On voit que les Evêques, bien loin d'être hostiles aux institutions de leur pays et à la Constitution qui les régit, considèrent ces institutions et le Statut de Charles-Albert comme les garanties politiques des imprescriptibles droits de l'Eglise. Il est, en effet, essentiel de comprendre comment la question est posée constitutionnellement en Piémont, en ce qui touche la question religieuse. Le Statut fondamental recounaissant la Religion catholique comme Religion de l'Etat, les adversaires de l'Eglise ne cherchent qu'à l'anéantir en ce point. Ils en violent sans cesse les articles dans la pratique, et en théorie ils ont d'autres formules à y substituer. Sans doute, ils trouvent bon, néanmoins, et habile de se dire en même temps Constitutionnels. Pure hypocrisie! Ils ne sont que des révolutionnaires. Les seuls et vrais constitutionnels (le bon sens le dit et chacun le sent), ce sont ceux qui acceptent et défendent la Constitution telle qu'elle est. Or, ceux-là sont les conservateurs, les Catholiques, et, à leur tête, les Evêques. Les Evêques réclament le Statut, tout le Statut, rien que le Statut. Que le Statut soit respecté dans sa lettre et dans son esprit, qu'il soit loyalement interprété et fidèlement exécuté, l'Eglise n'a rien à craindre. Tout ceci est clair comme le jour, et certes il ne devrait pas y avoir de malentendu. Pourquoi donc la confusion à cet égard? et à qui profite-t-elle? On comprend bien, sans doute, les efforts que fait le parti ennemi de l'Eglise pour donner le change au public en présentant les défenseurs de la Religion comme des conspirateurs, des rebelles, des factieux, des hommes en opposition sourde ou flagrante avec l'ordre établi dans l'Etat (1). Ce qui est plus étrange, c'est que certains Catholiques tombent, par suite de préventions systématiques, dans ce piége grossier de la faction mazzinienne et ministérielle; c'est qu'ils ne s'aperçoivent pas qu'il y a autant de perfidie dans sa tactique que de cynisme dans ses calomnies. IV Les Evêques des Etats sardes, en s'adressant au Roi, n'accusent point toutes les constitutions modernes, et notamment celles qui instituent une représentation politique, d'être entachées d'hétérodoxie et contraires directement ou indirectement (1) Dans une autre et plus récente adresse au Sénat, tous les Evêques signalent ainsi ceite manœuvre: La sfrenata licenza della stampa irreligiosa attaccava non soli la disciplina et gli usi sacri e venerandi della Chiesa cattolica, ma eziandio i dogmi e la morale, e si scagliava in ispecial modo contro il Sacerdozio, facciando di subdolo e faziozo, rappresentandolo sempre come oppugnatore ostinato delle presenti nostri Istituzioni. (Indirizzo degli Arcivesoovi e Vescovi subalpini e liguri al Senato 30 mars 1854.) à la foi. Ils maintiennent qu'avec le Statut en vigueur, et auquel le Monarque a le premier prêté serment, l'Etat est et demeure catholique; et, se tenant fortement attachés à ce point de départ, ils en tirent les conséquences. De ces conséquences, l'une des plus directes aussi bien que des plus importantes pour l'ordre religieux et social, c'est l'observation des fêtes instituées par l'Eglise et sanctionnées par le droit public en Piémont. Un bref pontifical du 6 septembre dernier a diminué le nombre des jours fériés et relevé ainsi le Piémont d'une partie de ses obligations. Quel fruit le Souverain-Pontife a-t-il recueilli de cette concession? Comment le pouvoir civil a-t-il répondu à la condescendance de l'Eglise? La suppression d'un certain nombre de fêtes rendait l'observation des autres plus facile. Ontelles été moins scandaleusement violées ? C'est tout le contraire qui a eu lieu, comme on va le voir par ce qui suit ; Les évêques soussignés ne peuvent, vis-à-vis de Votre Majesté, garder le silence sur la profanation déplorable qui a lieu depuis quelque temps des jours fériés consacrés à la commémoration des mystères de notre Religion, au culte du Seigneur, de la Vierge Marie