hommes vils, si communs dans toutes les cours, qui se fraient un chemin à la fortune en adulant les passions des grands. On ne doute pas en Angleterre que l'explosion qui a récemment éclaté contre le prince Albert n'ait été adroitement ménagée par des gens de cette espèce, irrités qu'ils étaient de ne pouvoir exercer aucune influence sur l'esprit d'un prince dont la conduite morale s'est montrée, jusqu'à cette heure, irréprochable. On a voulu donner un caractère politique à cette agitation, parce que, pour soulever le mécontentement populaire, il fallait des prétextes plausibles. Mais le peuple anglais, quand ses préjugés religieux ne sont point en cause, se distingue par une qualité éminente, l'amour de la justice. Aussi cette effervescence s'apaisa-t-elle dès que les ministres eurent donné des explications satisfaisantes à l'ouverture du Parlement. 111 La reine témoignait, il y a quelques années, une grande préférence pour le puséisme, doctrine qu'elle avait vue naître, et dont elle avait eu révélation par des sermons prêchés devant elle. L'on croyait même que le prince de Galles serait élevé dans les principes de la nouvelle école, et cette opinion paraíssait d'autant plus fondée, que l'évêque d'Oxford et d'autres ecclésiastiques anglicans qui avaient leurs entrées à la cour, semblaient alors partager les mêmes principes. Mais la réaction de 1850, en même temps qu'elle s'attaquait directement à l'église catholique, a porté au puséisme, regardé avee raison comme la pépinière du catholicisme, un coup tellement rude que, suivant la conviction des esprits les plus graves, il ne pourra jamais s'en relever entièrement. Le contre-coup de cette réaction s'est fait naturellement sentir à la cour, et malheureusement il se manifestera d'une manière plus éclatante encore dans l'éducation du jeune prince. IV La reine Victoria, lors de son avénement au trône, se vit forcée par la loi de déclarer solennellement, en présence de tout son penple, qu'elle regardait la religion catholique comme un culte impie et idolâtre. Mais ce n'était là qu'une déclaration purement dégale. Ce qui le prouve, c'est qu'elle n'a jamais cessé de témoigner beaucoup de bienveillance à ses sujets catholiques; on a eru même remarquer qu'elle se plaît à traiter avec égard ceux qui font quelquefois partie de sa maison. Ainsi, elle a soin que des exigences du service royal ne les mettent jamais dans la nécessité de manquer à leurs devoirs religieux. En voici quelques exemples. << Mylord,» disait-elle un samedi soir à un chambellan catholique qui venait d'être placé auprès de sa personne, « je vous reverrai demain soir. » C'était lui dire qu'elle le dispensait de l'accompagner le dimanche matin à la chapelle royale, et qu'il était libre lui-même de vaquer à ses obligations religieuses. Un vendredi à dîner, elle fit observer à une personne de sa suite, catholique anssi, qu'elle avait donné des ordres pour qu'à sa table tout catholique pût observer la loi de l'abstinence. Comme il est rare que la reine adresse la parole pendant le repas aux personnes de sa cour, tout le monde comprit que son intention était de donner une sorte d'approbation à une pratique que bien des protestants affectent de tourner en ridicule. On ne peut disconvenir que c'était là une manière aussi délicate que judicieuse de désarmer le respect humain. Quel courtisan eût osé critiquer ce que la reine ne regardait pas comme incon venant? Avant son avènement au trône, Victoria ne faisait aucune difficulté de visiter avec la duchesse de Keut, sa mère, le pasteur catholique d'une campagne qu'elle fréquentait quelquefois. Tout annonçait en elle des dispositions bienveillantes et presque favorables envers le catholicisme. C'est ainsi que, fors de son voyage en Belgique, elle entra un jour dans une église, suivie de toute sa cour, et, s'approchant du grand autel, se prosterna et pria quelque temps dans un profond recueillement. Pendant qu'elle priait, le prince Albert se tenait debout auprès d'elle, et les personnes de sa suite se regardaient silencieusemet avec une sorte de stupéfaction. D'un commun accord tous les journaux anglais supprimèrent ce fait, qu'il ne convenait pas de mettre sous les yeux de John Bull. Ces sentiments de la reine ne doivent pas nous surprendre. Il est difficile, en effet, qu'avec le bon sens dont elle est douée et la profonde instruction qu'elle possède, la reine