la même voiture; ils passèrent sous un arc de triomphe qu'on avait élevé à l'entrée de la ville, et se rendirent au milieu d'une double haie de troupes, au bruit du canon et aux acclamations des habitans, au logement destiné pour l'empereur Alexandre. L'entrevue des deux souverains ne dura que quatre jours, durant lesquels ils se firent de fréquentes visites et dînèrent plusieurs fois |