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sont censés suffisamment garnis, dit Bourjon, lorsqu'ils sont meublés suivant la condition du locataire, quoique les meubles ne montent pas à la valeur des loyers qui écherront pendant tout le cours du bail, c'est au propriétaire à veiller par terme ». Puis il ajoute : « Cela a été ainsi jugé au Parc civil plusieurs fois, moi plaidant (1)». Les auteurs modernes partagent tous cette opinion.

Cependant l'article 2102 donne privilège au bailleur, lorsque le bail a date certaine, pour tout ce qui est échu et pour tout ce qui est à échoir; d'où l'on semblerait autorisé à conclure que le mobilier n'a une valeur suffisante, que lorsqu'il peut assurer le paiement de tous les loyers qui courront pendant la durée du bail. Mais quand on y réfléchit, on s'aperçoit que l'induction ne serait pas exacte. L'article 2102 s'applique au cas, où le mobilier qui garnit la maison est vendu, où le prix doit en être distribué entre les différens créanciers du locataire. Il faut bien alors que le prix du mobilier, qui formait le gage spécial du bailleur, lui soit attribué jusqu'à concurrence de tout ce qui lui est dû et de tout ce qui pourra l'être à l'avenir; sans cela, il verrait passer une partie de ce prix entre les mains d'autres créanciers, et il y aurait ainsi certitude que le mobilier, sur lequel s'appuyait son privilège, serait du moins, pour une portion, détourné de sa destination. Lorsque au contraire le bail commence, que le locataire paie

(1) Liv. IV, tit. IV, chap. III, sect. III, no 31.

exactement, qu'aucun créancier ne réclame, que mu les meubles ne sont point saisis; sans doute on h peut craindre que, la valeur du mobilier étant in-. 2 férieure à la somme totale des loyers, un jour, J le gage ne soit insuffisant pour l'exercice du privilège; mais entre cette possibilité d'insuffisance, ete la certitude de non-paiement qui a déterminé la disposition de l'article 2102, la différence est éyidente. L'on conçoit donc très bien que la loi ait accordé au bailleur le droit de se faire payer tous les loyers sur le prix de son gage, lorsque ce gage, va lui être enlevé; sans que pour cela, elle ait entendu obliger le locataire à fournir un gage d'une valeur égale au montant de tous les loyers. (1)

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16. L'article 417 de la coutume d'Orléans considérait l'obligation de garnir la maison comme remplie, lorsque les meubles suffisaient pour le paiement de deux termes de loyer (2). A Paris, s'il faut en croire le Répertoire de jurisprudence (3), pour que les meubles soient censés suffisans, ils faut qu'en les vendant par autorité de justice, on puisse en tirer au moins le montant d'une année de loyer, non compris les frais de vente. MM. Delvincourt et Duranton pa

(1) M. Delvincourt, tome III, notes, page 201; M. Duranton, tome XVII, n° 157.

(2) « Le locataire qui n'a de quoi payer ou qui ne garnist l'hostel de biens meubles pour le paiement de deux termes de loyer, en peut être expulsé et mis hors par ledit seigneur d'hostel, avec aucto. rité et permission de justice. V. Pothier, du Louage, no 318. (3) V° Bail, § VII, no 3.

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raissent considérer la règle tracée par la coutume d'Orléans, comme devant être encore aujourd'hui suivie. Le premier rappelle seulement sa disposition sans observations (1); le second ne cite point ce texte; mais il dit qu'il suffit que les meubles soient d'une valeur propre à répondre du loyer, pendant le terme courant et le terme prochain. (2)

Je crois que des meubles qui assurent le paiement de deux termes de loyer, pourront quelquefois paraître aux juges une garantie suffisante; mais je suis convaincu que souvent ils seront considérés comme au-dessous de ce qu'a droit d'exiger le propriétaire. A Paris, celui qui loue un appartement de 1500 francs est supposé avoir un mobilier valant plus de 750 francs, et le bailleur aurait le droit de trouver insuffisant le gage que lui offriraient des meubles et effets d'une aussi mince valeur. Nous voyons que l'ancien usage, attesté par le Répertoire de jurisprudence, exigeait que le prix des meubles s'élevât au montant des loyers pour une année entière; et si la coutume d'Orléans se contentait d'une valeur égale au montant de deux termes, comme chaque terme était de six mois (3), c'était aussi une année de loyer que devaient représenter les meubles du locataire.

Ainsi, ce seraient plutôt les loyers d'une année que les loyers de six mois, qui me paraîtraient devoir

(1) Tome III, notes page 201. (2) Tome XVII, no 157.

(3) Pothier, du Louage, no 273.

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être adoptés comme terme de comparaison. Mais je pense que, pour décider si le locataire remplit l'obligation de garnir la maison ou l'appartement, les juges doivent, moins comparer la valeur du mobilier avec le montant des loyers pour tel ou tel nombre de termes, que considérer ce que, d'après le prix du bail, sa durée, surtout d'après la condition du locataire et la destination qu'il veut donner aux lieux loués, le bailleur a dû raisonnablement espérer (1). En se plaçant à ce point de vue, tantôt ils décideront qu'un mobilier, valant le loyer d'une année, est à peine suffisant; tantôt ils penseront que moins que le montant de deux termes offre toute la garantie, que le bailleur est en droit d'exiger.

Chaque jour se présentent des circonstances qui font sentir la nécessité de cette extension laissée au pouvoir des magistrats. Denisart cite l'exemple suivant : (2)

« Un particulier, principal locataire de maisons situées sur le boulevard à Paris, qui avait loué un corps de logis à un joueur de marionnettes, demanda que celui-ci fût tenu de garnir les lieux de meubles suffisans pour sûreté du loyer ou de donner caution; sinon que le bail fût résolu.

<< Le baladin répondit qu'il n'avait ni célé son

(1) J'ai déjà cité un passage de Bourjon, où il dit que les lieux sont suffisamment garnis, lorsqu'ils sont meublés suivant la condition du locataire. Denisart enseigne également que le locataire doit garnir, selon sa condition, les lieux qu'il occupe. V° Bail, no 17.

(2) V° Bail, n° 18; Dalloz, v Louage, p. 934.

état, ni l'usage qu'il prétendait faire des lieux compris dans son bail, et qu'on ne pouvait pas exiger qu'il les garnît d'une autre manière que celle relative à sa profession, qui n'était pas d'avoir des meubles, mais des marionnettes.

« La sentence du Châtelet avait rejeté la défense, du baladin et déclaré le bail résolu, faute par lui de garnir les lieux. Mais, par arrêt rendu en la chambre des vacations, le 18 septembre 1759, elle fut infirmée et le principal locataire débouté de sa demande en payant par le locataire à l'échéance.. >>

Il n'est personne qui ne sente combien une pareille décision est équitable et juridique.

17. L'obligation de garnir les lieux emporte évidemment celle de ne point enlever les meubles et effets qui ont été placés dans la maison ou dans l'appartement. On sait même que le droit du bailleur ne se borne pas à empêcher l'enlèvement; qu'il a un droit de suite sur les meubles qui ont été déplacés sans son consentement, qu'il peut les saisir, dans les cas et suivant les formes que déterminent les articles 2102 du Code civil et 819 du Code de procédure civile. (1)

Il ne faut pas entendre toutefois que le locataire: ne puisse faire sortir des lieux qu'il occupe aucun des objets qu'il y a placés. La résistance par le bailleur au déplacement d'une partie du mobilier, n'est légitime que lorsque le locataire n'en laisse

(1) Pothier, du Louage, no 257 et suiv.

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