Cette année 1813 est marquée du sceau de la fatalité. Au nord, au midi, à l'est de l'empire, les revers se suivent avec une rapidité effrayante. Tandis que notre armée d'Allemagne est forcée de se jeter derrière le Rhin pour défendre les frontières contre les alliés victorieux, notre armée d'Espagne est repoussée jusqu'aux pieds des Pyrénées. Voici les principaux événements qui se sont passés dans la péninsule ibérique, depuis l'ouverture de la campagne. Dans les derniers jours du mois de mai, l'Angleterre a préparé contre nous deux grandes expéditions, l'une avec le secours des Siciliens, l'autre avec le concours des Portugais. Les Anglo-Siciliens sont partis du port d'Alicante sur une flotte qui se présente le 2 juin devant Tarragone. Un débarquement a lieu; mais le général Maurice Mathieu et le maréchal Suchet se portent rapidement à la rencontre de l'ennemi, l'obligent à se rembarquer. Une tempête survient, qui achève de ruiner cette expédition, et disperse la flotte. L'armée portugaise, conduite par le duc de Wellington, est plus heureuse. Le général anglais, avec soixante-dix mille hommes, s'avance sur le Douro. Toute résistance se brise contre cette masse. Le roi Joseph évacue Madrid. Nos armées, dites du Portugal, du Centre et du Midi, se replient sur l'armée du Nord, commandée par Clausel, et se retirent enfin derrière la ligne de l'Ebre. Wellington continue sa marche. La ligne de l'Ebre est abandonnée le 14 juin, et le 21 nous perdons une bataille sous les murs de Vittoria. Une déroute complète est la conséquence de notre défaite, au milieu d'une population hostile, qui se joint à l'ennemi à mesure qu'il approche, et qui devance même parfois son arrivée pour commencer une guerre de partisans. Dès qu'il a reçu la nouvelle de ces revers, Napoléon envoie sur notre frontière des Pyrénées un général qui a toute sa confiance. Le duc de Dalmatie, qui avait succédé à Duroc dans la charge de grand maréchal du 1 Wellington a été arrêté un instant par les forteresses de SaintSébastien et de Pampelune; mais il a emporté d'assaut cette première place, et les soldats anglais se sont livrés, pendant quatre jours, sous les yeux de leurs officiers, au pillage, au viol et à l'incendie. Soult occupe Saint-Jean-de-Luz. Les efforts de Wellington viennent échouer devant son attitude ferme. Bayonne, un instant menacée, échappe au sort de Saint-Sébastien. Nous ne tenons plus en Espagne que la Catalogne et le haut Aragon, où le général Suchet s'est retranché après avoir évacué le royaume de Valence et fait sauter la citadelle de Tarragone. Cependant nos aigles, au milieu de tous ces désastres, ont eu encore une belle journée. Le 13 septembre, Suchet, attaqué au col d'Ordal, culbute les Anglais et leur fait éprouver des pertes considérables. Les événements qui se sont passés au nord de l'Italie, dans les derniers mois de 1813, moins malheureux sans doute que ceux d'Espagne, ont aggravé pourtant notre position. Napoléon, après la victoire de Lutzen et l'entrée à Dresde, inquiet de la politique autrichienne, et prévoyant toutes les conséquences d'une trahison possible, s'est séparé du prince Eugène et l'a envoyé en Italie, pour y prendre le commandement supérieur des armées de la Péninsule. La ligne du Tyrol sera un des principaux boulevards de l'empire, si le cabinet de Vienne se joint à la coalition, et l'empereur compte sur le courage et le patriotisme des Italiens, auxquels il a rendu une patrie. Le vice-roi, dès son arrivée, a formé trois corps d'armée, qu'il a placés entre la Piave et l'Adige. Les hostilités se sont ouvertes le 17 août, au même instant où elles recommençaient sur l'Elbe. Les Autrichiens ont traversé la Save du côté d'Agram. La Dalmatie et la Croatie s'insurgent en leur faveur. Le prince Eugène lève son camp de Goritz et s'avance contre le général Hiller, établi à Adelberg. Les Français ont leur droite à Trieste, et leur gauche voir des troupes de Hiller, sont repris par le général Pino. Les débuts de la campagne semblaient promettre l'avantage au prince Eugène, lorsque l'enthousiasme des Italiens se calme et se refroidit tout à coup. Le général Pino quitte l'armée, et toute