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temps de la querelle fur les anciens & les modernes, Saint-Évremond composa en fon honneur les vers fuivans:.

Le partifan outré de tous les anciens

Nous fait abandonner leurs écrits pour les fiens.
Il a fait aux Grecs plus d'injure
Par les vers, fi rares, fi beaux,
Qu'il n'en fera par fa cenfure

Aux Fontenelles, aux Perraults.
Quand il paroît aux modernes contraire,
Aux anciens il doit être odieux

Tout ce qu'il fait, eft fait pour leur déplaire;
Si bien écrire, eft écrire contre-eux.

Il femble qu'une préférencé fi avantageufe n'auroit pas dû lui déplaire. Eh bien! il s'en offenfa. Il fentoit que la fuperftition pour les anciens étoit en quelque forte néceffaire. Quel Écrivain eut autant que Voltaire le droit de fecouer le joug d'une admiration fuperftitieufe! Il femble néanmoins que l'efprit d'examen n'a pas été fans danger pour lui-même. On voit qu'il connoiffoit les anciens; mais il n'en avoit pas fait, comme Racine & Defpréaux, l'éternel objet de ses études affidues; il n'en étoit pas comme eux adorateur paffionné. Auffi, malgré l'étendue & la fupériorité de fon génie, il me femble qu'il n'eft pas toujours auffi vrai, auffi naturel que ces deux Écrivains.

M. Marmontel me pardonnera d'autant plus volontiers la liberté de ces idées,

qu'il regarde lui-même l'étude férieufe de l'antiquité comme le feul moyen de ramener à la Nature les efprits de ce fiècle, qui, felon lui, a été en même-temps l'époque de la perfection du goût & de fa décadence. Qu'on y prenne garde ce paradoxe n'implique pas contradiction. Aujourd'hui même le bon goût exifte dans toute la pureté. Il fuffiroit, pour le prouver, de l'effai qui fait le fujet de cet article. M. Marmontel, en s'oubliant luimême, indique d'autres Écrits qui ne le prouvent pas moins. C'eft le feu facré qui ne s'éteindra jamais tant que des mains fidelles s'attacheront à l'entretenir, & des yeux attentifs à y veiller. Jamais leur vigilance ne fut plus néceffaire. Le goût du Public commence à fe blâfer; un vin délicat lui paroît fade: il lui faut des liqueurs fortes

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Obfervez, dit M. Marmontel, ce qui » arrive à nos Trimalcions dans les délices » de leur table. Nul art d'affaifonner les mets » ne peut furmonter les dégoûts d'une lon"gue fatiété; & ni les fels les plus ftimulans, » ni les liqueurs les plus brûlantes ne réveil"lent plus les langueurs d'un fens blâfé à force de jouir. C'eft ainfi que l'intempérance des plaifirs de l'efprit nous les rendra tous infipides; & l'art même aura beau s'épuifer en raffinemens pour ranimer le goût, la fobriété feule auroit pu le fauver » de cette efp ce de paralyfie; & aux excès qui en font la caufe, s'il eft quelque remède, c'est l'abftinence & le befoin. Mais

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»ce feroit demander l'impoffible. Le Public » veut jouir, au rifque même de détruire » tout ce qu'il peut avoir de fenfibilité. »

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Autre caufe de décadence dans les talens & dans le goût. On ne lit plus, ou on ne fit que des feuilles volantes.

Rapidis ludibria ventis.

La plupart des jeunes gens étudient peu. Le fommeil, le théâtre, le café partagent leur loifir. D'autres aiment à lire, mais des écrits "modernes. Les anciens Auteurs n'ont pour eux aucun mérite.

"Et pourquoi liroit-on, obferve M. Mar» montel: Déformais la Littérature, je dis » l'ancienne & la plus exquife, n'étant plus dans la fociété un objet d'entretien, où. "l'on puiffe briller, la vanité, le grand mo »bile de l'émulation, n'eft plus intéreffée à » donner à l'étude des momens qu'elle »croit pouvoir mieux employer. "

On veut être fuperficiellement univerfel. On a vu un génie privilégié fe rendre célèbre par l'univerfalité de fes talens ; & ce phé nomène littéraire devient un modèle & un écueil. J'ai entendu dire à plufieurs beauxefprits qu'aujourd'hui il ne fuffit pas de faire bien, qu'il vaut encore mieux faire beaucoup. Delà nous fommes accablés de productions manquées, d'ouvrages imparfaits, & à peine ébauchés, pareils à ces vains fimulacres qu'Epicure difoit émaner de la furface des corps. Qu'arrive-t'il encore? On s'écarte de

plus en plus du bon goût qui conferve à chaque genre fon caractère diftinétif, & dont la corruption commence toujours par des beautés déplacées.

Au furplus, le goût actuel du Public eft un goût variable & incertain. Il change fans ceffe du bien au mal & du mal au bien; ou, pour me fervir des termes de M. Marmontel, il y a deux goûts: l'un eft un goût traditionel qui s'eft épuré d'âge en âge, & qui se rend fouvent févère & difficile jufqu'au dernier fcrupule, lorsqu'on lui donne à juger des Ouvrages qui prétendent à fon eftime; l'autre eft un goût de complaifance & d'indulgence qui s'interdit tout examen, qui réduit l'âme à l'ufage des fens, en intercepte la lumière, met en oubli toutes les règles de bienséance & de vraisemblance, & ne veut que de l'émotion.

"Il s'agit maintenant, continue M. Marmontel, de voir lequel de ces deux goûts » nous voulons préférer; car les concilier » enfemble & laiffer germer le mauvais, fans qu'à la fin le bon foit étouffé, c'est cẹ » que je crois impoffible. »

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En finiffant, il indique les principaux moyens d'arrêter les progrès de la contagion, & de faire refleurir le goût du bon, du vrai & du naturel.

Quod omen felix, fauftum, fortunatum

que fit.

N. B. Cet Effai fur le Goût eft fait pour

fervir d'introduction aux Élémens de Litté rature, qui formeront les volumes fuivans.

JOSEPH, par M. Bitaubé, de l'Académie Royale des Sciences & Belles Lettres de Pruffe, & de celle des Infcriptions & Belles-Lettres de Paris. 2 vol. petit in-12. A Paris, de l'Imprimerie de Didot l'aîné, rue Pavée S. André-des-Arcs: jolie édition ornée de gravures, & dédiée à Mgr. LE DAUPHIN.

Voici la cinquième Édition d'un Ouvrage eftimé du Public, & que les Anglois, les Hollandois, les Allemands, & même les Ruffes fe font empreffés de traduire.

Le nom de l'Auteur, avantageufement connu dans la République des Lettres par la meilleure traduction en profe qui ait été faite d'Homère, fuffiroit pour infpirer un préjugé favorable à ceux qui ne connoîtroient pas encore ce poëme; car quoique l'Auteur n'ait pas ofé lui donner ce titre, attendu qu'il eft écrit en profe, l'ordonnance & le ton de l'Ouvrage ne nous permettent pas de l'appeler un Roman, en convenant cependant qu'à proprement parler il n'y a de poëmes que les Ouvrages en vers.

L'aventure de Jofeph vendu par fes frères, devenu victime des accufations calomnieufes de l'épouse de fon maître, que la chafteté de ce jeune homme avoit irritée, traîné dans un ca¬

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