2. Si la grève est en principe la cessation volontaire de travail, elle prend le caractère de chômage accidentel et involontaire quand la continuation du travail a été rendue impossible par des troubles et des violences, ou encore par la fermeture momentanée des chantiers, en sorte que les ouvriers ont dû subir la grève (1,; en pareil cas, le salaire de base doit comprendre les journées perdues pendant la période de grève. (Voyez les 1re, 2me, 3me, 4me et 5me espèces, à propos de la grève générale de 1902 dans les concessions houillères de Marles, de Lens, de Liévin, de Courrières et d'Anzin). En vain serait-il objecté par la Compagnie houillère que, pendant la durée de la grève, il y a eu chaque jour une descente régulière de quelques ouvriers, si ces descentes, autorisées par un accord tacite, se sont composées en général de surveillants, contre-maîtres, porions et autres, chargés, en vue d'éviter la perte de la mine, de travaux de réparation et d'entretien. (2me, 3me et 4me espèces). (1re espèce: Veuve Duflot C. Mines de Marles) JUGEMENT (par extrait) LE TRIBUNAL; Attendu qu'à tort la Compagnie de Marles se refuse de comprendre dans le salaire de base les journées de chômages occasionnées par la grève de 1902; Attendu en effet que si la loi du 22 mars 1864 permet aux ouvriers de se réunir, de se concerter pour la défense et l'étude de leurs intérêts professionnels, au nombre desquels se trouvent les conditions de leur travail et la (1) En ce sens : Dijon, 3 juillet 1900 (D., 1901, 2, 250); Aix, 3 août 1900, précité; Riom, 7 août 1902 (pourvoi admis le 8 juillet 1903 par la Chambre des Requêtes, Gazette des Tribunaux du 10 juillet 1903); Nancy, 15 juillet 1903 (la Loi du 5 octobre 1903); Sachet, n° 669. La Cour de cassation a résolu par une distinction semblable la question de savoir si la grève pouvait motiver l'allocation de dommages-intérêts au profit du patron, pour rupture du contrat de travail (Cass., 18 mars 1902; Sirey, 1903, 1, 445). fixation du taux de leurs salaires, cette loi, essentiellement de liberté, ne leur concède que le droit à la grève, et ne leur impose pas l'obligation à la grève; que des ouvriers. peuvent continuer à travailler; que si Duflot ne l'a pas fait, ainsi qu'il résulte de son carnet de paie, il a pu vouloir le faire, puis se voir obligé de chômer en présence de la contrainte morale qu'il a pu subir, ou des dommages matériels qu'il redoutait; Attendu que dans ces conditions, il y a lieu de fixer à 1,728 fr. 70 le salaire gagné par Duflot pendant l'année qui a précédé l'accident, etc. Du 13 juin 1903. Trib. civ. de Béthune. Prés., M. Masure. Sur appel de ce jugement, la Compagnie des mines de Marles prit des conclusions dont le dispositif portait notamment: Dire et juger que les jours de chômage, même » involontaires, ne doivent pas être pris en considération > pour le calcul du salaire de base d'un ouvrier qui était » occupé dans l'entreprise pendant les douze mois écoulés. Davant l'accident; dire et juger, dans tous les cas, que Ja » grève ne constitue pas par elle-même une cause fortuite » et involontaire de chômage; dire et juger que c'est à » l'ouvrier qu'il appartient d'apporter la preuve qu'il a été > empêché de travailler; dire que la veuve Duflot n'a pas > fait et n'offre même pas de rapporter cette preuve, en ce » qui concerne personnellement son mari; dire que la » preuve du contraire résulte des documents de la cause; > dire en conséquence que le salaire ne doit pas com> prendre les salaires correspondants à la période pendant > laquelle il a pris part à la grève, etc. » La Cour confirma le jugement entrepris, par arrêt ainsi conçu : ARRÊT LA COUR; - Attendu que l'appel interjeté par la Compagnie des mines de Marles soumet à la Cour l'examen de deux questions: 1o Y a-t-il lieu de comprendre, dans le salaire de base d'un ouvrier occupé dans l'entreprise pendant les douze mois écoulés avant l'accident, les journées perdues par des interruptions de travail prolongées et involontaires de la part de l'ouvrier; 20 la grève, qui constitue en général, de la part de l'ouvrier, la suspension volontaire du contrat de louage ne peut-elle pas, en fait, en raison de circonstances qui ont rendu impossible la continuation du travail, être considérée comme un chômage involontaire ; Attendu qu'il n'est pas Sur la première question: douteux que dans une industrie où le travail est continu, en cas d'interruption forcée du travail durant les douze mois écoulés avant l'accident, la détermination du salaire de base doit se faire suivant le paragraphe 1er de l'article 10 de la loi du 9 avril 1898, et non en vertu des dispositions du paragraphe 3, qui vise seulement les industries dont le travail n'est pas continu; Attendu que si le