l'Italie allemande se prononce pour l'Autriche. Le prince Eugène se replie sur l'Isonzo. La défection de la Bavière, en ouvrant la Péninsule à la coalition par le Tyrol, précipite notre mouvement de retraite, et c'est sur l'Adige que le vice-roi cherche un dernier appui. Ainsi, nous avons éprouvé non-seulement un échec militaire au delà des Alpes, mais encore une sorte de défaillance morale, contre-coup affaibli des grandes défections de l'Allemagne. La réaction qui se fait dans toute l'Europe contre l'influence et la puissance de l'empire français, semble s'être glissée furtivement jusque dans le cœur des citoyens du royaume d'Italie. Ce n'est pas la trahison, sans doute, qui se manifeste sur les bords de l'Isonzo et de l'Adige, mais le découragement, mais l'inertie. Un peuple seul, et ce sera là son honneur éternel, une nationalité seule nous reste fidèle jusqu'au dernier moment, dans ce grand duel qui ressemble à un assassinat. Les Polonais mourront avec nous sur notre dernier champ de bataille. م CHAPITRE XVII. Napoléon devant le pays. - La faction royaliste. - Le Sénat et le Corps législatif. Réveil de l'esprit parlementaire. Violente opposition au sein du Corps législatif. - Le Corps législatif est ajourné. - Réponse de Napoléon à cette assemblée. - Intrigues et manœuvres des agents de l'émigration. Nouvelles levées et nouveaux impôts. - Proclamation des puissances alliées. - Les armées étrangères passent le Rhin et pénètrent en France. NOVEMBRE 1813. - JANVIER 1814. La nouvelle de nos désastres en Allemagne, de la retraite précipitée de Napoléon après les trois journées de Leipsick, des succès de Wellington en Espagne, de l'attitude défensive que le vice-roi était forcé de prendre sur l'Adige, avait produit en France, et surtout à Paris, une grande agitation. Expliquonsnous. Il ne saurait être question ici d'une de ces agitations de peuple libre qui se manifestent dans la rue. La vie publique n'existait plus dans l'empire. Les populations, affaiblies, saignées périodiquement par la conscription, épuisées par les levées en masse, avaient tout juste encore assez de vitalité pour percevoir le danger; mais leurs sensations toutes passives nationaux qui triomphent des crises les plus profondes et qui sauvent les empires. Ainsi nulle émotion sur la place publique, mais beaucoup dans les régions officielles. Là, l'instruction et les intérêts matériels, à défaut du patriotisme et du sentiment des intérêts généraux, avaient conservé un reste de sensibilité qui se réveilla puissamment aux éclats de l'orage de 1813. Sans envisager d'une manière précise la possibilité d'un changement de régime, on comprenait vaguement qu'un homme comme Napoléon ne pouvait tomber à demi, et que descendre c'était déjà pour lui toute une chute. Aussi, dans le cercle de la nouvelle et de l'ancienne noblesse, de la magistrature, de l'administration et de la haute bourgeoisie, il se forma bientôt une foule de conciliabules, foyers d'égoïsme et de personnalité où la sonorité et la grandeur des mots couvraient l'étroitesse et la mesquinerie des idées. On y parlait beaucoup des droits de la nation méconnus, de la liberté foulée aux pieds, de l'intérêt de tous sacrifié à l'ambition démesurée d'un seul, des maux de la guerre, des bienfaits de la paix. Au fond de tout cela il n'y avait qu'un sentiment unique, dont tous, sans doute, ne se rendaient pas compte exactement: la peur. Non pas cette peur du lâche qui tremble de perdre la vie : celle-là est à peu près inconnue en France; mais cette peur de l'homme riche qui tremble de perdre son opulence, du fonctionnaire qui tremble de perdre sa place; la peur enfin de celui qui possède et qui craint d'être dépossédé dans une conflagration générale. Nous allions assister à la contre-partie des événements de 1792. Alors que devant le peuple libre de la grande révolution. la patrie fut proclamée en danger, les dangers de la patrie galvanisèrent tous les cœurs, l'émotion nationale produisit la Terreur, et la France fut délivrée des étrangers. En 1813, devant un peuple habitué depuis longues années à ne compter pour rien, et lorsque l'activité politique était seulement tolérée |