- M. l'évêque de la Rochelle a pris pour sujet de son Mandement de carême les ravages des nouveaux livres. Le prélat ne s'occupe point des écrits licencieux ou impies, sur lesquels il est impossible de se faire illusion : « Nous nous bornerons cette fois à fixer vos regards, votre examen et vos réflexions sur ces livres en apparence moins corrupteurs et non moins dangereux, dont le dessein ne semble pas être de pervertir, et qui n'en parviennent que mieux à ce but, qui, sous le prétexte de peindre les mœurs, n'en représentent que la honte et les excès; qui, nous montrant toujours les passions exaltées, ne sont propres qu'à les enflammer encore; où tous les penchans de la nature sont toujours approuvés et toutes les foiblesses au moins excusées; où la multitude des événemens les plus bizarres, les plus invraisemblables, et souvent même les plus coupables, piquent sans cesse une curiosité avide et inconsidérée; sur ces livres enhn, qui, dévorés par une jeunesse aveugle et un sexe fragile plus susceptible d'être ému, font des impressions fatales, troublent des ames inexpérimentées, désorganisent des cerveaux encore foibles, et ne réussissent que trop à entraîner dans les mêmes chutes dont ils offrent tant d'exemples.... >> Nous avons prévu les prétextes qu'on ne manque pas d'alléguer pour s'autoriser à les lire. On dira qu'il est quelques-uns de ces ouvrages composés dans les vues les plus pures et par des hommes justement estimés, où l'agrément de la fiction n'est employé que pour mieux faire goûter et saisir les bons principes, où la vertu, sous le voile d'une fine allégorie, peut réussir à s'insinuer plus heureusement dans les cœurs, où des exemples attachans et qu'on n'oublie pas, tracent des règles de conduite, dans diverses circonstances de la vie, sujettes à se reproduire souvent. Nous avons même cru qu'on pourroit en citer où le mérite de la diction se joint à l'art de l'invention, au piquant et à la variété des événemens, à la connoissance parfaite du cœur humain, à la peinture fidèle des caractères, où nos vices, nos travers, nos ridicules, ingénieusement combattus et frondés, ont reçu et peuvent recevoir encore d'utiles corrections, où le bon goût enfin est aussi bien observé et respecté que la décence et l'honnêteté publique. » Mais tous ces beaux raisonnemens ne nous ébranlent pas. Quelque subtiles, quelque spécieuses que puissent être ces réclamations en faveur de quelques romans, peut-être moins dangereux dans leur genre, et qu'on ne loue cependant que pour s'en permettre d'autres, car on est toujours très-ingénieux à justifier ce qui plaît, nous n'en persistons pas moins à dire qu'il est dangereux de lire ceux même qu'on paroît désigner; qu'il n'est pas sage de se livrer à des lectures dont on ne peut prévoir la suite, et qui peuvent entraîner bien loin ; que le mérite supérieur de quelques-uns, en inspirant un goût violent pour ce genre d'ouvrages, peut en rendre d'autres nécessaires; que l'usage des liqueurs suaves et spiritueuses mène souvent à l'intempérance et à l'abus de celles qui sont nuisibles à la santé; qu'une étincelle indiscrètement jetée peut produire un grand incendie, et qu'en fait de morale et de religion il faut toujours prendre le parti le plus sûr. Cependant, par une bizarrerie inconcevable et bien digne de l'esprit humain, presque toujours en contradiction avec lui-même, ces mêmes romans que l'on prétend pouvoir être tolérés, sont précisément ceux qu'on ne lit pas; ils sont trop vieux, trop surannés, trop vrais, trop raisonna bles. Ce n'est pas ce qu'il faut à la jeunesse d'aujourd'hui, ou du moins c'est ce dont elle ne veut pas; ce qu'elle recherche, ce qu'elle désire, ce sont ces romans du jour qu'un délire toujours croissant enfante et multiplie sans cesse, à la honte des lettres et de la raison, où les aventures les plus invraisemblables, les plus absurdes, les plus extravagantes, les plus criminelles, se trouvent entassées sans ordre et sans goût; où tout est mis en jeu pour produire des scènes effroyables qui, en accoutumant le peuple aux spectacles les plus