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ENTREVUE DE NAPOLÉON ET DE FRANÇOIS II, APRÈS LA BATAILLE D'AUSTERLITZ.
D'après le tableau de Gros.

emplissait tout le ciel, roulant sur les étangs de Telnitz, sur les coteaux de Pratzen, en portant la terreur dans les armées ennemies'.

Cette scène d'une si puissante intensité de couleur tragique, si l'on songe qu'à cette place même où se célébrait ce formidable centenaire devaient bientôt reposer sur la neige sanglante plus de 30 000 cadavres, a inspiré quelques assez bonnes toiles, entre autres celles de Bacler Dalbe et de Gigoux. Mais pour un sujet pareil il fallait des artistes comme Gros, et surtout comme Eugène Delacroix, les peintres du Champ de bataille d'Eylau et du 1 Prairial an III. C'est à Gérard que fut officiellement confiée la mission de fixer sur la toile l'événement capital de la campagne de 1805 : la Bataille d'Austerlitz.

Gérard était bien l'artiste le moins désigné pour une pareille tàche, qui lui fut en quelque sorte imposée par l'Empereur sur les instances de l'impératrice Joséphine. Certes la souplesse de son talent était grande, et il suffit, pour le reconnaître, d'étudier tour à tour les pendentifs si remarquables, d'une facture si énergique, du Panthéon, et les portraits si délicats et si savoureux de 1. Je peux certifier deux cent mille torches allumées. (Les Cahiers du capitaine Coignet.)

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Mme Visconti, de la princesse de Ponte Corvo, de la comtesse Regnaud de SaintJean d'Angély, de Mme Récamier..., ou si aristocratiques d'allure, comme ceux de Lamartine, de Talleyrand, du duc Decazes.... Mais à ce pinceau caressant des chairs féminines, des élégances mondaines, des amours mythologiques, la peinture de soldats aux rudes figures foulant des cadavres aux pieds de leurs chevaux fougueux, devait, je crois, peu convenir. Et cela se sent véritablement dans cette grande et froide composition, où rien d'expressif ne se manifeste en dépit du mouvement auquel se livrent les personnages.

Le peintre nous montre Napoléon à cheval, au milieu de son état-major, sur un tertre qui domine le champ de bataille. Il écoute impassible et calme le général Rapp, qui, tête nue, le sabre à la main, accourt au galop de son cheval pour lui annoncer la victoire et la retraite définitive de la garde russe. Autour du groupe formé par son état-major: des prisonniers ennemis gardés par des grenadiers de la garde, l'arme au bras, puis des chevaux qui tentent de se cabrer, des blessés qui agonisent avec gràce, des mameluks' agitant avec

1. Napoléon avait réuni en un corps à part les cavaliers musulmans qui avaient suivi nos troupes lors de leur rentrée d'Égypte en France. Le 30 nivóse an III (21 janvier 1803), l'Empereur en forma un escadron de sa garde, qu'il attacha au régiment de chasseurs à cheval. Cet escadron, composé de

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orgueil, devant le visage morne de l'Empereur, des étendards aux aigles noires, pris à l'ennemi. On cherche vainement dans cette composition, qui ne mesure pas moins de 9 mètres de largeur sur 5 de hauteur, l'imagination inspirée, la main passionnée d'un maître.

Au point de vue iconographique, elle est sans intérêt, et dans nos nom250 hommes, fit merveille à la bataille d'Austerlitz, comme l'atteste le récit suivant, emprunté aux Cahiers du capitaine Coignet:

.... Contrairement à l'habitude, l'Empereur avait ordonné que les musiciens resteraient à leur poste, au centre de chaque bataillon. Les nôtres étaient au grand complet, avec leur chef en tête, un vieux troupier d'au moins soixante ans. Ils jouaient une chanson bien connue de nous :

On va leur percer le flanc,

Ran, ran, ran, ran, tan plan, tirelire,

On va leur percer le flanc,

Que nous allons rire!

Ran, tan, plan, tirelire,
Que nous allons rire!

<«< Pendant cet air, en guise d'accompagnement, les tambours, dirigés par M. Sénot, leur major, un homme accompli, battaient la charge à rompre les caisses; les tambours et la musique se mêlaient C'était à entraîner un paralytique.

