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toutes ces justices une haute juridiction dont ils ne tardèrent pas à se débarrasser aussi pour la confier à des magistrats supérieurs qu'ils appelèrent baillis, vieux mot gaulois qui signifiait gardien ou protecteur; ou encore à des sénéchaux, nom tiré de la langue franque, selon quelques auteurs, et signifiant maître d'hôtel (præpositus mensæ). Les dénominations de baillis ou de sénéchaux n'appartenaient done primitivement qu'aux premiers magistrats des provinces, qui occupaient les tribunaux supérieurs, au lieu et place des comtes et des ducs. Mais cette qualification finit par étre prise par des juges inférieurs, dans chaque ville, bourg, village, et même ils y formèrent sous eux d'autres juridictions. Cette organisation, qui était à la fois judiciaire et administrative, donna naissance à ce qu'on appelait haute, moyenne et basse justice. Nous y reviendrons plus bas.

Les pouvoirs du prevôt de Paris étaient immenses. Il ne relevait que du roi, exerçait en son lieu et place, et pouvait par conséquent adresser des ordres aux magistrats des provinces. Ainsi, pendant long-temps, et jusqu'à François 1er, ses ordonnances étaient obligatoires pour la France entière. De là, sans doute, l'usage qui s'est perpétué jusqu'à nos jours de donner le titre d'ordonnances aux actes publics du magistrat chargé d'exercer la police à Paris.

Le prevòt de Paris, les baillis, les sénéchaux, avaient un conseil composé d'hommes de probité ou de prud'hommes, qui remplacèrent en partie les assesseurs des anciens comtes, dont il est question dans le capitulaire de Louis-le-Débonnaire, de 829. «In omni comitatu, « hi qui meliores et veraciores inveniri possunt, eligantur à « missis nostris ut adjutores comitum sint, et ad faciendas « justicias. »

En 1189, Philippe-Auguste plaça le siége de la juridiction de Paris dans le Grand-Châtelet (1), qui devint alors le siége de l'autorité municipale et le château de la ville d'où relevaient tous les fiefs du comté de Paris. Cette juridiction était la seule de tout le royaume qui eût le droit d'avoir continuellement un dais au-dessus de son principal siége, comme étant la place du roi. C'est également la première juridiction qui a eu un sceau aux armes du roi, et un officier particulier préposé à sa garde. Elle a joui seule, pendant plus d'un siècle, de cette prérogative; les autres juridictions n'ont eu le sceau royal que sous Philippe-le-Long, en 1319.

Le sceau du Châtelet étant unique, était aussi universel. On en scellait toutes les lettres de la chancellerie et les ordonnances des rois, qui étaient publiées et enregistrées au Châtelet.

Les rois venaient souvent au Châtelet pour y rendre la justice en personne, «et alloit souvent le roi saint Louis

(1) Plusieurs historiens donnent au Châtelet l'origine la plus reculée. Ils s'accordent à dire qu'il fut bâti par Jules César, pour défendre l'entrée du pont qui communiquait à la Cité, et ils appuient cette assertion sur le nom de chambre de César, donné à l'une des pièces de la grosse tour du Châtelet, et sur un ancien écriteau qui, selon Carrozel, se voyait encore à la fin du quinzième siècle sur une pierre de marbre au-dessus de l'ouverture d'un bureau, sous l'arcade de cette forteresse, et portant ces mots: Tributum Cæsaris. C'était alors l'une des portes où le péage était perçu. (Ann. de Paris, liv. XVII, chap. 3.)

D'autres historiens pensent, avec plus de raison, selon nous, que le Châtelet fut bâti par l'empereur Julien, pendant qu'il était gouverneur des Gaules. Il s'y tenait comme dans une place forte, et y recevait les contributions des peuples.

Le Grand-Châtelet fut la première porte de Paris où l'on payait les tributs des ports et passages; aussi nommait-on cet endroit l'apport Paris. Le bâtiment était originairement entouré de fossés profonds, où un bras de la rivière avait son cours; ce qui empêcha peut-être que les Northmans ne s'en emparassent et n'y missent le feu, comme au Petit-Châtelet, placé sur la rive gauche de la Seine, et que les historiens du temps nomment la Grosse-Tour. Le Grand-Châtelet a été détruit en 1802.

audit Chastelet, sé seoir près Étienne Boileau (le prevost «de Paris) pour l'encourager à donner l'exemple - aux « autres juges du royaume.» (Ancien manuscrit.) (1)

Ce prevôt, qui donna au Châtelet des attributions ad ministratives dont il ne s'occupait pas auparavant, fut le premier qui fit réunir en cahiers les actes de sa juri diction, de même que Louis IX fut le premier qui réunit et fit déposer à la Sainte-Chapelle les ordonnances des rois, sous le titre de Trésor des Chartes de France.

