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CHAPITRE XVIII.

Les adieux aux Tuileries et les adieux au peuple. - Traité de Valençay. - Trahison de Murat. - Campagne de France. - Combat de Brienne. - Bataille de la Rothière. - Congrès de Châtillon. - Champaubert, Montmirail, Vauxchamps. - Mouvements des royalistes. - La politique de M. de Talleyrand. - Traité d'alliance de Chaumont. - Victoire de Craone. - Levée en masse. Carnot. Evénements de Bordeaux et de Lyon. - Rupture du Congrès de Châtillon. Combat d'Arcis-sur-Aube. - Journée de la Fère-Champenoise. Les alliés sous Paris.

JANVIER. - MARS 1814.

Une touchante solennité eut lieu aux Tuileries le 24 janvier 1814. Les officiers de la garde nationale nouvellement élus, furent reçus par l'empereur, et prêtèrent serment de fidélité. Napoléon s'avança vers eux, tenant par la main l'impératrice et le petit roi de Rome. Leur annonçant son départ pour l'armée : « Il est possible, dit-il, que par suite des mouvements que je vais exécuter, l'ennemi trouve l'occasion de s'approcher de Paris. Mais ce danger n'aurait rien de sérieux, parce que je serai toujours en mesure d'accourir et de vous délivrer. Je vous recommande d'être unis entre vous. On ne manquera pas de chercher à vous diviser, à ébranler votre fidélité à vos devoirs. Je compte sur vous pour repousser toutes ces coupables instigations. Je vous laisse l'impératrice et le roi de Rome..... ma femme et mon fils! Je partirai l'esprit dégagé de toute inquiétude, parce qu'ils seront sous votre sauvegarde. Ce que j'ai de plus cher au monde après la France, je le remets entre vos mains! »

Napoléon prononça ces dernières paroles avec émotion, et des marques sensibles de sympathie lui furent données par tous les témoins de cette scène, où l'empereur avait un instant disparu pour laisser voir le père et l'époux. La grande majorité des officiers de la garde nationale quitta les Tuileries avec la ferme résolution de ne plus remettre l'épée au fourreau, que les ennemis de la France n'eussent repassé les frontières. Ils étaient tous sincères, en ce moment; mais quand l'impression de cette journée se fut affaiblie; lorsque l'image de cette femme et de cet enfant, espoir de la dynastie impériale, eut disparu: ils retombèrent tous dans ce chaos, dans cette indécision, dans ce découragement, dans cette défaillance morale qui formaient le fond de l'esprit des classes moyennes à cette époque. Le roi de Rome et l'impératrice n'eurent plus de défenseurs. Napoléon ignorait que la philosophie de Voltaire et la philosophie de Rousseau avaient rendu impossible en France une répétition de ce drame chevaleresque où Marie-Thérèse, présentant ses enfants aux Hongrois, leur disait : « Messieurs, je viens vous remettre la femme et la famille de votre souverain; ne souffrez pas que l'on désunisse sur la terre ce qui a été uni dans le ciel! » Voltaire avait éteint toute espèce de foi dans l'esprit de la bourgeoisie, y compris le culte de la royauté; et Rousseau avait allumé dans les masses une foi nouvelle, celle de la démocratie devant laquelle a disparu toute autre croyance politique. Il y aurait eu, en 1814, un autre spectacle à offrir aux Parisiens. Le souverain n'excitait qu'un enthousiasme passager et factice en essayant de réveiller les sentiments sentant de notre gloire, l'ancien général de l'armée d'Italie, l'ami de Robespierre jeune, pouvait évoquer les sentiments révolutionnaires, et il eût, sans nul doute, produit une puissante, réelle, profonde manifestation. Quelques voix se firent entendre autour de l'empereur, lui donnant le conseil d'agir ainsi. On lui disait : « Soulevez les faubourgs, armez le << peuple de la ville; convertissez en bandes de partisans le << peuple de la campagne; proclamez la patrie en danger, prê<< chez la guerre sainte!... » La guerre sainte ne fut proclamée que dans les bulletins officiels; le cœur du peuple fut méconnu, et la France subit la conquête.

