celant, sa mitre à la main. Derrière lui marche le couple impérial, dans l'attitude duquel le satirique anglais paraît avoir voulu concentrer tout le fiel de son ironie cruelle. Oh! ce Bonaparte, casqué d'une invraisemblable couronne, vêtu comme un roi d'opéra-bouffe, et tenant, d'un air à la fois rageur et comique, le sceptre impérial, qu'il semble tout prêt à briser sur le crane de l'infortuné Pie VII, courbé et comme anéanti déjà sous le vol tournoyant de l'encensoir!... Et cette Joséphine au profil de poissarde, appuyant avec peine ses deux mains sur la monstrueuse déformation de sa taille!... Rarement le comique dans la grossièreté fut exprimé avec une verve aussi grande. Certes oui, nos amis les Anglais du rent applaudir à une satire aussi insolente et aussi cruelle.... Puis viennent les porteurs du manteau impérial: ce sont les représentants des puissances continentales, sortes de mendiants goitreux, mal peignés, béquillards..., et les sœurs de l'Empereur, costumées en reines caraïbes, et laides à rendre jolies les sorcières de Shakespeare. Pressés en rang d'oignons et avec des ports de tête d'une dignité charlatanesque, généraux, grands dignitaires..., suivent au pas, au pas rythmé par le bruit des trompettes, des tambours et des grosses caisses.... L'EMPEREUR. Le groupe des personnages se détache sur un fond de piques, de haches, de hallebardes, de drapeaux.... Au-dessus de la composition se déroule une draperie où se lit cette inscription latine, malicieuse paraphrase de la prophétie virgilienne: Redeunt Satania regna. Jam nova progenies cœlo demittitur alto. Cette pièce caricaturale est, sans contredit, la plus importante et la plus curieuse de l'œuvre de Gillray. Pendant toute la durée de l'Empire, l'inépuisable verve de Gillray ne cessera de s'exercer aux dépens de Buonaparte, de l'affreux Boney, du Corsican pest.... Avec une rage toujours croissante, le roquet mordra les bottes du géant. Quelques-unes de ces charges, simplement dròles, et parfois spirituelles, nous montrent Napoléon « casant sa famille ». Ici, c'est l'Empereur en pâtissier, gravement occupé à tirer d'un four des petits rois en pain d'épice, pendant que Talleyrand, les bras enfoncés dans la pâte, remplit l'office de mitron. Dans une autre estampe, l'Empereur est occupé, encore avec le prince de Bénévent, à planter une pépinière de rois. La guerre d'Espagne devait fournir plus tard à Gillray le sujet d'une de ses meilleures estampes, celle où il nous représente l'Empereur en matador, dans un combat de taureaux. Il a brisé la lame de son espada sur l'épaule d'un de ces animaux, qui, furieux de sa blessure, le frappe de ses cornes. Les rois de l'Europe forment la galerie et contemplent la scène avec une joie évidente. Gillray trouva aussi un joli motif de satire à l'adresse du ministère anglais, sous ce titre : « Châteaux en l'air », à l'époque où une alliance semblait prête de s'établir entre Napoléon et le tsar. Cette gravure, qui représente le Triomphe de l'Angleterre, nous montre Britannia sur un char formé de la coque d'un navire traîné par un taureau irlandais et conduit par un matelot. Au char sont enchaînés le tyran corse et l'ours de Russie. Il y a aussi la Vallée de l'Ombre de la Mort, estampe inspirée par le même sujet. Napoléon, tenant en laisse l'Ours du Nord, entre dans la sombre vallée et y rencontre, groupés ensemble, le Lion britannique, le Terrier de Sicile, le Loup de Portugal, et, montée sur un cheval andalous à la tête busquée, la Mort qui les excite au combat'. Mentionnons aussi, parmi les plus curieuses des innombrables caricatures de Gillray contre Napoléon, la Rencontre inattendue: Bonaparte, qui voulait toujours attaquer l'Angleterre dans l'Inde, a passé à travers le globe terrestre et ressort brusquement par le Bengale; mais il est fort surpris d'y retrouver John Bull, qui l'y attendait.... 1. Voir la Caricature en Angleterre, par JouN LEMOINNE. 2. Devant Saint-Jean d'Acre, la veille du dernier assaut, il s'écriait: « Si je réussis, je trouverai dans la ville les trésors du pacha et des armes pour trois cent mille hommes. Je soulève et j'arme toute la Syrie..., je marche sur Damas et Alep; je grossis mon armée, en m'avançant dans le pays, de tous les mécontents. J'annonce au peuple l'abolition de la servitude et du |