atroces et les plus sanglans, en ont rendu la représentation et les images encore nécessaires pour émouvoir. >> Comment des productions aussi monstrueuses, dont se nourrit une jeunesse inexpérimentée, ne produiroient-elles pas les plus funestes effets sur son esprit ? Elles lui font toujours voir les objets autrement qu'ils ne sont et qu'ils ne doivent être; elles lui font perdre la rectitude du jugement, son plus beau mérite, et le naturel de son caractère, son plus beau charme; elles la rendent enfin incapable de toute étude sérieuse, de toute occupation solide, de toute relation amicale. Qu'est-ce qui constitue en effet le bonheur domestique social? c'est la connoissance vraie de nos semblables, c'est le rapport de nos pensées, de nos principes et de nos sentimens avec eux ; c'est l'harmonie, enfin, qui résulte du calme des passions. Or la lecture des romans s'oppose à tout cela, elle est en perpétuelle contradiction avec les élémens du bonheur. En nous transportant dans un monde chimérique, les romans nous rendent étrangers en quelque sorte à celui que nous habitons; lorsqu'on ne vit qu'avec les êtres fantastiques, et les amateurs passionnés des romans n'ont pas d'autres connoissances, il est impossible qu'on ne contracte pas, à la longue, leurs pensées, leurs maximes et leurs sentimens. >> Le prélat continue à montrer le danger de ces sortes de lectures par le raisonnement, par l'autorité et par l'expérience. Il déplore Ia perte de tant d'ames que les romans ont dégoûtées de tout ce qui est vrai et naturel, et surtout de la religion. Tout ce qu'il dit à cet égard étoit digne de la sagesse comme de la sollicitude d'un prélat si éclaré. Les exercices du Jubilé, qui ont eu lieu dernièrement dans le diocèse d'Arras, y ont été accompagnés d'un succès marqué. Des instructions se faisoient soir et matin dans la nouvelle cathédrale de Saint-Vaast, qui a été consacrée l'année dernière par M. l'évêque avec beaucoup de pompe. Nous avons regretté de n'avoir pas reçu de relation détaillée de cette belle cérémonie, nous eussions été heureux d'en rendre compte à nos lecteurs. L'achèvement d'une cathédrale commencée depuis bien des années et sa consécration sont des événemens peu communs et qui méritoient une place dans ce Journal. Pour en revenir aux exercices du Jubilé, les instructions du matin étoient faites à Saint-Vaast par M. l'abbé Dubois, chanoine et supérieur du séminaire, et celles du soir par l'archiprêtre, M. l'abbé Bailly. Les ouvriers s'y sont rendus en grand nombre et ont édifié par leur attention soutenue; on sait qu'il y a eu dans cette classe d'heureuses conversions. A Saint-Jean-Baptiste, autre paroisse de la ville, M. l'abbé Godard, curé, faisoit seul les instructions qui n'ont pas été moins fructueuses. A SaintOmer, ville importante du diocèse et ancien évêché, les ecclésiastiques du petit séminaire ont secondé ceux des paroisses. Les églises qui sont belles étoient remplies. On ne s'est pas borné à écouter la parole de Dieu, et les tribunaux de la pénitence ont été fréquentés. A Béthune, le plus grand nombre des habitans a montré le même zèle. A Hersin, paroisse des environs, le curé, M. Lelong, qui avoit paru jusqu'ici peu heureux dans ses efforts pour son troupeau, a vu s'opérer tout à coup un ébranlement inattendu; deux cents personnes, qui depuis long-temps étoient éloignées des sacremens, se sont réunies à leurs frères, et la communion générale a été nombreuse à Montreuil. A Hesdin, le zèle du pasteur n'a pas été non plus sans de grands fruits. Plusieurs journaux de la capitale avoient répété, d'après la Patriote de la Meuse, un fait attribué à un curé. On supposoit que M. le curé de Tantonville, diocèse de Nancy, avoit travaillé à déterrer un de ses paroissiens pour le plaisir de procurer à son frère un squelette. On s'élevoit contre cette profanation d'un tombeau, acte bien plus répréhensible encore de la part d'un prêtre. M. Voinot, curé d'Haroué, qui est le chef-lieu de canton, écrit au rédacteur de l'Univers que les choses ne se sont point passées ainsi. Le frère du curé de