et des Saints. Si, dès le commencement des âges, l'impiété s'est efforcée de faire disparaître de la terre les jours du Seigneur, comme disent les Saintes-Ecritures, il n'est pas moins certain (et ce fait ressort manifestement des histoires les plus véridiques et de l'expérience des siècles et des divers pays), que la profanation des jours réservés au culte de Dieu paralyse la douce influence par laquelle la Religion peut contenir et moraliser les peuples, les éloigner du vice et du crime par la salutaire impression de ses vérités terribles et par l'enseignement de ses pures et saintes maximes. Une profanation si lamentable est la ruine des sociétés et des familles; là où on la laisse s'introduire, la prospérité disparaît, la dignité de l'homme décroît et la santé publique s'affaiblit. Ces maux, probablement, s'accumuleraient de même sur notre patrie bien-aimée, si Votre Majesté n'usait pas de son pouvoir souverain pour exiger fermement l'observation des lois de l'Etat en vigueur à ce sujet. Encore ici, qui respecte les lois de l'Etat? qui en souffre la violation? qui en réclame l'obéissance? N'est-il pas évident qu'on se moque quand on soupçonne le clergé de ne pas tenir assez de compte du pouvoir temporel! Mais c'est la puissance spirituelle, c'est l'autorité même de Dieu qu'on veut rejeter comme un joug intolérable. Dixerunt in corde suo cognatio eorum simul: quiescere faciamus omnes dies festos Dei a terra. V A côté de l'observation des jours du Seigneur, l'Episcopat sait placer, avec une juste sollicitude, l'enseignement de la jeunesse. Mais les plaintes universelles, disent les Prélats, ont encore depuis longtempsrévélé dans notre pays un des plus grands malheurs où puissent tomber les peuples. Nous voulons parler des abus qui se sont introduits dans l'instruction donnée à la jeunesse. Le mal est devenu si notoire, que les Evêques croiraient manquer à leur devoir s'ils n'appelaient pas sur ce sujet l'attention de Votre Majesté. L'enseignement tend ici à pervertir l'esprit, là à corrompre le cœur; l'histoire est présentée de manière à décrier, à avilir le Souverain-Pontife, l'Episcopat, les ministres de l'Eglise catholique; la géologie, l'histoire naturelle, le dessin, ne sont plus que des cours de panthéisme, d'outrages à la pudeur et de corruption des mœurs. Les pratiques de la religion, si chères à nos aïeux, seule préservation de la vraie et solide vertu, ont disparu ; la jeunesse est soustraite à l'influence des pasteurs des âmes; des maximes hérétiques et anti-sociales se répandent impunément sans qu'on y fasse attention parmi les jeunes gens; tandis que la dissipation, le désœuvrement et la licence ne sont point réprimés chez les adultes. Tout concourt donc à corrompre, à perdre les générations qui s'élèvent. Les pères de famille tremblent à l'idée de confier leurs fils aux écoles publiques, d'où ils ne reviennent, le plus souvent, qu'indisciplinés, querelleurs, incrédules, en un mot, vicieux. Le cœur nous saigne à faire ce triste tableau: mais quand, depuis quatre années, les Evêques attendent en vain qu'une loi de sage et sincère liberté d'enseignement, en mettant un terme au monopole qui s'est introduit dans l'instruction publique, leur rende les droits incontestables qui appartiennent en propre à l'Eglise et au ministère épiscopal, ils ne peuvent hésiter davantage à réclamer auprès de Votre Majesté pour qu'il soit apporté un remède aux funestes abus produits par un tel système: car l'autorité des pères de famille et la foi des jeunes Catholiques, c'est-à-dire celle de la nation entière, ne sont plus respectées, et les esprits sages prévoient le plus triste avenir pour la société et la Religion. Nous reviendrons prochainement sur ce grave sujet de l'instruction publique en Piémont. Il mérite un chapitre à part. Nous nous bornons à remarquer aujourd'hui que l'état déplorable de l'enseignement en ce royaume n'est contesté par personne. Le discours de la Couronne, prononcé à