n'éprouve pas de la répugnance à se considérer sérieusement comme chef de l'Eglise. Lorsque, répondant à l'adresse de condoléance qui lui fut présentée par les docteurs d'Oxford, à l'occasion de ce que l'on est convenu d'appeler en Angleterre l'Agression papale, elle prononça ces paroles : « Moi qui, après Dieu, suis le chef de l'Eglise,» n'est-il pas probable que son cœur et sa raison auront donné un démenti à cette déclaration officielle, díctée par son premier ministre lord John Russell? Quoi qu'il en soit, il faut convenir que sa position est des plus difficiles, car elle est tenue d'être protestante sous peine de déchéance; et cette loi est en si complet accord avec l'esprit et les mœurs de la nation, qu'on ne pourrait, humainement parlant, sans la plus grossière illusion, espérer sur ce point quelque modification législative. V Maintenant, nous dira-t-on, comment concilier ce caractère doux et juste, bienveillant et impartial de la reine Victoria, avec l'indignation si vive qu'elle a manifestée contre l'Eglise à l'occasion du rétablissement de la hiérarchie en Angleterre ? Cette question, nous l'avons faite nous-même; et les renseignegnements que nous avons recueillis nous permettent d'y répondre de façon à satisfaire des esprits sérieux et réfléchis. Nous parlerons avec plus de franchise que ne le peuvent faire des courtisans et des diplomates; mais en exposant les faits tels que nous les connaissons, nous aurons soin de nous abstenir, comme c'est notre devoir, de juger les intentions et les hommes. Notre ferme volonté est de servir l'Eglise et la vérité, sans manquer à la prudence et au respect. Pour comprendre l'impression produite sur l'esprit de la reine par le grand changement opéré en 1850 dans l'Eglise catholique en Angleterre, il est indispensable d'envisager cet évé nement du point de vue où s'est placée Victoria et où se sont placés avec elle tous les hommes d'Etat protestants, et à leur suite l'immense majorité de la nation. Il est utile, dans une discussion théologique, d'exposer, sans en affaiblir la force, les objections des adversaires; de même nous pensons que, dans la question présente, il est très-important de faire connai tre à nos lecteurs la manière de penser des protestants. Ce n'est pas que nous ayons l'intention de réfuter leurs erreurs et leurs fausses appréciations: assurément rien ne serait plus facile, au point de vue théologique, que de revendiquer les droits imprescriptibles de l'Eglise, et de démontrer l'absurdité des erreurs anglicanes. Mais là n'est pas la question. Il s'agit, non de trancher un point de dogme ou de discipline, mais de connaître le peuple anglais tel qu'il est, avec ses préjugés, ses erreurs, ses dispositions, et, cette connaissance une foi acquise, d'en tirer le meilleur parti possible pour la cause de la foi et de l'Eglise catholique. C'est dans ce but que nous allons essayer de nous introduire jusque dans le cœur et dans l'esprit de ce grand peuple, et de nous familiariser avec ses préjugés et ses passions. Nous insistons beaucoup sur ce point, parce que nous ne voulons pas que notre pensée soit mal comprise ou nos intentions méconnues, lorsque, dans l'intérêt même de l'Eglise en Angleterre, nous mettrons fidèlement sous les yeux de nos lecteurs, la version protestante des derniers évènements, ou plutôt la manière hostile dont on les a envisagés. Cet aperçu leur fera d'ailleurs comprendre, ce qui pourrait autrement leur paraitre tout à fait incompréhensible, nous voulons dire, la couleur odieuse que la politique a su donner à toute cette affaire. La reine Victoria, nous le répétons, s'est identifiée, sur cette question, avec la grande masse du peuple anglais. Toutefois, en parlant de ses propres sentiments, nous aurons soin de faire remarquer les différentes nuances qui distinguent les opinions de chaque classe de ses sujets. VI Avant d'entreprendre cette tâche délicate et d'entrer dans le cœur même de la question, il nous importe de rappeler brièvement les motifs qui ont pu engager le Saint-Siége à rétablir, il y a trois ans, la hiérarchie catholique en Angleterre. Longtemps avant la déplorable révolution qui força le SaintPère à chercher un refuge dans les Etats du plus pieux des souverains, la cour de Rome s'était occupée du rétablissement de cette hiérarchie. Tous ceux qui désiraient le bien de l'Eglise, appelaient ce changement de leurs vœux les