Tantonville, qui est étudiant en médecine, a voulu effectivement se procurer le corps du nommé Férjat, qui s'étoit noyé en tombant dans un puits. Il alla à Nancy chercher deux autres étudians, et, venus ensemble à Tantonville, ils obtinrent le consentement de la veuve et des parens du défunt pour l'exhumation. Ils se rendirent ensuite chez le maire pour obtenir l'autorisation; le maire étoit absent. Les jeunes gens emportés par leur vivacité crurent pouvoir procéder à l'exhumation avec le seul consentement de la famille; ils s'adjoignirent un aide dans la personne d'un laïque. Le corps fut déposé au presbytère, où le curé crut les jeunes gens munis de toutes les autorisations nécessaires. M. le curé d'Haroué fait d'ailleurs l'éloge de la charité de son confrère pour les malades de sa paroisse. Ainsi les journaux avoient brodé le fait pour avoir le plaisir de compromettre un prêtre. - M. l'abbé Peltier, curé de Vauchrétien, diocèse d'Angers, nous écrit au sujet de la controverse entre le père Rozaven et M. Gerbet. Il dit que le père Rozaven a raison de soutenir contre son adversaire que les mystères de la religion sont évidemment croyables, que cette évidence de crédibilité ne détruit pas le mérite de notre foi, et qu'une telle doctrine, loin d'être particulière aux cartésiens, est commune même aux théologiens qui ont vécu avant Descartes. Mais il croit que le jésuite va trop loin lorsqu'il dit ensuite que cette évidence de crédibilité, préliminaire à la foi, rend nécessaire un jugement de la raison qui précède l'acte de foi. M. l'abbé Peltier entre ici dans une discussion que nous lui deman dous la permission de ne pas reproduire, parce qu'elle est assez abstraite et assez métaphysique, et que de plus elle nous paroît peu utile. Mais nous nous faisons un devoir de publier la déclaration qui termine sa lettre : «Je déclare à cette occasion que je m'engage à suivre uniquement et absolument la doctrine exposée dans la Lettre encyclique du pape Grégoire XVI, en date du 15 août 1832, et à ne rien écrire ni rien approuver d'opposé à cette doctrine. >> Il y a plusieurs années, on avoit éloigné de l'hospice de SaintLô les Sœurs de la Sagesse, qui le desservoient depuis plus d'un siècle; elles viennent d'être rappelées par la nouvelle administra ́tion, qui a cédé en cela aux vœux des pauvres et de ceux qui ne le sont pas. -Le conseil municipal de Nîmes a voté des fonds pour établir deux nouveaux Frères des écoles chrétiennes qui seront chargés des classes d'adultes récemment créées dans la ville, et dont les bons effets se font sentir. NOUVELLES POLITIQUES. PARIS. Il a paru dans le Journal des Débats, de dimanche dernier, un article véhément contre la liberté de la presse, telle qu'on la conçoit actuellement. Bien des gens demandent aujourd'hui pour la presse une liberté illimitée. « Qu'est-ce donc qu'une liberté illimitée, dit le journaliste? L'oppression de tous les autres droits, la tyrannie, et pas autre chose. La tyrannie a mille formes, elle s'exerce de mille manières : il y a des tyrannies monarchiques, il y en a de républicaines, d'aristocratiques, de populaires. Le caractère propre de la tyrannie, son caractère constant, uniforme, c'est de sacrifier tous les droits à un seul droit, tous les intérêts à un seul intérêt, toutes les libertés à une seule liberté. La presse a droit à la liberté ; mais les citoyens ont droit à l'ordre. Commerçant, j'ai droit de demander à la société que de perpétuelles alarmes, entretenues par le ton révolutionnaire de la presse, ne rendent pas toute transaction impossible, tout projet d'avenir ridicule ; j'ai droit de demander qu'on n'ameute pas mes ouvriers contre moi, qu'on ne me représente pas à leurs yeux comme un scélérat qui spécule sur leurs sueurs et sur leur misère. Propriétaire, j'ai droit de demander qu'on n'excite pas par de journalières provocations la soif du pillage dans le cœur du pauvre. Vous voulez que tous les intérêts soient abandonnés à la merci de la pressse! Les droits de la presse sont assez grands; on ne lui demande que de s'arrêter là où ses