législateur n'a pas statué sur le cas spécial des chômages involontaires qui avait été très nettement soulevé lors de la discussion, c'est par cette considération que toutes les hypothèses ne pouvaient être prévues, mais sa pensée et sa volonté de laisser aux Tribunaux le soin de tenir compte, dans la fixation du salaire à l'année, des causes accidentelles d'interruption du travail, se dégagent manifestement de la réponse faite au Sénat par le rapporteur dans la séance du 18 mars 1898; Attendu que, dans le silence de la loi, qui ne contient sur ce point aucune prohibition, l'équité commande de remplacer le salaire qui a été suspendu pendant la durée d'une interruption de travail involontaire, par une appréciation qui aura pour base le salaire gagné pendant le reste de l'année; qu'il appartient donc au juge d'examiner les interruptions accidentelles de travail de l'ouvrier, d'en préciser les causes, et de comprendre dans le salaire de base les journées perdues par des interruptions de travail prolongées et involontaires de l'ouvrier; Sur la deuxième question: Attendu que si la grève est en général la cessation volontaire du travail et si, à ce titre, sa durée ne doit pas être comptée dans le calcul du salaire, il est incontestable que beaucoup d'ouvriers subissent la grève sans la vouloir; qu'elle est souvent l'occasion de troubles et de violences qui peuvent rendre impossible pour un temps' la continuation du travail ; que la fermeture momentanée des chantiers ou des ateliers est même souvent une mesure qui s'impose aux chefs d'industrie, alors même que les ouvriers seraient disposés à résister aux entraînements et aux mises en demeure de leurs camarades; Attendu qu'en fait, il est constant que la grève a été subie par l'ouvrier Duflos; que dans les fosses où le travail avait continué après le début de la grève, notamment dans les puits exploités par la Compagnie des mines de Marles, les ouvriers durent bientôt y renoncer à raison des violences dont ils furent l'objet ; que dès le 13 octobre, la Compagnie appelante, comprenant que toute résistance était vaine, faisait mettre bas les feux des machines et remonter les chevaux ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont décidé qu'il y avait lieu d'ajouter au salaire de base les 150 fr. 12 que Duflos aurait touchés pendant la période de grève qu'il a subie, et qui constitue à son égard un chômage involontaire ; Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges; la Cour Dit que les jours de chômages involontaires doivent être pris en considération pour le calcul de salaire de base d'un ouvrier qui était occupé pendant les douze mois écoulés avant l'accident; dit que la grève peut, dans certaines circonstances, constituer une cause accidentelle et involontaire de chômage; dit que l'ouvrier Duflos a subi la grève et s'est trouvé dans la nécessité d'interrompre son travail; dit que son salaire annuel doit comprendre les 150 fr. 12. qu'il aurait touchés pendant la période de la grève; dit en conséquence qu'il a été bien jugé, mal appelé; confirme le jugement entrepris, etc. Du 23 novembre 1903. 1re Chamb. civ. Prés., M. Paul, 1er prés.; Minist. publ., M. Bossu, avoc.-gén.; Avoc.,, Mes Deschodt et Degand; Avou., Mes Fauville et Degon. (2me espèce Mines de Lens C. Bonte) Sur l'appel par elle interjeté d'un jugement civil de Béthune du 9 juin 1903, semblable à celui de la 1re espèce (aff. Duflos c. Mines de Marles, supra), la Compagnie des Mines de Lens prit, en conclusions devant la Cour, les mêmes chefs de dispositif que ceux rapportés supra, p. 55. La Cour statua comme suit sur cet appel : ARRÊT LA COUR; Attendu que les premiers juges ont fait une juste appréciation de la diminution de capacité professionnelle que subit Bonte par suite de l'infirmité permanente partielle dont il reste atteint ; que leur décision n'est critiquée qu'en ce qui concerne l'évaluation du salaire de base, notamment en ce qu'ils ont tenu compte des jours pendant lesquels, au mois d'octobre 1902, le travail a été interrompu par l'effet d'une grève, et de dix jours de chômages dus à la maladie ; - Attendu que si le législateur n'a pas statué sur le cas spécial des chômages involontaires, qui avait été cependant très nettement soulevé lors de la discussion de la loi, sa pensée et sa volonté de laisser aux Tribunaux le soin de tenir compte, dans la fixation du salaire à l'année, des causes accidentelles d'interruption de travail se dégagent manifestement de la réponse faite au Sénat par le rapporteur, dans la séance du 18 mars 1898; que c'est donc à juste titre que l'on décide qu'il faut faire. état, pour le calcul du salaire de base, des journées perdues comme conséquence d'interruptions de travail prolongées et involontaires ; |