l'ouverture de la session des Chambres, le reconnaissait et proclamait à cet égard la nécessité d'une réforme. Nous constatons aussi que, dans les Etats sardes, comme en France, en Belgique et partout, ce n'est pas dans l'action arbitraire du pouvoir, c'est dans l'influence d'une sage liberté que l'Eglise fait reposer ses plus pures et ses plus chères espé rances. VI Consolant et admirable accord! Si la foi est une, l'Episcopat est un. Attaquée de toutes parts, en butte aux mêmes complots, l'Eglise oppose partout la même résistance. Partout sa voix signale les mêmes maux et réclame les mêmes remèdes. Nulle part elle ne sacrifie ses droits, parce que ses droits sont sa vie même; nulle part elle n'outrepasse son but en affaiblissant l'autorité humaine; nulle part elle ne met aveuglément sa confiance dans un bras de chair. Elle sait d'où lui viendra toujours le secours et la force, et, en attendant, elle s'honore et se confirme au milieu des périls dans l'union de tous ses membres et de tous ses chefs. En cette armée divinement rangée en bataille, tous se donnent la main et se soutiennent d'une mutuelle assistance, soit qu'ils prient sur la montagne, soit qu'ils combattent dans la plaine, soit qu'ils souffrent dans les prisons et dans l'exil persécution pour la justice. Ainsi, quói de plus touchant que la fin de ce document? Elle revêt, dans sa noble simplicité, comme le caractère apostolique! Elle est de nature à faire couler des larmes d'attendrissement. Elle prouve mieux que toute éloquence humaine combien l'Eglise peut dire avec l'Apôtre qu'elle est en réalité d'autant plus puissante, qu'elle est en apparence plus affaiblie par la tribulation. On a écarté par la force Mgr Fransoni de la réunion de ses généreux collègues; mais, présent en esprit au milieu d'eux, l'illustre confesseur de la foi a-t-il perdu de son autorité ? Les Evêques de la province de Turin et les vicaires généraux de son diocèse l'invoquent ainsi en terminant: Le vénérable métropolitain dont nous devons déplorer ici l'éloignement partage les sentiments que nous exprimons, et qui nous font envisager comme inséparables la défense de la foi et le bien de la nation, le maintien de l'Eglise catholique et la conservation de l'antique gloire de l'auguste maison de Savoie. (Suivent ici les signatures des Prélats.) Les Evêques des deux autres provinces ecclésiastiques ont écrit dans le même sens. On ne saurait assurément concevoir une attitude plus digne, une conduite plus ferme, un langage plus modéré, enfin une défense plus noble de la plus sainte des causes. Qui ne voit, en présence de telles dispositions, combien la paix serait facile! Et cependant c'est la guerre que le ministère continue dans l'administration et dans la Chambre contre l'Eglise. Charles DE RIANCEY. RAPPORT OFFICIEL SUR LE BOMBARDEMENT D'ODESSA. Le Gouvernement a reçu avant-hier, le rapport officiel de M. le vice-amiral Hamelin, commandant en chef de l'escadre de la mer Noire, sur le bombardement et la destruction du port militaire d'Odessa. Voici ce rapport : Monsieur le ministre, Ville-de-Paris, rade d'Odessa, 24 avril 1854. Ainsi que j'ai eu l'honneur d'en informer Votre Excellence par ma dépêche télégraphique du 16 avril courant, les deux escadres se sont portées de Kavarna à Odessa pour exiger une réparation des autorités de cette ville, au sujet de l'inqualifiable agression que les batteries du port avaient exercée contre une frégate et une embarcation anglaises portant pavillon parlementaire. Après trois jours d'une heureuse traversée, nos vaisseaux jetaient l'ancre, le 20 avril, à trois milles dans l'est d'Odessa, dont la rade est peu accessible à des escadres, en raison du faible brassiage qu'elle leur offre. Le 21 avril, l'amiral Dundas reçoit, par la voie d'une frégate à vapeur anglaise qui était à sa recherche, une lettre datée du 14 que lui adressait M. le général baron d'OstenSacken, aide de camp de l'empereur Nicolas et gouverneur général d'Odessa. Elle