paroles, traduites en actions, aboutiroient droit à la révolte, au meurtre, à la guerre civile. Ne seroit-ce pas la plus insupportable tyrannie que ce privilége, réclamé par quelques organes de la presse, de tout dire, de tout faire pour enflammer les passions jusqu'à la révolte inclusivement?... Aujourd'hui, la presse marche évidemment à une révolution; elle y pousse le pays, ramassant sur son chemin toutes les mauvaises passions, tout ce qu'elle rencontre d'imaginations déréglées, d'esprits ignorans ou fanatiques, faisant d'incroyables efforts pour pervertir le peuple, pour soulever le pauvre contre le riche, pour diviser la société et l'armer contre elle-même. » Nous sommes sur tous ces points de l'avis du rédacteur; seulement, il s'en avise un peu tard. Son journal a fait pendant six ans ce qu'il blâme ici avec tant d'énergie. Il a poussé à une révolution, il a ramassé toutes les mauvaises passions, il a fait d'incroyables efforts pour diviser la société et l'armer contre elleméme. La situation où nous sommes est en grande partie le résultat de ces efforts, et il n'a pas très-bonne grâce à s'élever aujourd'hui contre des excès dont il donnoit l'exemple il y a quelques années. -L'honorable M. Cabet écrit dans son journal, le Populaire, qu'il He connoît rien de plus sublime que la révolution de juillet. Cependant, on l'accuse d'en vouloir encore une autre ; et c'est même pour cela qu'il se trouve livré à la cour d'assises par ses collègues de la chambre des députés. On a bien raison de dire que l'homme n'est jamais content. Après a révolution de juillet, mille autres diroient qu'ils en ont assez, et ceendant M. Cabet conçoit encore quelque chose au-dessus! Pour les Féros qui ont cru faire ce qu'il y avoit de mieux, en vérité il y a de quoi s pendre. et Qu'est-ce que le plaignant, messieurs? un décoré de juillet. Qu'est-ce qu'un des témoins? encore un décoré de juillet. » Voilà ce qu un avocat, plaidant à Paris, ces jours derniers, devant le tribunal de pol.ce correctionnelle, trouvoit de mieux à dire pour son client. Le journal évolutionnaire qui rapporte ce fait ajoute que les magistrats auxquel ce beau discours s'adressoit n'en avoient pas l'air trop fachés, que l'argument leur paroissoit bon. Tout en convenant qu'il n'étoit pas honnte pour messieurs les décorés de juillet, nous les engageons cependaut à y réfléchir, et à tirer de là les conséquences dont ils peuvent avoir besoin pour se guérir l'imagination. Ils doivent sentir que, si, en présence de leur révolution et de leurs médailles, on ose déjà se permettre un langage aussi franc, il est à craindre que celui de l'histoire ne soit bien plus dur encore, quand ils ne seront plus là pour faire adoucir les commentaires et les jugemens de l'opinion publique. En pareil cas, il vaut mieux se faire justice soi-même que d'attendre qu'on vous la fasse, et y mettre un peu de modestie pour que les autres n'y mettent pas trop de sévérité. - M. le contre-amiral de La Bretonnière est nommé major-général de la marine à Toulon, en remplacement de M. Massieu de Clerval, nommé au commandement de l'escadre du Levant. — M. Balland, sous-préfet à Ussel, est transféré à Condom (Gers). -La journée du lundi 24 s'est passée sans désordre jusqu'au soir. On a yu seulement quelques groupes inoffensifs sur la place de la Bourse et les boulevarts du Nord. La police est restée en observation, et les troupes étoient consignées. Vers onze heures du soir, des attroupemens se sont montrés à la Porte-Saint-Martin, et ont parcouru les boulevarts. Deux réverbères ont été brisés. La cavalerie a été obligée de faire plusieurs charges. L'ordre n'étoit pas encore rétabli à minuit. On a opéré dans ce mouvement de nouvelles arrestations. Mardi soir, il y a eu quelques rassemblemens, mais ils se sont dispersés sans résistance. Pendant les désordres qui eurent lieu dimanche dernier, un attroupement attaqua la boutique d'un armurier établi boulevart St-Martin. La boutique étoit déjà enfoncée, et le pillage des armes commençoit, lorsque la troupe accourue mit en fuite les perturbatcurs. |