plus ardents; car il était indispensable pour confirmer le retour de la paix et de la concorde entre le clergé régulier et séculier, et pour garantir la position du clergé secondaire en instituant canoniquement le système paroissial. Deux maux, en effet, minaient sourdement depuis longues années la religion catholique en Angleterre. Ces deux maux, que le Saint-Siége voyait, non sans une vive inquiétude, s'accroître de jour en jour, étaient d'une part, la triste division qui existait entre les prêtres séculiers et réguliers; et d'autre part, la situation précaire et presque intolérable du clergé secondaire. Qu'on veuille bien ici nous permettre de donner quelques explications nécessaires. VII Dans un pays où le catholicisme a presque tout à créer, les religieux, par la nature et la force de leur organisation, doivent concentrer en eux-mêmes, pour ainsi dire, la sève et la vie de l'Eglise. Ce fait s'est produit en Angleterre. Les religieux, depuis la prétendue réforme, et sous le régime des vicaires apostoliques, y formaient comme un sanctuaire inviolable où florissaient la discipline, le dévouement et l'esprit apostolique. On devait cet heureux résultat à l'action du SaintSiége qui s'exerçait sur les ordres religieux, non sans de pénibles entraves, mais au moins avec plus de liberté et d'eflicacité que sur aucune autre partie de l'Église. D'ailleurs les ordres religieux pouvaient se glorifier, à juste titre, d'avoir conservé en Angleterre, à travers les plus longues et les plus cruelles persécutions, le dépôt sacré de la foi catholique. La Compagnie de Jésus surtout s'était fait remarquer, dans ce pays, par son zèle pour la propagation de la foi, par la prudence qui, en général, dirigeait ses mouvements, par le brillant succès avec lequel elle se livrait à l'éducation de la jeunesse, et par la considération générale dont elle jouissait. Cependant il est arrivé là, comme dans plusieurs autres contrées de la chrétienté, que les religieux et principalement les Jésuites, ont été en butte à des préventions et à des animosités aussi puériles dans leur cause que funestes à la Religion. Lemal était d'autant plus grave qu'il était beaucoup plus difficile d'y remédier en Angleterre que dans les pays où l'Église est hiérarchiquement constituée. En effet, l'Eglise y étant à l'état de mission, il n'existait point d'évêques titulaires; il n'y avait que des vicaires apostoliques dont les pouvoirs étaient indéfinis et indéfinissables. Ces prélats dépendaient sans doute nominalement du Saint-Père; il semblait qu'un mot les avait créés, qu'un mot pouvait les faire rentrer dans le néant; mais il n'en était pas ainsi en réalité. Un vicaire apostolique était-il en possession, il se hâtait souvent de se faire nommer un coadjuteur à son gré, cum jure successionis. Le clergé n'exerçait pas la moindre influence sur cette nomination, et, en général, le Saint-Siége y intervenait fort peu. La position du vicaire apostolique était donc à peu près indépendante, par la raison très-simple qu'il possédait en son propre nom tous les biens ecclésiastiques de son vicariat. Plus d'une fois le Saint-Siége aurait voulu intervenir; mais la prudence lui inspirait des craintes qui n'étaient que trop fondées et le forçait à dissimuler. Ces détails historiques expliquent comment, durant une longue suite d'années, quelques vicaires apostoliques ont pu se laisser entraîner, contre les ordres religieux, à des préventions regrettables et à des abus d'autorité qu'il n'est guère possible d'excuser. Les archives de la propagande et de la cour de Rome n'attestent que trop la vérité du fait que nous signalons. Ce qui n'est pas également connu, c'est que, sous le pontificat de Pie VII, quelques-uns de ces prélats s'oublièrent jusqu'au point de vouloir faire inervenir l'influence anglaise, alors trèspuissante à Rome, dans le but d'entraver et d'inquiéter les membres d'un ordre illustre qui se trouvaient en Angleterre, En même temps, ils travaillaient à Londres à exciter les craintes du gouvernement qui, sous le régime des bourgs pourris, était beaucoup plus puissant qu'il ne pourrait l'être à cette heure. La suppression totale de cet ordre, dans le royaume-uni, fut dès lors résolue. Heureusement cette intrigue fut déjouée par le zèle d'un gentilhomme anglais, issu d'une ancienne famille catholique. Celui-ci était l'ami intime de lord Sidmouth, ministre de l'inté |