louage. Si l'on excepte l'art. 1743 et quelques autres dispositions de détail, ce titre n'est que le calque fidèle des doctrines de Pothier. En recherchant les motifs qui ont déterminé le législateur à placer dans l'art. 1743 la prohibition à l'acquéreur d'expulser le fermier ou locataire, on reste convaincu qu'il n'a pas voulu donner au fermier ou locataire une action en revendication contre les tiers, mais qu'il a eu l'intention de protéger en même temps le bailleur contre son ignorance, et le preneur contre les conséquences de l'aliénation. Or, la subrogation suffit pour atteindre ce double but ; nous allons le démontrer. Quatre motifs paraissent, à des degrés différents, avoir influé sur la rédaction de l'art. 1743. Ce sont : 1o la foi due aux conventions; 20 l'intérêt des parties contractantes; 3° l'ordre public; 4o la prospérité de l'industrie agricole. 1° La foi due aux conventions. En droit romain, le créancier qui se plaignait de l'inexécution d'une obligation n'avait pas, la plupart du temps, le moyen de la faire exécuter. Si le débiteur résistait, le demandeur était forcé de se contenter d'un dédommagement; seulement la condamnation s'aggravait à raison de la mauvaise foi du défendeur. Cet équivalent ne procurait pas toujours une satisfaction complète; il n'était pas juste de laisser au débiteur la liberté de tromper l'attente légitime du créan cier. Toute législation qui est impuissante à surmonter l'obstination frauduleuse du débiteur est, par cela même, imparfaite; aussi la législation romaine, dans son dernier état, et la législation française à toutes les époques, avaient, autant que la nature des choses le permettait, admis comme règle, que le débiteur serait tenu d'exécuter précisément son obligation. Innovation morale: car si les dommages-intérêts plus ou moins considérables indemnisent le créancier, ils ne justifient pas le débiteur, qui reste sous le poids de cette maxime grave est fidem fallere ! La loi contre laquelle il se révolte doit le contraindre à exécuter sa promesse. Permettre à l'acquéreur d'expulser le fermier, c'était permettre indirectement au bailleur de manquer à son obligation envers le preneur, puisqu'il serait libre de faire faire par un acquéreur ce qu'il ne pouvait faire lui-même. On comprend combien le désir de lui ôter cette faculté a dû avoir d'influence sur l'esprit du législateur. 2o L'intérêt des parties contractantes. L'intérêt du bailleur est évident. La prévoyance de l'homme est souvent en défaut; celle de la loi doit la suppléer. Le bailleur, par oubli, par distraction, par ignorance, négligeait quelquefois l'avertissement du jurisconsulte Caïus : curare debet ut apud emptorem quoque eadem pactione et colono frui et inquilino habitare liceat. De là, sa responsabilité engagée envers le preneur; alioquin, continue le jurisconsulte, prohibitus is aget cum eo ex conducto, 1. 25, § 1, ff. locati. L'intérêt du preneur est plus apparent encore. L'article 1743 le met à l'abri de l'expulsion dont il était perpétuellement menacé. 3° L'ordre public. L'art. 1743 prévient les recours du preneur contre son bailleur. Ce résultat n'est point sans une véritable importance: les procès font naître et entretiennent les haines; ils sont une cause de désordre qu'il est sage de prévenir, ou du moins d'atténuer. D'ailleurs, cette protection accordée au droit du pre neur repousse le reproche d'impuissance qui tend à énerver la législation, et lui enlève ce qui fait une grande partie de sa force, la confiance et le respect. : 4o Enfin la prospérité de l'industrie agricole. Tout législateur subit les idées de son siècle, en faisant effort pour le diriger le plus ordinairement il ne commande qu'en cédant. Les adeptes d'une science nouvelle, célèbres sous la dénomination d'économistes, avaient posé comme base fondamentale de leur système, que l'industrie agricole est seule productive. Cette doctrine exposée, ou plutôt prêchée par ses partisans avec toute l'ardeur de véritables sectaires, dut attirer l'attention publique sur l'agriculture. De toutes parts on cherchait les moyens de la rendre prospère; on signala avec exagération les causes de sa décadence; on proposa des procédés pour