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Sans cette garantie, l'obligation personnelle seroit illusoire, et ce seroit en vain que le créancier poursuivroit son débiteur. Tous les biens de celui qui s'oblige deviennent donc le gage du créancier; et le crédit du débiteur se compose non seulement de ses immeubles et de ses biens mobiliers, mais encore de ceux qui lui parviendroient à l'avenir par suite de son industrie, ou de tout autre manière. Observons cependant que ce droit de poursuivre l'exécution de l'obligation sur les biens du débiteur, se borne à la discussion de ceux qui sont actuellement en sa possession; car les biens n'étant qu'indirectement engagés par l'obligation personnelle, le débiteur a pu les aliéner et les transmettre francs et quittes de toutes charges; et c'est en cela que l'obligation personnelle diffère de l'hypothécaire, qui, en établissant sur la chose un droit qui lui est inhérent, donne au créancier le droit de la suivre en quelques mains qu'elle passe.

D'après cela, on voit que le débiteur peut être contraint au paiement de la dette par toutes les voies judiciaires; qu'aussitôt que le titre du créancier est exécutoire, que la dette est certaine et liquide, il peut poursuivre indistinctement la vente forcée de tous les biens du débiteur : c'est la conséquence des articles 2092 et 2204 (1).

Nous disons indistinctement, parce que tous les biens du débiteur étant le gage naturel de ses créanciers (art. 2093), la loi n'a pas dû astreindre les chirographaires

(1) Le créancier peut poursuivre l'expropriation, 1o. des biens immobiliers et de leurs accessoires réputés immeubles, appartenant en propriété à son débiteur; 2o. de l'usufruit appartenant au débiteur sur les biens de même nature. (Art. 2204.)

å discuter tels biens plutôt que tels autres, le mobilier plutôt que les immeubles. Cette obligation ne pouvoit être imposée qu'aux seuls créanciers hypothécaires qui, en recevant un gage particulier et le droit de suite que n'ont pas les créanciers cédulaires, sont censés s'être tacitement imposé la nécessité de ne recourir aux biens non hypothéqués qu'à défaut de ceux affectés à leur

créance.

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II. Cependant le principe que le créancier chirographaire peut poursuivre l'exécution de son obligation indistinctement sur tous les biens, souffre deux exceptions; la première, qui est particulière au mineur et à l'interdit, est établie par l'article 2206; la seconde, par l'article 2212. Par le premier de ces articles, le créan cier ne peut poursuivre l'expropriation d'un immeuble appartenant à un mineur, émancipé ou non, ou à un interdit, qu'après avoir discuté le mobilier; mais suivant l'article 2207, l'exception se borne au cas où le mineur ou l'interdit possède seul l'immeuble, et est unique débiteur; car s'il le possédoit par indivis avec un majeur, et si la dette lui étoit commune avec ce dernier, comme aussi si les poursuites avoient été commencées contre un majeur ou avant l'interdiction, il retomberoit sous l'empire de la règle générale. La seconde exception à notre règle, beaucoup moins impérative que la précédente, est laissée par l'article 2212 à l'arbitraire du juge. Elle consiste en ce que, si le débiteur justifie par baux authentiques que le revenu net et libre de ses immeubles pendant une année suffit pour le paiement de la dette en capital, intérêts et frais, et s'il en offre la délégation au créancier, le juge peut suspendre les poursuites que ce dernier auroit dirigées

sur les immeubles, sauf à être reprises, s'il survenoit quelqu'opposition ou obstacle au paiement.

