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C'est-là ce que les partisans des méthodes en histoire naturelle, appellent des noms vulgaires. Et quel nom vulgaire que celui qui, pour être compris, exige les connoissances les plus exactes de l'antiquité! Linnæus a désigné le même insecte par le nom du géant Typhée (1), qui certes n'a rien non plus de vulgaire, et qui paroît peu convenir à un scarabée de quelques lignes de longueur, et dont la nature est de se cacher sous la fiente des bestiaux.

Ceux qui s'occupent des collections d'histoire naturelle, connoissent la difficulté que l'on éprouve à conserver les couleurs des poissons. Sortis du fluide dans lequel ils vivent, privés de l'humide dont ils ne peuvent se passer, ils perdent bientôt, avec l'existence, le luisant et les reflets de leurs écailles; leur peau décolorée prend une teinte livide et tannée, et, dans nos cabinets, ils n'ont pas cette apparence de vie qui semble y animer encore d'autres classes d'animaux. Tout ce qu'il me paroissoit possible d'obtenir en ce genre, je le trouvai chez M. Boriès, docteur en médecine, à Cette. Il s'étoit adonné à l'his

(1) Scarabæus Typhæus. L. Syst. nat.- Fabricius, Spec. insect. pag. 10.

toire et à la préparation des poissons, et les échantillons qu'il avoit rassemblés avoient encore, sinon l'éclat, du moins une partie des couleurs de la nature vivante. Ce naturaliste m'a fait un secret de ses moyens de conservation; cependant il me promit de les communiquer à Buffon, moyennant quelques arrangemens. J'ignore ce qui est résulté de la correspondance que je m'empressai d'éta

blir entr'eux.

Nous visitâmes, d'un côté, les bains de Balaruc et de l'autre, les vignobles de Frontignan qui fournissent cette liqueur spiritueuse et parfumée, dont l'excès a conduit, plus d'une fois, aux eaux thermales.

Nous voulûmes aussi connoître Montpellier, et nous fimes cette course par la plus belle route que j'aie vue en France.

Enfin, il étoit temps de regagner les côtes de la Provence, et nous nous décidâmes à y retourner par mer. Nous convinmes de notre passage avec le patron d'une des tartanes qui étoient dans le port de Cette. Nous attendions, dans notre auberge, l'heure fixée pour le départ, lorsque le patron vint, hors d'haleine, nous annoncer que M. le commandant de la ville vouloit que nous allassions

chez lui, où d'autres personnes qui devoient également partir sur la même tartane, se trouvoient déjà. Il me prévint que M. le commandant étoit très en colère contre moi particulièrement, parce qu'étant officier, je quittois Cette sans son agrément. Quoique j'eusse pu me dispenser d'accéder à une prétention aussi singulière, nous nous rendîmes chez le commandant. C'étoit un officier d'invalides, et il se nommoit Quérelle. S'adressant aussitôt à moi, il me dit: Je suis étonné monsieur , que vous ne m'ayiez pas fait visite; je vous aurois invité à manger ma soupe. Monsieur, lui répondis-je, vous pardonnerez aisément à un étranger, à un voyageur, à un officier qui n'est point attaché au service militaire de terre, d'avoir ignoré votre existence, quelqu'importante qu'elle soit, et les soupes ne font point du tout l'objet de mes recherches. Cela suffit, monsieur, reprit M. Quérelle, un peu déconcerté, vous pourrez partir quand bon vous semblera; quant à tout ce mondelà, ajouta-t-il avec un ton de dignité, et en se tournant vers mes compagnons de voyage, qu'il aille, je ne m'en mêle pas. Nous sortîmes, en riant de bien bon cœur de cette

petite aventure, dont l'analogie avec le nom du commandant étoit si frappante.

Le vent s'étoit élevé, la mer étoit agitée, le ciel étoit couvert : tout annonçoit l'approche d'un mauvais temps. Notre patron ne se soucioit pas de sortir du port; il céda néanmoins à mes instances, et nous mîmes à la voile, tandis que les autres tartanes restèrent, quoique nous dussions naviguer de conserve. La nuit fut orageuse, et une houle fort vive fatiguoit extrêmement notre petit bâtiment. L'on connoît ce que cette partie de la Méditerranée, dans laquelle le Rhône se jette, a de dangereux pour la navigation. C'est de là qu'on l'a appelée golfe de Lion (mare Leonis), comme étant, pour ainsi dire, terrible et cruelle à raison des tourmentes qu'on y éprouve et des naufrages qui n'y sont pas rares, et non, ainsi qu'on le pense communément du nom de la ville de Lyon, très-éloignée de ces parages. Nous en fûmes quittes pour quelques instans d'inquiétude; et, sans avoir éprouvé d'accidens, nous entrâmes dans le port de Marseille, d'où je partis sur-lechamp pour Toulon.

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DÉPART DE TOULON.-RELACHE.-CÔTES DE LA CORSE.-GÊNES.-OPÉRA.-ISLE D'ELBE ET ISLES ADJACENTES. COUP DE VENT. ARRIVÉE A PALERME.

Ce fut le 26 avril 1777, à dix heures du soir , que la frégate l'Attalante, l'une des plus belles de la marine française, mit à la voile de la rade de Toulon. M. Durfort la commandoit, et elle étoit armée de près de trois cents hommes d'équipage et de trentedeux pièces de canon. Quelques personnes de Versailles, Mr. et Mme, Tessé, M. d'Ayen, M. Meung, avoient obtenu la permission de s'y embarquer, et on devoit les conduire à Palerme, à Malte et à Syracuse. C'étoit ce qu'on appeloit autrefois des grands; mais ils avoient déposé l'orgueil des cours et étoient devenus des gens fort agréables. Madame Tessé, l'une des femmes de ce temps qui avoient le plus d'esprit, donnoit le ton à cette petite colonie de courtisans; et l'honnêteté, la franche et gracieuse loyauté

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