que la réalisation de la légalité dans les rapports des particuliers et de l'administration, dussent trouver leur compte à l'adoption d'un pareil système, cela était plus que douteux; mais des préoccupations plus immédiates et plus puissantes faisaient perdre de vue les inconvénients du système qui allait être adopté. II. L'institution de tribunaux administratifs spéciaux étant écartée, il ne restait plus qu'à confier aux administrateurs euxmêmes le soin de juger les litiges soulevés par les actes administratifs et à leur donner la double fonction d'administrer et de juger; telle fut en effet la solution adoptée en 1790. A cette époque, pour remplir le rôle de juridictions administratives, on trouve aux degrés inférieurs les municipalités, les directoires de district, et surtout les directoires de département; au degré supérieur le roi, d'abord seul, puis en Conseil d'État, et l'Assemblée nationale elle-même. Pour les municipalités, leur pouvoir de juridiction avait été consacré d'abord par la loi des 28-30 décembre 1789 qui avait conservé provisoirement aux municipalités les attributions juridictionnelles dont elles avaient été investies jusque-là. La loi des 16-24 août 1790 2 attribue à ces municipalités la connaissance du contentieux auquel donne lieu l'application des lois et règlements; cette loi relative à l'organisation des tribunaux judiciaires avait surtout pour but d'attribuer aux municipalités la connaissance des contraventions de police, sauf appel aux tribunaux de district 3; mais les termes employés par elle pour confier cette attribution aux municipalités sont assez extensifs pour impliquer au profit des municipalités la connaissance des questions d'ordre administratif se rattachant à ces contraventions. Les directoires de district se trouvent investis d'un pouvoir de juridiction au premier degré en matière de contributions directes par la loi des 7-11 septembre 1790. 1. La loi des 20 oct. 1789-29 août 1790 avait conservé au conseil du roi ses anciens pouvoirs administratifs et juridictionnels jusqu'à ce que fût intervenue la nouvelle loi d'organisation judiciaire et administrative; le conseil du roi ne pouvait cependant plus rendre d'arrêts de propre mouvement ni évoquer des affaires appartenant à une autre juridiction. La loi d'organisation judiciaire est des 16-24 août 1790; les lois d'organisation administrative des 15-27 mars 1791 et 27 avril - 25 mai 1791. 2. Tit. XI, art. 1er. 3. Loi des 23 mars - 20 avril 1790; loi des 16-24 août 1790, tit. XI, art. 6. Les directoires de département qui avaient reçu de la loi des 30 juin-2juillet 1790 'la mission «d'examiner et de juger les requêtes des contribuables en décharge ou réduction, en remise ou modération », auxquels l'instruction législative des 12-20 août 1790 <concernant les fonctions des assemblées administratives,» avait attribué un pouvoir juridictionnel en matière d'élection des autorités départementales et municipales, sont investis d'attributions beaucoup plus étendues par la loi des 7-11 septembre 1790 qui vient d'être citée. Ils deviennent juges d'appel en matière de contributions directes 2; ils prononcent sur les contestations soulevées par les entrepreneurs de travaux publics au sujet de l'interprétation ou de l'exécution de leurs contrats "; sur les demandes d'indemnité pour terrains pris et fouillés ; sur les demandes de réparations pour torts et dommages provenant du fait personnel des entrepreneurs, les municipalités dans ces deux derniers cas devant faire au préalable l'office de tribunal de conciliation, et le même rôle appartenant aux directoires de district dans le premier cas. Il importe de remarquer que cette loi des 7-11 septembre 1790 ne qualifie pas de « jugements » les décisions ainsi rendues par les directoires de districts ou de départements; elle réserve cette expression pour les décisions des tribunaux judiciaires ; le caractère de juridiction attribué aux directoires de district et de département ressort clairement cependant des expressions et du contenu de cette loi opposant la tentative de conciliation à la décision sur le fond 7, distinguant le « premier ressort » du second 8, exigeant que les décisions qui interviennent soient motivées. Des lois postérieures devaient d'ailleurs, à brève échéance, étendre encore la compétence de la plus importante de ces juridictions d'ordre inférieur, les directoires de département 9. 