III. La règle que nous avons ci-dessus donnée, que le créancier chirographaire n'avoit de droit sur les biens du débiteur qu'autant qu'ils étoient en sa possession ne doit souffrir aucune exception, même pour les aliénations gratuites que le débiteur auroit faites; et quoiqu'on ait jugé autrefois au parlement de Paris ( ainsi que l'attestent Goujet et Basnage, en leur Traité des Hypothèques) que les créanciers chirographaires du père devoient être préférés à ceux du fils, sur l'immeuble donné entre vifs par le premier à ce dernier, et qui, après la mort du père, avoit dû être rapporté à sa succession, je ne pense pas qu'on doive aujourd'hui suivre cette décision, parce que, s'il est vrai que l'immeuble donné à un successible, sans dispense de rapport, doive être rapporté à la masse lors de l'ouverture de la succession, ce n'est que pour l'intérêt des cohéritiers, et pour égaliser leur part; c'est d'ailleurs ce que décident expressément les art. 857 et 921 du Code Napoléon, en disant, le premier, que le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier, et non aux légataires ni aux créanciers; le second, que la réduction ne peut être demandée par les créanciers ni leur profiter. Ainsi, comme nous l'avons d'abord dit, les créanciers chirographaires n'ont de droit que sur les immeubles que possède leur débiteur; ceux qu'il a aliénés cessent d'être leur gage, par cela seul qu'ils n'ont pas, comme les créanciers hypothécaires, le droit de les suivre en quelques mains qu'ils passent.

Art. 2093. Les biens du débiteur sont le gage

commun de ses créanciers; et le prix s'en

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distribue entr'eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence.

Toute obligation pouvant naturellement se résoudre en celle de payer une somme d'argent, le prix provenu de la vente forcée des biens du débiteur sert à l'acquittement des dettes, et se partage entre les créanciers (ou est adjugé à quelques-uns d'entr'eux), suivant qu'ils sont, ou non, hypothécaires ou privilégiés. S'il y a des créanciers privilégiés ou hypothécaires, ils sont tous colloqués dans l'ordre de leurs priviléges et de leurs inscriptions, et les chirographaires ne viennent qu'après. Mais s'il n'y a que des créanciers chirographaires, ou, ce qui est la même chose, si, après la collocation des hypothécaires et de ceux ayant privilége, il reste encore quelques sommes, elles se partagent entre les créanciers chirographaires au marc le franc, de façon que leurs droits soient respectivement égaux, et qu'on ne puisse tirer aucun ayantage ou de la priorité de date, ou de l'authenticité du titre constitutif de l'obligation, parce qu'il suffit, pour qu'un créancier chirographaire concoure avec les autres que sa créance soit légalement établie. (L. 32, ff. de Reb. Auth. Jud. Possid.)

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Nous ne nous étendrons pas ici sur les principes relatifs à la distribution des sommes entre les créanciers ; nous n'avons voulu que développer la règle que consacre notre article, à l'égard des créanciers chirographaires. Nous renvoyons au titre de l'Ordre, pour faire connoître, sur cet objet, les diverses dispositions de la loi.

Art. 2094. Les causes légitimes de préférence sont les priviléges et hypothèques.

CHAPITRE I I.

Des Priviléges.

Art. 2095. Le privilége est un droit que la qua

lité de la créance donne à un créancier d'étre préféré aux autres créanciers, méme hypothécaires.

I. Cette définition, littéralement traduite des lois romaines (L. 32, ff. de Reb. Auct. Jud. Possid.), marque d'une manière positive les véritables caractères du privilége. Ce n'est pas, comme son nom pourroit d'abord le faire entendre, une faveur personnelle que la loi accorde aux créanciers, mais un droit qu'une justice rigoureuse nécessite, et qui repose sur la seule qualité de la créance : ce qui désigne les divers élémens dont se constitue le privilége.

La qualité de la créance est l'unique fondement du privilege; et quelle que soit la faveur que puisse présenter la personne du créancier, il ne jouit d'aucun avantage, si la créance ne renferme quelque chose de favorable qui la distingue de celles des autres. Aussi faut-il tirer de-là cette conséquence, que le privilége s'établit sans le consentement des parties, et que même leur volonté ne peut suffire pour l'établir (1), quoi

(1) Si la dette n'étoit pas d'elle-même privilégiée, on ne pourroit la rendre telle par l'effet d'une convention. (DOMAT, Lois Civiles, tit. des Hypothèques, sect. 5, art. 30.

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