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CHAPITRE III.

Dessins et modèles de fabrique.

PREMIÈRE SECTION.

Historique de la législation.

Le droit de propriété des dessins et modèles de fabrique a la même origine et repose sur les mêmes principes que le droit de propriété artistique, dont il n'est qu'un démembrement; aussi les avons-nous confondus dans le précis historique qui fait l'objet de la première section du chapitre précédent. Nous rappelons seulement que, dès 1737, des dispositions spéciales furent jugées nécessaires pour réglementer la propriété des dessins de fabrique. Tel fut notamment l'objet d'un règlement de police du 1er octobre 1737, et d'un arrêt du Conseil du 19 juin 1744, mais ils n'étaient relatifs qu'aux fabriques de Lyon. Un arrêt du Conseil du 14 juillet 1787 en étendit les dispositions à toutes les manufactures de France. Aux termes de cet arrêt, les fabricants qui avaient composé ou fait composer de nouveaux dessins conservaient le droit exclusif de les faire exécuter, savoir : pendant quinze années pour les étoffes destinées aux ameublements et ornements d'église, et pendant six années pour celles brochées ou façonnées servant à l'habillement ou autre usage, à la condition d'en opérer le dépôt avant la mise en vente des étoffes.

Les fabriques restèrent sous l'empire de cette législation jusqu'à la loi de 1793, dont les dispositions s'appliquent à toutes les productions des arts et comprennent formellement les dessins, sans distinction de genre ni de destination. Mais, indépendamment de cette loi générale, on sentit la nécessité

de rétablir quelques dispositions spéciales pour les dessins de fabrique. C'est ce que fit une loi du 18 mars 1806 qui, en créant pour la ville de Lyon un conseil de prud'hommes, les chargea des mesures conservatrices de la propriété des dessins, régla les formalités du dépôt et, par occasion, fixa une durée particulière, en autorisant le fabricant à déclarer, au moment du dépôt, s'il entendait se réserver la propriété exclusive pendant une, trois ou cinq années, ou à perpétuité. De sorte que, par une singulière anomalie, cette propriété qui est considérée par la loi comme moins importante, parce que le goût et les modes changent, peut cependant, par le seul fait de la déclaration, devenir perpétuelle, alors que le droit exclusif de reproduction des chefs-d'œuvre artistiques ne dure qu'un certain nombre d'années au profit de la famille et des cessionnaires, après la mort de l'auteur.-En fait, cela n'a pas une grande importance, parce que la versatilité des modes et la possibilité de varier à l'infini les dessins de fabrique font prompte justice de cette perpétuité. Mais, en droit, elle existe, et, jusqu'à ce qu'une loi nouvelle ait fait disparaître cette anomalie, les fabricants doivent s'abstenir de reproduire servilement des dessins, même anciens, avant d'être certains qu'ils sont tombés dans le domaine public.

La loi de 1806 était spéciale à la ville de Lyon; mais, outre qu'elle autorisait la création de nouveaux conseils de prud'hommes dans toutes les villes où le gouvernement le jugerait convenable, une ordonnance des 17 et 29 août 1825 généralisa celles de ses dispositions qui étaient relatives aux dessins de fabrique, en établissant que dans les villes où il n'existerait pas de conseil de prud'hommes, le dépôt serait fait aux greffes des tribunaux de commerce.

Quant aux modèles de fabrique, aucune disposition particulière n'étant venue modifier les principes généraux, ils restent soumis à la loi de 1973, sauf l'application qui leur a été

faite, dans certains cas, des dispositions qui précèdent, ainsi que nous le verrons à le section suivante, § 2.

DEUXIÈME SECTION.

Précis de la législation en vigueur.

§ 1er. Dessins de fabrique. A. Genre de dessins. La propriété des dessins de fabrique se trouve aujourd'hui protégée par les principes généraux sur la propriété artistique, et en outre par les dispositions spéciales de la loi de 1806 et de l'ordonnance de 1825. On entend par dessin de fabrique toute disposition d'ornements et combinaison de dessins linéaires appliquée ou destinée à être appliquée à l'industrie par l'impression ou par le tissage, peu importe la nature de l'objet sur lequel il est reproduit, étoffes de soie, de laine ou de coton, velours, cachemires, tapis, dentelles, passementeries, toiles cirées, papiers peints, cuirs, bois, porcelaines, cristaux, etc., etc. Mais il faut que le dessin ait un caractère de nouveauté, c'est-à-dire qu'il ne soit pas la reproduction servile d'un dessin tombé dans le domaine public. Toutefois, il a été jugé par un arrêt de la Cour de Paris, du 26 juin 1837, que celui qui le premier avait fait usage dans les papiers peints des crêtes ou lézardes, pour servir de bordures, avait pu s'assurer un droit exclusif par le dépôt de ce dessin, bien qu'il ne fût que la reproduction ou plutôt l'imitation des crêtes en passementeries. Il faut également que ce soit un dessin susceptible d'être reproduit par un procédé mécanique. Tout dessin qui nécessiterait un travail à la main rentrerait dans la catégorie des œuvres artistiques.