1. Art. 10. 2 Art. 1er, 3. Art. 3. 4. Art. 4. 5. Art. 5. 6. Art. 2. 7. Art. 3, 4, 5. 8. Art. 1er. 9. Élections des juges de district, des juges de paix et de leurs suppléants, loi des 7-10 nov. 1790, art. 3; engagements militaires, loi des 9-25 mars 1791, art. 21; difficultés concernant les biens communaux, loi du 10 juin 1793, sect. 5 art. 1er. Au-dessus de ces tribunaux du degré inférieur, et exception faite pour les municipalités statuant en matière de contravention de police, se trouvait le roi prononçant comme juridiction. Au premier abord il paraît assez difficile d'établir que le roi, après le vote des lois qui organisaient à nouveau le pouvoir judiciaire, et surtout après l'établissement de la constitution du 3 septembre 1791', ait conservé alors à un titre quelconque la qualité d'autorité juridictionnelle. A l'ancienne conception monarchique qui réunissait tous les pouvoirs dans la main du roi, qui reconnaissait à celui-ci dans toute saplénitude le pouvoir juridictionnel, pouvoir dont il déléguait en partie l'exercice à des autorités déterminées telles que les Parlements et autres cours souveraines, mais dont il retenait en partie l'exercice pour luimême, avaient succédé d'autres principes. Désormais la souveraineté réside, non dans le roi, mais dans la nation; c'est la nation qui délègue l'autorité; et en vertu du principe de la séparation des pouvoirs elle doit déléguer, et elle délégue effectivement l'autorité à trois organes différents, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire; le roi n'est plus qu'un simple magistrat de la nation; il ne peut plus être question à son sujet de justice retenue ou déléguée par lui; il n'a pas à retenir ou à déléguer un pouvoir qui ne lui appartient pas. Bien que la justice se rende encore en son nom 2, les juges ne tiennent pas leur pouvoir de lui mais de la nation, et luimême, s'il prétend juger, ne pourra le faire que si ce pouvoir lui a été délégué par la nation, et une délégation pareille est loin d'apparaître à première vue dans les dispositions législatives où on peut espérer la trouver. Ces dispositions, en effet, reconnaissent avant tout dans le roi, le «< chef du pouvoir exécutif », « le chef suprême de la nation et de l'administration générale du royaume » 3, et comme tel, elles lui subordonnent toutes les administrations inférieures et lui attribuent sur celles-ci un pouvoir hiérarchique incontestable; cette subordination des administrations inférieures, ce pouvoir hiérarchique attribué au roi vis-à-vis d'elles, est proclamé à différentes reprises par les lois de l'Assemblée nationale; on le trouve affirmé dans la loi des 22 décembre 1789 1. Tit. III, ch. IV et V. 2. Loi des 16-24 août 1790, tit. 11, art. 1er. 3. Loi des 22 déc. 1789-janvier 1790, sect. 3, art. 2. janvier 1790, dans l'instruction législative des 12-20 août 1790 ', dans la loi des 15-27 mars 1791, laquelle après avoir subordonné les directoires de district aux directoires de département, ajoute dans son art. 32 : « Si un directoire de département prend des arrêtés contraires soit aux règles établies par la constitution des corps administratifs, soit aux lois de l'État, soit aux ordres donnés par le roi en matière d'administration sous le contreseing du ministre qui en est responsable, le roi pourra annuler ces actes par une proclamation et défendre de les mettre à exécution; il est encore affirmé dans la loi des 27 avril-25 mai 1791, art. 17, laquelle reconnait au roi les mèmes pouvoirs que les lois précédentes, sauf que les motifs d'annulation des actes des autorités inférieures doivent être discutés en Conseil d'Etat, c'est-à-dire dans le conseil formé par la réunion des ministres sous la présidence du roi 2. Dans tous ces textes on trouve