est ci-jointe sous le n° 1. En jetant les yeux sur cette lettre, Votre Excellence verra que cet officier général adoptait pour sa défense un système de dénégations contraire à tout ce que nous avions recueilli non-seulement de la bouche du capitaine et des officiers de la frégate canonnée (voir la pièce n° 2), mais encore de celle des capitaines de bâtiments marchands, mouillés sur rade d'Odessa. Il ne nous restait donc plus qu'à sommer catégoriquement M. le gouverneur d'Osten-Sacken de nous donner, au bout de quelques heures, réparation du procédé dont il avait usé à l'égard d'un bâtiment des escadres combinées. Ci-joint sous le n° 3 la lettre collective que l'amiral Dundas et moi avons envoyée à cet officier général, le 21 avril, sous forme d'ultimatum. Nous dùmes nous préparer d'ailleurs aux éventualités d'une attaque à effectuer dès le lendemain matin, 22 avril, contre le port impérial d'Odessa et tout ce qu'il renfermait, si notre sommation était laissée sans réponse au coucher du soleil. Il ne pouvait entrer dans notre pensée de faire le moindre mal à la ville d'Odessa, non plus qu'a son port de eommerce, où fourmillent des bâtiments de toutes les nations maritimes. Le délégué de l'empereur de Russie était seul coupable d'un attentat au droit des gens; c'était donc le port Impérial seul, les magasins et les navires qu'il renfermait et les batteries qui les protégeaient de leurs feux que l'amiral Dundas et moi avions résolu d'attaquer et de détruire. Pour arriver à ce résultat, nous crèmes ne devoir employer que des bâtiments à vapeur, notamment cinq frégates à vapeur anglaises et les trois frégates à vapeur françaises qui me restent momentanément depuis que, par les ordres du Gouvernement, les autres frégates à vapeur de notre escadre ont été affectées au transport des troupes entre l'Algérie et Gallipoli. Le 21 avril au soir, le général d'Osten-Sacken, n'ayant fait aucune réponse à notre sommation, l'attaque fut résolue pour le lendemain matin. Par suite des combinaisons que l'amiral Dundas et moi avions adoptées de concert, les deux frégates françaises le Vauban, capitaine d'Herbinghen; le Descartes, capitaine Darricau, réunies aux deux frégates anglaises le Tiger, capitaine Gifard, et le Sampson, capitaine Jones, le plus ancien de cette division, arrivent à six heures et demie du matin, à neuf ou dix encablures de distance devant la batterie du port Impérial, qui leur envoie un premier coup de canon, les frégates lui ripostent vivement, mais le calibre de nos bouches à feu étant plus fort que celui des batteries de l'ennemi, nos coups sont plus sûrs que les siens; pendant que cette première lutte s'engage, le vaisseau anglais le Sans-Pareil mouille avec la corvette à vapeur le Highflyer, à la limite extrême de la portée de canon des batteries, non pour prendre part au combat, mais pour servir au besoin de point d'appui aux frégates engagées. Au même instant, la frégate à vapeur française le Mogador, capitaine de Wailly; la frégate à vapeur anglaise la Terrible, capitaine Cleverty; le Furious, capitaine Loring, et la Retribution, capitaine Drummont, le plus ancien de tous, s'approchent du lieu de l'action pour y prendre part, lorsque le signal leur en aura été fait par les amiraux. Le feu dure depuis une heure et demie, lorsque la frégate le Vauban reçoit trois boulets rouges, dont un brise quelques rayons de ses roues à aubes, et les autres mettent le feu dans sa muraille à vent: les pompes sont en jeu pour éteindre l'incendie, mais vainement; un des boulets rouges a pénétré entre maille et brûte intérieurement la muraille de la frégate à petit feu. M. le capitaine de vaisseau comte Bouët-Willaumez, chef d'état-major de l'escadre, auquel j'avais donné l'ordre de se tenir à bord du Caton, pour suivre sur les Heux toutes les phases de l'affaire et aviser aux cas urgents, arrive alors à bord du Vauban, qui a stoppé et prescrit au commandant de cette frégate de quitter momenta |