arrêter les progrès du mal. En conséquence, la position du fermier, que la législation rendait précaire et incertaine, quoiqu'elle fût assez stable en réalité, dut appeler l'intérêt; la règle établie dut devenir l'objet d'amères critiques et l'occasion de nombreuses doléances. On pouvait dire avec raison qu'un colon, hôte précaire de la ferme qu'il occupe et qu'il exploite, ne songe pas à l'améliorer; qu'à peine assuré du présent, il ne peut rien confier à l'avenir; qu'il ne prête parcimonieusement à la terre que ce qu'elle peut lui rendre promptement, tremblant que sa prévoyance de quelques mois ne lui soit une cause de ruine; qu'il a, comme le laboureur de Virgile, à craindre qu'un autre recueille le fruit de ses travaux. Impius hæc tam culta novalia miles habebit, Barbarus has segetes! On était donc autorisé à réclamer pour les fermiers la sécurité qui leur manquait, en affirmant que la prospérité de l'agriculture croîtrait avec le bien-être particulier. Ces réflexions avaient dù faire une impression profonde, et il n'est pas étonnant que les auteurs du Code civil en aient tenu compte. Ces quatre motifs, dont l'influence a amené la dérogation à l'ancien droit, exigent-ils le remplacement de la personnalité par la réalité? D'abord, qu'importe à la bonne foi des conventions que le preneur ait un droit réel ou un droit personnel ? La violation du contrat n'est-elle pas prévenue par la subrogation? 2o En quoi l'intérêt des parties contractantes veut-il qu'un droit réel naisse du bail? Ce n'est pas assurément pour le bailleur qu'on le réclame; quant au preneur, nous allons voir qu'on lui ferait un présent plus nuisible qu'utile. 3o En quoi l'ordre public est-il compromis par la conservation de la personnalité, puisque la subrogation prévient les recours et produit une pleine sécurité? 4° Enfin, pourquoi l'industrie agricole réclameraitelle l'assistance du droit réel? Le fermier n'est plus, grâce à la subrogation, à la merci du bailleur ; celui-ci ne peut, en aliénant la ferme, exposer le colon à une expulsion. Mais, dit-on, le fermier aurait plus de sécurité encore, et l'agriculture y trouverait un élément de prospérité de plus, s'il avait l'action réelle contre les tiers détenteurs. Cela fût-il vrai, cette considération ne serait pas une raison suffisante pour motiver un changement radical. Que sera-ce donc si l'on démontre que l'action réelle, loin de lui procurer un bénéfice, ne lui offre pas même les avantages que l'action personnelle lui assure? Si le tiers détenteur se présente comme successeur universel du bailleur, il est soumis aux obligations de celui dont il est le représentant. S'il a la qualité d'acquéreur, de successeur particulier, il est placé sous l'empire de la subrogation établie par l'art. 1743. Dans ces deux cas, que produirait de plus le droit réel ? Que si, audacieux spoliateur, il ne peut ou ne veut point déguiser les vices de sa possession, l'art. 1743 ne lui sera pas applicable; j'en conviens. Mais, dans cette hypothèse, qui d'ailleurs se présentera bien rarement, le fermier sera-t-il beaucoup plus mal traité que s'il avait directement la revendication contre le tiers détenteur? Je ne le pense pas. Ne serait-ce pas à ses périls et risques qu'il intenterait la revendication? Pourquoi donc le faire courir après cette action périlleuse, lorsque, dans le système de la subrogation, une simple dénonciation faite au propriétaire lui suffira pour rentrer en jouissance aussi tôt au moins que s'il agissait lui-même ? Un double intérêt lui garantit les diligences du bailleur ; car, d'une part, le droit de propriété de celui-ci est compromis, et, d'une autre, sa responsabilité envers le preneur est engagée. Quel plaideur, maître de choisir entre l'attente paisible de l'issue d'un procès engagé par un autre dans son intérêt, et les embarras et les dépenses d'un procès personnel, peut hésiter et ne pas préférer la première position? La preuve puisée dans les motifs se fortifie par des considérations tirées tout à la fois de la forme de l'article 1743 et des restrictions qu'il contient. L'art. 1743 est précisément l'inverse de la loi 9 C. locato; l'exception admise par cette loi devient la règle |