l'affirmation du pouvoir hiérarchique du roi considéré comme le chef suprême de la nation et de l'administration générale,» tous semblent ne voir dans le roi qu'un administrateur et non un juge. Et cependant c'est de ce pouvoir hiérarchique attribué au roi que dérive pour lui la mission de juger, au moins dans certains cas et voici comment. Dans le système d'organisation administrative adopté par l'Assemblée nationale, juger en matière administrative, prononcer comme juge entre les particuliers et l'administration, c'est exercer une attribution d'ordre administratif. II n'y a de fonction juridictionnelle vraiment distincte de la fonction administrative, que lorsqu'il s'agit de prononcer entre des particuliers; on se trouve alors en présence d'une fonction qui ne peut être exercée que par un pouvoir distinct du pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire; mais c'est dans ce cas seulement que la fonction juridictionnelle se trouve absolument distincte de la fonction. administrative; c'est ainsi qu'il faut interpréter l'instruction législative des 12-20 août 1790 3 aux termes de laquelle l'administration ne possède ni attributions législatives ni attributions. judiciaires, mais simplement des attributions d'ordre administratif; les attributions judiciaires que ne possède pas l'adminis 1. Ch. I, § 1, « le roi chef de la nation et dépositaire suprême du pouvoir exécutif. » 2. Seront au nombre des fonctions du Conseil d'État .. 2° la discussion des motifs qui peuvent nécessiter l'annulation des actes irréguliers des corps administratifs.» 3. Ch. 1, § 1. tration doivent s'entendre des attributions permettant de statuer comme juge entre particuliers, mais toutes autres attributions juridictionnelles peuvent rentrer dans ses attributions d'ordre administratif; il ne s'agit plus alors d'exercer le pouvoir judiciaire, et c'est pour cela que certains corps administratifs inférieurs ont reçu le pouvoir de juger en matière administrative. Seulement, on aperçoit immédiatement la conclusion qui va se dégager de cette constatation. Puisque des attributions juridictionnelles peuvent rentrer dans les attributions d'ordre administratif et y rentrent dans le système adopté par l'Assemblée nationale, le roi supérieur hiérarchique de toute l'administration exerce à ce titre son pouvoir de contrôle sur toutes les manifestations de l'activité de cette administration, sans exception, soit qu'elle agisse comme administration proprement dite, soit qu'elle prononce comme juridiction; les textes ne font pas de distinction et il n'y a pas à en faire, et si le roi lorsqu'il annule un acte d'administration accompli par une autorité inférieure, agit comme administrateur, en revanche, on ne peut lui refuser la qualité de juge lorsqu'il annule un acte de juridiction accompli par cette autorité inférieure. Nous ne dirons pas en effet que le roi a un pouvoir général de juridiction en matière administrative, car, à notre avis, la volonté formelle de l'Assemblée nationale n'a pas été de lui reconnaître ce pouvoir. Cette volonté résulte d'abord du principe adopté par elle et d'après lequel la souveraineté réside dans la nation; le roi n'étant que le délégué de la nation, il ne peut donc exercer que les attributions qui lui sont expressément déléguées; or la fonction juridictionnelle, en 1789, était considérée comme une fonction absolument distincte de la fonction exécutive; sans doute l'Assemblée estima qu'il n'y avait lieu de confier l'exercice de cette fonction à un organe distinct, que lorsqu'il s'agissait de prononcer entre particuliers; sans doute elle considéra que la fonction de prononcer comme juge entre les particuliers et l'administration était une fonction d'ordre administratif, il n'en est pas moins vrai qu'à ses yeux cette fonction conserva un caractère particulier et ne se confondit pas absolument avec la fonction exécutive bien qu'elle pût être exercée par les mêmes individus; les discussions sur l'organisation des tribunaux administratifs spéciaux le démontrent abondamment; à 1. V. loi des 15-27 mars 1791, art. 17. |