Un épisode des derniers temps de la puissance impériale trouve ici sa place. C'est la contre-partie de la réception officielle des gardes nationaux aux Tuileries. Napoléon, depuis son retour de la campagne de Leipsick, se montrait peu en public. Les royalistes ne manquaient pas de dire qu'il se cachait, de peur do recevoir des témoignages un peu trop vifs du mécontentement général. Deux jours avant son départ pour l'armée, Napoléon sort des Tuileries, à cheval, sans gardes; deux aides-decamp le suivent à cinq ou six pas de distance. Il parcourt ainsi une partie de la ville. Des cris de Vive l'empereur! se font en-tendre sur son passage. Des groupes se forment et l'accompagnent. Ce sont des ouvriers, des femmes et des enfants. Il rentre au Louvre en suivant le quai. Arrivé près de la grande porte du palais, la foule devient si compacte, qu'il n'avance plus qu'avec difficulté. En ce moment, un homme du peuple, de haute taille, s'approche de Napoléon, saisit son cheval par la bride, l'arrête, et dit d'une voix forte et émue: «Sire, vous << allez partir; battez les ennemis, mais ne vous exposez pas << trop, nous avons besoin de vous! » La foule répète : « Oui, « oui, nous avons besoin de vous; ne vous exposez pas ! » L'empereur répondit à demi-voix : « Merci, mes enfants ! >>> et il laissa « se peignait tant de bonté et de douceur, a dit un témoin de « cette scène, que nous en fuûmes aussi surpris que touchés. << Longtemps après nous nous demandions comment il était pos<< sible qu'un homme dans l'œil duquel se trouvait une telle « expression eût passé une partie de sa vie et parût se com« plaire au milieu des douleurs cruelles que la guerre renou<< velle à chaque instant. >>>

Lorsqu'un suprême danger menace la patrie, des trésors de colère et d'amour s'amassent à la fois dans le peuple. Colère pour l'ennemi et pour les traîtres; amour pour les citoyens qui ont eu le secret de résumer en eux l'esprit collectif, le sentiment commun des masses, et sont devenus le symbole vivant de l'opinion publique. Mais comme les vents échappés des outres d'Éole, dès que les instincts populaires sont déchaînés, ils poursuivent au hasard leur cours fatal; et il doit faire une complète abnégation de lui-même, de sa popularité, de son pouvoir, de sa vie, celui qui donne issue à cette puissance redoutable. Plus d'une fois, sur le point de se rapprocher de la révolution, Napoléon recule, craignant de se perdre dans la tempête, lui et sa dynastie. Il n'ose point aller s'asseoir au foyer de la démocratie. Le foyer britannique lui réserve d'autres

tortures.

La régence est de nouveau confiée à Marie-Louise. Des ordres précis et détaillés ont été donnés au frère de l'empereur même, à Joseph, nommé lieutenant-général de l'empire, et au ministre de la guerre Clarke, afin que la capitale, sur un pied de défense convenable, soit à l'abri de toute surprise. Trente mille hommes de la garde nationale de Paris ont été mis en activité. Le brave Moncey en est le major-général. Tranquille sur le sort de sa femme et de son fils, tout entier désormais aux soins de la guerre, Napoléon quitte Paris dans la matinée du 25. Il court au-devant de l'Europe coalisée; il la trouvera en deçà du Rhin, L'orage grandit et s'étend. Ce n'est plus du Rhin seulement que s'avance, pleine de menaces, l'invasion détestée. De l'Italie, de l'Espagne, les plus sinistres nouvelles sont arrivées à Napoléon. Avant de nous engager dans le récit des luttes suprêmes de l'empire, il nous faut jeter un regard sur les deux Péninsules. L'Espagne était perdue, et l'armée de Wellington pénétrait déjà sur notre territoire. Napoléon, dans les derniers jours du mois de décembre, essaya vainement de faire de ce côté la part du feu. Un traité fut conclu avec Ferdinand VII, retenu depuis six ans prisonnier à Valençay. Par ce traité l'ex-roi était replacé sur le trône d'Espagne, mais à la condition de rompre avec l'Angleterre, de renvoyer les troupes de Wellington, et de contracter une alliance avec l'empire français.

Joseph renonçait à peu de chose, en vérité, en cédant sa couronne au roi légitime. Il avait été forcé de se réfugier en France et n'était plus souverain que de nom. Cependant il paraît qu'il ne laissa pas de s'opposer le plus longtemps possible à cet acte de haute politique. Le duc de San-Carlo, ancien ministre de Ferdinand, partit pour Madrid et présenta le traité aux Cortès. Il était porteur de lettres autographes du fils de Charles IV, exhortant la régence et les députés de la nation à ratifier le traité. Les Cortès et le gouvernement de Madrid, sous l'influence directe de la Grande-Bretagne, répondirent que « tout acte « émané de Ferdinand VII pendant sa captivité était nul; la << nation espagnole ne pouvant obéir à son souverain que lors<< qu'elle le verrait siéger au milieu de ses fidèles sujets, au sein << du Congrès national et du gouvernement fondé par les Cor« tès. » La guerre continua ainsi aux pieds des Pyrénées, sur les bords de la Nive et de l'Adour, comme aux pieds des Vosges et sur les bords du Rhin et de la Meuse. Napoléon, trompé de nouveau dans ses calculs, dut renoncer à rappeler auprès de lui les armées des ducs d'Albuféra et de Dalmatie.

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