B. Dépôt. Le dessinateur ou le fabricant sont tenus, pour conserver la propriété d'un dessin, d'en effectuer le dépôt au conseil des prud'hommes, ou, à défaut, au greffe du tribunal de commerce. Le dessin ou l'échantillon doit être plié sous

enveloppe revêtue de la signature et du cachet du déposant. C. Frais. Lorsque le dépôt a lieu aux archives du conseil des prud'hommes, il est soumis au payement d'une indemnité qui est réglée par le conseil, et ne peut excéder un franc par année de jouissance exclusive réclamée; elle est de dix francs pour la propriété perpétuelle. Mais si le dépôt est fait au greffe d'un tribunal de commerce en vertu de l'ordonnance de 1825, il doit être reçu gratuitement, sauf le droit du greffier pour la délivrance du certificat.

D. Effet du dépôt. Le dépôt est nécessaire pour la conservation du droit de propriété.-Tout dessin exécuté et mis dans le commerce avant le dépôt tombe dans le domaine public. Mais si le dépôt peut servir à établir la priorité entre deux déposants, il ne prouve pas, par lui seul, la propriété du dessin qui est préexistante et pourrait, au besoin, être revendiquée par le véritable auteur ou propriétaire.

E. Durée. Le déposant doit indiquer pendant quel temps il veut se réserver le droit de propriété exclusive. Ce droit peut être perpétuel ou limité à une, trois ou cinq années.

F. Poursuite et compétence. Les principes que nous avons exposés au chapitre précédent sur le mode de poursuite et la compétence en matière de propriété littéraire et artistique s'appliquent aux dessins de fabrique. Seulement, lorsqu'au lieu de porter la plainte en contrefaçon devant la juridiction correctionnelle, on agit par la voie civile, notamment en revendication de la propriété d'un dessin, ou en dommages-intérêts, l'action doit être portée devant le tribunal de commerce, et non devant les tribunaux civils ordinaires.

G. Peines. Les peines contre le contrefacteur, l'introducteur ou le débitant sont les mêmes qu'en matière littéraire et artistique, et sont réglées par les art. 425 et suiv. du Code pénal.

§ 2. Modèles de fabrique. Nous avons dit que la des

tination industrielle d'un objet d'art ne suffisait pas pour faire refuser à l'artiste ou à son cessionnaire le bénéfice de la loi de 1793. Ainsi un groupe ou une statuette destinés à une pendule, une cariatide en bronze appliquée à un meuble, des figurines ou des animaux sculptés en or, en argent ou en ivoire pour l'orfévrerie ou la bijouterie, n'en constituent pas moins des œuvres artistiques. Mais il n'en est pas toujours ainsi, et quoiqu'il soit souvent difficile de préciser où l'art finit et où commence l'industrie, on ne saurait méconnaître qu'il y a un fort grand nombre d'objets fabriqués pour des usages purement industriels ou domestiques dont les modèles n'ont souvent pas d'autre valeur que le prix de premier établissement, et qu'on ne peut guère élever au rang d'œuvres d'art, même alors qu'il a fallu, pour les créer, un certain degré d'intelligence et de goût; ils n'en ont pas moins droit à la protection de la loi, car si la liberté et l'émulation vivifient l'industrie, c'est à la condition que la concurrence sera loyale. La contrefaçon, en effet, c'està-dire l'usurpation du travail d'autrui, est relativement aussi coupable et aussi nuisible dans l'industrie que dans les arts, et cependant on est obligé de reconnaître qu'entre la loi de 1793, qui ne s'occupe que des productions de l'esprit et des beauxarts, et la loi de 1806, qui est spéciale aux dessins industriels, les modèles de fabrique se trouvaient livrés à la merci des contrefacteurs, n'ayant pour les défendre que le faible appui de l'article 1382 du Code Nap., qui permet d'actionner en dommages-intérêts celui qui, par un fait répréhensible, nous cause un préjudice. — La jurisprudence a comblé cette lacune en appliquant les dispositions répressives du Code pénal, en vertu, soit de la loi de 1793, soit de celle de 1806, selon que les objets argués de contrefaçon lui paraissaient avoir un caractère artistique ou purement industriel. La répression étant la même, cette distinction n'a d'importance qu'à raison de ce que, dans le second cas, le dépôt préalable du modèle peut être jugé nécessaire,

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