Le prevôt Boileau compléta en outre toutes les anciennes ordonnances de police, et les réunit en un volume, qu'on nommait le Livre blanc, ou le premier volume des métiers. Ces recueils furent appelés aussi registres, du latin regestum, iterum gestum; on le désigna encore sous le titre d'Olim, pour faire entendre que c'étaient des recueils de ce qui s'était passé autrefois (2).

Le prevôt de Paris présidait en robe au Châtelet, et portait l'épée à la tête des troupes dont il avait le commandement. Ce double pouvoir était exprimé par ses ornements dans les grandes cérémonies. Il y paraissait vêtu d'une robe de brocard d'or fourrée d'hermine, sur un cheval richement caparaçonné. Deux pages marchaient devant lui, portant chacun au bout d'une lance son casque et ses gantelets. Il avait en outre une compagnie d'ordonnances, deux compagnies de sergents, l'une à cheval, l'autre à pied. Ces derniers étaient appelés sergents à

(1) Le prevôt de Paris, qui s'est rendu si célèbre sous le règne de saint Louis, et que nous ne désignons ici sous le nom d'Étienne Boileau que pour nous conformer à l'usage, s'appelait Étienne Boislève, ainsi qu'il résulte d'une multitude de preuves fournies par l'abbé Ladvocat, docteur et bibliothécaire de Sorbonne. (Collection manuscrite dite de Lamoignon.)

(2) Ces registres furent continués, et on les désigne encore aujourd'hui par la couleur de leur couverture; ainsi on dit: le Livre blanc, le Livre jaune, etc,

verge et étaient chargés de veiller à la sûreté de la ville. Les autres étaient appelés soldats du guet, et leur com mandant portait le nom de chevalier du guet. Il y avait en outre, pour faire exécuter les règlements de police, des bourgeois qui étaient élus pour chaque quartier ou paroisse, et que l'on appelait commissaires. Ils jouissaient d'une immense considération, et marchaient de pair avec les principaux officiers de la juridiction. Ils avaient chacun dix sergents sous leurs ordres. Ces charges, qui existaient aussi dans la province, finirent par être vendues, et le mode d'élection disparut entièrement.

L'accroissement de la population, les institutions nouvelles que réclamait une société qui prenait de toute part de grands développements, et qui éprouvait chaque jour de nouveaux besoins, apportèrent des modifications successives à l'exercice du pouvoir conféré aux prevôts; de nouvelles fonctions furent créées, soit dans l'ordre judiciaire ou civil, soit dans l'ordre militaire, et l'imposante organisation des parlements, dont nous allons bientôt parler, protégeant les intérêts généraux des provinces, finit par circonscrire les prevôts, les baillis, les sénéchaux, dans un cercle d'attributions moins étendu, et par leur ôter une grande partie du pouvoir discrétionnaire dont ils étaient revêtus. Ces magistrats avaient déjà pris deux lieutenants, l'un civil, l'autre criminel, pour les suppléer dans leurs fonctions. Il en résulta qu'ils se reposèrent insensiblement sur ces lieutenants de l'exercice de leur charge, et que Louis XII, en décidant que ces lieutenants ne seraient plus nommés par les prevôts ou les baillis, mais par le roi et à vie, donna à ces magistrats l'exercice plein et entier des fonctions des prevôts et des baillis, qui n'eurent plus qu'un vain titre, mais qui se perpétua ensuite dans les villes et pays soumis à leur juridiction.

Le Châtelet, dont le prevót de Paris était le chef, renfermait plusieurs siéges de justice, savoir :

1o Le parc civil, où se faisaient les publications des ordonnances, édits, déclarations, et règlements; celle des testaments portant substitutions et autres actes qui devaient être publiés. Il était présidé par le lieutenant civil.

*. 2o Le présidial, qui connaissait principalement des causes d'appel des juges du ressort.

3o La chambre du conseil, où l'on jugeait les affaires appointées et mises en délibéré, et où se réunissaient aussi les membres du Châtelet, pour délibérer sur ce qui intéressait la compagnie.

4o La chambre civile, présidée par le lieutenant civil. Le procureur du roi s'y trouvait aux audiences pour porter la parole dans les affaires qui intéressaient le ministère public, et dans celles où il s'agissait d'enquêtes.

5o La chambre foraine, ainsi appelée parce qu'elle connaissait des demandes faites pour le paiement et fournitures de marchandises vendues par des forains, ainsi que des contestations qui pouvaient en résulter. Elle était unie à la chambre civile, et se tenait sous la présidence du même magistrat, quelquefois même dans la même audience et sans interruption.

6o La chambre de police, où étaient portées les causes concernant les droits des corps et communautés des marchands et artisans de Paris, le péril des bâtiments, la police et la propreté des rues, les enrôlements forcés, la prostitution et les nourrices. C'est aussi à cette chambre que se faisaient les rapports des commissaires sur les contraventions aux ordonnances et règlements de police.

7o La chambre du procureur du roi. Outre ses fonctions comme procureur du roi, ce magistrat était chargé de

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