« Arrivés sur le sommet du plateau, nous n'étions plus séparés des ennemis que par les débris des corps qui se battaient devant nous depuis le matin. Précisément nous avions en face la garde impériale russe. L'Empereur nous fit arrêter et lança d'abord les mameluks et les chasseurs à cheval. Ces mameluks étaient de merveilleux cavaliers; ils faisaient de leurs chevaux ce qu'ils voulaient. Avec leur sabre recourbé ils enlevaient une tête d'un seul coup, et avec leurs étriers tranchants ils coupaient les reins d'un soldat. L'un d'eux revint à trois reprises différentes apporter à l'Empereur un étendard russe; à la troisième, l'Empereur voulut le retenir, mais il s'élança de nouveau et ne revint plus. Il resta sur le champ de bataille.... >>

Les mameluks partagèrent les fatigues et les dangers de la vieille garde. Après Waterloo, l'escadron, qui s'était déjà maintes fois renouvelé par des recrutements de volontaires venus de divers pays de l'Orient, aventuriers ivres de gloire et que le bruit des victoires des armées impériales attirait en France, se disloqua. La plupart de ces vaillants soldats périrent láchement massacrés par les réactionnaires du Midi, lorsqu'ils se rendaient isolément et sans armes à Marseille pour gagner leur pays d'origine.

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breuses recherches à travers les milliers de portraits napoléoniens qui figurent au département des Estampes, nous n'avons pas trouvé une image qui différât plus sensiblement des portraits types que celui du vainqueur d'Austerlitz de Gérard. C'est là une constatation qui ne nous eût que légèrement surpris s'il s'était agi d'une œuvre signée de Philippoteaux ou d'Horace Vernet, mais qui nous étonne dans une toile de l'artiste qui peignit avec tant de force et de sincérité la figure du Consul qui se trouve dans les galeries de Chantilly.

Cette immense composition fut exposée au Salon de 1810 et obtint, paraît-il, à cette époque, un très grand succès. On rapporte même que Napoléon envoyait au Louvre ceux de ses officiers qui n'avaient pas assisté à cette bataille, en leur disant : « Allez voir, messieurs, comme nous étions à Austerlitz. >>

Nous aurions mauvaise gràce, devant un témoignage aussi affirmatif, à prolonger davantage la critique d'une œuvre qui, à elle seule, croyons-nous, ne suffirait pas à la gloire de l'auteur de tant de charmants portraits et de gracieuses peintures.

Cependant Gillray, qui avait définitivement arrêté ses malicieuses attaques contre son gracieux souverain', ne cessait, encouragé par les conseils et l'or de

I.... Le roi George III, un assez brave homme, est, ainsi que sa digne moitié, l'objet des continuelles moqueries de Gillray. Il avait, un jour, parlé trop brutalement de ses «< caricatures » et trop laissé percer son mépris pour les artistes en général, et pour celui-ci en particulier. Alors ce furent d'intarissables plaisanteries sur la ladrerie du souverain et sur son intellect. Un jour, c'est l'estampe des Antisaccharites, où l'on voit le roi et la reine enseignant gravement à leur fille l'art de prendre le thans sucre. Un autre jour, ce sera une figure commémorative d'un trait de finesse que la légende attribue à ce pauvre George. En se promenant par ses métairies, il avait vu une vieille femme qui fai

Pitt, de publier contre Napoléon les charges les plus agressives, dont quelquesunes réussissaient à franchir la frontière, mais qui, par l'excès même de leur violence, la grossièreté de leur invention, n'avaient aucune prise sur l'esprit français, malgré l'énormité des légendes qui couvraient parfois plus de la moitié du dessin, ou s'échappaient en banderoles de la bouche des personnages, comme des flots de bile.

Une des caricatures les plus justement célèbres de Gillray est la Grande

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Procession du couronnement de Napoléon I, empereur de France, à Notre-Dame. Cette estampe eut, en Angleterre, un succès retentissant, et Napoléon ne pouvait la voir, paraît-il, sans entrer dans la plus violente colère. Ici rien de commun assurément avec les officielles et pompeuses représentations du sacre, de J.-B. Isabey et David.

Nous reproduisons cette folle composition pleine de détails saugrenus, sorte de frise grotesque, d'un grotesque vraiment désopilant, se déroulant sous une bande étroite et longue.

Gillray nous fait assister au défilé du cortège impérial, en marche vers l'autel.

D'abord c'est Talleyrand

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qui, chargé d'oripeaux héraldiques, ouvre la marche nuptiale, soutenant avec une canne sa claudication très apparente, et portant d'un air gouailleur sur ses épaules un large écusson où se développe la somptueuse frondaison d'un arbre généalogique.

Au second rang, le cardinal Fesch encense d'un mouvement violent le pape, qui, affaissé, la figure décomposée par la terreur, les pieds nus, se traîne chan

sait cuire des chaussons aux pommes, et il lui avait demandé, avec un vif intérêt, comment elle s'y prenait pour introduire les fruits dans la pâte, sans avoir besoin d'y faire de coupure.

(L'Art du Rire et de la Caricature, par ARSENE ALEXANDRE. May et Motteroz, éditeurs.)

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